>Histoire

19 / 11 / 2018

Les salaires : de la rigueur, de l’austérité, de la patience … (2/4)

Croizat, l’imposteur …

Concernant les salaires, le C.N.R, réclame : « la garantie du pouvoir d’achat national par une politique tendant à la stabilité de la monnaie … »

Le 14 janvier 1945, le général de Gaulle donne le ton : « nous ne voulons pas de divisions, de grèves de surenchères, de rancunes ». (Discours à Angers). La reconstruction de l’Etat, de l’Etat de la classe dominante, la bourgeoisie, exige la soumission de toutes les forces politiques au cadre fixé par de Gaulle.

Le maintien de la « paix sociale » est synonyme d’austérité : austérité budgétaire, austérité salariale …

Les salariés trinquent, le patronat empoche.

La réalité des chiffres : officiellement le coût de la vie s’est élevé de :

  • De 11 % du 31 mai au 30 juin.

  • De 6 % du 30 juin au 31 juillet.

  • De 26 % du 31 juillet au 31 août.

Après deux longues années de « négociation » la direction confédérale de la CGT avait obtenu 25 % d’augmentation du salaire moyen (en fait entre 18 et 20% selon le journal « Front Ouvrier » du 23 septembre 1946). Ainsi, le patronat a concédé d’une main 18 % à 20 % maximum et a repris de l’autre main 43 %.

Comment ne pas comprendre que dans une telle situation, les travailleurs exigent de leurs syndicats une riposte à la hauteur des enjeux ?

Nombre de syndicats libérés de la tutelle des appareils politiques revendiquent à juste titre l’échelle mobile des salaires. Cette revendication de bon sens est balayée d’un revers de main par la direction confédérale qui y voit – comme toujours – une sombre manœuvre, « une revendication démagogique » !

Les réactions de la « base » sont la plupart du temps soigneusement occultées par les commentateurs, toutes tendances confondues. Ce n’est pas par hasard. Pourtant, les grèves secouent le pacte d’union sacrée qui lie socialistes et communistes, chrétiens  sociaux, pétainistes fraîchement convertis en républicains de « gauche » ou de « droite » et gaullistes.

Dans ce dispositif, le parti stalinien occupe une place centrale. De Gaulle le reconnaîtra dans ses « mémoires politiques ».

Qui donc sinon Thorez pouvait se permettre de déclarer : « la grève, c’est l’arme des trusts » ?

Dans cette veine, Ambroise Croizat joue pleinement le rôle qui lui est assigné.

La grève des ouvriers du livre et des fonctionnaires.

Le 26 janvier 1946, les ouvriers du livre déclenchent la grève. Leurs exigences portent essentiellement sur l’augmentation des salaires. Tous y sont : rotativistes, clicheurs, photograveurs, ouvriers d’entretien …

Le patronat sous pression cède à une partie des revendications. Un protocole d’accord est signé. C’était sans compter sans la vigilance prolétarienne de Croizat. Notre distingué ministre refuse d’homologuer l’accord. Mieux, il dénonce à la radio les grévistes – ce que ne pouvait se permettre le général, ni sa cours d’ex pétainistes – en reprenant sans beaucoup d’imagination la technique : diviser pour mieux régner. Les ouvriers du livre, les vaches ! sont des nantis ! La preuve ? ils sont mieux payés que les métallos ou les fonctionnaires. Les métallos ? On verra plus loin ce qu’il en est. Quant aux fonctionnaires dont les salaires sont bloqués – mais pas l’inflation ! – ils ne sont pas plus satisfaits de l’action de ce gouvernement d’union sacrée. Croizat n’en dit rien. (Etiévent* non plus).

Les fonctionnaires excédés par les discours moralisateurs des chefs « géniaux » quand « ils-sont -PCF » revendiquent. En 1945 comme en 2018, la revendication est le moteur du progrès. Le gouvernement, soudé, refuse de négocier quoi que ce soit.

Dans cette situation de blocage est convoqué les 13 et 14 novembre un congrès extraordinaire du Cartel des fonctionnaires.

La résolution finale traduit bien l’état d’esprit des délégués :

« Le congrès ( … ) constate avec amertume que les promesses faites par le gouvernement et particulièrement celles concernant la stabilisation du coût de la vie sont restées lettres mortes ».

En conséquence, le congrès revendique :

« La revalorisation générale des traitements de tous les agents titulaires et auxiliaires. ( … ) Le congrès affirme solennellement et avec force que tous les moyens sans exception y compris la grève seront mis en application pour l’obtention intégrale des légitimes revendications ».

Manifestation de la C.G.T. le 1er mai 1946 à Paris. Le PCF y déploie une banderole : « Comité central du parti communiste français ».

Le gouvernement unanime, droit dans ses bottes, réplique : « Le gouvernement tout entier se refuse à admettre qu’il ait à prendre une décision sous la menace de la grève … »

C’est l’épreuve de force. Un grand meeting réunit au Vélodrome d’Hiver plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires. La tension monte. Le représentant stalinien, un certain Raynaud** explique que céder aux revendications serait une « véritable catastrophe pour le pays ». On imagine mal le général se présenter devant les grévistes et tenir ce langage de briseur de grève.

Les fonctionnaires ne lâchent rien. Une motion est adoptée : « les fonctionnaires protestent énergiquement contre l’attitude d’hostilité du gouvernement et se déclarent prêts, si aucune décision favorable n’est prise par les pouvoirs publics, à répondre à tous mots d’ordre du Cartel, jusque y compris la grève générale ».

Le bras de fer continue.

Dans le cas des fonctionnaires, les briseurs de grève staliniens ne suffisent pas. Il revient au « syndicaliste » Albert Gazier, de monter au créneau. Albert Gazier se plaît à se définir comme un socialiste « réformiste » (il a sévi dans plusieurs gouvernements de la IVème république). C’est lui qui présente un ordre du jour de confiance au gouvernement, ordre du jour voté à l’unanimité.

C’est le dernier coup de poignard dans le dos. Les fonctionnaires trahis par ceux qu’ils pouvaient penser être leurs représentants légitimes devront patienter.

Ce Gazier avait été dans une autre vie un dirigeant important de la C.G.T. comme A. Croizat … et quelques autres dont ce n’est pas l’objet d’examiner le parcours. Au moment des faits, il est toujours membre du bureau confédéral de la CGT. (Il avait été secrétaire de la Chambre Syndicale des Employés de la région parisienne. Triste trajectoire).

Mais revenons à Croizat qui prétendait opposer les nantis, les ouvriers du livre, aux fonctionnaires, plus raisonnables …

Les ouvriers du livre en grève diffusent un tract qui commence par ces mots :

« Ce que nous dûmes déduire avant tout de vos discours (ceux de Croizat) c’est votre tentative inattendue de diviser la classe ouvrière par des arguments réservés jusqu’ici aux élèves des « bons pères » … et ils concluaient : « ( … ) Les ouvriers n’ont-ils pas le droit de revendiquer quand un gouvernement qui prétend stabiliser le coût de la vie, jette chaque semaine plusieurs milliards de nouveaux billets de banque dans la circulation, ce qui a précisément pour conséquence de faire augmenter les prix ? »

L’indignation bien compréhensible des ouvriers du livre ne suffit pas.

Le tract note la tentative inattendue de diviser

Les grévistes ont été surpris, se sont sentis trahis, mais « surpris » n’ont pas su comment réagir.

C’est un fait que de Gaulle est parvenu sans la moindre difficulté à agréger autour de sa personne les dirigeants des organisations traditionnelles censées défendre les intérêts particuliers des travailleurs. De Gaulle, une fois encore dans le rôle du Sauveur, est le chef de l’état-major des intérêts des capitalistes, garant de « l’intérêt général », contre les revendications « égoïstes » des salariés.

C’est un fait aussi, que la classe ouvrière et plus largement les salariés ne disposent pas de son « état-major » capable d’organiser, de centraliser, d’anticiper les pièges, de démonter les promesses qui n’engagent que ceux qui y croient.

*M. Etievent ne dit rien non plus de la loi du 26 février 1946 qui indique dans son article 3 :

« Les heures supplémentaires de travail peuvent être effectuées dans la limite de vingt heures ». C’est la légalisation des 60 heures de travail ; disposition validée par le ministre du travail, A. Croizat. Cette mesure réclamée par le patronat « patriote » ravit le très réactionnaire Paul Delouvrier, ancien membre de l’école de « formation » des cadres de Vichy – Uriage – converti aux délices du gaullisme « social ». La mesure découle directement du Plan, du Plan dirigé par l’agent américain Jean Monnet. L’Humanité du 2-12-46 claironne : « Le plan Monnet n’a pu être dressé qu’en escomptant un grand et noble effort des travailleurs ». Dans les commissions du Plan, les syndicalistes doivent s’aligner dès lors qu’ils-sont-PCF.

Léon Jouhaux (1879-1954). Secrétaire général de la CGT de 1907 à 1947 ; co fondateur de la CGT-FO.

L’aveu : A. Lacroix-Riz concède : « En réclamant sans répit le déblocage des salaires, les confédérés au cours des premiers mois de 1946, ont indéniablement pris en compte une aspiration générale » des travailleurs, ce qui ne l’empêche pas d’écrire : «  La minorité reprend à son compte comme la tendance syndicat (la tendance de Belin) d’avant-guerre, la sourcilleuse défense de l’indépendance syndicale ». (Page 70). Belin, ministre de Pétain, Jouhaux, secrétaire général de la CGT, blanc bonnet et bonnet blanc ? Pas brillant, cet « argument » !

**Ce Raynaud mérite le détour. Le 25 avril 45, il déclare : « Sans doute l’assimilation des grévistes aux éléments hitléros-trotskystes et aux éléments qui sont le prolongement de la Vème colonne que nous avons déjà connus dans nos rangs et que nous avons complètement détruits » … ne s’avère pas toujours « dissuasive ». (Cité par A. Lacroix-Riz). L’individu a, il est vrai ; un lourd passé. Commentant le projet de loi sur les assurances sociales au milieu des années vingt, il déclare : « cette loi permettra au patronat de briser la classe ouvrière ». 

J. M Novembre 2018.

Troisième partie : les patrons chrétiens, l’avenir du PCF (et de la CGT) ?

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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