La tentation totalitaire (2).

Première partie : La tentation totalitaire  publié le 01-09-2016

Nous sommes en 1932. La crise économique que les capitalistes états-uniens exportent dans le monde entier n’épargne personne, surtout pas les classes exploitées : chômage et inflation sont le terreau naturel des « ligues factieuses » ennemies du parlementarisme et des droits de l’homme mais partisanes du corporatisme, c’est-à-dire de la doctrine sociale de l’Eglise catholique : la soi disant « association Capital-Travail ».

Parmi ceux-là, le prêtre Emmanuel Mounier.

Ce mystique un peu fou, auteur de milliers de pages indigestes lance en 1932 sa croisade contre les maléfices de toutes formes de démocratie.

Il est partisan d’une « révolution » qu’il appelle « révolution personnaliste ».

Il dit vouloir faire « renaître la renaissance ».

En réalité, rien de bien nouveau sinon un charabia particulièrement brumeux, mais qui peut attirer les plus tourmentés.

En 1932, sans doute inspiré par la Providence, il lance une revue : « ESPRIT ». Son éditorial est l’ébauche d’un programme de guerre des classes.

Au-delà de la sempiternelle rhétorique « anti capitaliste » – le capitalisme serait « immoral » au même titre que la révolution française, que le socialisme, que le marxisme … – notre Emmanuel reprend tous les thèmes chers au très réactionnaire (et antisémite forcené) Charles Maurras.

Tout ceci est consigné dans un « programme » rédigé à l’occasion d’un « congrès » qui passe alors à peu près inaperçu mais dont les thèmes principaux recoupent pour l’essentiel ceux des corporatismes « modernes » du XXIème siècle.

Voir à ce sujet : corporatistes un jour, corporatistes toujours  (publié le 25-03-2016).

Dans « la révolution communautaire et personnaliste », Mounier écrit :

« L’idéologie que nous combattons et qui empoisonne encore tous les démocrates, même les démocrates chrétiens, c’est l’idéologie de 1789 ». Point de vue conforme à l’idéologie du IIIème Reich.

En 1934, il précise : « Nous ne nions nullement que les fascismes apportent au regard des régimes qu’ils remplacent, un élément de santé et une hauteur de ton qui ne sont pas des énergies méprisables ».

« Les fascismes … » le prêtre révolutionnaire n’est pas sectaire …

En 1935, l’Emmanuel, toujours inspiré, se rend en pèlerinage en Italie, en Italie fasciste. Le « syndicalisme » fasciste, co-législateur, co constructeur, intégré à la l’élaboration et la mise en application des contre-réformes lui semble la bonne « 3^ème voie ». La Chambre fasciste des corporations, c’est pour lui la Chambre du futur, celle où il n’y aurait plus, comme par miracle, cette fichue « lutte des classes » qui est l’œuvre du démon … (1)

C’est tout naturellement que toutes ses vieilleries « personnalistes » inspirent jusqu’en décembre 1942, l’ « école » de formation des cadres de Vichy.

Plus que jamais, Mounier veut sa « révolution ». Vichy ne lui semble pourtant pas assez « révolutionnaire ». 

C’est que le sénile maréchal et sa modeste cour sont bien incapables d’instaurer une quelconque Chambre des corporations.

Au « Conseil national » qui a remplacé le Conseil économique et social on retrouve bien quelques résidus de la « gauche ». L’ex N° 2 de la SFIO de Blum, un certain Paul Faure passé aux oubliettes de l’Histoire en fait partie aux côtés d’une poignée de co constructeurs, ex syndicalistes, ex CGT que tout le monde méprise. C’est peu.

Propagande vichyste.

Pendant la guerre sa revue continue de paraître en toute légalité. Il faut bien dire que les corporatistes nazis qui ne font pas dans le mysticisme ne le prennent guère au sérieux. Déçu, notre philosophe se retire à Dieulefit, dans la Drôme et médite l’avenir.

Et c’est le miracle …

La défaite du corporatisme façon Italie 1922 ou Allemagne 1933 – le tournant sur le front militaire se situe en février 1943 à Stalingrad – le contraint à un tournant stratégique. Sans rien lâcher sur la doctrine, il faut adapter la communication au nouveau contexte. Il lui faut tourner à « gauche » (2) … jusqu’à bavarder avec les staliniens.

La chose n’est pas absurde dès lors qu’il s’agit de réfléchir aux conditions de la sauvegarde des régimes « démocratiques » issues de l’après-guerre … et avec eux les  fameux « patrons patriotes » chers au PCF.

Mounier est fasciné par la capacité de l’appareil stalinien à contrôler puis briser la résistance ouvrière aux plans du Capital.

Pas absurde mais pas simple quand les policiers du BP du PCF découvrent en 1949 que Mounier fait partie des titistes-fascistes …

En 1950, c’est la fin de l’aventure. Notre bon prêtre nous quitte.

Et aujourd’hui.

On sait que Delors, le champion de l’austérité de 1982 se revendiquait du personnalisme chrétien de Mounier. C’est cette doctrine qu’il a voulue pour l’ « Europe », l’Europe de Maastricht … l’ « Europe de Charlemagne » comme disait Alexandre Hébert.

Plus récemment, le chef de l’état de la Vème république du coup d’état permanent a dans un livre signé de lui, appelé à la « révolution ».

Dans l’introduction, il se réfère au « philosophe » Paul Ricoeur, pétainiste lui aussi pendant la guerre, collaborateur de la revue « l’unité française ».

Le mentor de l’individu fut après-guerre, Emmanuel Mounier. Ricoeur termine sa brillante carrière comme conseiller de M. Rocard en soutenant notamment le plan CFDT-Juppé contre la sécu, en 1995.

Dans le cadre du grand bla-bla d’après la crise des gilets jaunes, notre Emmanuel Macron convoque une soixantaine d’ « intellectuels ». Un quart ont collaboré à Esprit, dont lui-même. Selon le journal MARIANNE, beaucoup d’entre eux seraient maintenant fâchés …

Il semble bien que cette « révolution » d’un type un peu particulier ait pour conséquence, cette fois encore, la remise en cause de nos libertés démocratiques.

Parmi elles, le droit pour les confédérations ouvrières de contracter librement les salaires et les conventions collectives …

Il semble bien aussi que notre « révolutionnaire » d’opérette cherche comme quelque uns de ses illustres prédécesseurs à convertir l’entreprise en une « communauté » dite de « destins ».

« Les syndicats n’interviennent pas dans la gestion de l’entreprise … il faut donc faire une réorganisation organisationnelle, politique, financière et culturelle pour accorder un rôle beaucoup plus important aux syndicats dans l’entreprise ». (Source : Macron dans l’express du 5 juillet 2016). C’est le meilleur moyen, pense-t-il – de contourner les prérogatives des confédérations ouvrières.

Sur ce terrain, Macron (et ses employeurs patronaux) sait pouvoir compter sur la bonne volonté des syndicalistes formaté(E)s par la JOC ou l’ACO.

« Renaissance » ? Beaucoup de vieilleries éternellement recyclées.

Qui n’a pas sa Charte des Valeurs ? Les adeptes de « Renaissance » se revendiquent évidemment du bien commun … ce qui signifie :

« Nous croyons en l’intérêt général : la politique, telle qu’elle nous anime, doit transcender les intérêts particuliers et se dresser contre tous les corporatismes qui sclérosent notre pays ».

Les militants syndicalistes qui, conformément à la Charte d’Amiens, défendent les intérêts particuliers de leurs mandants sont  la cible prioritaire de nos « refondateurs »..

Il ne peut y avoir aucun accommodement avec cette doctrine purement réactionnaire.

(1) Les corporatistes ont une sainte horreur de la démocratie parlementaire. Pétain se lâche : « Les parlementaires (ils parlaient des anciens de la IIIème république) m’agacent, ils me font perdre un temps précieux ». (Source : son chef de cabinet, du Moulin de Labarhète, dans : « souvenirs, 1940, 1942, le temps des illusions ».

Il n’avait pas besoin, lui, de 49-3 pour accélérer le rythme des « réformes ».

(2) L’ancien chef des CROIX DE FEU, le colonel de La Rocque a eu juste le temps lui aussi, de retour de captivité en 1945, d’enclencher le mouvement vers la « gauche ». Source : sa biographie, par Jacques Nobécourt.

J.M. 30 mai 2023.