>Histoire

2 / 11 / 2016

Les conventions collectives contre les lois travail (1ère partie : 1919, janvier 1933)

Photo AFP-Archives Alain Jocard

Le combat contre la loi Travail CFDT-MEDEF, gouvernement Valls n’est pas terminé. Une loi peut toujours être abrogée. C’est le rapport des forces entre les classes qui tranche. C’est ce que montre à sa manière un rapport tout à fait d’actualité du Bureau international du travail rédigé en 1936. (300 pages, consultable sur internet).

Juin 36, c’est en France la grève générale qui arrache l’extension des conventions collectives. Mais en Allemagne, c’est depuis janvier 1933, au nom de la « révolution populaire » la remise en cause systématique de tous les acquis ouvriers. C’est de cette question que traite l’article ci-dessous.
Quelles étaient les lois sociales de la République de Weimar ? Comment ont-elles été liquidées en l’espace de seulement quelques semaines ? Par quoi ont-elles été remplacées ? Y a-t-il eu rupture ou continuité ? Comment les militants syndicaux ont-ils réagi ? Quel a été le rôle des organisations (partis et syndicats) liés à la doctrine sociale de l’Eglise ?
Autant de questions – et bien d’autres – qui concernent directement les militants qui résistent aux tentatives plurielles de nous imposer des contre réformes, notamment en matière du droit du travail.
C’est bien sûr le grand mérite de notre confédération d’avoir immédiatement pointé du doigt le danger essentiel de la loi travail : son article 2 et la volonté patronale et de ses subsidiaires « syndicaux » d’inverser la hiérarchie des normes. (1). Comme le dit avec humour JC Mailly, « l’article 2, c’est le totem de M. Valls, du MEDEF et de M. Berger, mais un totem, c’est fait pour être abattu … » (émission face aux chrétiens, le 20 juin 2016).


Documents utilisés :
le rapport du BIT cité plus haut ; l’ouvrage de Martin Broszat, « L’État hitlérien » ; des articles de Tim Mason, « La classe ouvrière sous le IIIème Reich » (consultables sur internet) ; l’ouvrage du militant chrétien, Joseph Rovan (tendance Mounier, personnaliste), « Le catholicisme politique en Allemagne » (Edition du Seuil, collection « Esprit ») ; « Le suicide d’une république, Weimar » de Peter Gay.


La question des conventions collectives est discutée dès 1919, à propos de conventions sur la durée du travail dans l’industrie. En 36, le BIT se déclare favorable « au principe de la semaine de 40 heures appliqué de telle manière qu’il ne comporte pas de diminution dans le niveau de vie des travailleurs ». Pas question ici de « partage du travail et des revenus » cher aux cléricaux de la CFTC-CFDT…

Weimar : ses lois sociales.

(2)
La Constitution prévoit le respect des libertés démocratiques élémentaires, dont les droits syndicaux. Le BIT note que les organisations d’employeurs et de salariés librement constituées ont joué un rôle de premier plan dans l’élaboration et l’application de la législation du travail. Des conventions collectives doivent définir les conditions d’emploi des travailleurs dans les principales branches d’industrie. « Les conditions d’emploi des travailleurs isolés ne devaient pas être moins favorables que celles qui étaient déterminées par les stipulations des conventions collectives ». Si un accord au niveau de l’entreprise est accepté par les employeurs et par les syndicats ouvriers, il ne peut en aucun cas être inférieur à l’accord de branche. Evidemment, le patronat combat cette disposition. Une loi du 4 février 1920 instaure des « conseils d’entreprise ». Il s’agissait, officiellement, d’assurer mieux la protection des ouvriers et employés. En réalité, en essayant de reporter au niveau de chaque entreprise – certains commencent à parler à « Gauche », à « droite », jusqu’à l’ « extrême droite » bientôt nationale-socialiste, de communauté d’entreprise – la négociation patronat-syndicats ouvriers, on tente de faire croire que les décisions prises au plus près du terrain seront nécessairement favorables aux ouvriers. L’une des toutes premières tâches des cellules NSBO (« syndicat » lié au NSDAP) sera de noyauter ces conseils d’atelier pour mieux court-circuiter les conventions collectives ou les vider de leur contenu et neutraliser les syndicats ouvriers.
Ainsi, dès l’instauration de la loi sur les conventions collectives, c’est à une véritable entreprise de sabotage que doivent faire face les militants syndicalistes. La situation est d’autant plus complexe que certains d’entre eux, pourtant étrangers aux tendances chrétiennes, croient, certainement de bonne foi, possible d’investir ces nouvelles structures pour y faire prévaloir leurs intérêts de classe.

Novembre 1918. L’Allemagne est vaincue. L’empereur doit fuir. Proclamation de la république au Reichtag. J. Rovan écrit : « On ne peut que louer la sagesse des hommes d’Etat sociaux-démocrates qui surent imposer à leur parti, élevé dans les sentiments anticléricaux, une politique qui, en libérant les catholiques, les engageait dans le camp de la liberté » (page 193). Le parti clérical votera les pleins pouvoirs à Hitler…

Vraie fausse pratique contractuelle.

La période 1918-1923 est marquée par de nombreuses grèves et manifestations. Le mouvement ouvrier est très divisé. Entre partisans d’une république parlementaire réellement démocratique et partisans d’une Allemagne des « conseils ouvriers », la synthèse est pour le moins difficile ; d’autant qu’il faut compter dans les syndicats avec la présence, minoritaire mais très active, de militants qui ne comprennent pas l’importance de gagner contre le patronat des conventions collectives suffisamment solides pour protéger la classe ouvrière au moins contre les aspects les plus brutaux du capitalisme déjà pourrissant. (3)
Profitant de ces circonstances, le gouvernement qui rassemble des membres du parti lié à la deuxième internationale (« socialiste »), des membres du parti chrétien historique (le Zentrum, qui votera les pleins pouvoirs à Hitler) et diverses composantes marginales de « droite » fait adopter en février 1923 une ordonnance fédérale déterminante pour la suite des évènements.
Le BIT commente ainsi :
« Encore que les lois du travail tendissent à faire réglementer les conditions d’emploi, dans toute la mesure du possible par voie de négociations et d’accords directs entre les employeurs et les travailleurs, la conciliation et l’arbitrage par des organes officiels jouaient un grand rôle dans la conclusion des conventions collectives. On institua une procédure prévoyant que, dans des circonstances exceptionnelles les autorités compétentes du Reich, pourraient rendre des sentences ayant force obligatoire ». Autrement dit, si le gouvernement du Reich le décide, il n’y a plus de pratique contractuelle du tout. Il n’est pas difficile d’imaginer la satisfaction du patronat, des syndicats chrétiens … et des nationaux-socialistes. Ceux-là n’auront de cesse de pousser l’avantage. Il faut bien dire que la tâche leur est facilitée par la division dramatique des syndicats (et partis) ouvriers, incapable d’opposer un front unique de résistance, seul susceptible de briser l’offensive.
Les « conciliateurs » nommés par le gouvernement avaient pour critère majeur la recherche de « l’intérêt public » – ou « intérêt général » -, les intérêts ouvriers devant passer au second plan, après les « intérêts économiques de la nation ».
Avec les conséquences de la crise économique de 1929, la situation des classes laborieuses se détériore encore (4). L’interventionnisme de l’Etat devient la règle. L’inflation, le chômage massif, les baisses de salaires sont imposées sans riposte syndicale véritable. Au terme d’une ordonnance de décembre 1931 sur l’équilibre économique et financier, les instances de conciliation et d’arbitrage avaient été autorisées à modifier d’office ce qu’il restait des conventions collectives et de procéder à une réduction de 10 % des salaires. (Source : revue internationale du travail ; « la lutte contre la crise économique en Allemagne »).
Comment ne pas voir que la politique de Weimar a largement ouvert la voie à la forme la plus brutale de l’arbitrage obligatoire instauré en janvier 1934 par la loi Travail du IIIème Reich, loi dite « de régulation nationale » qui prétend faire de l’entreprise le lieu privilégié d’application de la politique sociale du Reich ?
Ce sera l’objet de la 2ème partie.

(1) On n’a pas oublié la 1ère réaction de « l’intersyndicale » menée par la CFDT en février 2016, à l’annonce du projet de loi. En se limitant à la critique de quelques aspects outranciers, vite retirés, il s’agissait pour la CFDT et ses alliés du moment de préparer le terrain à l’acceptation de l’article 2. En restant ferme sur les principes, la CGT-FO a largement contribué à constituer le front uni de la résistance, CGT-FO et CGT, rejoints par FSU et Solidaire.

(2) Pour le contexte de l’instauration de la république de Weimar le 11 août 1919 et sa constitution démocratique, on peut se référer à : « la tentation totalitaire », contribution publiée sur le site de l’UD.

(3) Les syndicats chrétiens sont partagés entre nostalgiques d’une forme de corporatisme du Moyen-âge et « modernistes » favorables à des changements en phase avec l’évolution du capitalisme. En 1933, le national-socialisme recrutera dans les deux tendances.

(4) « En avril 1923, la monnaie dévalua chaque jour, et l’inflation atteignit des proportions fantastiques ; en octobre 1923, une miche de pain ou un timbre-poste ne se payait plus en millions ou en milliards de marks mais en billions. Les agriculteurs refusaient de livrer leurs produits, la production industrielle tomba au plus bas, il y eut des émeutes de la faim. Les bourgeois perdirent toutes leurs économies tandis que les spéculateurs s’enrichissaient. La désintégration économique et le bouleversement psychologique qui s’ensuivirent renforcèrent encore la méfiance déjà générale à l’égard de la République de Weimar ». (Source : Peter Gay, le suicide d’une république, Weimar, page 191).

JM Octobre 2016.

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