>Histoire

10 / 10 / 2021

La décentralisation contre l’enseignement public.

Le 12 juillet, le président de la République, surfant sur la situation « sanitaire », annonçait de nouvelles mesures contre les droits et garanties des salariés et de la jeunesse. Il déclarait ceci :

« La seule solution est de continuer à bousculer le système des positions établies, des rentes, des statuts ».

Ce programme de guerre sociale s’est concrétisé à l’occasion de sa visite très médiatisée à Marseille.

Dans le viseur, l’école publique.

La méthode est toujours la même :

D’abord, des menaces contre les grévistes et les salariés « pas motivés », toujours « absents » ; et puis, l’appel aux « corps intermédiaires », élus locaux et « syndicats » bienveillants pour l’aider à « réformer ».

Bien sûr, le régime macroniste n’a rien inventé.

Il ne fait qu’ânonner les vieilles recettes du corporatisme le plus éculé.

« Décentraliser … » disait Antoine Prost …

Qui est Antoine Prost ?

Tête pensante du SGEN-CFDT, Prost est chargé en 1972 par le « baron du gaullisme » Olivier Guichard de piloter une commission ayant pour but la « rénovation »  de l’enseignement secondaire. Comme le rappelle Michel Sérac dans un ouvrage paru en 1985, quelle République sauvera l’école républicaine ?

« l’école publique laïque a d’abord dû être séparée de tous les intérêts privés, de toutes les convoitises, confessionnelles ou autres ».

Prost veut au contraire « ouvrir » l’école. C’est la contre-révolution « pédagogique » d’un domestique de la Vème République.

10 ans plus tard, l’individu est rapporteur d’une autre commission, toujours avec le même objectif, « rénover le lycée ». Cette fois, le ministre Alain Savary est de « gauche ». Il se fixe pour objectif d’ « éclater le cadre rigide de la classe ». Il suffirait pour cela de considérer « que le nombre d’élèves n’a pas d’incidence sur la qualité de l’enseignement ». (BO de rentrée, juin 1981).

 

Il faut faire des économies ! Prost : « Ne pourrait-on pas demander parfois aux élèves d’assurer l’entretien des locaux sous la conduite précisément du personnel de service ? »

Et les ouvriers, hélas toujours bénéficiaires d’une qualification et des garanties qui en découlent, « ne pourraient-ils pas superviser les travaux des élèves qui repeindraient les classes ? »

Prost reçoit les insignes de grand officier de la LEGION d’HONNEUR. Félicité par le ministre Vincent Peillon, à droite, sur la photo.

En novembre 1985, Antoine Prost publie « éloge des pédagogues ».  En 220 pages, l’auteur propose aux gouvernements une méthode pour disloquer l’enseignement public.

Il précise : « Une décentralisation qui se contenterait de transférer une partie des pouvoirs de l’Etat aux collectivités territoriales serait sans intérêt … la véritable décentralisation consiste à augmenter les pouvoirs des établissements … ».

C’est le principe de la gestion tripartite que le Comité national d’action laïque a adopté en 1972 avec l’arrivée de la CFDT.

Le chapitre V intitulé « décentraliser » (23 pages) concentre toute l’offensive.

Le chapitre VI est consacré à, « un mal français, le baccalauréat » (10 pages). Prost se lamente : « toucher au baccalauréat relève du sacrilège. La réforme la plus anodine scandalise, et l’on sonne aussitôt le tocsin ».

En 1985, « sauf révolution improbable, » Prost n’imagine pas qu’il soit possible d’abattre « une institution aussi forte ».  

En 2013, Antoine Prost déclare au journal officieux : « Le bac tue beaucoup d’initiatives pédagogiques« . Source : LE MONDE CULTURE ET IDEES,  03.10.2013.

Le virus providentiel sert aujourd’hui de prétexte à généraliser dans « nombre d’établissements deux demi-journées banalisées pour mettre au point les modalités de mise en place du contrôle continu au lycée. Le risque de développement du contrôle continu est de réduire le baccalauréat à un diplôme local et donc d’affaiblir la valeur nationale du diplôme ». (Source : interview d’Hélène Macon. L’OS, N°721, septembre 2021).

Michel Sérac établit rigoureusement la continuité des contre-réformes des ministres de la Vème République. Un document fort utile à la compréhension des enjeux du moment.

Briser ou contourner les « résistances » ?

C’est le principal souci des « rénovateurs », « modernisateurs » et autres « progressistes » … Leurs projets se heurtent à la résistance du plus grand nombre.

Pourquoi ?

Parce que, dit Prost, les « réformes » viennent du « haut » et, du coup, « elles maximisent » les « résistances ». Cette méthode suscite « tant d’oppositions » que la « volonté de rupture de quelques responsables nationaux » n’empêche pas « l’enlisement  des  réformes ». (Page 125).

En 2016, l’actuel ministre JM Blanquer auditionné par le Collège des Bernardins cher aux jésuites exprimait la même idée : toute tentative d’imposer par le sommet une réforme de fond « provoque des tempêtes tropicales » et il faut différer la « réforme ».

C’est que les résistances qui s’appuient maintenant sur une fédération FO de l’enseignement bien plus forte qu’en 1985, sont toujours aussi vives.

Incapable de briser les « résistances » que le statut protège, les « rénovateurs » doivent imaginer d’autres idées pour se débarrasser des mal-pensants. Prost propose de développer « l’autonomie » des « établissements ». Ainsi, chaque « établissement serait libre de l’emploi des moyens qu’il reçoit et  serait libre de les utiliser comme il l’entend ».

Mais gémit Prost, cette fois encore, on ira quand même « au-devant de vives résistances ». Pourquoi ? Parce que diront les opposants-rebelles, cette « conception conduira tout droit à l’éclatement du service public ». C’est évident.

Mais pour Prost, pas question d’abandonner car il faut « une prise en charge plus dynamique des établissements scolaires par les familles, les enseignants, le monde du travail … » Ici, le patronat, quel vilain mot ! devient comme par miracle, « le monde du travail ».

« Comment décentraliser ? »

Prost, en chef des « élites » réformatrices n’y va pas par quatre chemins.

Il mise sur des conseils d’établissement dotés de « réels pouvoirs ». Première difficulté, 70 % des parents ne votent pas aux élections aux conseils d’établissement. Catastrophe ! Comment faire ?

« La participation est en effet à la mesure du pouvoir des conseils. Comment demander aux parents de se mobiliser pour des conseils largement inutiles … qui n’ont de pouvoir, ni sur les horaires, ni sur les programmes … ni sur les équipes pédagogiques … sur rien d’important … »

Pour mieux exploser toute référence à un cadre national, Prost propose  que le conseil d’établissement gère « les modulations d’horaires … Nous proposons de donner aux établissements la maîtrise du potentiel d’heures d’enseignement qui leur est affecté à la concurrence d’un tiers » ; un tiers dans un premier temps. C’est la condition pour que chaque établissement décide de « formations complémentaires d’adaptation à l’emploi». Le patronat l’exige. Prost et la CFDT obtempèrent.

Et notre idéologue s’enflamme : « tout ce que dit la règle du tiers, c’est que l’utilisation du tiers du potentiel d’enseignement est l’affaire du conseil d’établissement » y compris pour des activités « non scolaires ».

Et de comparer un lycée à une banque : « De même que dans une banque, un directeur d’agence a le droit d’autoriser un découvert au-dessus d’un certain montant, de même les établissements scolaires doivent avoir une marge d’initiative, au-dessous d’un certain seuil ».

Ce n’est pas tout à fait la « société sans école » du prêtre obscurantiste I. illich ; c’est peut-être plus dangereux.

L’obstacle du statut qui protège « les minorités ».

Après ce parallèle audacieux avec une banque, Prost compare le lycée à une entreprise :

« La publication des résultats d’un lycée pose les mêmes problèmes que celle des bilans des entreprises, risquant de précipiter dans la faillite celles qui connaissent des difficultés temporaires ».

Pourtant écrit Prost, on ne peut se passer, dans les conseils d’administration de la présence des « partenaires extérieurs à l’établissement » qui pourront traiter des vrais sujets – dit-il – pour l’instant trop écartés par les chefs d’établissement. Quels sujets ? « l’absentéisme des professeurs, les problèmes de drogue … »

Il faudra que les « minorités » de profs, en désaccord avec le projet d’établissement se coulent de gré ou de force dans le moule de la « charte de l’établissement ».

« Il n’y aura pas de projet d’établissement sans incitation forte ». Ici, les choses sont dites façon jésuite. On n’est pas à la CFDT pour rien. Mais un peu plus loin, évoquant le rôle du chef d’établissement dans le lycée « rénové » Prost se lâche. Le naturel revient au galop ;

« Dans cette tâche, l’indépendance du chef d’établissement constitue un atout et le fait qu’il soit nommé par le ministre peut aider.

« Mais il serait sans doute également utile que le mandat du chef d’établissement ait un terme statutaire, cinq ans par exemple, renouvelable une fois ». Comme le président-Bonaparte de la Vème République !

« Il faut qu’on sache pour combien de temps un chef d’établissement dirige celui-ci ; cela fixe des échéances, un calendrier et il faut bien cinq ans pour concevoir un projet et en évaluer les résultats. Pour éviter d’ailleurs de trop fortes divergences entre un établissement et son chef (1), on pourrait envisager qu’au terme du mandat de celui-ci, le Conseil reprenne le projet d’établissement, en dresse un bilan critique et explicite quelques intentions. Ce document serait communiqué aux candidats à la direction de l’établissement pour qu’il sache dans quel contexte leur action future a chance de se dérouler ».

Comme ce programme de pulvérisation du service public, de remise en cause de tous les principes de laïcité se heurtera inévitablement  aux résistances des  « minorités » – en réalité fort heureusement, la résistance du plus grand nombre – Prost, jamais en panne d’idées « révolutionnaires », imagine un dispositif complémentaire.

1982 : les « réformateurs pieux » et les nouveaux convertis de gauche à la  tribune du meeting du Bourget.

« Les bassins de formation ».

Deux solutions sont envisagées. La première, terriblement révolutionnaire « n’a aucune chance d’aboutir ». Mais il la présente quand même, ne pouvant s’empêcher de rêver :

« L’établissement de bassin aurait un seul budget (2) et les professeurs lui seraient affectés, à charge pour lui, de les affecter à tel collège ou lycée, ce qui permettrait des mutations locales plus souples – comme c’est bien dit ! – que le mouvement national du personnel, limité aux mutations de bassin à bassin … à la tête de l’établissement de bassin, il y aurait un super-proviseur … » un  super chef … un gauleiter … 

Autre avantage : « cette solution présenterait en outre l’avantage considérable pour l’administration  de réduire massivement le nombre des établissements publics d’enseignement de 7500 à moins de 500 … »

Seconde solution que notre idéologue estime moins radicale :

« Nous proposerions que les établissements constituent  des syndicats inter établissements à vocation multiple ». N’est-ce pas joliment dit ?

«  Ou, si le terme syndicat semble trop lié au corporatif et revendicatif, des  groupements d’intérêt public doté d’un exécutif stable, d’un budget et d’un minimum de moyen d’étude et de prévision ». L’obsession étant toujours, ne l’oublions pas, d’éviter que ne s’exprime par la grève, les AG, les manifestations, ces fameuses « tempêtes tropicales » qui hantent les mauvais rêves de nos casseurs de service public.

Attention aux « réformes » pilotées d’en haut sans la collaboration des corps intermédiaires, des bonnes âmes, des dévoués, des « syndicats » compréhensifs : « fort risque de tempête tropicale ». (Source : bulletin météo permanent du ministère de l’EN).

Les patrons dans les collèges et lycées.

Les élucubrations de Prost ne tombent pas du ciel. Elles répondent aux exigences du patronat qui rêve d’en finir avec toute forme de cadre national, synonyme de conventions collectives, donc de garanties pour les salariés.

Prost l’avoue, à sa façon :

« Dans les entreprises et l’Education nationale est aussi une entreprise, la formation continue est un des moteurs du changement ».

Prost et ses amis jésuites prétendent formater les esprits, mais attention, « au plus près du terrain » !  Dans ce domaine aussi, « toute gestion moderne rapproche la décision  du niveau où se pose les problèmes ».

En bon exécutant du principe clérical de subsidiarité, Prost exige que « chaque lycée établisse son plan de formation » parce que, dit-il, « on n’arrivera à rien par de grandes réformes nationalement décidées ».

Conclusion.

Si le « syndicat » clérical CFDT, très minoritaire et son « chef » annoncent clairement la couleur, il faut bien admettre que leurs thèses réactionnaires rencontrent parfois un écho dans d’autres milieux.

A titre d’exemple, la revue US magazine du SNES (syndicat FEN du second degré, dirigé par la tendance UNITE et ACTION) publie en 2003 une contribution très révélatrice. Son titre ? « L’autonomie des établissements, leurre ou lueur d’espoir ? »

On y lit ceci :

« La décentralisation est actée depuis la création du statut d’établissement public local d’enseignement  (EPLE) en 1983, il y a vingt ans déjà. Les enseignants doivent-ils lui souhaiter bon anniversaire ?

Suit un chapitre intitulé :

« Une autonomie limitée mais à prendre ! »

Donc, la « réforme » irait dans le bon sens. D’ailleurs, le camarade PCF Ralite l’a imposée aux hôpitaux. C’est dire si c’est moderne …

Pourtant, au SNES, comme on est bien de gauche et progressiste, on reste insatisfait :

« ( … ) la crainte étant qu’au bout du compte, l’autonomie ne soit qu’un leurre en raison de la quasi dévolution de certaines compétences aux collectivités locales et non aux établissements ». Autrement dit, dans cette tribune, le SGEN-CFDT et le SNES-FEN expriment le même point de vue.

D’ailleurs, dans la même revue, le responsable national du syndicat des chefs d’établissement SNES pose la question dans un article intitulé : « comment conforter l’autonomie et la démocratie dans les établissements ? »  …  il répond : « Par une autonomie renforcée, notre volonté est de mieux faire vivre l’EPLE. »

Ainsi est ouverte la voie à l’accélération des contre-réformes.

D’ailleurs, deux ans plus tard, en 2005, c’est l’adoption de la loi d’orientation Fillon qui s’appuie sur les contre-réformes de « gauche » pour tenter d’avancer vers la casse du statut et la privatisation du service public qui en découle.

JM Blanquer a bien sûr repris le flambeau.

Les personnels de l’Education nationale, enseignants et non enseignants peuvent compter sur la FNEC-FP-FO pour contrer tous ces projets.

Pour être plus efficace, le mieux est de se syndiquer et surtout de participer autant que possible à l’activité syndicale.

Exemple de « tempête tropicale » qui menace de tout emporter. Les jeunes dans la rue contre le projet de loi Devaquet (1986) portant sur la « sélection » à l’entrée à l’université.

(1)      Prost se laisse aller en reprenant les termes du très fascisant Gilles Ferry, idéologue et « formateur » à l’école des « cadres de Vichy. Ferry, miraculeusement converti à « gauche » à la libération.

Voir à ce sujet :

http://force-ouvriere44.fr/l-autonomie-des-universites-et-la-tarte-a-la-creme-de-la-participation/

(2)      Le ministre PCF avait déjà imposé pour l’hôpital la logique du « budget global », établissement par établissement. Tous les ministres qui ont suivi, de « droite », de « gauche », de cohabitation ont utilisé ce dispositif pour poursuivre la politique de saccage du service public. On en mesure les résultats catastrophiques aujourd’hui.

Ici se dégage un axe de la réaction : PCF-CFDT ou si l’on préfère, CFDT-PCF ; la gauche plurielle des années 80.

JM Octobre 2021.

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