15 / 10 / 2022
Le régime macronien multiplie les C.N.R. décentralisés, sans doute pour faire plus proche du « peuple », des C.N.R. sortis de la cuisse de Jupiter, sur toutes sortes de sujets. Il semble bien que le sigle magique, C.N.R. autorise toutes les ignominies. Il y a les C.N.R. pour « sauver » l’école ou pour « sauver » l’hôpital que le pouvoir continue de maltraiter dans la continuité parfaite des gouvernements précédents. Il y a même un C.N.R. pour « bien vivre » la fin de vie … Que vont-ils encore inventer ? On peut s’attendre à tout et surtout au pire.
En réalité, tout cela n’intéresse personne ou presque, chacun étant préoccupé par les conséquences désastreuses de la politique d’austérité, baptisée, « sobriété heureuse » par les jésuites verts qui nous gouvernent.
2/2 Rupture totale avec Vichy ?
Suivent toute une série de points avec lesquels l’immense majorité des citoyens ne peut qu’être pleinement en accord. Par exemple :
« Le rétablissement du suffrage universel ».
Très bien.
Mais le droit de vote pour les femmes n’est toujours pas mentionné. Il faudra attendre le 5 octobre pour qu’une ordonnance paraisse sur le droit de vote pour tous. (Tous, signifiant toutes et tous, évidemment). « Mesurant la force du courant » (expression de De Gaulle) ceux qui s’y opposaient encore doivent bien s’y résoudre.
Ce qui n’empêche pas l’Humanité d‘affirmer en 2022 : « Ce programme a permis de mettre en œuvre des avancées majeures (dont) le vote des femmes ». Il faut oser.
« La pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression ».
Il est évident qu’une fraction du C.N.R. voue une exécration sans limite à ces trois fondements de la démocratie mais le rapport des forces du moment les incite à la prudence.
« La liberté de la presse, son indépendance vis-à-vis de l’Etat, des puissances d’argent … »
Bien. Mais concrètement, comment l’imposer ? 75 ans plus tard, on s’en éloigne toujours.
Dans un livre intitulé « à l’échelle humaine » publié en 1945, Léon Blum écrit :
« On ne peut évoquer sans honte le tableau de la grande presse en France depuis ces vingt dernières années (pourquoi seulement vingt ? En 1791, le pape PIE VI qualifie la liberté de la presse de « droit monstrueux ») et l’on ne saurait disconvenir sans mauvaise foi que sa vénalité presque générale, traduite à la fois par une déchéance morale et par une déchéance technique, (?) n’ait été un foyer d’infection pour le pays tout entier ; mais la grande presse dépendait entièrement de grands milieux d’affaires, c’est-à-dire qu’elle était bourgeoise ».
Blum a raison sur un point. La presse « vénale, bourgeoise » a constitué un foyer d’ « infection » … (Voir : le bal des domestiques …)
Mais pourquoi « Dépendait … » ? L’emploi de l’imparfait est bien optimiste. Quelles mesures concrètes les représentants de la « bourgeoisie » qui siègent au C.N.R. pourraient-ils bien prendre pour mettre un terme à cette « honte », à la « vénalité » de la presse ? Evidemment aucune. Auraient-ils l’idée saugrenue de scier la branche sur laquelle ils sont assis ?
Laisser entendre le contraire, n’est-ce pas se moquer du monde ?
« La liberté d’association, de réunion et de manifestation ».
Ces droits démocratiques élémentaires ont été piétinés par Vichy. René Belin donné avant-guerre comme le successeur possible de Léon Jouhaux, y a directement participer, y compris en procédant à la dissolution de la CGT comme confédération, ce que le « programme » du C.N.R. « oublie » de dénoncer.
C’est sans doute que parmi les 18 fondateurs du C.N.R. quelques-uns d’entre eux – en réalité, la majorité – rêvent d’une France « réconciliée », sans CGT, ce serait plus simple pour eux, ou, à défaut, avec une CGT « force de propositions », « co-constructive de consensus », intégrée à la « gouvernance ».
La mobilisation des travailleurs a imposé la restauration des droits démocratiques les plus élémentaires, droits que les représentants de la classe collaborationniste vont tenter de remettre en cause dès qu’ils le pourront.
Tous ces droits sont aujourd’hui encore toujours plus contestés comme le rappelle régulièrement et opportunément la Confédération Syndicale Internationale et comme chacun peut le constater, notamment depuis l’affaire de la pandémie. En France, comme partout dans le monde.
« Le respect de la personne humaine ».
C’est la petite touche des personnalistes chrétiens du groupe Mounier-Beuve-Méry, revenus à temps de Vichy (et de Rome) et de ses miasmes, pour endosser les habits neufs du corporatisme « progressiste » éthique et durable.
« L’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi ».
Bravo !
Mais le « peuple libéré par les « alliés » n’est pas « invité » à se prononcer. Que veut-il le peuple ? un général-Bonaparte tout puissant ? un gouvernement d’union nationale ? ou bien plutôt une assemblée constituante souveraine ?
Ces avancées démocratiques, même limitées, sont pourtant absolument contradictoires avec le régime corporatiste vieillot de Vichy, avec sa Charte du travail, ses chantiers de jeunesse, sa chape de plomb policière, sa milice, son racisme, ses militaires, ses prêtres … prêtres en soutanes, latinistes distingués ou pas, ou déguisés en « socialistes ».
« Afin de promouvoir les réformes indispensables … ».
Le « programme » propose « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ».
« Le retour à la Nation des grands moyens de production … richesses du sous-sol, compagnies d’assurance et grandes banques… » S’agit-il d’une rupture avec le vieux monde pourrissant du capitalisme ?
Il y a eu à la Libération des nationalisations. Il fallait relancer la machine économique. Le patronat, totalement discrédité n’avait pas les reins assez solides pour s’y opposer. Même le PCF qui était radicalement hostile aux nationalisations en 1936, y était cette fois favorable.
Il arrive encore que des partisans convaincus du « libéralisme économique » choisissent la nationalisation pour « sauver » un secteur économique jugé en difficulté, en difficulté le plus souvent du fait même de leur activité spéculative parasitaire : nationaliser les pertes et, surtout, privatiser les profits ! Tel est toujours leur crédo.
La nationalisation n’est pas en soi une mesure socialiste surtout si elle s’accompagne de grasses indemnités.
Le programme annonce :
« Une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l’image des Etats fascistes ».
Commençons par la fin : … la dictature professionnelle instaurée à l’image des Etats fascistes. S’il s’agit de condamner, mais bien sûr sous toutes ses formes, l’association capital-travail, c’est-à-dire le corporatisme, avec ses chartes du travail, ses « pactes sociaux », ses « co-constructions de consensus » et autres « diagnostics partagés » divers, ses pactes de stabilité … très bien.
Mais alors pourquoi prétendre imposer, dans la même phrase qui plus est ! « la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général » ? N’est-ce pas réintroduire ce que l’on a fait mine – comme disent les enfants – de condamner par ailleurs ? Mais ici, les rédacteurs ne sont ni des enfants, ni des enfants de chœur. N’y aurait-t-il pas comme une volonté d’enfumer ?
Lorsque dans une entreprise ou un service public des salariés revendiquent par exemple 10 % d’augmentation des salaires, ils ne subordonnent pas leurs intérêts particuliers à l’ « intérêt général » ; ils défendent avec leur(s) syndicat(s) leurs intérêts particuliers et cela seul suffit. Cette attitude syndicale responsable suscite toujours l’indignation, la hargne, voire la haine des classes possédantes et de leur « presse » vénale. Quoi de plus logique ?
Alors que l’ordre corporatiste n’est pas encore mis à bas, certains cherchent déjà à le réintroduire par effraction dans un programme commun aux deux classes et donc, à y associer la CGT.
Comment est-ce possible ?
S’il fallait retenir une seule ligne des milliers de pages des « œuvres » de De Gaulle, ne serait-ce pas : « La politique sociale de Vichy n’était pas sans attraits ». Au moins, a-t-il eu le mérite d’annoncer la couleur.
Cette orientation d’inspiration purement corporatiste, on la retrouve au cœur du « programme » béni par l’appareil stalinien, par l’Eglise catholique, par les forces « démocratiques » et « patriotiques » associées au C.N.R.
Mais la CGT devait-elle prendre en charge l’ « intérêt général » ? Au risque de très vite se déconsidérer aux yeux de ceux qui vont être appelés à « produire toujours plus » et surtout à ne rien revendiquer, alors que les prix des produits de première nécessité s’envolent.
Le programme préconise,
« l’intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’Etat après consultation des représentants de tous les éléments de cette production ».
Un plan arrêté par l’Etat ? Mais l’Etat n’est pas neutre. Il est le garant des intérêts de la classe qui gouverne réellement, c’est à dire la classe capitaliste.
L’agent américain Jean Monnet établira ce « plan » en collaboration étroite avec Pierre Lebrun du Bureau confédéral CGT ; Lebrun, admirateur du corporatisme « moderne » de Jean XXIII, pas pétainiste pour deux sous celui-là, bien sûr ! Lebrun couvé par l’appareil stalinien, du moins, tant qu’il lui a été utile. Lebrun, un « co-constructeur de consensus », en somme, une sorte de pionnier …
Côté pile, les chefs staliniens feront mine de prendre des distances avec le PLAN de Monnet. Côté face, ils participeront aux commissions de mise en place tout en dénonçant avec la brutalité qui est leur marque de fabrique les « trahisons des réformistes ». Classique.
Dans ses « mémoires » de Gaulle rend hommage aux chefs staliniens sans lesquels la restauration de l’Etat eût été bien compliquée à mener à son terme : « ( …) Le PCF va donc tirer lui aussi la lourde charrette … » Fouette cocher !
Politique périlleuse. Les dirigeants du PCF et leurs représentants dans la CGT devaient se présenter comme les héritiers d’octobre 1917 et dans le même temps s’afficher comme les plus ardents défenseurs du retour à l’ordre « républicain » assimilé frauduleusement à la Démocratie.
Jean Monnet, ancien marchand de Cognac devient le champion de l’Europe vaticane …
A la vérité, pour la CGT-FO, la tentation aura été forte de s’y impliquer. L’UD CGT-FO 44 n’aura pas ménagé ses efforts pour que la Confédération retrouve par la libre discussion, sans anathème, sa liberté d’action complète, sa « liberté de comportement » comme disait Marc Blondel. Un combat de tous les instants qui finira pas être payant puisqu’un congrès confédéral tenu en 1962 indique que le plus grand danger qui menace la Confédération CGT-FO, c’est l’intégration corporatiste. Position qui débouchera sur le double NON au référendum d’avril 1969 et à la chute du général-Bonaparte, mais pas à la fin de sa politique poursuivie avec des aménagements par le duo Chaban-Delors.
« Sur le plan social… », le programme préconise « un rajustement important des salaires. » C’est bien vague.
Comment s’assurer que ceux qui vont payer la « reconstruction » ne seront pas en premier lieu ceux qui ont le plus souffert de la guerre, ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre, les salariés, les travailleurs ?
Ne faudrait-il pas comme toute première mesure d’urgence rétablir les conventions collectives avec son corollaire, le droit à la libre négociation des salaires ?
Le « programme » du C.N.R. n’y fait pas la moindre allusion. Dans un article paru dans LE PEUPLE, publication de la CGT, daté du 21 juillet 1945, Léon Jouhaux n’a-t-il pas raison de dénoncer ?
« ( … ) Dans cette superstructure de commissions et de sous-commissions (du PLAN), les conventions collectives du travail sont ignorées ». Comment pourrait-il en être autrement puisque le PLAN a précisément pour fonction essentielle de remettre le régime d’exploitation capitaliste en ordre de marche en pressurant toujours plus les salariés ?
28 septembre 1945
Léon Jouhaux poursuit :
« Elles sont cependant (les conventions collectives) la concrétisation directe des revendications ouvrières en même temps qu’elles mesurent la puissance d’action de nos revendications et qu’elles stimulent leur combativité, tant par leur garantie d’exécution que pour assurer leur développement progressif. Le droit syndical trouve en elle sa plus forte expression … »
N’est-ce pas précisément pour toutes ces raisons que les partisans d’un ordre nouveau basé sur les vieilles théories de l’association capital-travail ne veulent pas entendre parler de conventions collectives ?
Il semble bien que la « subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général » soit incompatible avec le rétablissement des conventions collectives généralisées par la grève générale de mai-juin 1936 (et non pas généreusement octroyées par le gouvernement de Front populaire, simple gestionnaire de la crise du capitalisme comme l’a été le New-Deal aux EU).
C’est la CGT-FO qui en 1950 imposera par la grève le rétablissement de la pratique contractuelle. (Voir : document à suivre).
Louis Saillant, CGT, devient en septembre 1944 le 3ème et dernier président du C.N.R. Le gouvernement d’union nationale surveille comme le lait sur le feu toutes les actions revendicatives spontanées de la classe ouvrière. Un dirigeant CGT à la tête du C.N.R. c’est une possibilité de plus d’essayer de faire croire que rien n’est plus important que de se soumettre au cadre national d’union sacrée.
La séparation de l’Eglise, des Eglises et de l’Etat. L’école, la laïcité.
La loi de séparation, le « programme » n’en dit rien ; le mot laïcité n’est pas employé.
Par contre, il est question d’instruction et non pas d’éducation. De ce point de vue, ce serait une vraie rupture avec Vichy. Le ministre vichyste de l’Education, Jérôme Carcopino avait résumé la doctrine de la « révolution nationale » conforme aux directives du Vatican : « Il doit y avoir primauté de l’Education nationale sur l’instruction publique ».
On apprend que l’école doit former des « élites » sur la base du « mérite ». C’est tout. Tout cela tient en une phrase. Si c’est un programme, c’est du concentré. Notons que les « formateurs » des cadres de Vichy de l’ « école » d’Uriage convertis à « gauche » emploient les mêmes termes dans leur « programme » intitulé : « vers le style du XXème siècle » paru fin 1945.
La sécu.
Que dit précisément le « programme » ?
Le C.N.R veut « un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer … »
C’est commencer à sortir de l’ordre obscurantiste et barbare qui faisait qu’avant-guerre, l’espérance moyenne de vie n’atteignait pas 60 ans, loin s’en faut. Mais, « … avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’Etat ».
Et voilà l’Etat qui veut fourrer son nez là où il n’a rien à faire. Rappelons encore une fois que c’est le camarade Georges Buisson qui avait élaboré tout un plan de construction de la sécurité sociale que le CFLN avait rejeté. (2).
Notons que le représentant du PCF au C.N.R. Pierre Villon n’a pas grand-chose à voir avec la création de la sécurité sociale, et même rien ; pas plus que Croizat d’ailleurs. Villon avait adhéré au PCF en 1932, au moment où les PC expliquaient que l’ « ennemi principal » n’est pas le fascisme mais le « social-fascisme », c’est à dire les partis membres de la deuxième internationale. Ironie de l’histoire, Villon représente aussi au C.N.R. le Front national, « large front patriotique », bidule fabriqué par le PCF incluant les fantomatiques « patrons patriotes ». Il semble que Villon se serait opposé en 1940 à la parution légale de l’Humanité en zone occupée. Peut-être.
Les hommes du C.N.R. Un choix édifiant.
Le moment est venu d’évoquer le cas Jacques Debü-Bridel, co-fondateur du C.N.R. en 1943, et à ce moment proche de Villon, Debü-Bridel hélas, tombé dans les oubliettes de l’Histoire.
C’est de Gaulle qui le récupère. Il avait commencé dans les années 1920 une longue période de vagabondage politique dans les rangs de l’Action Française de Maurras avant de se convertir au fascisme bien réel des « faisceaux » de Georges Valois. En mars 1943, miracle, il est promu co-fondateur du C.N.R. Autre miracle, le voici bombardé patron du journal patriotique du PCF, intitulé Front National ; Après-guerre, nouvelle conversion, cette fois au gaullisme orthodoxe avant de muter en « gaulliste de gauche ». L’aventure ne s’arrête pas là. Subjugué par la politique d’austérité PCF-CFDT de 1983, il se rallie à François Mitterrand. Il reste quelques « blancs » dans la biographie. C’est bien regrettable. Un homme de convictions : corporatiste un jour chez Maurras, corporatiste toujours chez Mitterrand … ça méritait bien la Légion d’Honneur.
Revenons à la CGT. Pourquoi avoir rallié un tel « programme » ?
L’explication ou l’une d’entre elles réside peut-être dans cette promesse :
Le programme promet « la participation des travailleurs à la direction de l’économie » (3) ce qui suppose « un syndicalisme indépendant doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale ».
La CGT devrait avec les travailleurs participer à la direction de l’économie ? Mais l’économie reste une économie capitaliste. Qu’y a-t-il à cogérer dans ce cadre-là ? Dans ces conditions, les « larges pouvoirs » ne sont-ils pas de la poudre aux yeux ? Et même si l’économie n’était plus capitaliste mais un système de transition vers une économie socialisée, faudrait-il renoncer à l’action syndicale ?
Quant à la référence au syndicalisme qui resterait malgré tout « indépendant », n’est-ce pas simplement une supercherie ?
Conclusion :
En pointant du doigt le « programme » du C.N.R. Denis Kessler – par calcul ? par ignorance ? un peu des deux … – lui prêtait des vertus qu’il n’avait pas. Par contre, les avancées sociales de la période 1945 sont bien à mettre au crédit de l’action de la classe ouvrière.
Avec ou sans C.N.R. avec ou sans « programme » du C.N.R. des millions de travailleurs, une grande partie d’entre eux nouvellement syndiqués à la CGT, cherchent le moyen de défendre leurs intérêts particuliers. Ils se heurtent à la politique brutale du PCF qui condamne par principe toute action indépendante de la classe ouvrière.
Daniel Renard (1925-1988) était ouvrier métallurgiste. Il a minutieusement décrit les évènements de la période 1944-1947. Il écrit : « La façon dont de Gaulle, soutenu par l’ensemble des ministres, traite le C.N.R. est significative : il entend qu’il n’y ait pas de contestation sur le caractère absolu du pouvoir gouvernemental, et sur le caractère décoratif – pour fêtes et commémorations – du Conseil National de la Résistance. Ce dernier – vingt membres (en comptant les deux secrétaires) dont au moins huit dépendent du PCF à cette date (septembre 1944) – accepte de jouer le rôle qui lui est dévolu ». Il porte cette appréciation sur l’année 1945 : « Mais la misère de 1945 provient pour une part encore plus grande de la baisse du pouvoir d’achat ».
Consciente des rapports de force entre les classes, par peur de tout perdre, la classe dominante doit pourtant concéder des réformes fondamentales.
De Gaulle le confirme, avec, il faut le souligner, une certaine franchise et son style inimitable :
« Je suis sûr que sans changements profonds et rapides dans le domaine social, il n’y aura pas d’ordre qui tienne… La nation voyait renaître les travailleurs en patriotes en même temps qu’insurgés, comme ça avait été le cas à l’époque de la révolution de 1789, des journées de 1830, du soulèvement de 1848, des barricades de la Commune … Ces transformations si étendues qu’elles puissent être, sont réalisées sans secousse. (Sans secousse ? c’est faux) Certes les privilégiés les accueillent mélancoliquement. (C’est exprimé avec beaucoup de retenue …) Certains s’en feront même de secrets griefs pour plus tard. Mais, sur le moment, tous, mesurant la force du courant, s’y résignent aussitôt et d’autant plus volontiers qu’ils avaient redouté le pire … »
1789, 1830, 1848, 1871. L’épouvante selon de Gaulle. Peut-on être plus clair ?
En effet, de Gaulle et ses subsidiaires de « gauche » devront affronter la classe ouvrière organisée dans la CGT pour assurer la « continuité » de ce qu’il nomme « l’ordre républicain ». Il s’affronte à la classe ouvrière qui se bat, sans en avoir sans doute une claire conscience, pour la « rupture » avec l’ancien monde.
De Gaulle, comme Pétain, rêvait d’une classe ouvrière « associée » (c’est le terme qu’il emploie) aux patrons, entreprise par entreprise. C’est pourquoi il a installé les comités d’entreprise.
L’adhésion de la CGT au C.N.R. et donc à son « programme » n’allait pas de soi, à moins de considérer que la Charte d’Amiens était déjà en 1944, « ringarde ». Ce serait un bien curieux argument. Après tout, le manifeste du parti communiste de Karl Marx est beaucoup plus ancien (1848). Lorsqu’il affirme :
« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », est-ce ringard ?
26 août 1944. De Gaulle entouré des membres du C.N.R. s’affiche en Sauveur. Il rend hommage à Clémenceau et à Napoléon qui sut si bien « incarner l’ORDRE », selon l’actuel président de la Vème république. La Fondation Charles de Gaulle commente : « la population de Paris s’agite dès le mois d’août 1944 ». S’agite … en réalité, la CGT, et même la CFTC, avaient lancé le 18 août le mot d’ordre de grève générale. Mais la grève avait débuté depuis une semaine. C’était tout de même rompre avec le consensus de la « révolution par un haut », « dans l’ordre et par la loi ».
En janvier 2022, l’actuel président de la Vème république tient dans le Journal du Dimanche ses propos édifiants : « Les 75 ans qui se sont écoulés, depuis le discours de Bayeux (le 16 juin 1946) du général de Gaulle – « C’est ici, à Bayeux, en Normandie que réapparut l’Etat … » – n’ont cessé de confirmé ce propos, notamment la nécessité que l’Etat soit incarné non par une multiplicité de représentants mais par un chef ». (Conformément à la Somme théologique : « la multitude est mieux gouvernée par un seul que par plusieurs »).
Document :
Extraits du livre de Gérard Da Silva, « Histoire de la CGT-FO … »
On a vu que Denis Kessler veut défaire le « programme » du C.N.R. Mais il ne dit pas que ça. La suite est essentielle : « La liste des réformes, c’est simple, prenez tout ce qui a été fait de 1944 à 1952, sans exception. Elle est là ». De 1944 à 1952 … Pourquoi 1952 ?
G. Da Silva écrit (page 159) : (citations en bleu)
« Succès de la grève générale initiée par la CGT-FO ».
Notre confédération avait engagé le combat le 25 novembre 1949 pour le rétablissement des conventions collectives ce qui n’allait pas sans une vraie pratique contractuelle que combat Georges Bidault, avec acharnement.
Da Silva : « Georges Bidault, le président du Conseil prononce le 19 novembre une allocution radiodiffusée, en laquelle il oppose le droit de grève au droit du travail et donc à la liberté du travail ». Trop sûr de lui, le président du Conseil affirme : « des mots d’ordre de grève ont été lancés. Je veux croire qu’ils ne seront pas suivis ». Déception pour l’ex patron du C.N.R. ! Gérard Da Silva note :
« La CGT-FO prend l’initiative pour le 25 novembre d’une grève générale de 24 heures (que la CGT ignore, toute occupée à dénoncer « les trahisons des réformistes ». C’est sans doute ce qui rendait Bidault optimiste) afin d’obtenir le retour à la libre négociation des salaires dans le cadre des conventions collectives, la fixation d’un salaire minimum garanti … Le mouvement de grève sera suivi et massivement, surtout dans l’industrie et le transport ». C’est un succès considérable, surtout si l’on prend en considération le climat délétère de l’époque entre militants des deux confédérations ouvrières et les violences récurrentes de certains membres de l’appareil stalinien. Un premier succès qui en appelle un autre, plus décisif :
Da Silva : « Le succès se mesure aussi au fait que le parlement inscrit la loi sur la libre discussion des salaires (qui sera votée) et que le reclassement des fonctionnaires figure dans les dépenses du budget.
Le succès ira jusqu’à la loi du 11 février 1950 sur les conventions collectives.
( … ) C’est dire combien la CGT-FO se trouve héritière de la CGT de 1895 et prend date ce 25 novembre sur trois points majeurs : le droit collectif, le salaire minimum garanti et l’exercice du droit de grève ». On ne saurait mieux dire.
Gérard Da Silva a raison de résumer ainsi :
« La remise en cause des conventions collectives sera le fait du régime de Vichy et la loi du 11 février 1950 est une victoire tant contre Vichy que son idéologie d’Ancien Régime ».
Tous les régimes d’inspiration corporatiste, au sens de l’application de la doctrine dite sociale de l’Eglise catholique, sont absolument hostiles à la reconnaissance de conventions collectives et de la pratique contractuelle qui en découle. Pourquoi ? Parce que la convention collective signifie la reconnaissance de deux classes aux intérêts inconciliables. Lorsque les régimes corporatistes doivent s’y résoudre, c’est parce que le rapport des forces entre les classes est favorable au mouvement ouvrier. Il leur a fallu « lâcher du lest » en attendant le moment favorable permettant la remise en cause des acquis. C’est souvent la guerre qui s’y prête le mieux. L’exemple de l’Ukraine de 2022 est clair ; en pleine guerre, le gouvernement des capitalistes supprime dans les entreprises de moins de 250 salariés toute référence au code du travail.
Pour compléter, mais sans rentrer dans les détails, on peut aussi ne pas oublier qu’une autre personnalité choc du C.N.R. Joseph Laniel, président du Conseil en 1953, voudra « réformer » les régimes de retraites. (Da Silva fait bien de rappeler que son prédécesseur de « gauche », René Mayer, de la S.F.I.O. également membre éminent du C.N.R. y avait aussi songé). Il prétendait notamment imposer le recul de l’âge de départ en retraite dans la fonction publique et le secteur nationalisé ; il s’attaquait à la Sécurité Sociale et voulait faire passer ses projets par la méthode des décrets-lois ; comme quoi nos corporatistes du XXIème siècle n’ont pas inventé grand-chose avec leur bidule, le soi-disant Conseil National de la Refondation.
Cette déclaration de guerre contre les conquêtes de 1944-1946 avait provoqué une grève générale en plein mois d’août ; Grève générale commencée à Bordeaux le 4 août 1953. L’UD CGT-FO 44 y a consacré une brochure : « Août 1953, leçons d’un conflit … pour que l’émancipation des travailleurs soit l’œuvre des travailleurs eux-mêmes … le comité central de grève CGT-FO, CGT, CFTC et « inorganisés », unis sur les revendications … » par Gérard Le Mauff.
Joseph Laniel avait voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Il avait su effectuer la conversion à temps.
Après la victoire, restez unis, unis, unis, pour accompagner les « réformes », et la « reconstruction » disaient certains … et puis quoi encore !
– Unité syndicale sur des revendications communes pour l’action commune ? Evidemment, OUI !
– « Unis » à la remorque de nos pires adversaires ? On peut y réfléchir, à deux fois, si nécessaire, et dire : NON, mille fois NON !
25 NOVEMBRE 1949 ; Grève à Bordeaux à l’appel de la CGT-FO pour la libre négociation des salaires, pour les conventions collectives. (Source, quotidien Sud-Ouest).
(1) Le patronat et les gouvernements qui le servent n’ont jamais admis que des générations de jeunes gens échappent aux lois du marché. C’est pourquoi, ils cherchent à détruire les diplômes nationaux et à saborder l’enseignement technique public, grande conquête ouvrière à la Libération. (Le « programme » du C.N.R. ne dit rien de l’enseignement technique).
L’article des échos (voir le lien) a le mérite de ne pas cacher les objectifs réels des contre-réformes actuelles.
Il est désormais envisagé qu’un patron puisse présider un Conseil d’Administration de lycée d’enseignement professionnel !
Une façon d’ « associer » comme dirait le général, les jeunes à « leur » entreprise afin d’en faire de futurs bons « collaborateurs », bien soumis. Et ubérisés. Le slogan : « pas de curés, pas de patrons à l’école ! » reste d’actualité.
(2) Georges Buisson, est militant syndicaliste de la Fédération des Employés et Cadres. (Il décède en 1946).
Pour Buisson, les conquêtes ouvrières ne sont jamais offertes par un paternaliste pouvoir politique, mais conquises et donc, toujours contestées.
Dans le film documentaire « la sociale » réalisé par Gilles Perret, le nom de Georges Buisson est passé sous silence. Ce documentaire prétend nous enseigner d’où vient la sécu et qui en est à l’origine.
C’est un peu comme si un documentaire consacré à l’étude de l’évolution des espèces passait sous silence les travaux de C. Darwin.
(3). Dans les années 1960-1970 ; il y a eu la farce de « l’autogestion » préconisée par la CFDT, certains secteurs de la C.G.T. étant gravement contaminés. Les séquelles n’ont toujours pas disparu.
Jacques Moisan. Octobre 2022.
chaud ! chaud ! chaud !
leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre
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