>Histoire

8 / 10 / 2022

Le vrai du faux : le Conseil National de la Résistance. Le choix de la CGT. L’indépendance syndicale en question. ½.

Introduction :

En 2007, le chef adjoint du MEDEF, Denis Kessler, publiait dans le journal de la finance challenges, la feuille de route des gouvernements à venir, qu’ils soient de « droite », de « gauche » ou de cohabitation : il s’agissait, écrivait-il, de « défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance ». La formule est désormais relativement connue.

Le « programme » du C.N.R ? Nombreux sont les commentateurs qui s’y réfèrent ; ça le rendrait suspect.

Le président Mitterrand – l’homme à la Francisque qui avait prêté serment : « je fais don de ma personne au Maréchal Pétain … » – lui consacre un discours en mars 1994, à l’occasion du cinquantenaire ; François Hollande l’imite en 2014, pour les 70 ans. L’un et l’autre n’ont pas manqué de noter la prétention du C.N.R. d’imposer la « subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général », mais, bien sûr, pour s’en féliciter. L’un et l’autre ont retenu ce qui leur semblait l’essentiel. Et utile pour leur politique.

Le premier a prétendu remettre en cause la loi du 11 février 1950 dont il sera question en conclusion. Il a aussi voulu avec l’une des lois Auroux, permettre au patronat de déroger aux conventions collectives. Le second a voulu remettre en cause avec ses complices Macron-Valls-El Khomri, nombre d’acquis du Code du travail dont le principe fondamental de la hiérarchie des normes, et cela, au nom de l’ « intérêt général » … voilà pour « la gauche ».

Côté droit,

le 16 décembre 2011, Nicolas Sarkozy, président de la République, déclarait :

« Le programme du Conseil National de la Résistance est le socle de notre modèle social ». La CROIX du 9-11-2010 avait noté cette profession de foi de Sarkozy :

Le devoir du chef de l’Etat est de mettre l’intérêt général au dessus de tous les intérêts particuliers, a déclaré mardi 9 novembre le président de la République à Colombey-les-Deux-Eglises ».

Le président « par effraction » en exercice a tenté le coup d’un nouveau C.N.R. R pour : refondation. Echec retentissant ! Encore un ! En fait de C.N.R. on a eu droit à un pitoyable Conseil de défense, à peine élargi à la CFDT et au « pacte du pouvoir de vivre », c’est-à-dire toujours la CFDT, mais, innovation capitale, en plein air !

La référence au C.N.R. ce n’est pas la tasse de thé du MEDEF. Pourtant :

«  Le nouveau MEDEF (sic) se veut responsable et exemplaire au service de l’intérêt général ». (Source : Medef site national ; 2019).

Les interprétations du « programme » du C.N.R. sont multiples. Il y est souvent question d’ « intérêt général ». L’Eglise catholique précise : de bien commun

Une chose est certaine : les conquêtes de 1945 sont dans le viseur de l’actuel gouvernement comme d’ailleurs des précédents (1). Ces conquêtes, il faut les défendre avec acharnement. Celui qui ne sait pas défendre les acquis est incapable d’arracher de nouvelles avancées sociales.

Que dit ce fameux « programme » du C.N.R. finalisé en mars 1944 ? S’agit-il d’ailleurs vraiment d’un programme ? Qui l’a rédigé ? Qu’en reste-t-il ? Quelle était la composition du C.N.R. ? Pourquoi le C.N.R. s’est-il si vite évaporé après-guerre alors que ses diverses composantes étaient censées rester « unies » après-guerre ? Et surtout, quelle a été l’attitude de la CGT, de ses diverses composantes ? Toutes ces questions et beaucoup d’autres méritent d’être posées afin, peut-être, d’en tirer quelques enseignements pour aujourd’hui …

Le mieux c’est d’en reprendre le texte, d’autant que la plupart de ceux qui en parlent et qui l’ont lu – il y a peut-être longtemps, (ou pas lu du tout) – n’en retiennent que ce qui les arrange.

Source : collection « résistants d’hier et d’aujourd’hui, les jours heureux, le programme du Conseil National de la Résistance de mars 1944 … » (La Découverte, 2010).

(Les extraits du « programme » sont en bleu).

Jean Moulin est le 1er président du C.N.R. C’est un très proche de De Gaulle. Capturé par les nazis. Torturé, assassiné. Sa présidence du C.N.R. consacre la domination de De Gaulle à la tête de « la France Libre ». Bonaparte en construction, le général-Sauveur proclame en direction de ses subsidiaires pluriels de « droite », de « gauche » et d’ailleurs : « Ils ne peuvent quoiqu’ils fassent se hisser à mon niveau car le grandiose ne pénètre pas dans leur esprit ». A l’opposé, les militants syndicalistes continuent de se référer au bon vieux : « ni Dieu, ni César, ni tribun ! » … ni mégalo !

On peut avant d’attaquer le contenu du « programme », garder en mémoire cette précieuse mise en garde :

 Tous les bâtisseurs de systèmes fondés sur le « bien commun » ou « l’intérêt national » sont, par la force des choses condamnés à s’opposer tôt ou tard aux syndicats dont la mission est de défendre les intérêts particuliers de la classe ouvrière. (Alexandre Hébert mai 1969)

Le préambule du programme indique :

« Ce n’est qu’en regroupant toutes ses forces autour des aspirations quasi unanimes de la Nation que la France retrouvera son équilibre moral et social et redonnera au monde l’image de sa grandeur et la preuve de son unité ». 

Que signifie la référence à « la grandeur de la France » ?

De quelle France s’agit-il ?

Est-ce une allusion à la France des Lumière, à 1789, à la déclaration des droits de l’Homme ? à celle de 1793 et de son article 35 si brûlant d’actualité dans tant de pays ? 

« Quand le gouvernement viole le droit des Peuples, l’insurrection est pour le Peuple et pour chaque portion du Peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

 Pas sûr.

Ou alors une évocation de la grandeur de la France et de sa « mission civilisatrice » dans son « Empire » ? Voilà une référence qui ne déplairait pas aux gaullistes flanqués des partis de gauche, ou de « gauche » si l’on préfère : SFIO (parti socialiste de l’époque), PCF, mais aussi au MRP, chrétien « progressiste », refuge naturel de bien des pétainistes.

Le « programme » ne réserve qu’une seule phrase à cette question : le C.N.R. propose « une extension  des droits politiques sociaux, et économiques des populations indigènes et coloniales » qui donc restent des populations indigènes et coloniales, soumises. Qu’est-ce que la CGT a à voir avec ça ?

Rappelons que le Front populaire avec son ministre « socialiste » des colonies Marius Moutet, avait proposé l’égalité politique et juridique à une poignée d’ « indigènes », « musulmans » considérés comme « évolués ». Le parti de Messali Hadj qui avait adhéré au Rassemblement populaire, rejeta avec indignation cette politique qui laissait huit millions d’Algériens sans droit, ce qui  valut à Messali et ses camarades  quelques persécutions durables …

C’était déjà cette odieuse discrimination dite « positive » qui justifie toutes les inégalités de traitement.

C’est un fait que se côtoient au C.N.R. toutes sortes de personnages aux orientations politiques les plus diverses et parfois  opposées.

Notons d’ailleurs que Georges Bidault qui fut à la suite de Jean Moulin président du C.N.R. sera pendant la guerre d’Algérie un fanatique parmi les fanatiques de l’ « Algérie française » et partisan des méthodes terroristes de l’OAS qui auront fait plus de 2200 morts en Algérie et en France ; et beaucoup plus selon certains spécialistes de la question. Certes, en 1944, on ne pouvait pas le prévoir. Mais l’individu était déjà – et cela tout le monde le savait – un fieffé réactionnaire. Qu’est-ce que la CGT pouvait bien avoir à faire avec un tel personnage ?

Le rôle de la SFIO.

Léon Blum avait, dès octobre 1942 (cf, lettre à Félix Gouin) fait passer les consignes de soumission au chef : « Le parti SFIO doit pousser de Gaulle à faire ce que nous ferions à sa place et ce qu’il sera infiniment mieux en position d’accomplir que nous le serions nous-mêmes ». Cette lamentable déclaration d’allégeance a inévitablement de graves conséquences sur l’attitude de nombre de syndicalistes  tout disposés à reprendre à leur compte la fable de la « grandeur de la France ».

Albert Guigui était en 1943 délégué de la CGT à Londres et Conseiller auprès du Commissariat à l’Intérieur. Dans un mémorandum daté de mars 1943 adressé à de Gaulle, il écrit :

« ( … ) La CGT qui par ses origines et ses traditions, s’est toujours montrée méfiante à l’égard des militaires, n’a pas eu l’ombre d’une hésitation pour découvrir dans le général de Gaulle l’homme qui incarnait la France et la République, la liberté et la justice, et se placer à ses côtés ».

Pas l’ombre d’une hésitation …

Et pourtant, dans le même mémorandum, Albert Guigui indique après avoir noté à juste titre, que « Vichy (n’avait) pas osé dissoudre les syndicats de base, les unions départementales et les fédérations », ce fait de nature à inquiéter les pros corporatistes qui entourent le général-sauveur :

« Quand, en octobre 1942, les opérations de la relève furent plus vigoureuses, des grèves de protestations de durée limitée éclatèrent un peu partout. ( … ) Naturellement que l’organisation est intervenue, nous en savons quelque chose, et pour cause ! Dans les régions lyonnaise, stéphanoise, clermontoise, savoyarde, toulousaine, nos camarades ont été les initiateurs de ces mouvements ou les ont nettement orientés. A Lyon, en pleine effervescence, le Syndicat des Métaux tenait une réunion de délégués d’entreprise à laquelle assistaient 600 représentants des ouvriers ».

Autrement dit, alors qu’il est « minuit dans le siècle » selon l’expression de Victor Serge, la classe ouvrière combat toujours, prête, dès que le rapport des forces le permettra à reconstituer son organisation syndicale.

Ce qui n’empêche pas Guigui de conclure :

« Dans une situation politique extrêmement confuse, l’autorité du général de Gaulle reste seule claire et nette ».

 Ne devrait-on pas plutôt dire : dans une situation extrêmement difficile pour le mouvement ouvrier organisé, l’autorité de la confédération CGT, même dissoute et malgré la trahison de quelques-uns de ses principaux dirigeants (Belin, Dumoulin …)  mais agissant toujours dans la clandestinité, reste seule claire et nette ?

« S’unir » ?

« Ainsi les représentants des organisations de la Résistance, des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R. délibérant en assemblée plénière le 15 mars 1944, ont-il décidé de s’unir sur le programme suivant, qui comporte à la fois un plan d’action immédiate contre l’oppresseur et les mesures destinées à instaurer, dès la libération du territoire, un ordre social plus juste ».

Un ordre social plus juste ? C’est bien flou. Sur cette base, la CGT réunifiée depuis les accords du Perreux d’avril 1943 donne son accord pour participer au C.N.R. Louis Saillant que l’on dit proche à l’époque de Léon Jouhaux  sera le troisième et dernier président du C.N.R. et continuera sa carrière en tant que « patron » de la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) dirigée par le Kremlin. Etrange trajectoire.

Le choix de la CGT.

Fallait-il rejoindre le C.N.R. un cadre politico-syndical, un cadre d’Union nationale ? La réponse ne faisait guère de doute à l’époque.  On l’a vu avec Albert Guigui.

Comment expliquer ce choix ? Bien sûr, certains invoqueront des « circonstances exceptionnelles ». Mais c’est en temps de guerre – circonstance exceptionnelle par excellence –  que les plus ardents pacifistes deviennent parfois les plus ardents va-t-en guerre, les plus exécrables aussi.

Jaurès a été assassiné pour n’avoir rien cédé aux « circonstances exceptionnelles ».

Passons pour l’instant sur la fraction PCF de la CGT ; elle n’est pas libre de ses décisions.

 Que penser du choix des authentiques militants syndicalistes à qui l’on demande de renoncer au nom des « circonstances exceptionnelles » à leur raison d’être, défendre pied à pied les intérêts particuliers de leurs mandants ?

Déjà en 1914, les partisans de Guesde aussi « marxiste » que le pape est libre penseur, militaient pour que la CGT bascule dans l’union nationale baptisée à l’époque, UNION SACREE. Certains ont cédé. D’autres ont résisté, Pierre Monatte par exemple. L’évolution ultérieure des uns et des autres, c’est une autre histoire.

Il y a dans les locaux syndicaux des salles Pierre Monatte. Qui serait assez original pour prétendre baptiser une salle syndicale, salle Guesde ?

Notons que les dirigeants de la CFTC.  associés au C.N.R. réclament à la suite des encycliques « sociales », un « ordre social plus juste », ce qui signifie pour eux, gommer, atténuer les aspects les plus répugnants de l’exploitation capitaliste pour mieux en assurer la survie, c’est-à-dire la lente décomposition qui semble maintenant bien s’accélérer, décomposition qui conduit aux guerres, aux famines, aux épidémies …. On ne peut leur reprocher de s’en tenir à cette vision des choses, c’est leur doctrine.  C’est la Providence qui l’exige.

Grandeur de la France, ordre social plus juste, extension des droits …

Voilà autant de formulations tellement floues qu’elles multiplient, disons pour être modéré, des ambigüités.

Qu’en pensaient le plus grand nombre des militants syndicalistes CGT ? Leur a-t-on d’ailleurs vraiment laissé la possibilité d’exprimer leur avis ?

Une chose est certaine. Leur point de vue, ils l’ont exprimé à leur façon sur leur propre terrain, celui de la lutte des classes que la guerre ne supprime pas d’un coup de baguette magique, malgré les lois liberticides qui accompagnent les guerres. Ils se sont mobilisés en dépit des appels à l’UNION NATIONALE ; ils ont adhéré par millions à la CGT, la chargeant de toutes leurs aspirations non pas seulement pour « plus de démocratie », ou « plus de justice », non pas pour la «  grandeur de la France » et la gloire de son chef de guerre auto proclamé, mais pour la Démocratie ce qui signifiait la fin de l’exploitation capitaliste pour en finir, vraiment, avec les guerres ; et cela supposait la satisfaction immédiate de toutes leurs revendications : salariales, exigences de garanties statutaires, droit à une vraie retraite, pas la « retraite des morts » ! une vraie protection sociale, le rétablissement immédiat des conventions collectives … la rupture avec l’ancien monde.

Ils savaient que rien ne leur serait octroyé.

« Plan d’action immédiate « 

Le programme du C.N.R établit ensuite le constat commun des horreurs du nazisme mais en se gardant bien de caractériser la nature du national-socialisme. Pourquoi ? Les 70 députés du parti catholique, dit « du Centre », l’équivalent du MRP, avaient voté les pleins pouvoirs au chancelier Hitler. On n’a pas oublié le : « plutôt Hitler que … » ; c’était évidemment un peu gênant. Voir à ce sujet :

http://force-ouvriere44.fr/allemagne-1933-le-bal-des-domestiques-2-1ere-partie/ ).

Le programme  en appelait « aux gouvernements anglais et américains » à qui l’on demandait de ne pas « décevoir plus longtemps l’espoir et la confiance de la France … »

Que signifie encore ici « la France » ? Voudrait-on suggérer que les chefs patronaux, ceux de l’armée, de la police, les banquiers, les collabos honteux ou affichés, ceux de la hiérarchie catholique, ont quelque chose de commun avec les millions de victimes des conséquences du déchaînement des guerres impérialistes ?

Et les « gouvernements anglais et américain » ont-ils l’un et l’autre la moindre intention d’aider à établir en France (ou ailleurs dans le monde) une forme quelconque de république sociale ? Evidemment non. Ils envisagent même de placer la France sous tutelle militaire, comme une sorte de colonie.

Partout où ils sont intervenus militairement, ils ont manœuvré pour tenter de maintenir en place les régimes les plus dictatoriaux, les plus obscurantistes, les monarchies quand c’était possible …. Les exemples sont si nombreux qu’on ne peut sous peine de trop rallonger cette contribution, les citer tous.

Un seul exemple : le cas de la dictature fascisante du dictateur Salazar, au Portugal qui n’était pourtant pas en guerre :

Voir à ce sujet, le témoignage de Mario Soares, jeune militant socialiste, le 8 mai 1945, à Lisbonne ; une contribution très éclairante :

C’est arrivé un : 8 mai 1945, à Lisbonne.

 

Le « programme » note ensuite cette curiosité :

« Ils (les auteurs du programme) constatent enfin que la multiplication des grèves, l’ampleur des arrêts de travail le 11 novembre qui, dans beaucoup de cas, ont été réalisés dans l’union des patrons et des ouvriers … »

« Dans l’union des patrons et des ouvriers » ?

Mais les patrons dans leur grande majorité ont plus que jamais continué leurs petites affaires sous Vichy, sans la CGT pour les contrarier. (C’est le cas de Jacques Foccart, le « monsieur Afrique » de De Gaulle puis de Pompidou, et de bien d’autres). C’est bien pour cette raison qu’à la libération, ils font profil bas et sont obligés de concéder toutes ces conquêtes ouvrières, en particulier la sécurité sociale dont ils ne voulaient absolument pas. Tout le monde le sait. Même de Gaulle l’admet à sa façon dans ses « mémoires politiques » où il explique que dans ce contexte à hauts risques – un risque « de nouvelle Commune », dit-il  – sa mission, quasi sacrée, (c’est ce qu’il croit sincèrement ; il a été formaté par les jésuites comme quelques-uns de ses meilleurs amis du C.N.R.) consiste à  rétablir l’ORDRE, c’est-à-dire, reconstruire l’ETAT pour que rien ne change fondamentalement.

Le maintien et la restauration de l’ORDRE, n’est-ce pas la réhabilitation et la perpétuation de tout ce « fatras » (selon une expression de K. Marx) que la Charte d’Amiens propose de mettre à bas ?

Le maintien et la restauration de l’ « ORDRE » ne peut s’imposer qu’avec la collaboration – la complaisance ne suffit pas – de  toutes « les forces vives de la Nation », comme disent certains aujourd’hui.

En 1944-1945, les dirigeants staliniens agissant en meilleurs garants de l’ORDRE baptisé « républicain » pour faire avaler la pilule, commencent, avec les méthodes qu’on leur connait, leur OPA sur la CGT.

Ils doivent faire oublier la triste réalité du pacte germano-soviétique. Les chefs staliniens sont les partisans les plus acharnés d’ « une seule armée, d’une seule police, d’un seul Etat » ; Etat dirigé par le général-Sauveur de l’ORDRE, avec l’aide des mystérieux « patrons patriotes » que l’on n’a toujours pas identifiés comme « grévistes », ¾ de siècle plus tard. De Gaulle s’était rendu au Kremlin pour finaliser l’opération. Ses conversations avec son homologue soviétique sont édifiantes. De Gaulle et Staline s’accordent pour reconstruire en France, l’Etat, l’Etat bourgeois.

L’union dans la grève des patrons et des ouvriers, c’est une escroquerie. Toujours, partout.

Est-il surprenant de trouver les chefs staliniens au premier rang de cette grossière manipulation ?

Document : Source, BNF.

« En septembre 1944, de Gaulle inaugure un cycle de tournées qui le conduisent de province en province à travers la France. Ainsi, durant la Fronde, Mazarin promenait son capital d’autorité et de prestige … » (Source : Daniel Renard, cahiers du CERMTRI).

De Gaulle : extrait de son discours du 12 septembre 1944. Le 9 septembre avait été formé un gouvernement dit d’ « unanimité nationale » comprenant deux ministres PCF, Billoux et Tillon).

Le FIGARO titre : « un acte de foi ». C’est le dénommé W. d’Ormesson qui en 1933 chantait les louanges du IIIème Reich et de son programme pour la jeunesse allemande (voir : le bal des domestiques) qui est toujours à la manœuvre au Figaro. L’illustre quotidien n’allait tout de même pas se priver des compétences d’un si brillant … collaborateur. De Gaulle déclare devant les membres du C.N.R.

« La France (c’est-à-dire lui-même) veut faire en sorte que l’intérêt particulier soit toujours contraint de céder à l’intérêt général … que les coalitions d’intérêts qui ont tant pesé sur la condition des hommes et sur la politique de l’Etat soient abolies une fois pour toutes … »

L’interdiction des coalitions, une fois pour toutes ? C’est le retour à la tristement célèbre loi Le Chapelier de 1791. Retour un siècle et demi en arrière … Toujours selon le FIGARO, sont présents, des officiers généraux, des ouvriers, des professeurs, des magistrats, des représentants des grands corps de l’Etat, du syndicalisme, de la presse …

Qui étaient ces « représentants du syndicalisme » ? Qu’ont-ils pensé de cette menace de l’interdiction « une fois pour toutes » des coalitions ? Ont-ils exprimé une opposition sous une forme quelconque ?

Il semble bien que non.

« Mesures à appliquer dès la Libération du territoire ».

Le programme affirme : « Unis quant au but à atteindre … les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R. proclament qu’ils sont décidés à rester unis après la Libération ». Unis, unis, unis …

Il ne s’agit donc pas d’un accord circonstanciel. La CGT est tenue de rester liée et surtout subordonnée aux partis, et à l’étage supérieur, à de Gaulle. Autrement dit, la CGT devrait se faire hara-kiri.

Les syndicats, CGT et CFTC, sont désormais assimilés à des « mouvements » ou à des « groupements ». Certains adeptes du langage clérical diraient aujourd’hui, des « corps intermédiaires ». Pour la CFTC pas de problème, mais pour la CGT !

Ils devraient rester « unis » sinon quoi ?

Ils devraient accepter de  se placer sous l’autorité du C.N.R. représentation de l’union de la Nation. Le temps ne serait plus aux chamailleries entre français … Pourquoi ?

Parce qu’il s’agit « d’établir le gouvernement provisoire de la République formé par le général de Gaulle … »

Est-ce bien la fonction de la CGT que de se préoccuper de l’attribution de maroquins?

Est-il bien normal d’accepter la proclamation d’un chef, alors qu’il n’y a pas eu d’élections libres ?

D’autant que le « programme » confirme ce que l’on avait pressenti :

« ( … ) Afin de rétablir la France dans sa puissance, dans sa grandeur,  et dans sa mission universelle ».

En clair, les syndicalistes sont priés de muter en subsidiaires de l’Etat, de l’Etat impérialiste, cause de toutes les guerres.

En 1943 Georges Bidault succède à Jean Moulin à la tête du C.N.R.  En 1943, les armées US et britanniques occupent une grande partie de «l’Empire»  français en Afrique du Nord. Il faut donc à la tête du C.N.R. un défenseur acharné de l’ «Empire» français. Après-guerre, Bidault confie : « s’il y avait eu à nouveau la Commune de Paris, nous aurions tous été (ses amis MRP) Versaillais ». Certainement.

  Il a été ministre, député, président du Conseil. Président du MRP. Belle carrière. Le MRP adopte en 1945 un programme qui proclame : « Cette révolution – en 1945, tout le monde se proclame « révolutionnaire – nous voulons la réaliser sérieusement, dans l’ordre et par la loi ». Bidault a été formaté par les jésuites. Il a assimilé l’humour noir, jésuite.

En mai 1962, il créée un nouveau CNR pour protester contre « l’abandon de l’Algérie ».

Ses décorations :

  • Grand Croix de la Légion d’Honneur
    • Compagnon de la Libération – décret du 27 août 1944
    • Médaille de la Résistance française avec rosette

Bidault est aussi un anti syndicaliste notoire, un variant particulièrement virulent comme on le verra plus loin.

L’historien Grégoire Madjarian a porté cette appréciation : « Ce qui inquiéta la bourgeoisie à la Libération, ce fut moins les mesures inscrites dans la charte du C.N.R. que l’insurrection populaire qui interprétait cette charte à sa manière ».

On verra dans la seconde partie de cette contribution si les propos de Madjarian sont pertinents ou pas.

Jacques Moisan. 8 octobre 2022.

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