>Histoire

3 / 01 / 2017

Les conventions collectives contre les lois travail (3e partie)

États-Unis : 1933.
New Deal (nouvelle donne).

Lorsque Franklin D. Roosevelt accède à la présidence de la république en mars 1933, la grande crise économique de 1929 continue d’exercer ses ravages. Les partisans de l’économie de marché, les « libéraux », qu’ils soient « démocrates » ou « républicains », cherchent le Sauveur, celui qui aura la poigne – et la foi – capable de réunir dans un même élan toutes les classes de la société américaine, les millions de chômeurs et les responsables du chômage, ceux de Wall Street. On verra que les problèmes auxquels sont confrontés les militants syndicalistes américains de cette époque recoupent largement ceux auxquels nous sommes toujours confrontés, dans un contexte général bien sûr très différent.


Le nouveau président, Roosevelt, entend ne pas perdre de temps. Le jour de l’investiture officielle, il pose la main sur une vieille bible de famille ouverte au treizième chapitre de la 1ère épitre aux Corinthiens et déclare :
« Maintenant donc, demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité ».


Selon son biographe, Yves-Marie Péréon, « il ne cherche pas à dissimuler la gravité de la situation : bien au contraire, il la compare à l’état d’urgence justifié par la guerre » et, recourant à une rhétorique biblique il dénonce les  banquiers, « ces marchands du Temple qui ont fui les hauts sièges (qu’ils occupaient) dans notre civilisation ». (F.D. Roosevelt, page 192). Le nouveau président se veut le président de tout le peuple rassemblé. C’est pourquoi il s’entoure à la fois de « politiques et d’experts, sollicite l’opinion d’une multitude de businessman, d’intellectuels, de personnalités religieuses et … de syndicalistes ». (Péréon, page 16).
La tâche est rude, la voie étroite. Il lui faut à la fois justifier un nouveau plan d’économies budgétaires et préparer un vaste plan de relance de l’économie.
« Alors que des millions d’américains sont plongés dans la pauvreté », il commence par réduire les pensions des anciens combattants et impose la destruction des « excédents » agricoles. Cette politique profite « aux gros exploitants » (Péréon, page 206). Il réduit les salaires des fonctionnaires fédéraux jusqu’à 15%. Les Noirs subissent de plein fouet les effets des premières mesures de Roosevelt : « leur exode vers les métropoles industrielles du nord s’accentue ». Les organisations charitables font du gras. Les « marchands du Temple » peuvent respirer.

National Industrial Recovery actLe mouvement de syndicalisation de masse qui caractérise l’histoire sociale de cette période prit appui sur la section 7a) du National Industrial Recovery act dont l’aigle bleu est le symbole, laquelle reconnaissait au moins formellement aux ouvriers le droit de s’organiser librement, de négocier des contrats collectifs, de désigner leurs propres représentants, en opposition aux syndicats-maisons des patrons. Au même moment, le IIIè Reich détruisait les syndicats ouvriers. La politique du New Deal qui cherchait à associer les syndicats ouvriers au sauvetage du capitalisme n’est accessible, – partiellement – qu’aux pays les plus « riches », les EU étant devenue la puissance dominante.

 

Les conventions collectives, cauchemar des marchands du Temple

Le rapport du Bureau international du travail publié en 1936 (déjà cité dans les articles précédents) est particulièrement explicite. Extraits :
« ( … ) La réglementation des conditions de travail au moyen des conventions collectives conclues entre des organisations patronales et des syndicats ouvriers n’avait pas fait grand progrès et il n’y avait que quelques branches d’industrie où les conditions de travail fussent effectivement régies par des conventions de ce genre. Lorsque le président Roosevelt arriva au pouvoir, il n’y avait qu’environ 10 ou 12% des travailleurs de l’industrie dont les conditions d’emploi étaient régies par des conventions collectives, encore s’agissait-il, pour la plupart, de conventions collectives conclues par des syndicats avec une seule entreprise à la fois.
Les conditions de travail d’approximativement 80% des travailleurs de l’industrie américaine étaient déterminées par des contrats de travail individuels. ( … ) Les salaires et autres conditions de travail étaient fixées par chaque entreprise agissant isolément et il en résultait de nombreuses différences dans ces conditions », conditions entièrement favorables aux capitalistes. « Si dans une branche d’industrie, quelques entreprises, ne représentant qu’une minorité, diminuait notablement les salaires, les autres établissements étaient obligés, par suite de la concurrence acharnée, d’en faire autant … » (rapport du BIT, page 236). Et voilà comment, tout « naturellement », les exploiteurs parvenaient à abaisser toujours plus le « coût du travail » afin d’augmenter leurs profits.

La loi de redressement industriel

Le rapport du BIT poursuit :
« La loi de redressement industriel essayait d’encourager les négociations collectives en prescrivant que les salariés auront le droit de s’organiser et de négocier collectivement par l’intermédiaire de représentants de leur choix et en protégeant les travailleurs contre toute discrimination dont ils pourraient être victimes de la part des employeurs en raison de leur affiliation à un syndicat … »
Cette disposition est essentielle, mais, comme toujours, il ne suffit pas d’inscrire une volonté politique dans la loi pour que celle-ci s’applique immédiatement, sans opposition. Le BIT note :
« Dans la grande majorité des branches d’industrie, par suite de l’opposition manifestée par les employeurs à l’égard des syndicats ouvriers, la méthode des négociations collectives n’a pas été employée pour l’élaboration des stipulations des codes concernant les conditions de travail ». C’est que le patronat, aux Etats-Unis comme en France, dans les années 30 comme en 2016 préfère 10% de salariés protégés par une convention collective de branche, plutôt que 90%.
La loi Travail associée au New deal risquait d’inverser la tendance. Le patronat de choc s’est organisé, la classe ouvrière aussi. Les grèves, de plus en plus dures, ont marqué toute la période 1933-1939.
Le BIT explique :
« Le gouvernement espérait que le code de concurrence loyale fixant les conditions de travail minima, serait complété par des conventions collectives conclues entre les employeurs et les syndicats ouvriers, établissant des conditions meilleures et une réglementation détaillée des salaires et autres conditions de travail pour les travailleurs qualifiés. Mais cet espoir ne s’est pas réalisé ». Le patronat n’a rien voulu céder.
«  Alors que le droit aux négociations collectives étaient établi par l’article 7a) de la loi de redressement industriel national, les patrons affirmaient que le droit de négocier individuellement était maintenu implicitement et que les négociations collectives n’étaient pas nécessairement des négociations avec des syndicats ouvriers, mais englobaient les négociations entre la direction d’une entreprise et les représentants des travailleurs occupés par cette entreprise ; Ils se mirent donc en devoir d’établir des systèmes de représentation ouvrière que les travailleurs syndiqués qualifièrent de syndicats d’entreprise (autrement dit, des syndicats jaunes) et critiquèrent parce qu’ils ne protégeaient guère les travailleurs », leur unique fonction étant, sous couvert de « participation » au plus près du « terrain », de veiller aux intérêts de la classe exploiteuse.
Le rapport conclut cette partie par cette appréciation :
« Il est manifeste que le gouvernement des Etats-Unis considère que la réglementation indépendante des conditions de travail par chaque entreprise, sans aucune coordination est une méthode peu satisfaisante et qu’il préconise l’institution d’un système de négociations collectives ». (Page 214).
Bien sûr, ce constat ne fait pas de Roosevelt un « socialiste » dont il ne revendique évidemment pas le titre.

Léon Jouhaux et le New Deal

Dans le Peuple du 8 août 1933, Léon Jouhaux, secrétaire de la CGT écrit :
« On ne saurait suivre avec trop d’intérêt l’expérience en cours aux EU. C’est tout de même un effort considérable qu’un grand pays, le plus riche du monde, celui où le capitalisme a le plus de puissance soit contraint de chercher le salut dans des méthodes qui contredisent toutes celles auxquelles il paraissait le plus attaché ( (… )  c’est une raison pour que nous le suivions avec sympathie et souhaitions son succès». Et plus tard, lorsque Léon Blum présente son discours d’investiture le 6 juin 1936, Jouhaux note :
« Quand Blum rédige son discours d’investiture approuvé en conseil des ministres, il ne fait pas encore figurer les congés payés parmi les objectifs prioritaires du gouvernement ». C’est la grève générale qui l’y incite.
Par contre, Jouhaux indique que le gouvernement Blum préconise « la garantie de stabilité de l’emploi par l’application généralisée d’un contrat collectif  ( … ) ces mesures étaient celles que la Fédération américaine du travail avait fait voter et sur lesquelles le président Roosevelt lui a donné satisfaction».
Le responsable CGT de la fédération des fonctionnaires (Lacoste) félicite  «  cette équipe d’intellectuels désintéressés, (le fameux « brain trust » de Roosevelt) taillant dans le vif et construisant contre le grand capitalisme privé, un capitalisme d’Etat voisin d’une organisation économique à caractère socialiste et réduite aux limites de la nation ». Appréciation pour le moins discutable.

Le New Deal ne met pas un terme aux affrontements de classes

« L’effectif des syndicats ouvriers (organisés au plan interpro) crût rapidement et d’âpres conflits éclatèrent dans tous les Etats-Unis au sujet de la question de savoir si les syndicats ouvriers ou les syndicats d’entreprise représentaient réellement une partie considérable des travailleurs d’entreprises déterminées ». (Rapport du BIT).
Ce n’est pas l’objet de cet article de dresser la liste des grèves qui ont opposé ouvriers et patrons. On peut se référer à l’indispensable livre d’Howard Zinn, une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours. (En vente à la librairie de l’UD).

Une histoire populaire des États-UnisCe livre démontre qu’aux Etats-Unis comme sur le vieux continent et partout dans le monde, ce sont bien les conflits de classes – la lutte des classes – qui déterminent les postions des gouvernements, qu’ils soient de « droite » de « gauche » « libéraux » ou pas. Loin des clichés et des idées reçues, H. Zinn détaille les conditions du combat qui a opposé jusqu’à la guerre des millions de salariés surexploités aux amis de Ford.
Un témoignage accablant pour les partisans déclarés ou plus honteux, du passé comme du présent, de la catastrophique « politique de l’offre ».
Un témoignage qui démontre que les exploiteurs ont leur « état-major » pour mener la lutte mais que les exploités se battent aussi avec acharnement pour constituer le leur.

H. Zinn écrit (page 438) : « En mars 1931, Henry Ford prétendait que la crise était due au fait que :
Le citoyen moyen ne ferait jamais sa journée de travail si on ne l’attrapait pas pour l’obliger à la faire, il y a plein de travail pour ceux qui veulent travailler ». Quelques semaines plus tard, il licenciait soixante-quinze mille ouvriers.
Il insiste sur ce qui lui semble déterminant : « L’organisation économique du New Deal visait cependant avant tout à stabiliser l’économie et, secondairement, à venir suffisamment en aide aux classes les plus défavorisées pour les empêcher de transformer une simple révolte en révolution ».
Quoiqu’on en pense, on ne peut que souscrire à cette évidence : « les problèmes des travailleurs ne peuvent être résolus que par les travailleurs eux-mêmes ». (Page 447).

4ème partie : Afrique francophone, terrain expérimental de la dérèglementation du droit du travail ? Quand  la « France » finance (en 1997) une conférence : banque mondiale, BIT, gouvernements de l’ex AOF pour la promotion du « travail décent » et … la destruction des conventions collectives.

JM. Décembre 2016

chaud ! chaud ! chaud !

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