>Histoire

6 / 12 / 2015

« À gauche de la barricade » 7/7

Indochine (2ème partie) : la question syndicale sous le Front populaire. Article 7/7.

Grèves en Indochine

A la grande stupéfaction des colons, des grèves éclatent dans tous les secteurs de l’économie. 320 coolies de la plantation Michelin de Dau tieng obtiennent … un surplus de riz. 20 000 mineurs exigent « la fin des sévices corporels … et le relèvement des salaires ». A Saïgon, 1200 travailleurs de l’arsenal exigent l’application en Indochine des lois sociales appliquées en France. (Source : Ngo Van, Vietnam 1920-1945 ; il y dresse la longue liste des grèves et conflits divers de 1936, 1937 …

Le gouvernement Blum-Moutet* (ministre « socialiste » des colonies), s’alarme. Un 1er décret daté du 20 juin préconise l’extension en Indochine de nouvelles lois sociales « aménagées » (Ngo Van). Mais les décrets d’application tardent à paraître.


Ngo Van établit ce bilan éloquent du Front populaire : budget de 30 milliards pour la guerre ; blocus de l’Espagne républicaine, fusillade de Clichy ; dissolution de l’Etoile nord-africaine au nom de la lutte contre les ligues factieuses, massacre des grévistes de Metlaoui et M’adilla (Afrique du nord), saisie de journaux ouvriers hostiles à la politique du FP…
Il note aussi : « Les staliniens ne veulent pas contrarier la politique du Front populaire avec la création de syndicats et prônent plutôt la création d’amicales. »

L’administration coloniale – que le gouvernement ménage – refuse l’idée même des conventions collectives. La possibilité d’une limitation à 10 heures des heures de travail est envisagée à compter du 1er octobre ; mais de l’idée à l’application, il y a un monde …

Cette situation de blocage contribue à tendre un peu plus la situation. Les grèves s’étendent à des secteurs jusque-là restés à l’écart : ouvriers des travaux maritimes, cheminots, mécaniciens, chauffeurs ….

La classe ouvrière est certes très minoritaire mais aussi très concentrée ce qui facilite sa mobilisation et provoque la panique des possédants.

La répression qui s’abat sur les « meneurs » ne suffit pas à juguler le mouvement.

Le décret Blum-Moutet du 30 décembre 1936.

Pour tenter d’étouffer la révolution qui gronde, le gouvernement prend des décisions censées rétablir l’ordre et la sécurité des colons :

« Le décret interdisait l’emploi des enfants de moins de 12 ans ». Autrement dit, le semi esclavage reste autorisé à partir de 13 ans. « Les femmes en couche devaient bénéficier d’un droit à un repos sans salaire », droit accordé de fait selon le bon vouloir de l’employeur. « Le salaire minimum serait déterminé par les représentants du patronat, des  indigènes  et de l’inspection du travail ». (L’Indochine du Front popu, c’est toujours la politique drastique d’abaissement du coût du travail).

Le flou de la formule laisse toute latitude « aux petits blancs » pour poursuivre l’exploitation éhontée de millions  « d’indigènes ».

Le décret est tout aussi éclairant pour ce qu’il refuse.

Il n’accorde ni le droit syndical, ni le droit de grève, ni le droit aux délégués. « ( … ) La grève restait un délit et les syndicats étaient condamnés comme sociétés secrètes. Certes,  l’article 3 interdisait le travail obligatoire (forme « moderne » de l’esclavage toujours autorisé) défini par l’article 2 comme tout travail ou service exigé d’un individu pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré en dehors de travaux résultant de ses obligations fiscales et militaires ou de l’obligation d’une peine de droit commun ; l’exception relative aux obligations fiscales et militaires travestissait le travail obligatoire en travail prestataire et permettait donc de le maintenir ». (Ngo Van).


Le tristement célèbre bagne de Paulo Condor où croupissent les « indigènes » réfractaires à l’ordre colonial. Le programme du FP comportait l’envoi d’une commission d’enquête parlementaire pour mieux comprendre les « aspirations du peuple ».

Un projet de refonte du droit ou plutôt de l’absence de droit syndical est publié en juin 1937. Les syndicats tolérés ne pourraient se regrouper en unions ou en fédérations. (Ils devraient être autorisés par les tribunaux. Leurs responsables devraient avoir au moins cinq ans d’ancienneté dans leurs entreprises. Les femmes ne peuvent adhérer au « syndicat » sans l’autorisation de leur mari. Finalement ce projet est purement et simplement passé aux oubliettes.

C’est dans ce contexte que grèves et manifestations marquent toutes l’année 1937. C’est en cette même année 1937 qu’en France le gouvernement de Front populaire s’engage dans la voie anti syndicale, prélude un l’instauration d’un ordre autoritaire de type corporatiste avec la politique de « l’arbitrage » (voir partie V et conclusion générale).

En France, pas plus qu’en « Indochine », on ne peut concilier des intérêts de classes inconciliables. Pas plus en 1937 qu’en 2015. Du 1er juin 1936 au 14 octobre 1937, Ngo Van comptabilise 161 condamnations pour délits politiques ou « entraves à la liberté du travail ».

Le rôle des staliniens.

Loin d’aider à la mobilisation des opprimés et à la constitution de syndicats libres et indépendants, les staliniens ont agi en défense de la politique du Front populaire.

Pur produit du stalinisme, Ho chi Minh impose son pouvoir en écrasant toutes les oppositions. Le 15 décembre 1956, il signe un décret d’interdiction de toute publication indépendante sous peine de sanctions allant de l’emprisonnement aux travaux forcés à perpétuité. Le bagne des colons est fermé ; vient le temps des camps de rééducation dont la devise est : « Le travail, c’est l’honneur ». La conquête des droits syndicaux reste aujourd’hui encore et plus que jamais, un enjeu majeur.

« C’est malgré tout aux cris de vive le Front populaire ! que les staliniens encadrèrent une vingtaine de marches paysannes dans les provinces de Giadinh, Cholon, Mytho ». (Ngo Van).

Leur chef tout puissant Nguyen Aï Quoc (Hô chi Minh) n’est pas loin de penser qu’en Indochine la grève est l’arme des colonialistes ; en « métropole, n’est-elle pas « l’arme des trusts » ? En 1945, il confie à Daniel Guérin : (Source : au service des colonisés 1930-1953): « tous ceux qui ne suivront pas la ligne tracée par moi seront brisés ». Dès lors, les militants syndicalistes indochinois devront faire face à la double répression, celle de la « Sûreté », la police politique de l’Etat colonial, et celle de la police politique des agents du Kremlin déjà engagée en Espagne dans la traque et l’extermination des militants ouvriers anti staliniens de toutes tendances.

En France, il revient à M. Gitton de la section coloniale du PCF de donner le ton en dénonçant les aventuristes, adversaires du FP. Le PCF, les militants Indochinois, les syndicalistes sont sommés de se soumettre à la défense inconditionnelle de la présence française en Indochine.

Le PCF publie en novembre 37 un article intitulé : « La France menacée en Indochine ». On y lit : ( … ) Nous trouvons le principe suivant dans tous les livres d’école du Japon. Notre ligue orientale doit renouveler la vie de l’humanité. Ce qui s’impose, c’est d’orientaliser encore une fois le monde ».

Le PCF en tire cette conclusion :

« Pour marcher vers ce but, le Japon des héritiers des samouraïs et du pouvoir shogunal a engagé la grande guerre de conquête de la Chine. De là, il veut aller plus avant, conquérir d’autres pays, chasser les Blancs d’Asie et nous devons à la vérité et au peuple de France de dire que c’est la France qui sera la première en danger en Indochine. ( … ) La France peut être bientôt attaquée en Indochine ».

Sur place, les adeptes de « l’oncle HO » en rajoutent :

« Même si la France ne nous donne pas la démocratie, il faut soutenir son gouvernement ».

C’est en vertu de ces principes de soumission à la « France », la France coloniale, que les militants staliniens sont tenus de ne rien faire qui puisse favoriser l’expression indépendantes des travailleurs indochinois. Pire, ils commencent une campagne de diffamation, traitant les ouvriers Indochinois qui constituent leurs syndicats d’agents du fascisme japonais.

M. Gitton s’illustre dans ce rôle qui lui semble taillé sur mesure. Il faut rappeler que cet individu fonde en 1940 un fantomatique parti dit ouvrier et paysan, partisan de la « révolution nationale » de Vichy. La boucle est bouclée.

*Dans une note à l’intitulé révélateur, l’agitation anti française en Indochine, Marius Moutet écrit, pour justifier la répression anti syndicale :

« Les grèves ont eu aussi pour résultat de favoriser la création d’associations ouvrières dont le but réel n’est nullement celui d’organismes de défense des salariés ». Moutet ne peut même simplement écrire le mot syndicat. Il semble aussi faire allusion, sans le nommer précisément au sentiment croissant en Indochine » d’en finir avec « l’œuvre civilisatrice » de la Métropole et d’accéder à l’indépendance.


L’analyse de Daniel Guérin, militant SFIO, responsable des questions coloniales, souvent très critique de la ligne du parti socialiste tranche avec nombre d’idées reçues :

( … ) La reconnaissance des syndicats est, paraît-il, à l’étude. Mais avec quelles restrictions ! Soumis au régime de l’autorisation préalable constamment menacés de suspension ou de dissolution, contraints d’envoyer dans les huit jours à l’administration les procès-verbaux de leurs assemblées, ne pouvant élire leurs responsables qu’ en présence d’un représentant des pouvoirs publics, empêchés de se grouper en unions et fédérations, les syndicats n’auraient (comme en régime fasciste) de syndicats que le nom…

C’est clair et net.

 

Conclusion générale

Au terme des éléments fournis dans ces sept articles, on voit bien que les acquis de 36 sont exclusivement ceux de la mobilisation des travailleurs sur leur propre terrain de classe. Ce n’est pas un hasard si l’actuel gouvernement soutenu par le MEDEF et la CFDT tente de les remettre en cause. (Comme ceux de la Libération).Un des points majeurs de la politique du Front populaire, c’est l’instauration d’un régime autoritaire par la volonté d’imposer l’arbitrage contre la libre négociation des salaires. C’est dans l’arsenal anti ouvrier de la politique « sociale » de l’Eglise catholique que les « novateurs » de l’époque vont puiser leurs idées.

Ferdinand Cavarella, Professeur à l’Institut Catholique de Toulouse a écrit en 1933 un « précis de la doctrine sociale catholique » qui fait autorité dans ces milieux- là. Le chapitre XIII est consacré aux « conflits du travail, grèves et arbitrage ». On y lit :

« Quelle que soit la bonne volonté des intéressés (patrons et ouvriers) il est impossible que des divergences d’opinion ne se produisent de temps à autre sur les problèmes touchant l’organisation du travail. ( … ) La solution peut être recherchée par la voie pacifique de la conciliation et de l’arbitrage ou par la voie violente de la grève et du lock-out.( … ) Il faut donc à la tête des syndicats des hommes probes, à vues larges, sachant comprendre la pensée de la partie adverse, désireux du bien général et ne s’inspirant pas uniquement de l’esprit de caste ou de classe … ( … ) Quant à l’Etat, son devoir est d’abord d’intervenir pour amener une solution pacifique, avant que le conflit ne s’envenime et provoque une solution violente, en particulier en empêchant l’intervention des meneurs … » Toute ressemblance avec des situations contemporaines est évidemment fortuite.

Les fonctionnaires sont tout particulièrement choyés.

« Un cas particulier est celui de la grève des fonctionnaires. Il ne saurait être assimilé à celui des salariés ordinaires. L’intérêt général ici prime tout et on n’a point le droit de le mettre en cause pour des intérêts particuliers… »

La logique de ces affirmations mène inéluctablement au fascisme. D’ailleurs, dans le prolongement de l’encyclique quadragesimo anno (1931), le distingué professeur ne cache pas son admiration pour le régime mussolinien ; parlant des concordats qui doivent associer les Etats et l’Eglise, qu’ils soient plus ou moins démocratiques ou pas du tout, il affirme :

( … ) La forme de Concordats est celle que prennent plus habituellement ces accords. L’un des plus parfaits comme l’a signalé le pape Pie XI lui-même est celui qu’il a signé avec l’Italie … », l’Italie sous la botte fasciste.

J. M Novembre 2015

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