>Histoire

24 / 02 / 2024

Troisième partie. Portugal. Avril 1974, mars 1975.

Le combat pour construire des syndicats indépendants.

Plusieurs gouvernements « d’union nationale » se succèdent. Les partis  traditionnels de ce que l’on appelle la « gauche » travaillent aux côtés de partis de « droite » souvent constitués d’anciens salazaristes vaguement repentis. Ces débris de la dictature sont généralement qualifiés de représentants émérites du « libéralisme ».

Il ne faut pas oublier le Mouvement des Forces Armées (MFA). Son leader, le général Vasco Gonçalves  a remplacé son collègue, le général Spinola. Les journalistes bien informés de la bonne presse française disent que Vasco Gonçalves est plus à « gauche » que Spinola. Sous entendu, on espère que les militants syndicalistes seront compréhensifs. Hélas, notre général progressiste déclare tout juste un an après la chute du régime honni :

« La dure vérité est que nous vivons au-dessus de nos moyens. Une austérité totale est une nécessité impérieuse ! ».

On est en terrain connu.

Salazar a prononcé la même phrase, des centaines de fois, tout au long de ses quarante années de règne mais dans un contexte où toute action revendicative pouvait entrainer la mort.

Mais ce n’est plus le cas en 1975. Par la grève, la classe ouvrière a arraché des augmentations de salaires. 

Le général « progressiste » ne l’admet pas.

Du Salazar tout craché.

 Pour assurer la poursuite de la politique d’austérité de l’ancien meilleur économiste du Portugal, (Salazar) il faut discipliner la classe ouvrière. Il faut l’empêcher de construire l’outil indispensable à la défense de ses intérêts particuliers : le syndicat indépendant.

Dans l’urgence, staliniens et généraux cherchent à détruire les « commissions ouvrières » qui, en toute illégalité, certes, ont commencé à ouvrir les livres de compte des patrons, y compris des patrons « patriotes » chers au PCP.

Parallèlement, un projet de loi est concocté par les têtes pensantes du MFA et certainement par quelques « conseillers ». En voici les éléments essentiels.

L’article 9 prévoit :

« Les associations syndicales obtiennent la personnalité juridique par l’enregistrement de leur statut au ministère du travail (statuts reconnus devant notaire) ; le ministère peut (ou pas) faire procéder à la publication des statuts dans les bulletins du ministère ou dans le quotidien du gouvernement afin que la demande d’enregistrement soit fondée sur la légalité ».

  Le gouvernement peut refuser la légalisation ou même dissoudre un syndicat estimé par lui, illégal.

Il peut se prononcer sur toutes révisions des statuts. Autrement dit, le syndicat ne peut pas s’administrer librement. C’est le paragraphe 6 de l’article 9 qui institue « un tribunal de révision » placé sous la tutelle de l’Etat. Autant de dispositifs baptisés « progressistes » par les staliniens, dispositifs qui rappellent ceux imaginés par le régime tyrannique du chancelier Dolfuss  en Autriche en 1934. (Un régime corporatiste « pur » qui avait reçu les faveurs de l’ « européiste » forcené Robert Schuman, de Mussolini,du Vatican, et de beaucoup d’autres).

Placer le syndicat en permanence sous la menace d’une dissolution par définition arbitraire, n’est-ce pas le meilleur moyen de le tenir en laisse ?

L’article 18 offre au patronat la compétence de prélever la cotisation syndicale. Patrons, ouvriers (techniciens) tous frères dans l’entreprise, tous « collaborateurs » comme certains disent aujourd’hui.

L’article 21 indique que : « seules les commissions syndicales peuvent convoquer une réunion de travailleurs dans l’entreprise ». C’est rendre illégale les commissions ouvrières indépendantes qui ont dans les entreprises organisé des assemblées générales du personnel, ont établi les cahiers de revendications, sans attendre l’autorisation de personne et ont démocratiquement discuté des moyens de les faire aboutir.

Le MFA et le PCP veulent des syndicats étroitement contrôlés, intégrés à la nouvelle gouvernance. Mais s’agit-il alors encore de syndicats ?

L’article 41 précise : « une loi spéciale règlera l’exercice de la liberté syndicale des serviteurs de l’Etat, des administrations publiques et des administrations locales ».

D’où vient cette prétention de faire des fonctionnaires des « serviteurs de l’Etat » ? Il ne manque plus que le serment d’allégeance au guide du moment. C’est affirmer que les fonctionnaires ne sont pas des citoyens comme les autres.

Il ne s’agit ni plus ni moins que de réintroduire un ordre « corporatiste » adapté à la nouvelle situation. Cette loi syndicale est en réalité une loi anti syndicale.

Pour imposer cette loi, le P«C»P et dans son sillage, une « intersyndicale » de circonstance placée sous contrôle de l’appareil stalinien vont organiser, avec le soutien bruyant de l’armée, une manifestation en faveur de l’ « unité syndicale » (janvier 1975). La manipulation est grossière.

Le message est clair : personne, aucune organisation ne doit échapper au cadre de l’union sacrée que suppose l’acceptation de l’austérité. L’accord PCP-MFA est total sur la ligne : « corporatisme syndical (« unité syndicale » pour les naïfs) tout de suite », pour « sauver » l’économie et à marche forcée ! … dans un seul pays pourraient compléter des esprits taquins …

Le FIGARO apprécie cette photo. Des militaires soucieux du maintien d’un certain « ordre » … pour une minorité de portugais.

«  A la solidarité avec les militaires nous préférons, quant à nous, la solidarité avec les travailleurs ». (Alexandre Hébert).

Le PCP monte au front.

Les prises de position du parti stalinien, l’un des plus disciplinés en Europe* ont de lourdes conséquences dans la mesure où il influence nombre de militants syndicalistes.

Les militaires du MFA ont proposé à la « nation » l’adoption d’un « pacte » ; dans quel but ? Le pacte doit permettre de « mener la bataille de la production ». Ce qui concrètement signifie deux choses : d’abord, obligation d’augmenter les cadences ; ensuite, baisser les salaires puisqu’il faut juguler les « déficits ». Rien de bien nouveau. C’est travailler plus et plus dur pour gagner moins. 

Cette orientation, néo salazariste ne peut que se heurter frontalement aux aspirations des portugais qui veulent, eux, en finir avec toutes formes de salazarisme et vivre bien de leur travail. 

Seul, le MFA ne peut tromper l’ « opinion ». Il lui faut des alliés.

C’est tout naturellement que le parti stalinien se propose. 

Le MFA lui rend hommage ainsi qu’aux syndicalistes qui lui sont liés : « Le PCP est réellement engagé dans la mobilisation populaire pour la production ».

Au risque d’en faire un peu trop, Alvaro Cunhal, le secrétaire général, n’hésite pas à offrir ses services directement aux capitalistes.

Dans la revue la nouvelle critique, que les militants ne lisent pas, il affirme bravement :

« Nous disons OUI aux capitalistes portugais, OUI, vous pouvez gagner de l’argent, non pas à des taux comme hier à 200 %, mais vous pouvez en gagner. Et nous le disons aux représentants des multinationales : si elles ne veulent pas freiner le développement de l’économie portugaise, si elles respectent les lois portugaises, si elles n’interviennent pas dans la vie politique du pays, les multinationales peuvent rester, elles peuvent investir. Et nous l’avons fait savoir aux ambassadeurs  de Grande-Bretagne et des Etats-Unis ».

On dirait aujourd’hui, mais seulement si l’on est moderne : « chouse Portugal !». Vous y ferez du bon business.  Le WALL STREET JOURNAL ne s’y trompe pas, qui encense – un peu goguenard toutefois – la politique « révolutionnaire » du grand parti de la classe ouvrière.

Les militants syndicalistes, qu’ils relèvent directement de la sphère d’influence du « parti » ou pas et qui n’ont eu ni la lucidité ni le courage de rompre avec cette politique réactionnaire ont rendu de bien mauvais services aux travailleurs portugais.

Les jaunes aux chantiers de la Lisnave.

Le directeur des chantiers, un ancien membre de la PIDE miraculeusement recyclé « démocrate », ou « patron patriote » selon la terminologie des chefs staliniens, est confronté à la grève.

Une AG des grévistes votent à une écrasante majorité pour la grève « jusqu’à satisfaction des revendications ». 

Les ouvriers ont le mauvais goût d’exiger une augmentation des salaires et une réduction du temps de travail. Travailler moins, pour gagner plus ! C’est la Charte d’Amiens confirmée et les différentes Chartes du travail, condamnées. Pour aggraver leur cas, les ouvriers oublient de demander aux multinationales d’investir au Portugal …

On voit bien à quel point ces 5000 ouvriers grévistes sont arriérés … voire des agents conscients ou inconscients de l’ex PIDE !

Les représentants du  parti  votent contre la grève. L’appareil stalinien, c’est la trahison permanente « dans la durée ».

Tentation totalitaire.

Cette politique brutalement anti ouvrière s’accommode mal de la liberté de la presse.

Le quotidien REPUBLICA dont il a déjà été question s’obstine à ne pas vanter les mérites de la politique commune MFA-PCP. Le PCP exige et obtient la mise sous scellés du quotidien, comme aux temps de Salazar …

Et, comme toujours, il se trouve quelques parasites « radicalisés » qui écument les AG de grévistes pour expliquer que la politique des chefs staliniens et de leurs exécutants « syndicaux » … n’est « pas assez révolutionnaire ».

Ouvriers des chantiers en grève et manifestations. Les dirigeants « syndicalistes » qui obéissent aux ordres des chefs staliniens expliquent qu’ils sont manipulés par les anciens agents de la police politique salazariste.

  • Une victoire de la révolution socialiste au Portugal aurait les plus fâcheuses conséquences pour les dirigeants « communistes » du Kremlin en remettant en cause l’équilibre des forces acté aux conférences de Yalta et de Potsdam.

Document : L’Ouest Syndicaliste, mars 1975. 

Extrait de l’éditorial d’Alexandre Hébert.

« ( … ) Plus grave est, à nos yeux, ce qui se passe au Portugal où les travailleurs qui se sont engouffrés dans la brèche ouverte, par les militaires, dans le régime vermoulu de Salazar se trouvent en butte à toutes sortes de manœuvres. 

La loi inique sur «l’unité syndicale» impose au Portugal un syndicat officiel et interdit aux travailleurs portugais de constituer librement des syndicats de leur choix. 

C’est ainsi que de cette loi stipule:  «Après la réception de la demande d’enregistrement d’un syndicat (dont les statuts doivent être reconnus devant notaire) le Ministère du Travail (qui seul confère la légalité après que le syndicat a fait enregistrer ses statuts devant le Ministère du travail) peut faire procéder à la publication des statuts dans les deux premiers numéros du bulletin du même ministère ou dans le quotidien du gouvernement afin que la demande d’enregistrement soit fondée sur la légalité». 

Ainsi le gouvernement a qualité pour déclarer légal ou illégal un syndicat créé par des travailleurs. 

Et l’article 37 de cette loi scélérate va jusqu’à déclarer: «Le contrôle de la légalité de l’activité des associations syndicales est de la compétence des tribunaux». Comme on peut s’en rendre compte, le contrôle de l’activité des syndicats cesse d’être de la compétence des travailleurs portugais pour devenir celle… du gouvernement. Pas étonnant, dans ces conditions, que l’article 18 prévoit: 

«Paragraphe 1: il est de la compétence du patron de prélever les cotisations syndicales et de faire parvenir les cotisations syndicales au syndicat». 

Enfin et ce n’est pas le moins grave, l’article 41 sépare les travailleurs du secteur public de ceux du secteur privé en déclarant: «Une loi spéciale réglera l’exercice de la liberté syndicale des serviteurs de l’État, des institutions publiques et de l’Administration locale». D’un côté les travailleurs du privé, de l’autre les fonctionnaires… Où est l’unité tant vantée par les staliniens de la C.G.T.? 

En vérité, il ne s’agit pas de la seule unité syndicale possible qui ne peut résulter que de la volonté des travailleurs eux-mêmes mais du syndicat unique imposé pas l’État garant des intérêts de la bourgeoisie. 

Les socialistes portugais ont condamné cette loi. Ils ont droit à notre solidarité. A la solidarité avec les militaires nous préférons, quant à nous, la solidarité avec les travailleurs ».

JM 24-02-2024.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

>Suite

Calendrier de l’UD : cliquez sur les jours

<< Avr 2024 >>
lmmjvsd
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30 1 2 3 4 5