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26 / 08 / 2023

Espagne : 1931-1938. Les syndicats dans la tourmente. Au service de l’ « Etat républicain » ou avec les travailleurs ?

 Indépendance et démocratie. On ne lâche rien.

Première partie. 1/4

« L’Espagne du début du XXème siècle est l’archaïsme de l’occident … C’est pourtant dans ce pays profondément enfoncé dans le passé, que se déroule, à partir de 1936 la dernière révolution de l’entre-deux-guerres. Comme la Russie en 1917, l’Espagne est alors le chaînon le plus faible du monde capitaliste. Là, s’arrête cependant la comparaison. La révolution espagnole, à la différence de l’Octobre russe, n’était pas la 1ère étincelle d’un incendie qui se propageait, mais seulement la dernière flambée d’un feu éteint dans toute l’Europe. La révolution russe avait annoncé la fin de la 1ère guerre mondiale. La révolution espagnole ne fera en définitive qu’offrir aux puissances qui se préparent à la seconde, un fertile terrain d’expériences. La révolution devenue guerre civile ne sera finalement que le prélude de la deuxième guerre mondiale ». (Pierre Broué et Emile Temine : « la révolution et la guerre d’Espagne ». Parution en 1975).

Chronologie.

1879 : création du parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).

1888 : création de l’Union générale des travailleurs (U.G.T.) par les socialistes espagnols.  Ce qui sera à l’origine de bien des difficultés.

1902 : couronnement d’Alphonse XIII.

1911 : création de la Confédération nationale des travailleurs (C.N.T.) libertaire.

1921 : création du Parti communiste d’Espagne.

1921-1926 : guerre coloniale du Rif, au Maroc. Franco et Pétain mènent la guerre.

1923 : coup d’état du général Primo de Rivera. Dictature militaire. Jusqu’en 1930.

1927 : création de la FAI (Fédération anarchiste ibérique).

1931, 14 avril : proclamation de la République.

1933, janvier : soulèvement anarcho-syndicaliste à Barcelone. Répression.

1934, avril : grève générale à Barcelone. Répression.

1934, octobre : insurrection des mineurs en Asturies. Répression. 5000 morts. 10 000 blessés. 80 000 prisonniers.

1935 : Andrès Nin, militant dirigeant de la C.N.T. qui a rompu avec l’internationale « communiste » stalinienne constitue le POUM, (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste). Andrès Nin est assassiné par les staliniens en juin 1937, après avoir été ministre du soi disant Front populaire.

Les staliniens espagnols dirigés par leurs « conseillers », Marty, Geroe, Togliatti … sont politiquement responsables du meurtre de milliers de militants ouvriers, syndicalistes de l’U.G.T. ou de la C.N.T. socialistes, anarchistes, « poumistes », anonymes ou très connus. Nin est de ceux-là. Le 5 avril 1937, Nin cherche à justifier la participation de son parti à des gouvernements qui ont pour objectif affiché la défense de la propriété privée des moyens de production : « Le mouvement pour le front populaire exerça une telle pression que notre parti fut obligé de s’y joindre ». Mais la « pression » dont parle Nin est celle des appareils ou mini appareils, la pression d’une certaine « opinion publique » ; L’autre « pression », celle des militants mobilisés dans les usines, dans les grands domaines … ne comptait donc pas ?

Le dirigeant et ministre stalinien Jésus Hernandez a participé à l’assassinat de Nin. Après la défaite, il a écrit ses mémoires politiques : « J’ai été ministre de Staline ». Un document accablant. Voir quelques extraits en fin de contribution (4ème partie).

 

1936, 16 février : signature du pacte de Front populaire.

1936, entre février et juillet : grèves et révoltes ouvrières et paysannes. Multiplication des occupations de terre des grands propriétaires. Expropriation d’usines. En mars, 60 000 paysans occupent les grands domaines agricoles en Estrémadure.

1936, 17-18 juillet : soulèvement contre révolutionnaire militaire dirigé par Franco. Le 18, à Barcelone, la C.N.T. et l’U.G.T. lancent le mot d’ordre de grève générale pendant que les ouvriers s’emparent de toutes les armes qu’ils trouvent.

1936, 23 juillet : fondation en catalogne du PSUC stalinien par l’absorption de la branche locale PSOE.

1936 : 1er août : Palmiro Togliatti, dirigeant du PC italien, chargé en Espagne d’assurer l’ « unité des rangs républicains contre le fascisme » proclame : « Nous les communistes, nous faisons nôtre le programme fasciste (de Mussolini) de 1919, qui est un programme de paix, de liberté, de défense des intérêts des travailleurs ». Une sorte d’ « arc républicain espagnol » de l’époque.

1936, 4 août : Un plénum national de la C.N.T. approuve la participation au gouvernement de Front populaire de Madrid.

 1936, 14 août :  Pie XI : «On dirait qu’un plan satanique a ravivé dans l’Espagne voisine, de façon encore plus vive, cette flamme de haine et de persécution ouvertement déclarée et qui semble dirigée vers l’Église et la religion catholique»7.

1936, fin août : déclaration franco-britannique sur la non-intervention.

1936, 4 septembre : formation d’un gouvernement Largo Caballero (PSOE)  d’ « union des forces qui luttent pour la légalité républicaine ». La C.N.T. le soutient de l’extérieur.

1936, 7 octobre : décret autorisant l’expropriation des grands propriétaires terriens liés à la rébellion militaire.

1936, 9 octobre : arrivée des premiers avions et « cadres » russes.

1936, 4 novembre : entrée de quatre ministres C.N.T. dans le gouvernement Caballero.

1936, novembre-décembre : bataille de Madrid.

1936, décembre : généralisation de la chasse aux militants du POUM.

A Barcelone, en 1937, la C.N.T. est très largement majoritaire. Le parti stalinien ; le PSUC reste marginal.

1937, 3 au 7 mai : affrontements entre Militants C.N.T. et POUM et partisans de « l’ordre » républicain dirigés par le PSUC stalinien.

1937, 4 mai : La CROIX  titre : « qui a bombardé Guernica ? … les civils restés dans la ville … ont déclaré nettement que les rouges ont commencé leur œuvre néfaste lundi soir … »

1937, 6 mai : LA CROIX se surpasse : « Hier, 5 mai, à Barcelone, les anarchistes, cette fois alliés aux gens de Moscou, sont entrés en lutte ouverte et armés avec le gouvernement de la Généralité » que dirige … « les gens de Moscou » qui pourchassent les anarchistes non soumis.

1937, 15 mai : les ministres staliniens exigent la mise hors la loi du POUM ; chute du gouvernement Caballero.

1937, 17 mai : constitution d’un gouvernement Negrin (PSOE) d’ « union républicaine » imposé par le parti stalinien. La C.N.T. n’y participe pas.

1937, 16 et 17 juin : arrestation de dix membres du comité exécutif du POUM qui est mis hors la loi.

1937, 29 juin : la C.N.T. se retire du gouvernement de Catalogne.

1937, 21 juin : Le FIGARO, après la prise de Bilbao par les franquistes se réjouit : « (Pour fêter l’évènement), à Saint -Sébastien, le spectacle était merveilleux. Toutes les maisons sur la place étaient illuminées aux couleurs nationales … »

1937, juillet : répression à Barcelone. 800 membres de la C.N.T. sont emprisonnés. L’ « ordre » de la police « républicaine » et du PSUC règne.

1937, 10 août : décret de dissolution du conseil d’Aragon à majorité C.N.T. remplacé par un gouverneur fédéral, partisan de la « légalité  républicaine ».  Les locaux de la C.N.T. sont occupés militairement, ses dirigeants arrêtés par les troupes gouvernementales. La voie est libre pour les franquistes.

1938, octobre : Prise de Gijon par les franquistes.

1938 : poursuite à Moscou de l’extermination des révolutionnaires de 1917, accusés d’ « espionnage », de « sabotage » et d’« hitléro-trotskysme ».

1939, janvier : capitulation de Barcelone. 450 000 réfugiés fuient vers la frontière française.

1939, 28 mars : entrée des troupes franquistes dans Madrid.

1939, 20 mai : défilé de la victoire des troupes de Franco à Madrid.

1939, 23 août : signature du pacte germano-soviétique. Staline et Hitler vont se partager la Pologne où Staline a détruit le PC et exterminé toute la direction. Il est « minuit dans le siècle » (Victor Serge).

Principaux ouvrages de référence :

  • François Godicheau : « la guerre d’Espagne, de la Démocratie à la dictature ».
  • Julian Gorkin : « Les communistes contre la révolution espagnole ».
  • George Orwell : « Hommage à la Catalogne ». (Le film de Ken Loach, LAND and FREEDOM s’en inspire).
  • Félix Morrow : « La guerre civile en Espagne, révolution et contre révolution (1936-1938) ».
  • Denis Parigaux : « Etat corporatiste et corporatisme politique ; faits historiques et doctrines jusqu’en 1945 ».
  • Pierre Broué et Emile Témine : « La révolution et la guerre d’Espagne ».
  • Sygmunt Stein : « Ma guerre d’Espagne. Brigades internationales, la fin d’un mythe ».
  • Joachim SALAMERO : dossier Espagne, dans « souvenirs, écrits et documents», publié par la LP de Gironde. P. 223 à 249.
  • Les cahiers du mouvement ouvrier.

Et les archives de la BnF.

Des centaines d’ouvrages sont parus sur le sujet. Le choix est donc volontairement totalement arbitraire.

Pendant toute cette période, les syndicats ont été l’objet de toutes les attentions, surtout, à « gauche ». On leur demandait de se comporter en subsidiaires de l’appareil d’Etat. Rien d’autre …

Ils devaient renoncer à leur INDEPENDANCE et donc, à la DEMOCRATIE véritable.

Introduction :

Février 1936, c’est la victoire électorale du Front populaire. Il s’agit d’une coalition des partis que l’on qualifie encore à l’époque de « partis ouvriers », le PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol), le PCE (parti communiste espagnol) et de  personnalités prétendument « progressistes » de la bourgeoisie.

Ceux-là ne représentent pas grand-chose, numériquement. L’essentiel du personnel politique des partis de la droite traditionnelle est passé dès juillet 36 à la droite extrême et soutient sans faille – contre les « rouges » – les généraux factieux menés par Franco.

Pourtant, ils jouent dans ce regroupement un rôle essentiel. Ils sont avec le PCE qui impose leur présence, les garants du respect de la propriété privée.

Il faut aussi compter sur la C.N.T. anarchiste, un syndicat de masse et sur le P.O.U.M. (parti ouvrier d’unification marxiste), qui s’est constitué à la « gauche » du PCE, en opposition au Thermidor stalinien.

Rappelons qu’aux Cortes, le parlement, la « gauche » dispose de 277 sièges contre 132 à ce qu’il est convenu d’appeler la « droite ». Le « centre » en recueille 32. Le « centre » ? Ce terme n’a guère de signification. En Allemagne, le parti dit du centre a voté à l’unanimité les pleins pouvoirs à Hitler. Il est vrai que ce « parti » dirigé par un prêtre prend ses ordres au Vatican. Ainsi vont les « démocrates » … chrétiens.

En préambule,  un bref complément « au bal des domestiques » ; voici quelques réactions de la presse en France, à l’annonce de la contre révolution franquiste.

Citons deux quotidiens qui existent toujours : la CROIX et le FIGARO. (Source : site de la BnF).

La CROIX ouvre le bal : le 21 juillet 1936, quatre jours après le déclenchement de la guerre civile par Franco, le saint-quotidien dénonce « la tyrannie et le despotisme du Front populaire … les extrémistes assassins, incendiaires et pillards » et s’affole :

« ( … )  6000 mineurs des Asturies sont déjà arrivés à Madrid dans des trains spéciaux et ont été armés pour soutenir le gouvernement … les syndicalistes ont proclamé la grève générale pour une durée indéterminée … » 

Franco, c’est le Sauveur : « Depuis le Maroc, Franco dirige les insurgés … on estime que les troupes révolutionnaires (c’est-à-dire les franquistes) s’élèvent à 18 500 hommes appartenant à l’armée régulière et à la légion étrangère … ». Pour la hiérarchie catholique, Franco, c’est l’homme de la Providence, comme l’avait été Mussolini.

 Le soutien 100 % à la dictature franquiste est complété par un soutien 100 % à la dictature voisine du tyran portugais, Salazar.

La CROIX du 23 janvier 1937 se fait l’écho des attentats terroristes qui frappent le Portugal : « Le danger vient de l’intérieur, a déclaré le ministre de l’intérieur portugais. Il est une répercussion de ce qui se passe en Espagne. L’immeuble visé abrite le ministère de la Guerre. » Dieu soit loué, « la population est restée calme », nous dit LA CROIX. Autre sujet de satisfaction, « le gouvernement de M. Salazar, agissant avec promptitude et énergie a proclamé un « état de danger ». LA CROIX lui accorde sa pleine confiance et les pleins pouvoirs pour réprimer toujours plus brutalement.

Le FIGARO assène quotidiennement son lot de mensonges et calomnies à l’encontre des révolutionnaires espagnols. Les réfugiés politiques sont particulièrement visés. Ils représentent une menace pour la stabilité de « nos institutions ».

Le 18 septembre 1937, on lit ceci :

« L’étrange reconnaissance des réfugiés espagnols. Ils injurient le clergé de France qui les recueille.

On a maintes fois signalé l’étrange conduite, tant en France qu’en Angleterre des réfugiés espagnols, qui, loin de se montrer reconnaissants envers ceux qui les recueillent, se montrent provocants et se rendent parfois insupportables. ( … ) Ils distribuent abondamment dans Amiens des tracts où on peut lire : N’oubliez pas que c’est le clergé espagnol qui est la cause des malheurs de nos mères, frères et enfants. Le clergé est à la solde de Franco. Le clergé de France ne vaut pas mieux et ne vous laissez pas prendre à ses sornettes. Mort au clergé ! (On imagine l’indignation des jésuites aux manettes du lycée la Providence).

Les meneurs vont être dit-on reconduits à la frontière.

Espérons que l’on prendra des mesures pour que cesse partout la propagande anti religieuse des réfugiés espagnols. Si peu populaire que soit actuellement dans les masses l’anticléricalisme, nous n’avons pas besoin que les révolutionnaires espagnols tentent par leurs mensonges et leurs calomnies de créer de la haine et de jeter de la suspicion sur notre admirable clergé ».

Le FIGARO se montre confiant après la prise de Madrid par les franquistes : « seuls les fanatiques et les insensés ne se réjouiront pas de cette nouvelle ». Le « journal » appelle à « la résurrection de l’Espagne délivrée des forces du mal » ; ça fleure bon l’Inquisition et ses milliers de petits Torquemada.

Un envoyé très spécial donne libre cours à sa fascination pour le Caudillo : « Le Sauveur, le drapeau, l’idole de la nation ». Il évoque sa « simplicité proverbiale, son regard noyé d’une bonté dont il se défend mal » et « ses joues fraîches et roses ». Le FIGARO de 1936 se distingue peu de celui de 2022 qui a engagé une campagne de « réhabilitation » de ce curieux chérubin, une campagne où le grotesque le dispute à l’ignoble.

Personne ne devrait plus en être surpris. Voir : le bal des domestiques : 1ère partie, l’Italie fasciste ; 2ème partie, l’Allemagne nationale-socialiste, l’année 1933.

Liens :

Le bal des domestiques

 

Le bal des domestiques (2). 2ème partie.

En soutenant Franco, les deux quotidiens soutiennent aussi l’intervention militaire massive du fascisme italien et allemand. Inutile de s’offusquer, encore moins de pleurnicher. Cette presse est à sa place. Elle soutient toujours, lorsque le pouvoir de la finance est menacé, les partis de l’ « ordre », y compris – surtout – les plus fanatiques.

Qui peut croire un seul instant qu’il serait possible de « moraliser » cette presse là ?

Le problème n’est pas là, mais bien plutôt dans le comportement des « « sommets » des organisations ouvrières traditionnelles toujours à la recherche de solutions qui préservent les institutions du passé ; en France, aujourd’hui, ce sont les institutions de la Vème république.

Pour conclure cette partie « presse démocratique », un dernier exemple : un titre disparu, l’intransigeant, partisan lui aussi, de l’ « ordre », bien sûr, républicain, très représentatif de la presse de l’époque.

Le 10 juin 1937, un « journaliste » fait une interview de Franco. Il se veut rassurant : « Jamais l’Espagne de Franco ne prêterait les mains à un complot contre la France ». Le très démocrate Churchill, partisan de Mussolini, a eu exactement la même remarque.

Le portait du futur dictateur prêt à « fusiller la moitié des espagnols » pour rétablir l’ « ordre et la morale », correspond bien à une bonne partie des commentaires de la presse en France.

« Ce qui frappe d’abord, et presque, déconcerte, c’est non seulement l’extrême aménité de ses manières, mais la douceur comme féminine et tellement imprévue de sa voix et de son regard. Rien de brusque en lui, rien de soldatesque …  une impression par-dessus-tout, de générosité chevaleresque et de loyauté sans détour ».

En voilà un qui aurait pu exercer ses talents sur une  chaîne d’infos en continue de notre temps.

Un outil précieux. L’auteur publie de nombreux documents indispensables à la compréhension des évènements.

Il met en évidence la responsabilité écrasante du stalinisme  dans la victoire de la contre-révolution.

Rappelons que 1936-1938, c’est en URSS la période des grands procès politiques. Le pouvoir stalinien qui prépare le pacte germano-« soviétique » cherche à détruire la génération de révolutionnaires qui a fait la révolution.

Une victoire de la révolution socialiste en Espagne serait pour le maître du Kremlin une véritable catastrophe.

Espagne, 1931 : la république !

 Pour mieux comprendre l’Espagne de 1936 et la guerre des classes de 1936-1938, il faut revenir un peu en arrière.

L’Espagne sur le déclin.

 L’année 1898 marque le déclin irrémédiable de la puissance impériale espagnole. Les Etats-Unis expulsent l’Espagne de Cuba, de Porto-Rico et des Philippines. L’affaire est rondement menée. Quelques dizaines, centaines ? de milliers d’estropiés, de réfugiés, d’orphelins, de veuves, de morts … Quelle importance. Ils ne sont ni blancs, ni catholiques … et même s’ils le sont …

En Espagne la domination absolue des grands propriétaires terriens, appuyée sur la caste de l’armée et sur l’Eglise catholique semble d’un autre âge.

« L’aristocrate espagnol ne se préoccupe guère de faire prospérer son domaine comme une entreprise, mais se soucie avant tout de préserver son autorité de seigneur sur la main-d’œuvre à bon marché dont il croit disposer par droit de naissance. » (Broué, Témine, « La révolution et la guerre d’Espagne »). La monarchie et ses archaïsmes lui plaisent.  La République qui y met un terme doit être chassée par tous les moyens. Cette classe parasite fabrique à partir de rien un parti de la Rénovation espagnole. On y retrouve les nostalgiques de l’Ancien régime et de la grandeur passée de l’Espagne, partisans de la Renaissance de l’Espagne et de ses traditions ancestrales. Tout ceci n’a rien à voir avec le fascisme mussolinien, ni avec le national-socialisme. L’aristocratie souhaite le retour d’Alphonse XIII sur le trône. Certains reprochent à Franco de ne pas y penser assez.

L’avènement de la république en 1931 mettra-t-elle un terme à la domination de cette classe du passé ?

En 1931, un tiers des terres appartiennent à de grands propriétaires fonciers. Les historiens considèrent que la famine entre deux récoltes est quelque chose d’habituel. Les paysans espagnols se nourrissent alors de racines et d’herbes bouillies.

Comment mettre fin à cette situation intolérable ? Peut être en procédant – comme première mesure d’urgence – à l’expropriation immédiate et sans indemnisation, cela ne va-t-il pas de soi ? de ces immenses domaines et à la redistribution des terres aux affamés ? Un certain duc de Medinacelli possède 79 000 hectares, celui de Penaranda en possède 51 000 … alors que 2 millions de travailleurs agricoles n’ont pas de terre.

Mais, comme le note Félix Morrow dans son livre  « la guerre civile en Espagne », « la confiscation des terres serait aussi une confiscation du capital bancaire ». Ce n’est pas l’intention de la toute nouvelle république espagnole.

Une république en Espagne ? pour les classes dirigeantes, la république, c’est déjà un scandale ; ça l’est encore plus lorsque la secte des jésuites qui possède un tiers des richesses du pays est dans le viseur des républicains. Ce n’est pourtant que justice puisque « ses banques de crédit agricole étaient les usuriers de la campagne et ses banques citadines, les partenaires de l’industrie ». (F. Morrow, page 23).

Pour conserver sa mainmise sur le pays, la hiérarchie catholique « consent », bien obligée ! à sacrifier, au moins temporairement, l’ordre des jésuites « qui fut dissous en janvier 1932, après avoir eu largement la possibilité de transférer ses richesses à des individus ou à d’autres ordres ». (F. Morrow, page 25).

Politique coloniale. Continuité.

La coalition socialistes-républicains de 1931 maintient au Maroc, la politique antérieure des colons, ce qui aura les pires conséquences lorsque Franco commence en juillet 36 son processus insurrectionnel, à partir du Maroc. « Le Maroc est le fief de l’armée. Les généraux y agissent comme de véritables pro consuls ». (Temine, Broué). Si les républicains avaient indiqué leur volonté de libérer par l’indépendance le Maroc de la tutelle oppressante de la monarchie espagnole, le peuple marocain l’aurait soutenu. Les généraux factieux auraient été très affaiblis.

La république et la classe ouvrière.

La république ne se désintéresse pas du sort de la classe ouvrière qui détient les clés de l’avenir, même si en Espagne elle est moins nombreuse qu’en Grande Bretagne ou en Allemagne. Voyons comment.

 Que dit la constitution républicaine de 1931 ?

La seconde république promulgue la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’article 3 dit que l’Espagne n’a aucune religion officielle.  L’article 26 précise que dans un délai de deux ans, une loi déterminera l’extinction totale du budget du clergé. La liberté de conscience est reconnue.

Mais ce n’est qu’un aspect, certes essentiel, de la constitution républicaine.

Source : F. Morrow : très rares ont été les historiens qui ont étudié cette question pourtant fondamentale.

L’article premier de la constitution dit :

« L’Espagne est la République de tous les travailleurs, de toutes les classes sociales ».

On imagine le soulagement des classes dirigeantes parasites à la lecture de cet article adopté à la demande des socialistes.

La constitution permet au président de désigner le 1er ministre et de dissoudre les Cortes deux fois par mandat de six ans. Le président est donc une sorte de Bonaparte mais … républicain.

Plus grave encore, l’article 42 prévoit la suspension de tous les droits constitutionnels.  Félix Morrow a raison de signaler que la constitution de Weimar que d’aucuns disaient « la plus démocratique du monde », prévoyait la même chose.  On sait que le chancelier Hitler, doté des pleins pouvoirs après le ralliement de » tous les députés catholiques, n’a pas été obligé de l’abroger.

Concrètement de quoi s’agit-il ?

L’article 42 proclame :

« Dans l’intérêt de l’ordre public, le ministère de l’intérieur  peut faire fermer les clubs, associations et syndicats ».

Les syndicats qui ne marchent pas avec l’Etat sont de fait interdits et leurs militants pourchassés.

Félix Morrow donne cette précision capitale :

« Une loi fut également adoptée qui reconduisait les tribunaux arbitraux mixtes de la période Rivera (Primo de Rivera était l’un des chefs de l’extrême droite,) qui étaient destinés à empêcher les grèves.

« Nous devons rendre l’arbitrage obligatoire. Les organisations de travailleurs qui le refuseront seront considérées hors la loi ». Et c’est Largo Caballero, ministre du Travail et dirigeant de l’U.G.T. et du PSOE qui a fait cette déclaration de soutien inconditionnel à l’ordre corporatiste, le 23 juillet 1931.

En France, c’est le gouvernement de Front populaire présidé par Camille Chautemps (« radical ») qui institue en 1937 les procédures d’arbitrage ; une loi qui ravit les corporatistes et fascistes divers. Aux EU, le sauveur du capitalisme US, Roosevelt, agit de même après la crise économique de 1929. Est-il exagéré de dire que l’arbitrage  généralisé, c’est la voie royale vers le fascisme ? Largo Caballero, proclame qu’il est « illégal » de faire « grève pour des raisons politiques ». Il faut un préavis écrit de dix jours adressé à l’ « employeur » qui a tout le temps de prendre ses dispositions pour briser la grève en recrutant des « jaunes ».

« La grève générale du 17 avril 1936 à Madrid marqua le début d’un grand mouvement de masse, souvent porté par des revendications politiques, bien qu’il fût d’abord axé sur les salaires et les conditions de travail. Nous ne pouvons indiquer que grossièrement l’ampleur de cette grande vague de grèves … toute ville ou province de quelque importance connut au moins une grève générale entre février et juillet 1936. Il y eut près d’un million de grévistes le 10 juin, 500 000 le 20, un million le 24 et plus d’un million dans les  premiers jours de juillet » (Page 89). La classe ouvrière intervient sur son propre terrain loin des combinaisons d’appareils.

De quoi susciter l’inquiétude tant à « droite » (et « extrême »), qu’à « gauche » … Certains diraient aujourd’hui que la classe ouvrière se situe « en dehors de l’arc républicain ».

 Les syndicats pris dans l’étau.

 La proclamation de la république avait suscité un immense espoir pour les classes opprimées depuis des siècles. Etait-ce la fin de l’obscurantisme ? – la moitié de la population espagnole ne savait ni lire ni écrire en 1930 – était-ce la fin de la dictature du capital sur le travail ?

Félix Morrow explique : « L’interdiction des grèves spontanées était un coup mortel contre les méthodes de lutte des syndicats. Les luttes étaient détournées du champ de bataille pour être redirigées vers les canaux des tribunaux arbitraux, qui les neutralisaient avant que les travailleurs aient une chance d’imposer une issue favorable ».

Et, en bon corps intermédiaires, bien dociles, « les syndicalistes socialistes conseillaient aux grévistes syndiqués à la C.N.T. de rejoindre le syndicat du gouvernement ». C’était déjà vouloir une forme de syndicalisme rassemblé … en subsidiaire de l’Etat. Rejoindre le syndicat officiel, c’était la modeste condition à remplir pour que « les décisions arbitrales soient en leur faveur ».

Ce chantage s’exerçait alors que « l’approfondissement de la crise agricole  conduisit les propriétaires fonciers à mener des attaques de plus en plus dures contre les conditions de vie des métayers et des travailleurs agricoles. Ils ignoraient purement et simplement les jugements arbitraux qui augmentaient la paie de ces derniers ».

Le refus du gouvernement républicain de s’attaquer réellement à la classe parasite des privilégiés ne faisait que doper l’arrogance des possédants.

Obnubilés par la  politique du « maintien de l’ordre » et la répression contre les syndicalistes de la C.N.T. ou ceux de l’U.G.T. non soumis, les socialistes favorisaient les desseins des extrêmes – que l’on peut qualifier de « droite » ou « droite extrême », comme on préfère, tant les « porosités » sont évidentes – qui préparaient leur revanche.

Cette politique a eu pour conséquence de renforcer la C.N.T. où les travailleurs ont cherché un cadre d’organisation leur permettant de créer le rapport des forces et de battre les réactionnaires, leurs militaires, leurs gendarmes et leurs prêtres. Elle a eu aussi pour conséquence – on le verra plus loin – d’accentuer le fossé entre nombre de dirigeants anarchistes, et plus particulièrement, les ministres anarchistes (n’est-ce pas une curiosité ?) et une base résolue à ne pas se laisser empêtrer dans une quelconque politique d’union nationale.

 Le ministre des Travaux publics, Indalecio Prieto, le N°2 du PSOE, pourtant farouche partisan de l’ « unité » avec la bourgeoisie supposée républicaine, alors en exil à Paris, tira ce bilan remarquable de lucidité :

« Question : comment expliquez-vous  la victoire de Gil Roblès, représentant de la droite aux dernières élections ?

Réponse : « C’est précisément à cause de la politique de droite menée par le gouvernement de gauche. Ce gouvernement qui est né avec la République et a été créé par elle, est devenu le protecteur de forces hostiles à la république … dans cette période d’agonie du capitalisme, la bourgeoisie espagnole n’a même pas été capable de mener à bien la révolution démocratique bourgeoise ». (Cité par Morrow). Difficile de mieux dire. Mais de là à en tirer les conclusions politiques qui s’imposent … !

« Francisco Franco est un officier profondément catholique. Son éducation, les influences exercées sur lui par un entourage monarchiste, l’ont certainement éloigné du fascisme proprement dit. Franco est un conservateur de tradition militaire et catholique. La place qu’il a été amené à occuper a ancré en lui l’idée qu’il a été désigné par Dieu pour sauver l’Espagne de l’anarchie, de l’athéisme, de la Révolution sous toutes ses formes … mais il ne croit pas à la possibilité de rétablir immédiatement la monarchie sous sa forme traditionnelle ».

Dans son entourage, José Maria Gil Robles « s’est donné pour modèle, non Hitler qu’il admire pour son efficacité … mais le chancelier autrichien Dolfuss et son Etat corporatiste ». En France, le journaliste du temps, Beuve-Méry qui deviendra directeur du Monde, admire lui aussi le corporatisme de Dolfuss et celui de Salazar au Portugal. Beuve-Méry a été mis sur orbite par de Gaulle dont le dernier acte politique est une visite au général Franco … (Voir document en conclusion. 4ème partie

JM 26-08-2023.

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leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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