>Histoire

Quelques réflexions à propos d’une grève historique

Nous sommes à Saint-Nazaire en juin 1955. Les métallos, bientôt rejoints par ceux de Nantes engagent l’action commune pour arracher des augmentations de salaire. Ils veulent 30%. Des affrontements parfois violents avec les forces l’ordre se multiplient. (1) Côté ouvrier, on relève des centaines de blessés. Jean Rigollet, un jeune maçon, est assassiné. Juin, juillet, août, septembre 1955 : 4 mois d’intense lutte des classes …
L’histoire de la grève de 1955, les faits et les enseignements, du point de vue ouvrier, reste à écrire.

Le contexte

A la libération, les salariés obtiennent par leur action revendicative des acquis considérables – dont la sécu – que gouvernements et patronat n’ont de cesse de vouloir liquider.
Pour autant, les salaires restent désespérément bas. Il est vrai qu’à la Libération, le PCF mène campagne pour la bataille de la production aux côtés des patrons dits « patriotes » qu’on n’a toujours pas réussi à identifier. Après le départ des ministres communistes, c’est l’épisode des « grèves-Molotov » (2) qui ont pour fonction essentielle de permettre au PCF de maintenir son contrôle sur la classe ouvrière.
La loi du 11 février 1950, conquête déterminante de la CGT-FO, signifie le retour à la libre négociation entre les organisations ouvrières confédérées, CGT-FO et CGT et les employeurs. Cette loi qui met fin au dirigisme de l’Etat, les patrons ont bien du mal à la digérer.
En 1953, c’est la grève générale. (Voir le livre de Gérard Le Mauff édité par l’UD CGT-FO 44).

1955, ras le bol généralisé

Ce sont des « grèves-surprises » d’un jour par semaine sans préavis (chez les soudeurs) qui annoncent la généralisation du conflit. Comme quoi, la tactique des appareils – diviser en une multitude « d’actions » – n’est pas toujours suivie par les « masses » …
Le patronat qui craint l’extension de la grève à tout le pays concède d’abord 4,7 %, puis 10-11 % puis 22 %. 22 % ! On en restera là.
Le conflit est resté limité à Nantes-St-Nazaire.

Résolution commune des trois UD

Les UD CGT-FO, CGT et CFTC (la CFDT, continuatrice de la CFTC est constituée en 1964, dans le prolongement du concile Vatican II) adoptent une résolution commune qui affirme :
« Les UD assurent de leur appui tous les travailleurs en lutte pour la revalorisation de leurs salaires et l’amélioration de leurs conditions de travail. Les UD pensent toutefois qu’une action plus large est nécessaire pour obtenir satisfaction … » mais la fonction publique reste à l’écart du combat des salariés du privé.

Des discussions ont lieu, aussi bien au sein de l’UD CGT-FO que de l’UD CGT pour trouver les moyens de lever les obstacles à la généralisation de la grève à l’ensemble du pays. Quant à la CFTC dont certains des militants en vue, pas encore convertis aux délices du « socialisme moderne » sont membres du MRP («Machine à Récupérer les Pétainistes », ou « Machine à Rouler le Peuple »), Alexandre Hébert note sans esprit de polémique inutile :

« Nous ne parlerons pas des positions des représentants CFTC beaucoup plus préoccupés du sort de quelques dossiers jetés par les fenêtres que de trouver des moyens de développer la lutte des métallurgistes nazairiens. Chacun connaît maintenant la double face de la CFTC qui fait du verbalisme gauchiste pendant qu’elle sabote consciencieusement tous les mouvements de quelque importance ». (3)

De toutes parts, on s’inquiète. Le gouvernement nomme un « médiateur » puis un « conciliateur » pour tenter de casser la grève. Alors que le quotidien l’Humanité (4) traque, aux côtés du préfet Rix, les inévitables « provocateurs », le  populaire,  journal de la SFIO constate:
« L’émeute des chantiers de Penhoët est un grave avertissement pour le patronat et le gouvernement. On croit un peu trop à la patience – que l’on qualifie parfois de passivité – de la classe ouvrière. Mais la patience a des limites et les limites atteintes, l’imprévisible peut arriver … » en 2016 aussi.
Une fraction du patronat a cru possible de diviser la classe ouvrière en contournant les confédérations. Ce patronat a joué la carte de la « négociation » entreprise par entreprise. Comme quoi, le calcul est toujours le même.

Manifestation ouvrière à St Nazaire (juin 1955). « Je suis arrivé à St Nazaire le 22 juin. L’air était encore saturé des gaz lacrymogènes ( … ) J’étais venus à St Nazaire pour tenter de mettre en application la résolution du 8 juin commune aux trois unions départementales ». (A .Hébert)
Après la grève, A. Hébert avait tiré cet enseignement : « Ce qui manque à la classe ouvrière, c’est un organe coordinateur capable de pallier les insuffisances des organisations traditionnelles empêtrées dans la bureaucratie et dans les routines de la vieille pratique d’une politique de collaboration de classes ».

Il est amusant de lire ce commentaire de Marcel Guiheneuf, paru en 2000 ; militant CFTC, ancien jociste, forcément, surnommé le « p’tit pape de la navale » :

« ( … ) La question des accords d’entreprise nous montre d’ailleurs que les patrons changent d’attitude et retrouvent rapidement leur pouvoir. Jusqu’à 1955, les accords sont applicables dans toutes les boîtes de la métallurgie nantaise, y compris celles tenues par des patrons rétrogrades ou celles qui n’ont pas les moyens de payer. Ce n’est plus le cas après le conflit. Le syndicat patronal éclate et chacun négocie dans son coin ce qui permet de briser l’unité du mouvement ouvrier nantais … » Eh oui ! une convention de branche ou un accord national, c’est bien mieux qu’un « accord » d’entreprise. Il a bien raison le « p’tit pape » ! (Source : Xavier Nerrière et Ronan Viaud, « Le p’tit pape de la navale » Centre d’histoire du travail de Nantes).

La CFDT 44 qui tente de s’approprier la grève y consacre un dossier.

Extrait :
« La voix des travailleurs, journal de l’UD CFTC, rend compte régulièrement des ajournements et blocages des discussions concernant les conventions collectives de la métallurgie nantaises». La CFTC d’avant la miraculeuse déconfessionnalisation n’était pas encore résolument hostile aux conventions collectives de branches. Le leader « gauchiste » Gilbert Declercq, fut promu à l’issue du conflit, « conseiller technique » auprès de la Confédération, chargé en fait de préparer l’avènement de la CFDT.
Guy Texier, de la CGT, a lui aussi tiré quelques enseignements judicieux de la grève de 1955 :

«  ( … ) Il n’y a de vrai dialogue social qu’en fonction du rapport des forces.
( … ) Démocratie ouvrière : il y a toujours des réactions anarcho-syndicalistes qui ne s’opposent pas à la démocratie syndicale mais qui la renforcent … » (Source : hebdo informations ouvrières, 25 août 2016).

(1) Ici, il ne s’agit pas d’éléments douteux, extérieurs, voire très hostiles aux organisations syndicales (comme au printemps 2016). La « violence » ouvrière est la conséquence directe de la violence patronale qui refuse trop souvent la pratique contractuelle.


(2) La direction stalinienne de la CGT qui prêche « l’unité syndicale » organise méticuleusement la division des rangs ouvriers par la dénonciation brutale des dirigeants ouvriers non « communistes » et par l’organisation savamment planifiée de grèves « éclatées ». Vincent Auriol (SFIO) révèle dans « journal d’un septennat » les discussions du BP du PCF où est décidée la stratégie de la CGT stalinienne.

BP du 9 mai 47 : Le BP veut que « les conflits soient entretenus à l’état permanent mais restent toutefois de très courte durée ». (Page 220).
BP du 19 juin : le BP « recommande » aux grandes fédérations syndicales « d’éviter la grève générale ( … ) d’intensifier les grèves perlées et les grèves fragmentaires ».
BP du 11 juillet : Frachon (SG de la CGT) propose la grève générale. Thorez (SG PCF) s’y oppose. Duclos donne la ligne de Moscou : « maintenir l’agitation par des grèves successives … » vote : 7 voix pour Thorez-Duclos contre 2 à Frachon.

(3) La CFDT ne fait plus depuis longtemps de surenchère « gauchiste ». Mais rien ne dit que nos cléricaux ne seront pas amenés, dans un futur indéterminé à ressortir certains aspects de leur doctrine « révolutionnaire ». Edmond Maire a évoqué cet été la sainte « autogestion » de l’entreprise et mai 68  ouvrant la porte, pour l’instant close, à une forme réinventée de néo syndicalisme rassemblé …

Le leader « gauchiste » de la CFTC 44, Gilbert Declercq raconte dans son « syndicaliste en liberté » (page 67) que le 17 août – le patronat vient de lâcher sur les revendications salariales, mais se rétracte dès le lendemain – « nous avons fêté la victoire en famille, y compris avec mon brave curé qui nous aimait bien, autour d’une bouteille de Byrrh ».


(4) Dans l’Humanité du 3 août, Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT écrit :
« Les métallos de St Nazaire ont commis un crime de lèse-capitalisme. Ils sont unis. ( … ) Aux yeux des capitalistes et du gouvernement, ils donnent le mauvais exemple ». (Source : Benoît Frachon, au rythme des jours, tome 1, page 51) très bien. Mais, le même Frachon écrit toujours dans l’Huma du 9 septembre un article intitulé : « L’état-major patronal s’inquiète ». Très bien. Mais l’article est en fait destiné à « cartonner » les dirigeants de FO et de la CFTC mis dans l’occasion dans le même sac. « L’unité » ouvrière ? Indispensable dit Frachon, mais sous la direction – la férule – du « grand parti de la classe ouvrière ». Et puis quoi encore !

J. M 23 septembre 2016.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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