>Histoire

12 / 06 / 2022

Nantes : congrès confédéral, 14 au 17 novembre 1938. 1 /6

Introduction générale.

Le rapport moral.

Voici quelques notes concernant le XXXIème congrès national corporatif de la CGT réuni à Nantes en 1938. Le compte rendu du congrès fait 500 pages. Autant dire qu’il a fallu sélectionner.

Rappelons brièvement le contexte.

1 / L’expérience » du Front populaire s’achève. Le gouvernement Blum tombe le 20 juin 1937.

Daladier, chef du parti radical, ancien chouchou du PCF parce que supposé représentant des « classes moyennes » dont il ne fallait pas se « couper » par des mesures trop « hardies » en faveur de la classe ouvrière et des millions d’exploités, prépare la revanche du patronat.

Celle-ci prend la forme brutale de décrets-lois Reynaud (ministre des finances) – Daladier remettant en cause toutes les conquêtes de la grève générale de mai-juin 36 :

  • Remise en cause des 40 heures.
  • Remise en cause des congés payés.
  • Remise en cause des conventions collectives.
  • Remise en cause des droits syndicaux …

Les petits chefs de guerre, d’hier et d’aujourd’hui, ont tous pour projet de faire payer les exploités.

Il s’agit d’un véritable programme de guerre sociale. Le 12 novembre, Reynaud déclare : « Nous vivons en régime capitaliste. ( … ) Le régime capitaliste étant ce qu’il est, pour qu’il fonctionne il faut obéir à ses lois, c’est le profit, c’est le risque … c’est la liberté des marchés, c’est le stimulant de la concurrence … » Malgré tous ses efforts, Reynaud fera partie en 1942 (aux côtés de Blum et Daladier) des accusés du procès de Riom, organisé par les vichystes. Comme quoi, il ne suffit pas toujours d’être un zélé avocat des intérêts capitalistes pour être à l’abri …

2 / En Espagne, l’Espagne franquiste soutenue par Mussolini et Hitler va exercer sa dictature sur le pays. En URSS, les procès contre ceux qui se rattachent d’une façon ou une autre à octobre 17 se multiplient. L’ordre colonial règne un peu partout.

C’est la course aux armements en vue d’un nouveau partage du monde.

3 / La CGT est alors « unifiée ». Y cohabitent tant bien que mal :

 – la tendance – ou plutôt la fraction – des chefs staliniens  qui s’empare peu à peu de l’ « appareil ».

En août 1939 ce sera la signature du pacte germano-soviétique. L’ « unité syndicale » aura vécu. (Jusqu’à la nouvelle réunification  en 1943).

  • La tendance dite « réformiste » incarnée par Léon Jouhaux. Mais dans le syndicat, ne sommes-nous pas tous « réformistes » ?
  • La tendance « néo » de Belin, néo syndicaliste, le futur ministre du travail de Pétain qui recueille sur une motion « pour la paix » 1/3 des mandats.
  • Enfin, la tendance qui se revendique du « syndicalisme révolutionnaire » représentée ici par Serret. Très minoritaire.

4 / Face aux décrets, le congrès discute de la riposte. Une date est avancée : le 26 novembre. Avec Grève ou pas ? Ce sera sans grève. Aujourd’hui, certains diraient : « un temps fort » (entre deux temps faibles ?), tout en disant : « on ne lâche rien ! ». Bien sûr.

La parole sera laissée aux délégués.

Une précision tout de même : lors de notre tout récent congrès confédéral de Rouen, 210 délégués, mandaté par leur syndicat ont pris la parole. En quelques minutes, chacun a pu s’exprimer en toute liberté. Toutes les interventions sont publiées. C’était le congrès des syndicats.

A Nantes, en 1938, seuls s’expriment les « chefs » de tendance, et encore, ceux-ci doivent-ils s’accorder pour laisser la parole à l’un d’entre eux.

Il faut donc se rattacher à une « tendance » ou une « fraction » pour accéder à la tribune.

Les intervenants disposent à priori d’une demi-heure qui se transforme souvent en un discours fleuve où les questions syndicales, revendicatives, ont tendance à devenir annexes, voire disparaissent totalement.

Notons toutefois qu’un délégué venu d’Algérie bénéficie d’un traitement particulier : environ 7 minutes. Il est vrai que le délégué Marouf pose – pourtant très prudemment, presque avec déférence – la question de l’attitude de la CGT dans « nos » colonies.

Des motions sont adoptées. On en trouvera quelques brefs extrais.

A quoi bon s’occuper d’un congrès passé aux oubliettes de l’histoire. ? J. Salamero disait : « Essayez de conduire sans rétroviseur, et vous verrez … »

Il y est question de guerre et de paix, d’indépendance syndicale, de mesures liberticides, de conventions collectives, de « pouvoir d’achat », c’est-à-dire des salaires, de la retraite des vieux etc. Ne s’agit-il pas de questions d’actualité ?

 

Plans de « redressement », « rénovation », « reconquête », « reconstruction », et tout récemment, « refondation » … Certains gouvernements cherchent à y associer les Confédérations ouvrières, ou à les « contourner » ou encore lorsque le rapport de force le permet, à les interdire. Comme l’a rappelé Frédéric Souillot, résistance et « refondation » ne sont pas synonymes …

Le rapport moral.

« ( … ) L’irrésistible élan des travailleurs qui s’est développé en mai et juin1936 a conduit à la plus grande victoire qui ait été remportée par les travailleurs de ce pays. Les accords Matignon, suivis par un ensemble de lois sociales  rapidement votées, ont apporté à la classe ouvrière un ensemble de réformes sans précédent … »

 ( … ) La caractéristique juridique des conquêtes de juin 36,  a été d’affirmer le caractère collectif du contrat de travail et de faire table rase de ce mensonge, le contrat individuel … »

Rappelons que le déferlement de la grève générale avait surpris tout le monde. Les patrons, par peur de tout perdre avaient cédé beaucoup, notamment ce qu’ils essaient aujourd’hui de nous reprendre : le contrat collectif qui est au fond la reconnaissance de l’existence de classes sociales aux intérêts opposés.

L’un des premiers actes du régime national-socialiste, en Allemagne, en janvier 1934, a été de supprimer les conventions collectives, au nom du bien commun.

Suite du rapport : «  Les conquêtes sociales nouvelles n’auraient pu être incontestées que si l’emprise des puissances financières avait été brisée. Il n’en fut malheureusement rien ».  C’est un fait.

« Le renchérissement du coût de la vie n’a pas cessé de détruire les avantages que les travailleurs de l’industrie et du commerce avaient obtenu … encore faut-il constater la situation bien plus grave  faite aux travailleurs des services publics auxquels on a refusé jusqu’ici, contre toute équité, les réadaptations de traitements indispensables ».

Il y a ce constat, indiscutable, mais comment passer sous silence ce fait que la Commission exécutive de la CGT réunifiée avait expressément demandé aux fonctionnaires de marquer leur solidarité envers les salariés du secteur privé … en ne faisant pas grève ? Ce fut le « néo »  René Belin qui fut chargé de l’affaire, à la demande de la fraction PCF de la CGT. A qui a profité cette « abstention » revendicative ? Dans ses « mémoires » Belin rappelle que « La CGT déconseille toute grève des services publics ». Ce serait dit-il une grève « contre le gouvernement ».

« Mais on ne dira pas que notre Confédération Générale du travail est demeurée inactive. ( … ) Ce sont les résolutions de son Comité National d’août 1937 qui ont été à l’origine de l’initiative gouvernementale  traduite – trop tardivement –  par l’élaboration des projets auxquels a été donné le titre : statuts du travail.

Ne disons pas que ces projets donnent pleine satisfaction aux organisations ouvrières qui en ont dénoncé les insuffisances, mais ne méconnaissons pas non plus leur intérêt. ( … ) Les projets relatifs à l’embauchage et aux licenciements, aux statuts et aux attributions des délégués ouvriers, à la grève sont en suspens ».

«  Un seul est devenu loi : celui relatif à la conciliation et l’arbitrage qui comporte des dispositions relatives à la révision des salaires ».

La conciliation et l’arbitrage ? Belin se vante d’avoir obtenu que la CGT renonce à sa position traditionnelle sur cette importante question.

C’est donc tout naturellement que René Belin se fait le plus zélé propagandiste des procédures d’arbitrage qu’il souhaite rendre obligatoires. Un « arbitre » ou un « surarbitre » serait chargé d’anticiper les « confits du travail » – donc faire en sorte qu’il n’y ait pas de grèves – en proposant aux deux parties, ouvriers et patrons, des solutions qui conviennent aux uns et aux autres. La pratique laisse entendre que l’entreprise serait une « communauté de destins », exploiteurs et exploiteurs devenant de simples « collaborateurs » comme on dit aujourd’hui dans les écoles de management.

Avec de la « bonne volonté », patrons « honnêtes » et ouvriers « honnêtes » – le terme revient fréquemment dans la bouche de certains orateurs – pourraient s’accorder pour « une bonne marche de l’entreprise ». Ce n’est pas un hasard si l’économiste partisan d’un corporatisme d’Etat brutal – François Perroux, le modèle des premiers ministres Raymond Barre et Michel Rocard – était déjà à l’époque partisan de ces dispositifs incompatibles avec la pratique contractuelle.

(Voir à ce sujet : « corporatismes d’hier et d’aujourd’hui » page 150 … ; étude à partir d’une réflexion de Patrick Hébert).

Dans la pratique ce sont les intérêts des patrons qui sont préservés. Plusieurs intervenants l’avouent d’ailleurs dans leurs interventions.

Et, lorsque des décisions « arbitrales » semblent mieux convenir aux intérêts ouvriers, les patrons s’arrangent pour les contourner.

Le rapport s’attarde sur la question de l’indépendance syndicale.

«  Le syndiqué a toute liberté d’agir en dehors du syndicat dans tous les partis ou groupes divers auxquels  l’amènent ses préférences personnelles. Il ne lui est demandé en contrepartie que de ne pas introduire dans le syndicat ses préoccupations extérieures ».

Et de s’interroger,

« ( … ) Peut-on dire que la participation de la CGT au rassemblement populaire déroge à ces considérations fondamentales ? »

Le rapport fournit cet élément de réponse :

« Rappelons qu’à l’origine du mouvement populaire il y a eu cette conviction profonde que la lutte contre le fascisme ne peut pas seulement être défensive, que la sauvegarde de la démocratie exige le développement, la pleine réalisation de la démocratie, tant dans le domaine économique et social que dans le domaine politique. ( … ) Au fond, la faiblesse du Front populaire est de n’avoir pas réalisé la partie fondamentale de son programme. Il devait mettre la démocratie à l’abri des attaques du fascisme ».

Mais de quelle « démocratie » s’agit-il ? Du droit des « Empires »  – Grande-Bretagne, France …  – de continuer le pillage des ¾ de l’humanité ? Du droit des possesseurs des moyens de production d’exploiter toujours plus « leurs » travailleurs par l’abaissement du coût du travail ? Quant au « fascisme », personne n’en retient la même définition. Disons simplement à ce stade que les chefs staliniens affirment que les militants algériens qui se prononcent pour l’indépendance de l’Algérie sont … « des fascistes hitlériens » comme le déclarent au congrès certains d’entre eux, que les ouvriers qui se mettent en grève dès qu’ils prennent connaissance des décrets-lois, pourraient bien, eux aussi en être …

Le 1er mai 1936, des centaines de milliers de manifestants convergent au MUR des FEDERES pour y célébrer la Commune de Paris.

En 1938, certains amis politiques de Belin, le belge H. De Man notamment, sont déjà aux portes du national-socialisme. Marcel Déat, ex N° 2 de la SFIO, partisan du mot d’ordre : « Ordre, autorité, nation » – quatrième et dernier ministre du travail de Pétain, en a été expulsé en 1933. Ce sont les dirigeants du PCF qui sont allés le chercher pour qu’il se raccroche au Front populaire.

Tels sont les faits.

Avant les interventions, le rapport présente en une douzaine de pages …

« L’action générale de la CGT ».

Un constat : « Partout les travailleurs déposent des cahiers de revendications dont le fond est commun. Les travailleurs veulent principalement une revalorisation de leurs salaires, des conventions collectives, le respect de la liberté syndicale, les 40 heures, les congés payés ».

Ajoutons : une vraie retraite pour les anciens … Puis :

« La CGT prit la responsabilité (en juin 36)  de rechercher les moyens propres à assurer le ravitaillement fondamental de la population, en général sympathique au mouvement gréviste … » Evidemment.

« De même, la CGT préconisa le fonctionnement régulier des services publics. Il convenait en effet que les grèves de l’industrie privée puissent se continuer avec succès et que le gouvernement ne soit pas amené, par une grève qui l’aurait par définition, visé directement, à se démettre avant d’avoir agi ».

Bref, pour ne pas gêner l’action du gouvernement, il fallait y aller « mollo » sur les revendications, voire y renoncer au moins temporairement. Mais au bénéfice de qui ?

 « Le 5 juin la Commission administrative qui siège presque en permanence, lance par radio un nouveau message dans lequel elle affirme le caractère strictement revendicatif et corporatif des mouvements qui se poursuivent et se développent ».

La multitude de grèves partielles se transforment de fait en grève générale. Pourtant, la grève, la CGT n’y a pas appelé.

Et vraiment, il ne s’agirait que de « mouvements » à caractère corporatif ?

« La CA dénonce la manœuvre de certaines organisations de droite, qui, par certains intermédiaires, poussent les grévistes à des revendications extrêmes ». Chaque mot compte. La CA (unanime) estime-t-elle que les millions de salariés – 5 millions d’entre eux rejoignent la CGT – constituent une masse malléable manipulable à souhait par des « intermédiaires » dont on ne précise pas l’identité.

Cette formulation est tirée directement des éditoriaux du journal du PCF, l’HUMANITE. Pauvre Jaurès !

« Comme on le voit, la Centrale ouvrière s’applique à diriger le mouvement, à lui éviter l’écueil mortel d’une hostilité des populations, à dénoncer la malfaisance de provocations dont les exemples pullulent » … mais qui restent bien mystérieux.

 Les « populations », c’est-à-dire les salariés, les travailleurs exploités ne sont-ils pas les mêmes qui sont en « mouvement », c’est-à-dire ces millions qui  font la grève générale.

« Le gouvernement  devait s’employer  à rechercher un accord général entre patrons et ouvriers, à l’effet d’orienter le mouvement (donc la grève générale)  vers une issue satisfaisant à la fois l’intérêt général du pays  et les intérêts ouvriers en cause ».

Mais la CGT, celle des origines, n’a-t-elle pas été fondée pour défendre les intérêts particuliers des travailleurs, intérêts opposés à ceux des patrons, sans se préoccuper d’un mythique « intérêt général ?

« Le gouvernement a su faire confiance à la classe ouvrière … » Etonnant …

Mais la classe ouvrière si souvent dupée se méfiait de la volonté du gouvernement au sein duquel siégeait le radical Daladier, (dont la présence était seulement tolérée par les travailleurs),  de changer vraiment les choses. Blum n’avait-il pas déclaré, peut-être inconsidérément, de son point de vue : « (il faut) donner l’impression du changement ».

« On doit dire que la défaite infligée aux forces patronales était si cuisante que leur organisation allait connaître une véritable révolution de palais ». On n’en saura pas plus.

Ce qui est bien certain, c’est que le patronat a senti le vent du boulet. Affolé par la détermination de millions de grévistes, le patronat a cherché le secours du gouvernement Blum-Daladier-Thorez, Thorez qui soutient le gouvernement « de l’extérieur », pour, d’abord canaliser le « mouvement », puis lâcher les concessions importantes, inévitables, et préparer les conditions de la revanche.

Tels sont les faits.

Puis six pages sont consacrées aux lois relatives à la conciliation et l’arbitrage. Encore !

Disons simplement à cette étape que la CGT rappelle que le président du Conseil, Camille Chautemps en appelle pour justifier ces lois dites « sociales » à « un code de paix sociale ». On dirait peut être plutôt de nos jours, un « pacte social » qui devrait lier les syndicats ravalés au rang de « corps intermédiaires », même si le terme n’est pas employé à l’époque, à des exécutants des décisions gouvernementales, exécutants et subsidiaires  que nous ne sommes pas ! comme l’a si clairement rappelé notre camarade Yves Veyrier au congrès de Rouen : « Ni co-constructeurs », ni corps intermédiaires … (hostiles) à toutes les formes de corporatismes … » et comme l’a fermement redit, Frédéric Souillot davant les 900 militants présents au congrès de l’UD, en mars dernier.

Deuxième partie : début des interventions.

  1. 11 juin 2022

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

>Suite

Calendrier de l’UD : cliquez sur les jours

<< Avr 2024 >>
lmmjvsd
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30 1 2 3 4 5