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14 / 06 / 2021

Chronique des envahisseurs. FO dans le viseur.

Chronique des envahisseurs ?  Le titre est emprunté au militant anarcho-syndicaliste Marc Prévotel qui a mis en évidence la continuité des politiques des cléricaux regroupés autour de Léon XIII puis des adeptes de la « deuxième gauche » … il est toujours utile de lire ou relire : « cléricalisme moderne et mouvement ouvrier » (3ème trimestre 2008), préfacé par Joachim Salamero.

Marc Prévotel nous rappelle que l’Eglise catholique a adopté une politique d’entrisme pour conquérir la République de l’intérieur. L’encyclique « au milieu des sollicitudes » publiée un an après la première « grande » encyclique sociale – « sur la condition des ouvriers » –  (« rerum novarum » indique très clairement qu’en France, la République a gagné, qu’il n’y aura pas de retour de la monarchie de droit divin, donc, qu’il faut vous préparer, catholiques français à pénétrer les institutions telles qu’elles sont pour les transformer de l’intérieur afin d’ « infuser dans la société les bienfaits de la doctrine sociale de l’Eglise ».

L’article qui suit est consacré aux années 1960. De Gaulle, le « libérateur » est alors chef d’Etat. Lui non plus n’aime pas la République. Il l’écrit dans ses « mémoires » :

« Je n’aime pas la République pour la République, mais comme les français y sont attachés, j’ai pensé qu’il n’y avait pas d’autre choix » (1).

C’est dans ce contexte que notre Confédération déclare en 1962 que « le plus grand danger, c’est le corporatisme ». C’est le moment choisi par une fraction de corporatistes menée par un certain Labi pour tenter de remettre en cause notre indépendance syndicale.

En bande organisée …

« Tous les bâtisseurs de systèmes fondés sur le « bien commun » ou « l’intérêt national » sont, par la force des choses condamnés à s’opposer tôt ou tard aux syndicats dont la mission est de défendre les intérêts particuliers de la classe ouvrière. (Alexandre Hébert mai 1969)

Face au mouvement ouvrier qui s’organise tout au long de la seconde moitié du IXXème siècle, l’Eglise constitue ses propres organisations, syndicats et partis. Mais cela ne lui suffit pas. Il lui faut aussi tenter de l’intérieur, la conquête des organisations ouvrières.

Elle missionne ses « envahisseurs », ses « élites » (2).

Après-guerre, la CGT placée sous la tutelle de la direction nationale du PCF est une cible favorite. Il faut dire que l’appareil dirigeant du PCF et celui de la CGT lui ont grandement facilité la tâche. Des hommes tels que Le Brun, Barjonet, Moynot et quelques autres plus récemment ont été propulsés à la tête de la direction confédérale avec la bénédiction de « l’appareil ».

Voir à ce sujet : deux chroniques …

Chronique des envahisseurs. De Lebrun à Moynot

 Monsieur Barjonet : AUTEUR DE : « LA CGT ». APRÈS MAI 68

 

Evidemment, les tentatives de déstabilisation de l’intérieur n’ont pas manqué non plus contre notre CGT-FO, continuatrice de la « vieille CGT », celle de la Charte d’Amiens.

Il y eut notamment l’épisode Maurice Labi.

Qui est Maurice Labi ?

Si le personnage est passé aux oubliettes de l’histoire syndicale, c’est que « l’opération » Labi s’est traduite par un grand flop. Il n’empêche que l’itinéraire, les prises de position, l’action de ce drôle de syndicaliste méritent d’être connus. Un syndicaliste véritable averti en vaut deux.

Il entame sa carrière politique à la SFIO en 1945 et adhère à la CGT-FO en 1951. Il est élu secrétaire de la fédération de la chimie en 1960.

En 1959 il dénonce Robert Bothereau et sa « collaboration » avec le régime gaulliste. Il cherche à constituer une fraction autour d’un bulletin « idées et actions ».

Robert Bothereau, 1er secrétaire général de la CGT-FO. Au stalinien Frachon qui proclame : « La CGT continue », Bothereau rétorque, « FO continue la CGT ». Il arrive maintenant que certains « syndicalistes » convertis au néo-corporatisme vert du XXIème siècle se réclament de Bothereau. Il faut oser.

De quelles idées s’agit-il ?

Rien de bien nouveau. Il reprend de façon un peu grossière toutes les propositions « nouvelles » de la cléricale CFDT : la prétendue planification démocratique, la section syndicale d’entreprise (pour l’étage inférieur) et un Conseil économique rénové (à l’étage supérieur) où les néos syndicalistes pourraient co légiférer (« co-construire »). Partisan déclaré du principe de subsidiarité, Il adhère au Parti socialiste unifié de Rocard et Maire. La démarche est cohérente.

Son « courage », son « modernisme », son « activité infatigable » provoquent l’admiration du directeur du Monde, l’ex vichyste Beuve-Méry et de presque toute la presse (3) mais aussi l’intérêt d’une frange du patronat, notamment une fraction du patronat chrétien, hostile à la pratique contractuelle défendue par la CGT-FO.

Au PSU « révolutionnaire », on fustige comme il se doit quand on est « progressiste », l’« extrême droite». Qu’on se le dise !

L’enfumage est complet.

« Julien Ensemble ». Un envahisseur à visage découvert.

Sous la houlette de Rocard :

  « Intéressement-participation est un rappel. Cet espoir de De Gaulle a été cassé par la droite … il y avait une dimension sociale chez de Gaulle qui est formidable … » Source : Rocard, grand témoin, le PSU, des idées pour un socialisme du XXème siècle, page 137 (publié en 2013) ; la fraction des chrétiens personnalistes s’y exprime largement pour regretter notamment l’échec de De Gaulle en avril 1969.

Autrement dit, puisque la droite ne fait pas le boulot, le corporatisme doit passer par la gauche … A noter que Rocard y parle des « grèves négatives » du XIXème siècle (page 141) ; des termes qui rappellent ceux employés par B. Mussolini devant les ouvriers métallurgistes de Dalmine en mars 1919 : « vous avez inventé la grève constructive, celle qui ne bloque pas la production … » la deuxième ou « nouvelle » gauche n’invente rien (4).

Comme l’actuel président de la république adepte de la « société sans statut », on y dénonce la « rigidification des statuts ». En somme, un bon programme pour un néo-fasciste vert et autogestionnaire des XXème et XXIème siècles … ce qui n’exclut pas une forme d’humour sans doute involontaire ; Rocard : « Nous étions mauvais élèves de Marx ».

Les envahisseurs rocardiens investissent prioritairement la CGT.

Rocard en 1964 : « nous avions deux ou trois mille militants catholiques et de la dernière énergie. Deux tiers CGT, un tiers CFDT ».  A FO, c’est plus compliqué.

Labi fait figure d’exception.

Labi participe en 1965, aux côtés de Rocard, Maire et Pierre Le Brun (4) (CGT) et quelques idéologues de la « deuxième gauche » à la rédaction d’un « contre PLAN » au Vème PLAN gaulliste, intitulé : Julien Ensemble (5) présenté comme une alternative aux PLANS gaullistes, jugés pas assez « révolutionnaires ». Le corporatisme de la deuxième gauche n’est pas exactement celui du général ; (ce qui n’empêche pas l’ultra réactionnaire Rocard d’être partisan du OUI au sénat « rénové » et du OUI à la « régionalisation » lors du référendum d’avril 1969).

Parmi les contributeurs à « Julien ensemble », Jean Boissonnat (du journal LA CROIX, organisateur des semaines sociales cléricales etc.).

Evidemment, les auteurs nous annoncent que le contre-plan est « une idée neuve ». La préface à trois est l’œuvre de René Bonety (CFDT), Maurice Labi (FO) et l’inévitable Pierre Le Brun (CGT). Labi explique l’objectif : (parvenir) « à un accord sur un programme, un plan commun à toute la gauche et d’abord – et surtout – à l’ensemble des organisations syndicales … il nous faut aussi penser et œuvrer à l’unité syndicale. Agir de façon cohérente et efficace – c’est-à-dire de notre temps – c’est tout cela à la fois ».

Ce genre de « programme » continue d’être défendu, ici ou là …

Leur modèle ? l’idéologie cléricale : « La CFTC fit campagne pour des méthodes de planification plus démocratiques associant les syndicats et les autres corps intermédiaires … Ainsi, les plans se sont accompagnés d’un nouveau pouvoir syndical : dans les commissions du PLAN, comme au Conseil Economique et Social les syndicats disposent désormais d’un droit de regard … les capitalistes ne sont plus parfaitement libres de leurs actes ». Diable ! La logique de co-construction doit permettre d’échapper aux « revendications incohérentes élaborées à la hâte », concernant : (…)  l’augmentation des pensions, l’augmentation des salaires, l’augmentation des prestations de sécurité sociale … »

On y découvre cette définition un peu particulière du socialisme : « Le socialisme s’efforce de promouvoir un enrichissement communautaire de la personne humaine ».

Un corps étranger.

« Ses positions (celles de Labi) lui valurent l’hostilité tant de Robert Bothereau, puis d’André Bergeron, que de la minorité animée par Pierre Boussel (« Lambert ») et Alexandre Hébert, qui l’accusaient de vouloir « intégrer » le syndicalisme à l’État bourgeois ». (Extrait de la note du MAITRON).

Effectivement, ses postions n’ont rien à voir avec le mouvement ouvrier. Et c’est tout naturellement qu’elles se heurtent de front à l’écrasante majorité de la Confédération.

« Les adhérents de FO … se défient des salariés plus jeunes et qualifiés qu’eux, disposant d’un bagage intellectuel supérieur comme M. Labi titulaire d’un doctorat d’études politiques … » écrit dans une thèse de doctorat Jean Hentgen. (juin 2019). Il y aurait donc, la masse des adhérents, les pas instruits, les yeux rivés sur le bas de la fiche de paye, qui veulent travailler moins et gagner plus, qui prétendent jouir le plus tôt possible d’une bonne retraite, bien méritée, et les « instruits », les «intelligents», les « élites » bien bons de tenter d’éclairer le « troupeau » comme on dit dans les encycliques. Une mission bien compliquée puisque semble se plaindre l’auteur, les pas instruits suivent de plus en plus, les thèses d’Hébert et de Lambert, deux mauvais « bergers ».

Alexandre Hébert défend ses positions dans les colonnes de la revue syndicale fondée par P. Monatte.

Alexandre Hébert : « deux siècles de retard ».

Dans le journal fondé par Monatte en 1925, « la révolution prolétarienne », A. Hébert tente de dissiper les illusions des plus naïfs quant à la prétendue « déconfessionnalisation » de la CFTC. Il conclut ainsi son article :

« Je sais qu’il est devenu de bon ton dans certains milieux de mettre le syndicalisme chrétien sur le même plan que le réformisme traditionnel ou le réformisme stalinien.  A mon avis rien n’est plus faux. Cela revient à mettre sur le même plan le DGB et l’Arbeisfront » (le Front du travail de l’Etat national-socialiste). Bien sûr, les belles âmes de gauche (et d’extrême gauche) d’hier et d’aujourd’hui auront trouvé le propos excessif.

Notons que l’article de la RP signé Guilloré qui rend compte du congrès miraculeux de la « déconfessionnalisation » se termine par l’évocation d’un moment terriblement émouvant, suite à la dernière intervention d’un délégué qui n’est pas vraiment n’importe qui : un certain Gérard Espéret. Chef syndical à la CFTC, il rejoint l’équipe des prêtres dominicains menée par le prêtre ultra pétainiste Lebret au sein de « Economie et Humanisme », (7) avec la collaboration, sans vilain jeu de mot, de l’inévitable Perroux ; sans oublier la fraction des patrons chrétiens (Alexandre Dubois) prêts à endosser l’uniforme de la Wehrmacht pour combattre sur le front de l’est le « judéo bolchévisme ».

La revue est financée dès 1941 par Vichy. Lebret, Le mentor du CFDtiste Espéret publie en 1941 « mystique d’un monde nouveau ». Il y explique que la vie de patron est épouvantable à cause des « revendications injustifiées » des ouvriers, revendications non conformes au bien commun et qui chagrinent tant le « chef suprême » à qui l’on doit une totale soumission.

A la Libération, la joyeuse équipe toujours dirigée par Lebret, se convertit à gauche et s’occupe du tiers-monde et de ses malheurs. Il y a de quoi faire.

Bien sûr, par peur des « révoltes » nos missionnaires prétendent être capables de « réguler », de « moraliser » le capitalisme, le « libéralisme ». C’est ce qu’exprime clairement l’encyclique populorum progressio de mars 1967, rédigée pour par l’essentiel par Lebret :

« Déséquilibre croissant : 8 : les peuples riches jouissent d’une croissance rapide, tandis que les pauvres se développent lentement. Le déséquilibre s’accroît

Conclusion
11. Qui ne voit les dangers qui en résultent, de réactions populaires violentes, de troubles insurrectionnels … ?»

Ce sont ces gens-là, les ultra-corporatistes, qui ont mené de main de maître la farce de la « déconfessionnalisation », pas seuls, il est vrai, aux côtés des « reconstructeurs » qui ont suivi, eux, une autre trajectoire.

Lorsqu’Economie et Humanisme est liquidé en 1958 au profit de l’IRFED, Institut international de recherche et de formation, Education et développement, où l’on bavarde toujours du « tiers-monde », les références trop voyantes à l’ordre dominicain sont dissimulées. (De même que le C de CFTC six ans plus tard).

Mais nombre de militants de la « révolution prolétarienne », aveuglés par le mythe de « l’unité », ne veulent rien voir. Ils sont d’autant plus impardonnables que les adeptes de Lebret avaient mis les points sur les i depuis longtemps : « Le retour de la République est plein de menaces … le Maréchal a affirmé les points fondamentaux d’une doctrine de redressement … ceux qui voudront refaire la France devront y revenir … »  (Lebret, août 1944). Était-il possible d’être plus clair ?

« La révolution prolétarienne » rend compte d’un congrès de la fédération chimie FO mené par Labi. C’est en quelque sorte, le second front. Les envahisseurs ne laissent rien au hasard.

Ci-dessous, le lien de la « révolution prolétarienne » avec les différentes contributions.

http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/syndrev/revolutionproletarienne/serieap1947/larevolutionproletarienne-n198.pdf

Pour tout savoir ou presque sur « Economie et Humanisme » on peut se référer à Denis Pelletier que l’on pourrait situer « à la gauche du christ » : « Economie et Humanisme, de l’utopie communautaire au combat pour le tiers-monde, 1941-1966 ». (500 pages, CERF). On y apprend que Marx aurait été … thomiste ! (Adepte de SAINT THOMAS). L’humour dominicain, c’est : no limits

Il est vrai que Thorez avait découvert depuis longtemps que le MANIFESTE DU PARTI COMMUNISTE et RERUM NOVARUM, c’était quasiment bonnet blanc et blanc bonnet …

« L’unité » ? Quelle unité ?

Pour espérer tromper son monde, Labi tente de surfer sur l’aspiration légitime des militants, des salariés à réaliser l’unité des organisations syndicales.

De quoi s’agit-il ? Prenons l’exemple d’une grève dans une entreprise. Les syndicats avec les salariés se mettent d’accord pour revendiquer 10 % d’augmentation de salaire. Dans un premier temps, le patron refuse et joue le pourrissement. Mais les syndicats, encouragés par la base, restent unis sur cette revendication, même s’ils n’ont aucun « projet de société » en commun. Le patron doit en tenir compte et faire un compromis, bien obligé de lâcher du lest. Chacun comprend que dans ce cas, l’unité d’action sur une revendication qui unit tout le monde, sauf le patron, peut permettre de gagner, au moins partiellement. C’est la question du rapport des forces.

Mais avec Labi, il ne s’agit pas de cela. Surtout pas. Plus précisément, cette unité d’action pour une revendication précise qui oppose le patronat aux travailleurs doit disparaître.

La farce de « l’unité organique ».

Avant même la divine naissance de la CFDT « déconfessionnalisée », Labi avait modestement proposé aux directions confédérales CGT, CFTC et FO l’« unité organique ». Il s’agissait d’appliquer les résolutions de congrès du PSU. Bien sûr, l’accord CFDT-CGT de janvier 1966 ouvrait des perspectives. Certains croyaient venus, enfin ! le temps de mettre un terme à « l’isolement » de notre confédération.

Tous les chemins mènent à Rome et à Moscou.

« Labi participa même à un voyage de trois semaines en URSS, à l’invitation des syndicats soviétiques, en compagnie de ses homologues chimistes, Roger Pascré pour la CGT et Edmond Maire pour la CFDT ». (Source : le MAITRON). Voilà un homme de bonne volonté.

Sauf qu’on ne manipule pas une confédération si facilement même – surtout – quand on est le chouchou des médias, qu’on a la bénédiction de la hiérarchie catholique et de l’appareil d’Etat.

André Bergeron succède à Robert Bothereau. Il avait coutume de dire que les politiques ne sont jamais aussi bons que dans l’opposition ce qui faisait dire dans les congrès et les manifs : « qu’ils y restent tous … ! » et plus précisément de nos jours : « qu’ils dégagent tous ! » Après les élections législatives qui suivent la grève générale de mai 68, André Bergeron écrit : « le gouvernement va sans doute donner suite au projet d’association, d’intéressement et de participation … nous préserverons l’indépendance du syndicalisme et sa totale liberté de comportement ». Dans ses mémoires de syndicaliste, le camarade Bergeron écrit avec une satisfaction bien compréhensible que l’épisode Labi avait contribué à creuser un peu plus « le fossé » entre notre confédération et le syndicat du Vatican.

PMF en sauveur.

Le 27 mai 1968, Labi participe au stade Charléty à la grand’messe des adeptes de Pierre Mendès-France. (Voir à ce sujet la brochure de l’UD 44 consacrée à mai 68). Il joue un peu au « gauchiste » – ça ne mange pas de pain – avant de déclarer en 1969 sa flamme au putatif candidat Rocard à l’élection présidentielle ; le corporatiste Rocard sera barré par le corporatiste Mitterrand, tandis que le corporatiste plus moderne, PMF, renonce lui aussi, sagement. C’est qu’au « sommet », la « gauche » est plurielle …

Mais les farces, même les plus mauvaises, doivent bien trouver une conclusion.

En 1971, Labi et son « socialisme autogestionnaire » recueille dans la confédération, 4 % des voix. Les militants font bloc pour contrer l’offensive corporatiste. Bergeron se bat aux côtés d’A. Hébert et des trotskystes. Bergeron explique que si par malheur, le syndicat acceptait de s’intégrer dans les rouages de l’entreprise ou de l’Etat (ou des bidules imaginés par l’Etat pour leur faire prendre en charge l’intérêt général et transformer les syndicalistes en conseillers du Prince), il perdrait toute crédibilité vis-à-vis de ses mandants.

« On ne peut pas – disait Bergeron – être à la fois gouvernants et gouvernés ».

A l’opposé, Labi développe les thèses maintes fois ressassés par tous les corporatistes partisans depuis Mussolini, Marcel Déat et bien d’autres, d’une Chambre des corporations.  Il réclame l’instauration « de toutes une série d’organismes dans lesquels les travailleurs doivent être élus sur des listes syndicales … » ce qui n’est rien d’autre que le programme « révolutionnaire » du PSU.

Ce pauvre Labi, peut-être grâce à son bagage intellectuel supérieur, a finalement compris que sa place était parmi les « modernistes » de la CFDT où il ne servira d’ailleurs plus à grand-chose, mais qui sont bien obligés de l’accueillir.

Alexandre Hébert peut tirer ce bilan très satisfaisant : « Quelle doit être notre règle d’or ? Elle est très simple. Le mouvement syndical ne prend en charge ni les intérêts de la région, ni les intérêts de la nation, il prend en charge les intérêts de la classe ouvrière.  Et les intérêts de la classe ouvrière se défendent par deux moyens : l’action sous toutes ses formes et la négociation des compromis ».

« Le bilan fut (pour Labi) au total très décevant » conclut le MAITRON.  Le pauvre homme en est réduit à retourner au PS, celui du congrès d’Epinay. Là, bien au chaud », dans la tendance de JP Chevènement (8), il prépare pourtant un nouveau transfuge au … PSU, du moins à ce qu’il en reste. Retour à la case départ.

Les voies du Seigneur – la troisième voie, aujourd’hui, la voie verte des jésuites – sont impénétrables.

En conclusion,

La fin lamentable de l’aventure du petit chimiste ne peut nous faire oublier que les adversaires du syndicalisme confédéré libre et indépendant, adversaires de la Démocratie et des Lumières, n’ont pas disparu comme par enchantement, bien au contraire.

La tentation peut toujours être grande, ici ou là, de prétendre mettre l’organisation syndicale au service de l’intérêt général au nom, comme toujours, de « circonstances exceptionnelles » : la crise sanitaire, la crise économique, la crise climatique, faire barrage au « populisme », le « terrorisme » … ou tout ce qu’on veut.

La défense de cet intérêt général aboutit de fait à la soumission à l’Etat, qui, on le constate tous les jours en ces temps d’état d’exception permanent, n’est pas neutre.

  1. Engels rappelle que l’« Etat antique était avant tout l’Etat des propriétaires d’esclaves pour mater les esclaves, comme l’Etat féodal fut l’organe de la noblesse pour mater les paysans serfs et corvéables et comme l’Etat représentatif moderne est l’instrument de l’exploitation du capital». (« l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat »). Tirant les enseignements de la Commune de Paris, Engels et Marx affirment que l’Etat au service de la classe dominante devra être « brisé». « La classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l’Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte ».

A l’opposé PIE XII et ses adeptes autogestionnaires « modernes », néos syndicalistes et autres, considèrent que : « Le bien commun est la fin et la règle de l’Etat … » (radio message Noël 1942). Le modèle social idéal de PIE XII, c’est le corporatisme-fasciste mussolinien ; Mussolini qui résume : « Tout dans l’Etat, rien en dehors de l’Etat, rien contre l’Etat ! ». La messe est dite.

1- Le père du général est encore plus net : « Le 14 juillet, date terrible, date effroyable, date atroce … ! La révolution a été satanique dans son essence». Voilà pour les gaullistes. Côté pétainistes, ce n’est pas mieux. Le fondateur d’ « Economie et Humanisme », le père Lebret, dominicain, écrit en août 1944 : « le retour de la République est plein de menace … Le Maréchal a affirmé les points fondamentaux d’une doctrine de redressement … ceux qui voudront refaire la France devront y revenir ». Quelques-uns de ses amis politiques, recyclés au MRP (Machine à récupérer les pétainistes), avaient su intégrer le Conseil National de la Résistance, avec la bénédiction du Général et de ses alliés pluriels de « gauche ». L’actuel président pense toujours qu’« il manque à la France la figure d’un roi ».

2- Les envahisseurs s’autoproclament volontiers, les « élites » de la nation. Ils s’inspirent des thèses des « uranistes » maintenus en 1945, regroupés autour du directeur du Monde Beuve-Méry qui proclament dans leur bréviaire paru en 1945, « vers le style du XXème siècle» : « Les élites, il faut que les masses les tolèrent, qu’elles admettent leur supériorité ». La révolte des gilets jaunes qui en annoncent probablement de bien plus considérables, montre que ce n’est pas si simple.

3 – On sait que les « grands » médias offrent souvent leurs services aux gouvernements même – surtout – quand ils sont en difficulté. Comme l’écrit l’excellent Léonardo Sciacsia dans « mort de l’inquisiteur » : 

« Les domestiques, ceux qui sont domestiques dans l’âme, sont toujours plus ignobles que leurs maîtres ».

4- Les idées neuves du socialisme ? Pas si neuve que ça. Une courte note en bas de la page 284 nous apprend que : « Staline a écrit d’excellentes choses sur la question nationale, en 1912 … qu’on devrait lire plus souvent». Décidément, les références de ces gens-là ne sont pas les nôtres.

5- Dans ses mémoires politiques, l’agent américain Jean Monnet chante les louanges de Pierre Le Brun mais ne dit rien de Maurice Labi. Le monde n’est qu’une vallée d’injustices.

6- Dans ses 650 pages à la gloire de la CFDT, « l’invention de la CFDT», Frank Georgi note : ce « Julien Ensemble » a « une tonalité peu syndicale ». Ce n’est pas faux.

7- « Economie et Humanisme » reprend à son compte les « principes de la communauté » de Vichy : l’entreprise serait « une communauté de destins».  Le point V des principes énonce : « l’esprit de revendication retarde le progrès que l’esprit de collaboration réalise ».

L’expression communauté de destins est celle de nos « marcheur du XXIème siècle : « Il y a ceux qui pensent que l’entreprise est le lieu de la lutte des classes dans un monde fermé et ceux qui pensent que l’entreprise est une histoire individuelle dans un monde ouvert. Ces deux approches sont caricaturales. L’entreprise est une communauté de destins entre dirigeants et salariés, actionnaires et parties prenantes, fournisseurs et clients ». (Source : programme EN MARCHE).

La fraction CFTC-CFDT-Economie et Humanisme a aussi sévi en Amérique Latine. D. Pelletier écrit : « Dans la genèse du tiers-mondisme, le Brésil servit en quelque sorte de laboratoire et de terrain d’expérimentation » notamment sous la férule du dictateur Vargas. Pelletier explique qu’un réseau se constitue « qui sert de relais aux idées d’Economie et Humanisme et accomplit au Brésil (dans les années 50) ce que le mouvement avait échoué à obtenir en France dans les années quarante ». Brésil, mais aussi Colombie, Chili, Argentine … Sénégal, Liban … La CFDT est parrainée par ce qu’il y a de pire.

8- Des congrès du parti « socialiste » d’Epinay, Jacques Delors disait : « les chrétiens sont présents dans toutes les tendances, dans toutes les motions» avec leur doctrine sociale et leurs méthodes de jésuites ou de dominicains. « Leur dénominateur commun ? la subsidiarité ». C’est pas mal résumé. Delors se réjouit : Rocard, le protestant, a su rassembler toutes les tendances, ou presque, de la chrétienté « progressiste ».

Le 24 décembre 2004, Delors, Rocard, Juppé, Boissonnat écrivent dans le Monde :

« Noël dans la crise, un rendez-vous pour l’espérance … il faut avoir une option préférentielle pour les pauvres … le devoir de solidarité, le bien commun et le principe de subsidiarité … » et Delors de conclure :

« Avec ce concept de subsidiarité, nous rejoignons à la fois les encycliques sociales catholiques et la tradition protestante ».

Dans ses mémoires du secrétariat de la CGT à Vichy, René Belin s’interrogeait sur son engagement à Vichy : « qu’est-ce qu’un homme de gauche allait faire dans cette galère ? »

Labi, homme de « gauche » pouvait se poser la même question.

Chronique des envahisseurs : la contribution de Joachim Salamero.

Ci-dessous, un bon de commande pour l’ouvrage qui reprend de nombreux écrits de Joachim Salamero.

L’Espagne de l’après Franco a connu, elle aussi ses envahisseurs. L’ouvrage édité par la Libre Pensée girondine, consacré à Joachim Salamero comporte un chapitre très intéressant à cette question.

Joachim Salamero y montre que la politique de l’Eglise catholique menée en liaison étroite avec l’appareil stalinien contre l’organisation indépendante de la classe ouvrière est internationale. Le « compromis historique » à l’italienne a pris dans l’Espagne d’après Franco, la forme d’un « pacte », le pacte de la Moncloa globalement soutenu par l’UGT contrôlée par le PSOE mais approuvé sans réserve par les syndicats contrôlés par le PCE.

  1. Salamero explique que dans ce contexte, la reconstruction de la CNT comme confédération ouvrière libre et indépendante, c’est-à-dire opposée à la « co construction » d’un corporatisme d’entreprise se heurte à de nombreux obstacles … Un congrès de la CNT tenu en 1980 rejette les procédures de conciliation et d’arbitrage contraires à l’exercice de la pratique contractuelle ; le congrès prend des positions hostiles au « pacte social ». Il y a deux solutions : résister et construire de vrais syndicats, mais certains délégués craignent d’être « isolés » ; ou accepter le cadre fixé par l’Etat – au nom du « on ne peut pas faire autrement » – et disparaître complètement comme confédération indépendante de l’Etat des partis, sectes religieuses ou autres …

Dans un recueil de textes « l’Etat corporatif », Mussolini expliquait ce qu’est la politique sociale de l’Etat fasciste : « La Magistrature du Travail tranche le conflit en conciliant les intérêts privés avec l’intérêt suprême de la Nation ». Au sommet, l’Etat tout puissant, à l’étage inférieur, les « subsidiaires », les « corps intermédiaires » chargés d’accompagner les « réformes ». Il se trouve à ce congrès CNT, des militants, qui se croient sans doute, sans mauvais jeu de mots, de bonne foi « anarchistes » et en même temps autogestionnaires, qui confondent joyeusement subsidiarité et fédéralisme, qui ne comprennent pas du tout les enjeux que Mussolini expose brutalement … et clairement.

Battre la contre-révolution corporatiste en marche ! Se méfier comme de la peste de tous les variants corporatistes, « surtout ceux qui avancent masqués » (Salamero), surtout lorsqu’ils parviennent à s’incruster jusqu’aux organismes dirigeants des organisations ouvrières.

.JM juin 2021.

chaud ! chaud ! chaud !

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