>Histoire

17 / 12 / 2015

Éloge de l’ignorance. Obscurantisme d’hier et d’aujourd’hui.

Dans les années 60, un éminent « pédagogue »* missionnaire de la rénovation-refondation de l’école publique affirmait : « la société n’a besoin que de 20 à 30 % de lecteurs ». Les théories obscurantistes de ce triste personnage étaient citées en exemples dans les écoles normales d’instituteurs.

Le régime de Vichy a fermé les écoles normales d’instituteurs qu’il a pourchassés de sa vindicte. Il a fait bien des émules, la plupart honteux, donc dissimulés.« Est-il si grave d’apprendre ? Assurément, et cela ne serait pas si beau, si ce n’était pas aussi grave. Apprendre, c’est se séparer. Sans considérer seulement ce qu’on se flatte d’apporter à celui que l’on instruit, il faut penser à ce qu’on lui hôte. ( … ) C’est l’ignorant qui en laissant sa charrue ou son outil entrait d’un seul pas dans un monde enchanté ; c’est lui qui vivait avec Charlemagne et les douze Pairs qui frayait avec Viviane, avec Mélusine. Quelle pauvreté, quelle tristesse, quelle déchéance d’avoir cessé d’être le filleul des fées pour devenir le dupe du journal ! ». (Abel Bonnard : Eloge de l’ignorance).

Comme par miracle, ceci rejoint parfaitement les thèses du patronat. A titre d’exemple entre mille, cette déclaration du CNPF de 1984 (source : quotidien la croix) : « S’agissant des connaissances, il convient de retenir d’abord celles qui sont nécessaires ( … ) la lutte contre l’encyclopédisme devrait devenir une préoccupation majeure des enseignants ».
En 1941 déjà, Jérôme Carcopino**, ministre de Pétain affirmait sa résolution « d’en finir avec les horaires asphyxiants, les programmes surchargés » et de « sauver le progrès de notre culture par l’abandon sans retour d’un encyclopédisme mortel … »
Plus récemment, le quotidien Le Monde qui milite toujours pour la « rénovation » de l’école laïque indiquait la voie à suivre : « pour sortir de l’encyclopédisme », il convenait de s’inspirer des systèmes éducatifs européens les plus « performants » (5-12-2013).
En conclusion de son livre « Vichy et l’école», l’historien Rémi Handourtzel note :
« Le régime de Vichy, surtout Carcopino, invente les termes d’un compromis sur la place de l’enseignement catholique dans le système français d’éducation, compromis successivement reconduit par les IVème (lois Marie et Barangé de 1951) et Vème République (Loi Debré de 1958 et Guermeur de 1977) … » et complétées notamment par les deux lois d’orientation : Jospin de 1989 (l’Education nationale disparait au profit de l’Education) et Fillon de 2005 … la réforme dite des rythmes scolaires pour le 1er degré et celle des collèges pour le second degré sont les deux derniers avatars d’une longue série de contre-réformes.
La résistance des personnels avec toutes leurs organisations syndicales (CFDT et UNSA n’étant que des subsidiaires de l’Etat) constitue bien sûr l’obstacle principal pour des ministres qui, de « droite » ou de « gauche » conservent en toutes circonstances, des objectifs globalement identiques.

Le socle commun : L’Éloge de l’ignorance.

Le dernier ministre de l’Education de Vichy, un certain Abel Bonnard, méchamment surnommé « gestapette » reprend le chantier de ses cinq prédécesseurs avec cette particularité : mettre l’accent sur l’inutilité ou même la nocivité quasi absolue de toute forme de Culture, du moins, pour le bon peuple.
C’est tout l’acquis considérable de l’école publique, qualifiée par certains gauchistes impénitents d’école bourgeoise, que notre refondateur de l’époque entend liquider. Lorsque Vichy le propulse à la tête du ministère de l’Education, l’homme n’est pas un inconnu. Il avait commis en 1926 un pamphlet de soixante pages intitulé : éloge de l’ignorance. Dans la continuité de pensée d’Adolphe Thiers, le massacreur de la Commune – « le savoir est un commencement d’aisance qui ne peut être accordé à tous, ce sont les ouvriers les plus instruits et qui gagnent le plus qui sont à la fois les plus déréglés dans leurs mœurs et les plus dangereux pour la paix publique » – il écrit : « Est-il donc si grave d’apprendre ? Assurément. C’est pitié de voir avec quelle gloutonnerie certains de ces individus égarés se jettent sut tout ce qui est imprimé ».

Adolphe Thiers s’est illustré par ses propos outranciers à l’égard des instituteurs : « Ces affreux petits rhéteurs, (Phraseurs) ces anti-curés ; qu’on ferme les écoles normales, que le curé de la paroisse se charge de l’instruction publique. Il en apprendra toujours trop au peuple qui a plus besoin de morale que de savoir ( … ) instruire qui n’a rien, c’est mettre le feu sous une marmite vide. ».

Il évoque le cas d’un camarade de régiment, couvreur de son métier et communiste : « Je recevais alors des livres. Il les lisait tous, histoire, philosophie, lettres ( … ) je ne pouvais regarder sans une horreur sacrée cette victime de Gutenberg. Il est bon pour chacun d’entre nous de réfléchir au danger d’apprendre ». Le camarade couvreur ne doit en aucun cas disposer des outils lui permettant de s’émanciper. Bonnard, c’est bien normal, prend l’exact contre-pied de Pelloutier pour qui « ce qui manque le plus à l’ouvrier, c’est la science de son malheur ». La responsabilité de l’Etat est claire : « Il est bon, il est régulier, il est profondément juste et salutaire, que la haute instruction soit entourée de beaucoup d’obstacles ». Ainsi la « multitude », le « barbare artificiel », l’homme du peuple instruit ne sera pas tenté, poussé par de « mauvais bergers » de chercher « par la violence » les voies de l’émancipation. D’ailleurs proclame Bonnard, « la fonction des ignorants n’est pas seulement nécessaire, elle est pleine de grandeur et de poésie … » Alléluia !

Obscurantismes « modernes ».

Bonnard, on l’a vu, exprime ses convictions sans fard, avec toute la certitude d’un fasciste déclaré.
Avec l’aggravation de la crise économique et l’état de délabrement du capitalisme moderne, les théories vichystes ont refleuri. A la fin des trente glorieuses, le CNPF repart en croisade contre les diplômes nationaux qu’il entend supprimer, notamment le bac. D’autres, sans doute plus réalistes et donc plus dangereux, préfèrent le donner à tout le monde, ce qui revient au même.
Parmi ceux-là, le pape de la rénovation, Louis Legrand*** qui conseille à « Droite » et à « gauche ». Legrand tape toujours sur le même clou : dénigrer l’école, l’école laïque et ses maîtres qui continuent de vouloir enseigner : « Il est apparu clairement au cours des cinquante dernières années que savoir lire et écrire n’ouvrait aucunement les portes de la culture et de l’autonomie personnelle ». Ces lignes datent de 1973. Le futur patron de la communauté européenne, membre de la CFDT, Jacques Delors pense également « qu’il est urgent de revoir les enseignements de base afin que ces derniers puissent armer tous les jeunes en face de l’encombrement des connaissances ».
Après l’échec du « grand service public unifié » du ministre de gauche Savary, son ami Edmond Maire (secrétaire général de la CFDT) n’en finit pas de geindre : « l’accent est mis essentiellement sur la conception suivante : tout est dans le savoir et la transmission des connaissances. Les élèves semblent ne pas exister ». (Source : Le Monde, 29 novembre 1984). L’ennemi, c’est l’enseignant qui enseigne. Il est parfaitement logique que la CFDT de 2015 défende avec acharnement la « réforme » des collèges.

La politique de la CFDT reste celle de la doctrine sociale de l’Eglise catholique. C’est pourquoi elle soutient les réformes des gouvernements de la Vème République. Dans son livre consacré à Mgr Villepelet, évêque de Nantes de 1936 à 1966, L. Berger affirme que la loi Debré a réglé la question scolaire. (Voir article « 1964, CFTC-CFDT, le congrès de l’évolution »).

L’onction papale.

Les obscurantistes de tous bords et de toutes époques trouvent en l’Eglise un appui indéfectible. Ce n’est pas le lieu de développer cet aspect. Notons quand même cette encyclique qui fait foi, Divini illius magistri (Sur l’Education chrétienne de la jeunesse ; 1929) de Pie XI. L’institution s’y affirme « naturellement » contre le « désordre », le meilleur défenseur de  l’Etat, chargé par la Providence de promouvoir le Bien commun. « Sans une bonne instruction religieuse, et morale, comme nous en avertit dans sa sagesse Léon XIII, toute culture des esprits sera malsaine ; les jeunes gens, n’étant pas habitués au respect de Dieu, ne pourront supporter aucune règle d’honnêteté et, accoutumés à ne jamais rien refuser à leur convoitises, ils seront facilement amenés à bouleverser les Etats ».
Il faut donc éduquer, éduquer pour ne pas instruire. Jean Paul II le dit devant l’UNESCO, en 1980 : « Dans l’ensemble du processus de l’Education de l’Education scolaire en particulier, un déplacement unilatéral vers l’instruction au sens étroit du mot n’est-il pas intervenu ? ». Le pape le déplore car cela entraîne « une véritable aliénation de l’Education », l’éducation à la soumission à la dictature des Etats : aujourd’hui, l’état d’urgence permanent.
Comme Bonnard dès 1926 et bien d’autres à sa suite, l’Eglise vomit le culte idolâtre du progrès et du savoir ainsi que l’idéal égalitaire de la IIIème République.

Résistance.

Le néo-socialiste Marcel Déat, ministre du travail en même temps que sévissait Bonnard à l’Education constate l’échec de la « révolution pédagogique » de son compère. La résistance, même sous Vichy, de la majorité des personnels pourtant privés de syndicat y est sans doute pour beaucoup.
Il note aussi pour le déplorer « la résistance de ses bureaux, d’un certain nombre de ses fonctionnaires et surtout, il (Bonnard) se trouve gêné par la politique d’un gouvernement qui n’a pas toujours été extrêmement nette et parfaitement catégorique aussi bien sur le problème de l’enseignement que sur n’importe quel autre problème ». On sait que la fameuse Charte du travail ne s’est pas véritablement appliquée. (Voir : corporatismes d’hier et d’aujourd’hui, par l’UD CGT-FO de Loire-Atlantique.)
Echec qui augure mal de l’avenir de « l’Europe nouvelle » placée sous la dépendance du Reich.

Le gouvernement veut des « programmes » différents d’un collège à l’autre (en réalité diminuer les heures d’enseignement) comme il y aurait un code du travail à géométrie variable d’une entreprise à l’autre. C’est une nouvelle Charte du Travail qui se profile à l’Horizon. (Voir infos sur le site FNEC-FP-FO).

En guise de conclusion.

On voit qu’au fil des décennies, dans des contextes certes radicalement différents, les projets n’ont pas manqué visant à détruire l’école de la République. Notre CGT-FO a bien eu raison le samedi 10 octobre, de soutenir l’appel à manifester pour l’abandon de la contre-réforme Belkacem. Le combat continue.
Plus que jamais la défense sans restriction de l’instruction publique, de l’école publique, de la laïcité et du statut des personnels est une tâche essentielle. Comme l’a affirmé la Commune de Paris, l’instruction publique laïque « n’est qu’un aspect du combat du peuple travailleur contre le vieux monde gouvernemental de l’exploitation, de l’agiotage et du cléricalisme ». Cette affirmation est plus que jamais d’actualité.

* Il s’agit de Foucambert.
** J. Carcopino : ministre de Vichy souvenirs de sept ans. Publié après-guerre. L’auteur tente de justifier toute son action passée.
*** Tête pensante en février 1968 de la commission de la « rénovation pédagogique ». Parmi l’un des buts de la commission : l’allègement des programmes.

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