Interviews 26 / 03 / 2020
Interview de Libération
Yves Veyrier, FO : «Concentrons-nous sur les activités strictement essentielles»
Pour le secrétaire général de FO, Yves Veyrier, priorité doit être donnée à la santé des travailleurs et à la gestion de la crise sanitaire. D’où son appel à concentrer les efforts sur les secteurs essentiels, en stoppant toutes les activités non nécessaires.
Il y a deux discours contradictoires. La pression monte sur le respect du confinement et, dans le même temps, il y a cette petite musique sur les risques pour l’économie qui pourrait avoir du mal à repartir en cas d’arrêt trop brutal. Il faut arrêter avec cela ! On manque de moyens de protection indispensables à la sécurisation en général, et des salariés en particulier. Au lieu de se disperser pour essayer de maintenir des activités qui n’ont pas un caractère d’urgence, concentrons-nous sur celles strictement essentielles et arrêtons les autres. Les hésitations du gouvernement conduisent à une incompréhension. Si on tergiverse, on va aggraver la situation.
Les salariés ne risquent-ils pas d’en pâtir, si le pays plonge dans la récession, comme le craint l’exécutif ?
Plus vite on viendra à bout de cette épidémie, plus strict sera le confinement, et plus vite on pourra relancer l’économie. On nous vantait la semaine dernière l’accord à l’italienne sur le maintien de la production dans l’industrie, et entre-temps, l’Italie a décidé d’arrêter tout ce qui n’est pas essentiel. Ne nous y mettons pas à contretemps. Les gens ne sont pas des faignants, quand l’activité sera relancée, il y aura un vent d’engagement pour faire en sorte que l’économie reparte sans remettre en cause les droits des salariés.
Il y a des choses positives dans ce texte, comme les aides économiques qui permettront de maintenir l’emploi et le pouvoir d’achat des salariés, le report de l’assurance chômage, même s’il fallait aller plus loin en supprimant aussi les règles en vigueur depuis novembre, les mesures visant à suspendre les procédures de licenciement. Celles visant à déroger aux règles en matière de congés payés et de durée du temps de travail sont en revanche superfétatoires. Ce n’est pas la priorité. C’est même contre-productif : n’ajoutons pas au risque épidémique, un risque d’épuisement du fait de l’intensification du travail, avec des journées de travail plus long ou du temps de repos en moins. Actuellement les entreprises font d’ailleurs l’inverse : elles réduisent les plages d’ouverture, ralentissent les chaînes de production pour éviter que les gens soient trop concentrés sur les lieux de travail.
La ministre du Travail devrait se concentrer sur l’intitulé de son ministère qui est le Travail, et pas l’Economie et les Finances. A mélanger les genres, on arrive à des contradictions.
C’est incompréhensible que l’on s’interroge sur le bien-fondé du droit de retrait, parce que tout d’un coup on est confronté à une utilisation massive potentielle. Ce ne sont pas les salariés qui sont responsables de cette situation ! Quand ces derniers font appel à leur droit de retrait, c’est qu’ils estiment qu’il n’y a pas sur leur lieu de travail les dispositions qui préservent leur santé. Quant aux autres salariés des secteurs essentiels, ils sont conscients de l’importance de leur mobilisation, mais ils n’ont pas envie d’y laisser leur peau. D’où leur appel au secours face à l’insuffisance des moyens. La réponse ne peut pas être une lecture alambiquée du droit de retrait. Il faut des dispositifs adaptés.
Cette situation, on la connaissait déjà. Il y a quelques semaines, FO avait lancé une campagne pour réclamer une meilleure considération de tous les emplois de service à la personne. Ce sont souvent des emplois peu ou pas regardés, alors que leur rôle est essentiel. Un ingénieur financier qui va très bien gagner sa vie ne peut exercer son métier que parce que quelqu’un s’occupe de ses enfants, de ses parents, fait son ménage. Or, tous ces gens indispensables sont souvent en emplois précaires, à temps partiel, rémunérés au smic.
Je pense aux salariés des Ehpad, aux caissières, aux agents du nettoyage, aux routiers, aux employés de l’agroalimentaire… Il y a un problème de considération de ce qui est important dans notre société. Ce n’est pas équilibré, indépendamment de la situation de l’épidémie. Et plus encore aujourd’hui, en situation de crise. Il y a des images terribles : des «cols blancs» partis à la campagne avec famille et ordinateur, qui, à peine arrivés vont faire les courses dans la supérette du coin, sans aucune protection pour la caissière. Cela soulève de vraies interrogations.
S’il s’agit d’une forme de rémunération du risque, on n’est pas d’accord. Par contre, s’il s’agit d’enfin revaloriser ces métiers, si c’est un premier geste qui va dans ce sens, d’accord. Mais le Medef a déjà dit que toutes les entreprises ne pourraient pas verser la prime. Nous ne voudrions pas non plus que ce soit un coup isolé. Il faut une revalorisation pérenne de ces métiers, en termes de qualité de l’emploi et de rémunération. Et surtout, la priorité doit rester la santé.