>Histoire

10 / 02 / 2024

Portugal : 25 avril 1974, le jour où tout a basculé 2/3.

Le 25 avril au matin, un communiqué tourne en boucle à la radio : « Les forces armées vont apporter la démocratie. Appel à la population à ne pas sortir. Appel à la police à ne pas intervenir ».

Mais la « population » n’obéit plus à personne et les rues de Lisbonne sont envahies par les manifestants, comme un certain 8 mai 1945. Le siège du gouvernement et celui de la police politique, la PIDE, sont pris d’assaut.

C’est l’irruption sur la scène politique d’un élément imprévu : le peuple portugais entend faire sa propre histoire.

Dès le 26, le journal REPUBLICA, devenu symbole de la résistance au salazarisme paraît avec en UNE, ce titre :

« Ce journal n’a été visé par aucune commission de censure ».

L’ordre corporatiste s’effondre.

L’Etat est disloqué. En s’engageant sur la voie de la « réforme », mais trop tard, une fraction de l’armée a ouvert une brèche. La classe ouvrière, la jeunesse, les millions d’exploités s’y sont engouffré. Dès lors, toutes les forces de « droite » dites libérales, de « gauche » dites, « progressistes » vont s’efforcer de contenir le mouvement engagé dans des limites compatibles avec « l’ordre international » et ses institutions.

Mario Soares (1) et Alvaro Cunhal, PS et PC.

La grève de masse.

Aux chantiers de la Lisnave, la grève s’organise. Des délégués sont élus pour porter les revendications. Affolée, la direction des chantiers doit céder sur les horaires. Les primes de nuit sont majorées de 25 à 50 %. Les heures supplémentaires sont majorées de 100 %. Les jours fériés et les dimanches seront payés à 200 %.

Les travailleurs n’ont pas organisé de rituelles manifestations en forme de processions. Ils ont tapé, par la grève, là où ça fait mal.

La démocratie ouvrière par l’élection et le contrôle des délégués a permis de gagner ce 1er « round ». Et c’est bien ce qui est insupportable aux dirigeants staliniens qui interviennent dans les assemblées générales pour dire, en substance : tout n’est pas possible. Il faut savoir arrêter une grève. Mieux, il ne faut pas la commencer ! Il faut faire confiance aux forces armées libératrices. Discours de soumission relayé à « gauche » par différentes mini sectes, toutes plus radicales les unes que les autres, qui agissent en subsidiaires de l’appareil lorsque celui-ci est défaillant.

Dans tout le pays, on assiste au même phénomène : La plupart du temps, les patrons cèdent aux revendications sans attendre, de peur de tout perdre.

La contre offensive de la junte auto proclamée de « salut national ».

La junte militaire installée avec l’appui des partis de « gauche » en reconstruction doit louvoyer, gagner du temps, céder à certaines exigences ouvrières, multiplier les promesses en attendant un rapport des forces plus favorable à la « stabilisation » que s’efforce de préparer l’appareil du PCP.

Mais les grèves s’étendent, notamment dans le secteur du bâtiment.

Les provocations.

La junte publie un communiqué qui assimile les grévistes aux agents de la PIDE. C’est le très « libéral » général Spinola (libéral, selon les « démocraties » occidentales) qui en est à l’origine. Ce général n’a jamais caché son admiration pour Franco. Pendant la guerre, il est volontaire pour aller combattre « à l’est, le judéo bolchévisme », comme son compère Jacques Doriot, chef du PPF, ex stalinien devenu 200 % nazi. Spinola a été propulsé à la tête de la junte par la grâce du PCP qui y voit le meilleur rempart contre les « excès » revendicatifs des travailleurs.

Le communiqué de la junte insiste : « Les légitimes revendications seront étudiées en temps opportun. L’heure des grandes solutions n’est pas encore arrivée ».

Pour la junte et pour le parti stalinien, l’urgence est d’en finir avec la situation de double pouvoir et d’assurer la construction d’ « un état fort ».

Le général Antonio de Spinola. Sa passion : « l’ordre, l’ordre, l’ordre ». Il est porté à la présidence de la république le 15 mai 1974 au Portugal et dans les colonies.

Il faut donc laisser le temps à la bourgeoisie de se ressaisir. Il lui faut reconstruire une représentation politique présentable. L’opération ne peut être menée qu’avec la collaboration des partis censés représenter les intérêts ouvriers. Cela prend du temps.

C’est le sens de l’opération menée autour du soi disant PPD, le parti chrétien progressiste (sic) constitué de salazaristes confirmés mais soudainement convertis aux principes de la Démocratie.

Le projet politique est assez simple : retrouver les racines du vrai corporatisme (ce mot ne sera plus employé car trop compromettant), c’est-à-dire le programme des constructeurs de l’Union européenne, un programme « moderne », digne des Schuman, Monnet, Delors … Adenauer, De Gasperi … exportable sur la « scène » internationale, euro-compatible.

C’est un programme néo corporatiste qui ne laisse guère de place à l’existence d’une confédération syndicale ouvrière indépendante.

D’ailleurs le communiqué de la junte n’oublie pas l’essentiel : « En toutes circonstances, la liberté de travail et de l’entreprise, la propriété privée (il faut comprendre, la propriété privée des moyens de production) doit être garantie ».

1er mai 1974 à Lisbonne. La mobilisation des travailleurs et de la jeunesse qui cherchent à reconstituer des syndicats indépendants inquiète les partisans de l’ « ordre ». Certains hésitent à afficher leur nostalgie du régime totalitaire de Salazar. Le FIGARO titre le 27 avril : « la junte lance l’opération : Démocratie ! » Et, « les militaires s’engagent à former une constituante avant un an ». Le sauveur de l’ « ordre » serait donc le réactionnaire et colonialiste général Spinola.

Les provocations du parti « communiste » portugais.

L’appareil stalinien consacre toute son énergie à relayer l’opération et le programme qui en découle. Cette politique est décidée au Kremlin. Quant on est syndicaliste et membre du PCP, il faut appliquer. Les états d’âme ne sont pas permis. Fidèle à sa tradition, l’appareil multiplie les provocations avec son style inimitable :

« Il y a des symptômes plus qu’évidents que les travailleurs portugais, dans quelques secteurs sont déjà animés et propulsés par des éléments fascistes et d’anciens agents de la PIDE qui n’ont d’autres objectifs, en poussant à des grèves inopportunes en ce moment et à des revendications démesurées, que de créer de grandes difficultés à un régime et à un gouvernement, qui, pour la 1ère fois, après un demi-siècle de fascisme, acceptent la représentation des travailleurs » (déclaration de la direction du PCP).

« La grève est l’arme des trusts » disait Thorez en 1945. Ici, la grève serait l’œuvre de la PIDE. L’authentique fasciste qu’était le général Spinola ne pouvait rêver de plus dévoués serviteurs.

Document : L’armée « libératrice ».

L’armée coloniale portugaise en proie à des mouvements convulsifs récurrents causés par la résistance des peuples d’Afrique à la colonisation, est souvent présentée comme à l’origine de la révolution dite « des œillets ». Sans les « capitaines », point de salut !

Extrait d’un article du FIGARO, paru le 28 avril 1974. Bien sûr, le FIGARO avait tout au long des 40 ans de dictature soutenu un régime d’ « ordre » de bonne morale et de « sécurité ». Mais il faut savoir s’adapter.

« Le mal colonial

Un putsch vient de mettre fin à une dictature qui se prolongeait depuis près de cinquante ans.

( … ) Le régime mis en place en 1928 par le docteur Salazar est tombé comme un fruit mûr dans les mains de l’armée qui avait tant fait pour l’établissement de ce pouvoir et sa consolidation.

Signe des temps. Des temps qui n’avaient pas changé pour le Portugal, pays figé dans le corporatisme et les anachronismes économiques et politiques. Seul pays au monde aussi à avoir conservé son empire colonial, en dépit des expériences de ses voisins, des condamnations et des admonestations des Nations Unies, du poids de la guerre de plus en plus pesant dont les dépenses absorbaient presque la moitié du budget national.

Seuls les militaires qui se battaient durement en Afrique contre des guérilleros de mieux en mieux armés et -sauf en Angola- toujours plus efficaces étaient en contact avec les réalités du monde extérieur, tandis que Lisbonne poursuivait ses vieux rêves impérieux (?), remontant au XVe siècle.

Le décalage entre le gouvernement de Ia métropole et les troupes qui combattaient outre-mer était d’autant plus douloureusement ressenti par ces dernières qu’elles se voyaient mises en accusation non seulement par des mouvements internationaux, mais aussi par les «pieds noirs» qui leur reprochaient leur mollesse ».

Pour le quarantième anniversaire de la révolution ouvrière, le quotidien l’HUMANITE affirme ceci :

« Des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Lisbonne pour célébrer le quarantième anniversaire de la révolution qui renversa un demi siècle de dictature salazariste. … en hommage au couple sans lequel le Portugal ne serait pas une démocratie riche de conquêtes sociales : le peuple et les capitaines ».

(1) L’orientation du leader du PS portugais est assez bien résumée dans cet extrait d’interview.

« En ville, […] on s’arrêtait de produire pour un oui ou pour un non, une assemblée, une discussion ou une ‘‘manif’’… A la campagne – dans l’Alentejo essentiellement – on confondait réforme agraire et anarchie, on occupait partout des terres qui ne devaient pas l’être […]. Il était temps de remettre de l’ordre, avant que d’autres ne s’en chargent sous la férule d’un Pinochet providentiel. […] A quoi rimait donc cette pagaille monstre, cette indiscipline, cette subversion généralisée ? Que venaient faire dans le Portugal de 1975 ces soviets de soldats et de marins sortis tout droit des garnisons de Petrograd et de Cronstadt […] ? Où nous menait cette anarchie ? Comment ne pas voir, ne pas comprendre la rage de la plupart des officiers devant des bidasses débraillés qui saluent poing levé? » [Mario Soares, Portugal: quelle révolution ? Entretiens avec Dominique Pouchin, Paris, Calmann-Lévy, 1976, pages 183-185].

3ème partie : reconstruire les syndicats. Les nouvelles lois syndicales … lois anti syndicales.

JM. 10-02-2024.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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