>Histoire

6 / 12 / 2016

Les conventions collectives contre les lois travail (2e partie)

Avant l’avènement du national-socialisme, l’Etat avait tendance à intervenir dans la réglementation des conditions de travail en vue de les adapter aux exigences de la situation économique et parce que, tout en plaçant entièrement les conditions de travail sous le contrôle de l’Etat (garant de « l’intérêt général »), le national-socialisme a utilisé largement dans la pratique, les normes déterminées par les conventions collectives conclues avant l’institution du nouveau régime politique ».

Cette appréciation du Bureau international du Travail figure dans un chapitre intitulé : les conventions collectives dans le système économique, intégration dans l’armature économique nationale (page 244). Le rapport traite des situations des Etats-Unis avec le New Deal, (ce sera l’objet d’un 3ème article) de l’Allemagne et de l’Italie.
Nous avons vu dans la 1ère partie de cet article comment tous les gouvernements de la république de Weimar ont contourné les accords collectifs pour vider de sa substance une véritable pratique contractuelle.
L’une des toutes premières décisions du national-socialisme fut de pousser jusqu’au bout la logique de la politique de conciliation et d’arbitrage instaurée par Weimar.
Le rapport du BIT poursuit : « De profonds changements eurent lieu lorsque le gouvernement national-socialiste prit le pouvoir. On devait instituer le principe de la collaboration et supprimer les systèmes de négociation procédant de cette idée qu’il existe des intérêts divergents et qui donnaient parfois naissance à des conflits du travail. Au début de mai 1933, les syndicats libres furent dissous et l’on créa le Front allemand du Travail, qui absorba les organisations syndicales ».
Bien sûr les procédures d’arbitrage instaurées par Weimar tendaient déjà à tenter de prévenir les « conflits du travail ». Il fallait éviter à tout prix les grèves. Les nationaux-socialistes reprochaient à la démocratie bourgeoise de ne faire le travail qu’à moitié.

Affiche Front du TravailLe front du Travail recrute en France. Puisque la plupart des ouvriers allemands (« les soldats du travail » selon le docteur Ley) sont mobilisés au front, il faut les remplacer par des ouvriers des pays conquis.
La première conséquence, c’est d’alimenter les maquis et de précipiter la chute de la « révolution nationale-socialiste » privée de base sociale.

Instauration du nouvel ordre totalitaire

Inutile dans le cadre de cet article de revenir sur les méthodes répressives employées à l’encontre, d’abord des militants ouvriers – toutes tendances confondues – et plus largement de tout citoyen attaché à la Démocratie. Les faits sont relativement connus.
Ni sur la facilité étonnante avec laquelle l’instauration du IIIème Reich s’effectue. Une réalité explicable par l’acharnement des dirigeants politiques et syndicaux liés à la politique de Moscou de dénoncer comme ennemis principaux les militants ouvriers « socialistes » (et plus largement ceux qui refusaient la chape de plomb du stalinisme), tous qualifiés élégamment de « social-fascistes ».

Le nouveau pouvoir peaufine les dispositifs des gouvernements précédents

Une loi du 19 mai 1933 a institué des « curateurs au travail » chargés « d’abroger, réviser ou proroger les conventions collectives et de maintenir la paix sociale » (rapport du BIT).
La « communauté populaire » que prétend imposer le pouvoir passe par l’adhésion – ou à défaut, la neutralisation – de larges secteurs du mouvement ouvrier, d’où une certaine prudence … dans un tout premier temps. Le BIT note ;
« Les curateurs maintinrent les stipulations essentielles des anciennes conventions collectives en vigueur pendant une période transitoire… »
C’est que les pires lois du Travail ne peuvent supprimer arbitrairement la lutte des classes. (1).

La loi Travail du 20 janvier 1934

Bien sûr, le pseudo parlement n’est pas consulté.

Le BIT décrit le dispositif :

« ( … ) Cette loi prescrit que dans chaque entreprise, aux relations de patrons à salariés se substituera la conception de la  communauté d’entreprise, dans laquelle l’employeur est considéré comme chef ou dirigeant et les employés ou ouvriers comme ses collaborateurs. Ceux-ci travailleront de concert à la réalisation des buts de l’entreprise et pour le bien commun du peuple et de l’Etat ». Et, bien sûr, « l’intérêt de l’entreprise est subordonné à celui de l’Etat » qui s’oriente sur la préparation de la guerre et transforme toute l’économie en une « économie de guerre ». Il s’agit d’imposer une sorte de « pacte » de non-agression entre les classes, « pacte social » qui se traduit dans la pratique par l’interdiction des grèves ouvrières.

C’est à juste titre que le BIT insiste :

« Le front du travail à la tête de laquelle est placé le chef du Front du travail (il s’agit du docteur Ley), comprend une Chambre nationale du travail et dix-huit Chambres régionales, lesquelles sont subdivisées en sections correspondant à diverses activités économiques. La base de l’organisation est l’entreprise ».

Autrement dit, le national-socialisme adopte très précisément l’un des fondements de la doctrine sociale de l’Eglise : le principe de subsidiarité, avec à l’ « échelon inférieur », la communauté-entreprise.
Le BIT note l’institution de nombreuses « innovations » destinées à alimenter la fable de la « communauté d’intérêts » entre patrons et ouvriers. Par exemple, sont mis en place des « tribunaux d’honneur social » chargés « de statuer sur les infractions graves aux devoirs sociaux ». Dans le viseur, l’ouvrier malveillant qui pourra – miracle de la liberté de licencier sans contraintes administratives insupportables – être viré du jour au lendemain. La sanction, notifiée sur son livret du travail – les  « nouveaux droits » des « collaborateurs » sont individualisés – assure au délinquant la misère garantie à vie ; aucun patron, même un tant soit peu « humaniste » ne se risquant à réembaucher un mauvais sujet.
Bien des « démocrates » font alors semblant de s’indigner. Mais les mêmes justifient l’absence totale de droits et libertés syndicales dans « nos » colonies où le travail forcé continue d’être encore pour de longues années, la règle.

1er mai 1933 Berlin1er mai 1933 à Berlin. Le 1er mai est transformé pour la première fois en jour de fête légal (loi du 10 avril) ; on réunit « le peuple » afin que les « différentes classes se connaissent mieux et s’apprécient mutuellement ». Est annoncée la création d’un service du travail obligatoire. Pas question donc, de refuser un « emploi » qui ne correspond pas à une qualification. C’est l’occasion de discours terriblement émouvants sur les pauvres, les malheureux, les exclus … le 2 mai, les dirigeants syndicaux sont emprisonnés.

Que font les patrons ?

On le sait, le patronat a largement subventionné le NSDAP dès le début des années 20. Pourtant, une fraction d’entre eux souhaite conserver les structures patronales traditionnelles et répugne à se fondre dans le Front du Travail. (2). Il faudra attendre la loi travail de janvier 1934 pour lever les derniers doutes.

L’article 2 de l’Etat national-socialiste.
Martin Broszat explique dans l’Etat hitlérien, page 235 :
« La réglementation des salaires et des contrats de travail (cette disposition était nettement dirigée contre la tradition de liberté syndicale) ne se ferait plus à l’avenir par branche industrielle mais au sein de chaque entreprise, la décision revenant en dernier ressort aux seuls fidéicommissaires du travail » (les curateurs). La loi prévoyait qu’il revenait aux patrons d’élaborer des « règlements d’entreprise » précisant les horaires de travail, les modes de rémunération, les conditions de travail à la pièce etc. Dans le pire des cas, le patron pouvait voir sa copie refusée, à charge de corriger en fonction des « intérêts supérieurs de la nation ». Ce mince désagrément valait bien l’acceptation du front du travail.

« En novembre 1933, les associations de patrons et d’entrepreneurs de l’industrie estimèrent qu’il n’y avait plus de danger à adhérer au Front du travail » élargi.
Le ministre du travail croit venue l’heure de se réjouir :
« Le Front du Travail allemand est la réunion de tous les individus engagés dans la vie professionnelle, sans différence de position sociale ou économique. Dans ses rangs, l’ouvrier doit se tenir à côté du patron et ne plus être inclus dans des groupes ou associations qui servent à défendre des intérêts ou des couches sociales et économiques particulières … » vingt millions d’allemands « adhèrent » au Front du travail, la phase ultime du syndicalisme rassemblé, garant de l’intérêt général.
Il est frappant de voir à quel point les termes de cette profession de foi recoupent ceux de la 1ère grande encyclique sociale rerum novarum (sur la condition des ouvriers) du pape Léon XIII de 1891. Il est vrai qu’au même moment le Vatican négocie un bon Concordat qu’il obtiendra sans difficulté. C’est le très catholique et très bien-pensant Joseph Rovan qui confesse :
« Le catholicisme allemand n’opposera pas au national-socialisme de résistance politique proprement dite … » (3) Le jugement est sévère mais juste. (Source : le catholicisme politique en Allemagne, page 214). Dans ces conditions, on ne peut s’attendre à une quelconque résistance sérieuse des syndicats chrétiens même si nombre de militants chrétiens subissent le sort de leurs homologues de l’ADGB.
Au terme de ce deuxième article, on voit comment le régime national-socialiste qui a pour fonction principale, comme le New deal aux Etats-Unis, de sauver le système capitaliste en crise, s’est appuyé sur les législations antérieures pour « pousser l’avantage » et, par les méthodes les plus barbares, détruire tous les obstacles au 1er rang desquels figurent les organisations ouvrières et plus particulièrement les confédérations ouvrières.

 

(1) Albert Speer, architecte en chef du NSDAP puis ministre de l’Armement du IIIème Reich confie dans ses mémoires politiques :
« Hitler me déclara un jour, il n’est quand même pas exclu que je sois une fois obligé de prendre des mesures impopulaires. Peut-être y aura-t-il alors une révolte … pensez donc un jour s’il y avait des manifestations de rue … ! «  La façade que j’avais dessinée pour le palais de Hitler – un Hitler résolu le cas échéant à faire tirer sur la foule – reflétait, sans que je m’en sois rendu compte, le divorce survenu entre le Führer et son peuple … » (Page 226, au cœur du IIIème Reich) ; lors des élections aux comités d’entreprise de mars 1933, les listes NSBO, listes du parti national-socialiste, obtiennent 25 % des voix, beaucoup obtenues par la contrainte. Autrement dit la classe ouvrière résiste à l’emprise nationale-socialiste. D’ailleurs, le gouvernement renonce prudemment aux élections aux « conseils d’usines » de 1934.
Les dirigeants de l’ADGB (la confédération ouvrière) sont emprisonnés le 2 mai, le lendemain de la « grande fête du travail du peuple réuni ». Les syndicats chrétiens survivent quelques semaines puis sont eux aussi supprimés sur l’autel du « bien commun ».

 

(2) Notons que bien des régimes dits « démocratiques » ont pioché dans l’arsenal anti démocratique décrit par le BIT. Par exemple, la Chambre économique régionale voulue par De Gaulle en 1969 qui devait intégrer les confédérations ouvrières à l’appareil d’Etat en les transformant en « co législateurs » ; d’où le NON de la CGT-FO (rejoint par la CGT) et l’échec du général.

 

(3) Le parti catholique, le Zentrum où militent nombre de syndicalistes chrétiens-catholiques, se veut un parti « populaire », « inter classes », le « parti du peuple tout entier ». S’y côtoient « des ouvriers, des paysans, de grands industriels et des seigneurs féodaux ». (Source : J. Rovan dans : « Konrad Adenauer », page 16). Mais le NSDAP national-socialiste prétend lui aussi représenter le peuple allemand tout entier … concurrence déloyale ? Cette proximité idéologique conduit Adenauer promu chancelier à exonérer les vrais responsables du désastre de 1933 : « ( … ) ce n’est pas exact de dire à présent : seuls sont coupables les militaires de haut rang ou les grands industriels ( … ) de larges couches du peuple, des paysans, des classes moyennes, des intellectuels, des ouvriers, n’avaient pas une attitude d’esprit juste …  en s’écartant des principes chrétiens » qui selon lui fondent toute action politique. (Source : Discours de Cologne, 26 mars 1946). Il n’est dès lors pas étonnant qu’il fasse appel à de nombreux cadres du IIIème Reich (une réalité que ne masque pas Rovan) pour reconstruire l’Etat « démocrate-chrétien » et, surtout, pour promouvoir sa politique européenne : bâtir une vraie « communauté européenne ».

3ème partie : EU, la bataille pour les conventions collectives au temps du New Deal.
JM. Novembre 2016.

chaud ! chaud ! chaud !

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