>Histoire

21 / 01 / 2023

Revendications contre « consensus ». (1ère partie).

Alexandre Hébert : secrétaire général de l’UD-CGT FO de Loire-Atlantique de 1948  à 1992.

« Tous les bâtisseurs de systèmes fondés sur le « bien commun » ou « l’intérêt national » sont, par la force des choses condamnés à s’opposer tôt ou tard aux syndicats dont la mission est de défendre les intérêts particuliers de la classe ouvrière ».

Le gouvernement prétend intégrer notre confédération à une « nouvelle  gouvernance » et nous ravaler au rang de « corps intermédiaire ».

Inacceptable !

Depuis le référendum gaulliste de 1969, tous les gouvernements de la Vème république ont tenté de faire des confédérations ouvrières des « co-législateurs », les transformant en corps intermédiaires prenant en charge au nom du bien commun le prétendu « intérêt général ». La dernière tentative en date est celle d’Emmanuel Macron avec sa « Chambre du futur ».  En juillet 2017, le journal financier La Tribune rappelle : « La réforme du Cese : un serpent de mer. Emmanuel Macron est loin d’être le premier à proposer une réforme de cette assemblée. Déjà, le général De Gaulle avait inscrit dans son projet soumis à référendum en 1969 une fusion de l’ex CES (Conseil économique et social) avec le Sénat. Cette proposition a été reprise plus récemment dans le rapport Bartolone-Winock de 2015 consacré à l’avenir des institutions de la République ».

Dans cette 1ère partie, nous essaierons de mettre en évidence quelques-unes de ces nombreuses tentatives.

Dans la seconde partie, il sera question des plans du Capital à l’ « horizon 2035 », plans auxquels les syndicats sont priés de s’associer.

La dernière partie sera consacrée au « consensus » contre l’hôpital public et l’école publique.

 Lors de son bavardage du 31 décembre, le patron de la république du coup d’Etat permanent a choisi de ne rien dire de la « refondation » des institutions, se contentant d’une vague allusion au fantomatique C. N.R. le mort-né Conseil national de la refondation.

Sujet sans doute jugé trop explosif alors que s’annonce la bataille pour préserver nos retraites.

Ci-dessus, réunion du C.E.S.E. A l’étage supérieur, il y a le C.E.S.E. « européen », présidé par Christa Scheng qui a émis un rapport sur : « la coordination des systèmes de sécurité sociale » (en Europe).Un thème inquiétant …

Michel Le Roc’h, secrétaire général de l’UD CGT-FO de Loire-Atlantique est intervenu au CCN des 3 et 4 novembre 2021 sur la question du rôle joué par le C.E.S.E. Voici un extrait de son intervention publié dans l’OUEST-SYNDICALISTE, journal de l’UD-FO 44 :

  « Nous ne défendons pas l’intérêt général, ou un prétendu « intérêt général », qui est souvent l’intérêt de la classe dominante. Nous défendons les intérêts particuliers du salariat. C’est là notre place. De ce point de vue, je m’interroge sur le vote positif émis au CESE (Comité Economique, Social et Environnemental) à l’occasion de la présentation des orientations stratégiques pour la mandature 2021-2026.

Le CESE, nous le savons, débat et élabore des rapports et recommandations à l’attention des gouvernements sur des sujets les plus divers. Je ne remets pas en cause cet aspect-là, ni le travail des camarades qui ont la lourde tâche de défendre les positions de la confédération dans un cadre compliqué, cadre qui rappelons-le au départ est le fruit du rejet de la mise en place d’un sénat corporatiste en 1969. 

Mais là, il ne s’agit pas d’une simple recommandation. Il s’agit d’un véritable « programme politique » fondé sur un « diagnostic partagé » et la recherche du consensus.

Je cite la fin de la 1ère page du document : « l’ensemble de ces travaux concrétise la volonté d’un futur commun construit et décidé ensemble que nous porterons en tant que 3ème assemblée de la république ».

Les mots ont un sens mes camarades. Là, nous devenons « colégislateurs ». Ce « futur commun », dont parle le document, est celui des mutations économiques et industrielles imposées par la « transition écologique » dans la période à venir. Attention à ne pas transformer le syndicat en courroie de transmission de la transition écologique, de l’économie verte et, in fine, des plans de démantèlement industriel. Ce n’est pas là notre place. Je pense que nous ne devons pas accepter que la transition écologique serve de prétexte à la suppression d’emplois et à la remise en cause du tissu industriel (perte de 100 000 emplois sur 400 000 à titre d’exemple dans l’automobile d’ici à 2030 avec la voiture électrique). »

 Les tentatives d’intégration viennent de loin et n‘ont jamais cessé : quelques rappels.

Le néo-socialiste Marcel Déat, admirateur quasi inconditionnel du national-socialisme et dernier « ministre » du travail de Pétain écrit en septembre 1940 : 

« Tout peut se concentrer dans cette remarque : le moteur de la révolution nationale a cessé d’être l’intérêt de classe pour devenir l’intérêt général ».

Dans la même veine, l’article 8 du projet de constitution de Vichy de janvier 1944 stipule : « L’organisation des professions sous le contrôle de l’Etat, arbitre et garant de l’intérêt général, a pour objet de rendre employeurs et salariés solidaires de leur entreprise, de mettre fin à l’antagonisme des classes et de supprimer la condition prolétarienne ».

« … solidaires de leur entreprise … » ? Tous « collaborateurs », comme certains disent aujourd’hui.

Les sceptiques diront : oui, c’est vrai, tout ceci a existé mais ce sont des exemples tirés d’une sombre période, une regrettable « parenthèse » qui ne nous concerne plus. On parle ici de « l’extrême droite vichyste … », c’est du passé. Désormais, nous sommes tous « progressistes ». Vraiment ?

Le 3 juin 2020, le chef de l’Etat, chef du Conseil de défense et « chef de guerre » adresse un courrier aux présidents des trois Chambres, Assemblée nationale, sénat, C.E.S.E. : « Je souhaite que vous puissiez mener les consultations les plus larges pour déterminer et préciser les priorités essentielles qui font consensus … » On verra plus loin la traduction concrète de cette « proposition » au C.E.S.E. Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, il précise : « ( … ) Répondre à cette nécessité appelle à une démarche de concorde nationale … » La « concorde nationale » si chère à Vichy. Le 1er mai était alors la « fête du travail et de la concorde nationale ».

En 1940, les camarades Jouhaux et Bothereau n’ont rien eu à faire avec l’esprit de « concorde nationale » de Pétain. Comment pourrait-il en être autrement aujourd’hui ?

Sans remonter aux origines du syndicalisme, rappelons-nous : 

1/  En mai 1936, Léon Blum invite Léon Jouhaux, (majorité dite « réformiste » de la CGT réunifiée), J. Racamond (fraction contrôlée par le PCF) et René Belin (fraction « néo » qui évoluera vers le corporatisme pleinement assumé à Vichy) à discuter de l’association de la CGT à la politique économique et sociale du gouvernement. Un poste de ministre du travail réservé à la CGT serait mal perçu par la grande masse des salariés. Ils y verraient à juste titre une confusion des genres. Blum propose donc une « collaboration technique » plus discrète aux divers organismes de « participation ». Pour appâter les militants, le très subtil Blum leur explique qu’ils pourront y défendre les objectifs du PLAN élaboré par la CGT en 1935.

2 / A la libération, Les militants syndicalistes participent aux organismes du PLAN de l’agent américain Jean Monnet et à toutes sortes de bidules où ils sont autorisés à bavarder autant qu’ils le souhaitent, à émettre des avis sur à peu près tout …

Cette fois, d’ex syndicalistes franchissent le Rubicon et deviennent ministres.

Certains sont issus de  l’ex majorité confédérale, « réformiste ». D’autres sont des dignitaires du PCF, dont Ambroise Croizat.

 Joachim Salamero caractérisait fort bien cet individu et sa politique :

«  Souvenons-nous que la période de participation des communistes au gouvernement de 1945 à 1947 est caractérisée par plusieurs conflits importants qui ont vu s’affronter des dizaines de milliers d’ouvriers contre l’appareil stalinien, soutien efficace de l’ordre capitaliste ; les militants syndicalistes se souviennent de la loi de 1946 sur les conventions collectives qui subordonnait l’application de celles-ci à l’agrément du ministre : conception essentiellement dirigiste, étatique et méthode particulièrement efficace pour une bonne politique des revenus, pour une police des salaires. Le ministre du Travail s’appelait Ambroise Croizat. Il était secrétaire général de la fédération de la métallurgie CGT et responsable stalinien de haut rang ».

Les ex syndicalistes « réformistes » promus ministres, anciens virulents pourfendeurs du « communisme » sont alors solidaires du stalinien Croizat … la solidarité ministérielle réalise des miracles.

Du syndicalisme à la prise en charge de l’intérêt général.

Rappelons-nous. En novembre 1940, neuf confédéraux (mais pas Léon Jouhaux) et trois dirigeants CFTC signent le « manifeste des douze » qui proclame :

 « Il n’y a pas à choisir entre le syndicalisme et le corporatisme : les deux sont nécessaires ».

Parmi les neuf, trois deviendront ministres de la IVème République : Christian Pineau, Albert Gazier et Robert Lacoste. En abandonnant le combat syndical quotidien, certes souvent ingrat de la défense des intérêts particuliers de la classe ouvrière, ces trois-là ne se contentent pas de déserter le combat syndical, ils s’attaquent aux principes de base de notre confédération.

Robert Lacoste est en 1956, 1957 et 1958, ministre chargé des affaires algériennes. On sait ce que cela signifie.

 En 1956, Robert Bothereau se tourne vers Alexandre Hébert et l’UD 44 pour faire prévaloir une position syndicale digne sur la question de l’indépendance de l’Algérie. Cette même année, c’est le vote des pouvoirs spéciaux approuvé de l’extrême droite au parti « communiste », pouvoirs très spéciaux qui accordent aux militaires des pouvoirs exorbitants. Voilà où mène la prise en charge de l’ « intérêt général ».

3 / En 1982, le premier ministre PS Pierre Mauroy sollicite notre CGT-FO à qui il demande plus de compréhension.

André Bergeron le remet à sa place, poliment, mais fermement :

« Lors de nos récents entretiens, nous lui avons rappelé qu’il n’est pas dans la vocation du mouvement syndical de participer à la politique économique d’un pays.  Il n’est pas inutile de rappeler que d’autres autrefois avaient imaginé non seulement d’associer le mouvement syndical à l’élaboration de la politique générale, mais l’avait finalement totalement intégré à l’Etat. Et c’est ainsi qu’est né par exemple le corporatisme dans l’Italie de Mussolini et l’Espagne de Franco ». (Propos rappelés par Joachim Salamero).

 

Un document à lire, absolument.

4 / Interrogé en 2015 sur cette sortie d’E. Macron, alors ministre de l’économie : « la France souffre de trois maux, la défiance, la complexité, le corporatisme », Jean Claude Mailly répondait très justement :

«  Le corporatisme, c’est un régime politique. » 

Il est vrai que Mussolini, plaidant pour une Charte du travail en 1926 expliquait : « Capital et Travail ne sont pas deux termes contradictoires. Ce sont deux termes qui se complètent, l’un ne peut rien faire sans l’autre et ils doivent donc s’entendre et ils peuvent s’entendre ».  Mussolini se contentait de répéter les encycliques « sociales ».

Qui oserait nier que ce type de discours ne rencontre pas aujourd’hui un écho plus que favorable dans bien des milieux ?

Le pauvre journaliste, un peu dépassé par la remarque judicieuse de JC Mailly croit malin d’insister : « la grève des pilotes d’Air France, ce n’est pas du corporatisme ? »

Jean Claude Mailly répond : « Le corporatisme, c’est Mussolini ». L’essentiel est dit.

Le corporatisme, c’est la remise en cause des prérogatives du syndicalisme confédéré et la « co-construction de consensus » avec les « syndicats » qui se proclament garants de « l’intérêt général » au sein d’une Chambre des corporations ; tout ceci, on ne doit jamais l’oublier, béni par le Vatican et ses « syndicats » cléricaux de « droite » ou de « gauche » (cf, encyclique Quadragesimo anno – quarantième année, quarantième anniversaire de rerum novarum, « sur la condition des ouvriers », 1891).

Les politiques de l’association Capital-Travail, les corporatismes dans leur infinie diversité, dont la soi disant «autogestion »,  n’ont pas disparu comme par enchantement avec la chute des régimes totalitaires des années 30 et 40.

Ils trouvent, notamment au C.E.S.E. de nombreux adeptes « modernes ».

La « défiance » envers les « élites » et les gouvernements qu’ils servent ayant pris des proportions rarement vues, on comprend que nos  élites  cherchent avec d’autant plus de fébrilité le consentement des organisations ouvrières, peut être leur dernière bouée de sauvetage avant le recours aux méthodes les plus brutales.

En lisant ces lignes quelques-uns parmi les plus impliqués dans la recherche de « consensus » pousseront des cris indignés. Laissons-les faire.

Poursuivons. 5 / En novembre 2016, Jean-Claude Mailly publie : « les apprentis sorciers, l’invraisemblable histoire de la loi Travail ». Il écrit (page 28) : « Après les élections régionales, Jean-Pierre Raffarin lance l’idée d’un pacte républicain contre le chômage. Manuel Valls (qui présente l’avantage d’être à la fois de gauche et d’extrême droite) et Pierre Gattaz (MEDEF) donnent leur accord de principe. Le président de la République appelle, lui, à la concorde nationale pour répondre aux conséquences des crises. Ce pacte gauche-droite-patronat d’unité nationale ne me dit rien qui vaille. C’est la pensée unique libérale dont on mesure l’échec en termes d’emploi, de précarité ou de croissance.  C’est une union destinée à nier le rapport de force … » Parmi les promoteurs de cette politique, le camarade Mailly cite Jean Grosset, militant FO (instituteur à l’origine) passé à l’UNSA, un « intrigant », dit Mailly, bombardé « PQ » (personnalité qualifiée) au C.E.S.E.

Bien vu, bien dit.

Bien sûr, les appels aux pactes sociaux ou à la « concorde nationale » ou toutes autres formulations équivalentes de 2022 sont tout aussi nocifs que ceux de 2016.

 Mais l’affaire s’avère d’autant plus compliquée qu’avec sa contre-réforme des retraites, le gouvernement ne laisse guère de marges de manœuvre aux partisans d’une entente co-constructive.

Le gouvernement Borne donne des gages aux marchés et aux instances européennes ; les motivations premières sont là. C’est la double peine pour presque tous avec le report de l’âge et l’accélération de d ce que certains appellent la réforme Touraine.

Première conclusion.

Tous les gouvernements de la Vème république, de « droite », de « gauche », ou de cohabitation ont agi de même.

Tous ont cherché plus ou moins habilement à nous faire abandonner le terrain revendicatif en nous laissant bavarder de tout, surtout des sujets « de société » pour qu’on oublie de travailler inlassablement à construire le rapport des forces pour gagner sur nos revendications syndicales.

Quels sont les enjeux véritables ?

          rappeler avec Robert Bothereau : « la revendication est le moteur du progrès » et travailler à la construction du rapport des forces pour gagner.

          ou considérer qu’on ne peut pas faire autrement que de dire avec Belin-Pétain et leurs adeptes du XXIème siècle : « l’esprit de revendication retarde le progrès que l’esprit de collaboration (co-construction) réalise » ?

Aujourd’hui les syndicats baptisés « corps intermédiaires » ou « partenaires sociaux » sont invités, pas suffisamment selon les néo corporatistes « modernes », à formuler des « propositions ». Ce serait même leur fonction essentielle, voire exclusive :

Quelle réforme des retraites pour sauver les retraites ?

Quelle réforme de la SECU … pour « sauver » la sécu ?

Quelle réforme de l’hôpital pour « sauver » l’hôpital ?

Quelle réforme de l’école pour « sauver » l’école ? On pourrait poursuivre presque à l’infini.

Les corps intermédiaires historiques, CFTC, CFDT et plus récemment UNSA ne sont plus les seuls à participer à la co-construction.

Il faut bien admettre qu’une fraction notoire de l’actuelle direction confédérale CGT s’y prête avec gourmandise.

La CGT aussi « co-construit des consensus », y compris avec le MEDEF. Surtout avec le MEDEF … sinon quel intérêt ?

D’ailleurs, ce candidat à la présidentielle qui aime tant évoquer les « jours heureux » de 1945, invité par l’auguste assemblée du C.E.S.E. à présenter son « programme » présidentiel, a félicité la CGT pour son engagement citoyen durable aux côtés du MEDEF. C’est le corporatisme de gauche, dans toute sa pureté, si l’on peut dire.

Domestiques ou « rebelles » ?

Nous devrions « faire bloc » en défense de l’Etat, pour un Etat plus « fort ». Nos syndicats devraient « se placer sous l’autorité du premier ministre » (selon Macron). Et bien NON ! militants syndicalistes libres et « rebelles » (Marc Blondel), nous ne serons jamais les serviteurs, les subsidiaires, les corps intermédiaires d’aucun pouvoir, d’aucun gouvernement – fut-il déclaré « progressiste » – d’aucun parti, d’aucune secte …

C’est ce que le récent congrès confédéral de Rouen a parfaitement bien repris avec son nouveau secrétaire général, Frédéric Souillot.

Vue des 3000 militants réunis au congrès confédéral de Rouen.

JM janvier 2022

A suivre : 2ème partie, au CESE, la tentation du consensus.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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