>Histoire

24 / 10 / 2021

Marcel Déat et sa Chambre du futur.

Marcel Déat (1894-1955) a été au début des années trente un des chefs de file de l’ex SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière), le parti de Léon Blum.

En 1926, Déat est élu député SFIO.

En 1930, Il publie « perspectives socialistes » (publié par Georges Valois partisan à l’époque du fascisme mussolinien). Il affirme vouloir libérer la société des « mauvais côtés du capitalisme financier », un peu comme nos « modernistes » partisans du « capitalisme inclusif », capitalisme « moralisé », libéré de ses « excès ».  Voir à ce sujet :

http://force-ouvriere44.fr/connaissez-vous-le-capitalisme-inclusif/

Le problème ne serait plus selon Déat la propriété par une minorité de capitalistes de la propriété des moyens de production. Il suffirait d’inventer de nouvelles « règles de gestion ». Il reviendrait à l’Etat, garant de « l’intérêt général » de mener à bien les « réformes » avec la collaboration des syndicalistes de la CGT.

Déat a commencé une lente mais irrémédiable évolution vers le fascisme, avec une préférence marquée pour le système nazi et son « Front du travail » (1).

En 1933, Au congrès SFIO, il est expulsé du parti. Son mot d’ordre était : « Ordre, Autorité, Nation ». Blum s’était dit : « épouvanté ».

Pour Déat, la défense des intérêts particuliers de la classe ouvrière, et au-delà des victimes du capitalisme, ne se justifierait plus parce qu’il y a la crise économique (commencée aux Etats-Unis en 1929). Il faudrait « faire bloc » derrière un état fort et son chef, soi-disant garant de l’intérêt général.

Il faudrait un nouveau « contrat social ».

La tentation totalitaire a-t-elle aujourd’hui disparu de certains cercles prétendument « progressistes » ?

Début 1936, il est ministre de l’Air.

En juin 1936, c’est le Front populaire qui suscite pour des millions de travailleurs l’espoir d’inverser la tendance. De très nombreuses organisations, dont la CGT réunifiée, s’y rallient. Parmi elles, le parti de Déat. Ce sont les dirigeants du PCF stalinien qui ont tout fait pour y inclure Déat.

En 1940, Déat observe de Paris la « révolution nationale » de Pétain qu’il ne trouve pas assez « révolutionnaire ». Il la commente dans son journal, « l’œuvre », financé par l’occupant. Il qualifie le régime de Vichy de « panier de crabes ». Pourtant, il accepte en 1944 le poste de ministre du travail et de la solidarité nationale (du 16 mars au 19 août 1944). Le 1er mai 1944, il organise « la fête du travail et de la paix sociale ».

Le régime à bout de souffle, isolé, méprisé, va chercher dans les poubelles du mouvement ouvrier ses derniers zélés serviteurs. Que représente-t-il au printemps 1944 ? trois ou quatre % de la population totale ? Aucune élection ne permet de le mesurer.

L’effondrement définitif de la Wehrmacht n’est plus qu’une question de temps mais cela n’empêche pas M. Déat d’avoir des projets de « réforme » des institutions, projets qu’Il expose longuement après-guerre dans un document de 1000 pages intitulé « mémoires politiques ». (Il est réfugié en Italie, dans un couvent).

Déat est partisan de l’association Capital-travail, du corporatisme. Comme tous ceux-là, il rêve pour instaurer la « paix sociale », d’une Chambre des corporations où les « syndicats » autorisés, disciplinés, domestiqués, rassemblés en un « syndicat » unique, auraient pour seule fonction de co-construire les réformes de structures.

Voici comment il envisage les choses en 1945.

Marcel Déat sait que l’ORDRE NOUVEAU corporatiste ne peut s’imposer sans le soutien de l’Eglise catholique. Il lui faut gommer les réticences éventuelles. Certains prélats n’oublient pas son lointain passé socialiste, ce qui le rend suspect. Il écrit :

« Je trouvais dans nos conceptions socialistes d’autrefois les premiers éléments d’une solution au problème scolaire. Ecartant désormais une laïcité polémique … je reprenais la vieille idée de la « nationalisation » de l’enseignement. J’expliquais que les établissements libres y auraient tout naturellement leur place et que l’Université toute entière  devait tendre à se comporter comme une vaste corporation de droit public, contrôlée certes par la nation, mais largement autonome ».

Déat aurait pu voter pour la loi Edgar Faure de 1969 et il aurait pu se rallier au projet de loi Savary du début du septennat Mitterrand.

Multiplication de bidules intégrationnistes.

Il écrit (page 813) :

(Nommé ministre), « Je réorganisais le conseil supérieur du travail qui était en sommeil ». Le régime de Vichy avait mis en place toute une série d’instances qui ne fonctionnaient pas. Même la Charte du travail, le cœur de la « réforme » du travail, tournait à vide, ce qui désolait les « révolutionnaires » vichystes venus de la « gauche ».

Vichy avait aussi institué un Conseil national où devaient siéger d’éminentes personnalités (les « élites ») venus d’horizons divers. Pétain avait par exemple rallié Paul Faure, longtemps N° 2 de la SFIO.  Là encore, échec complet. Le bidule de fonctionnait pas. Il y avait bien eu quelques essais infructueux de mises en place de commissions, sans suites …

Déat a ce commentaire : « on avait perdu son temps à constituer, pour ne pas s’en servir finalement, un ridicule Conseil national ».

Par contre, « Je voyais dans un Conseil supérieur du travail, un élément d’un ensemble plus vaste » … auquel il convenait d’adjoindre une multitude d’autres Conseils où les ex syndicalistes de la CGT devaient exercer, selon Déat, leurs talents de co constructeurs.

Il y aurait eu « un conseil supérieur de la Production qui (aurait représenté) l’aspect économique du nouveau corporatisme en gestation ». Nouveau corporatisme ? Déat avait repris à son compte la formule de Lagardelle (2), le second ministre du travail de Pétain, issu du syndicalisme dit, « révolutionnaire » : « la Charte du travail sera syndicale ou ne sera pas ».

Déat voulait aussi un Conseil supérieur de la démocratie nationale, un Conseil national de l’agriculture et un Conseil supérieur de l’enseignement. Les plus naïfs, naïfs, pour rester mesuré, pourraient y voir une forme exacerbée de démocratie participative.

En réalité, Déat prônait la nécessité du parti unique, du « syndicat » unique, d’une organisation de jeunesse unique (ce qui ne plaisait pas à l’Eglise catholique) et l’obéissance absolue au chef de l’Etat.

« D’autres organismes encore pourraient sans doute s’y joindre, et nous aurions ainsi, par la force des choses, un premier dessin, une première forme d’une assemblée corporative, précisément de ce sénat d’un type nouveau que j’avais prévu dans mon plan de réforme de l’Etat ».

Autrement dit, Déat proposait une méthode en apparence « démocratique » pour instaurer un ordre totalitaire. Il le confirme à sa façon :

« Sans bruit inutile, nous serions donc en mesure de faire pousser les éléments d’une vie constitutionnelle, au lieu de rédiger simplement des constitutions théoriques ». La réforme  constitutionnelle  envisagée par Vichy n’avait en effet jamais vu le jour. Celle de Déat non plus parce que les militants syndicalistes restés pour la plupart sur le terrain de la Charte d’Amiens ne pouvaient pas marcher dans la combine et puis, au printemps 1944, c’était trop tard.

Déat conclut cette présentation de « réforme » par cette intéressante conclusion :

« Je persiste à penser qu’il y a là une conception d’avenir et que sous une forme ou sous une autre, on en retiendra quelque chose ».

Le régime de la Vème République avec son état fort et sa volonté sans cesse affirmée d’association Capital-travail (baptisée par d’autres : autogestion) a effectivement inventé toute une série de ces bidules intégrationnistes – toutes sortes de « hauts Conseils » (3) –  où les revendications spécifiques des classes exploitées ne sont pas les bienvenues. Le double NON électoral : en 1969 et 2005, à l’instauration d’un ordre nouveau corporatiste a refroidi quelques velléités. Fort heureusement. Mais « ils » n’ont pas renoncé.

(1) Le bras droit du parti de Déat, le RNP, écrit : « Il définissait l’esprit révolutionnaire hitlérien comme résolument anticapitaliste et authentiquement socialiste. Il affirmait que le but de guerre de l’Allemagne était la construction d’une Europe nouvelle débarrassée des tares capitalistes et brisant les égoïsmes nationaux (source : Claude Varenne, pseudonyme de Georges Albertini), « le destin de Marcel Déat ». (Publié en 1948).

« Programme » du RNP :

« défense de l’Empire … Etat fort … épuration et protection de la race … lutte contre le désordre et la domination des trusts.  Suppression du prolétariat né du capitalisme. Toutes les classes fondues dans la communauté nationale … vie industrielle et familiale garantie et étayée par le syndicat et la corporation sous l’arbitrage de l’Etat ».

Ne trouve-t-on pas aujourd’hui ici ou là des variants de ce programme de guerre de classes ?

(2) Sur Lagardelle, voir : http://force-ouvriere44.fr/hubert-lagardelle-ministre-travail-syndicalisme-dit-revolutionnaire-a-vichy-itineraire-dun-bourgeois-gate/

(3) « Sous une forme ou sous une autre … » ? Ces bidules à vocation intégrationniste – qui émettent des « avis » ou des « recommandations » – sont désormais si nombreux, qu’il n’est pas possible de les citer tous. Ils apparaissent, disparaissent, réapparaissent sous un autre vocable au gré des besoins de l’appareil d’Etat. En voici quelques-uns :

Haut conseil de la santé publique ; … pour le climat ; de la stabilité financière ; des finances publiques ; du travail social ; de l’égalité hommes, femmes ; d’orientation pour la stratégie ; de la famille de l’enfance et de l’âge ; à l’intégration ; du dialogue social ; du travail social numérique … sans oublier le nouveau Commissariat au PLAN et le CESE qui chapeautent plus ou moins l’ensemble.

Ils associent une armada d’ « experts », de PQ, de représentants de la société dite « civile », de « corps intermédiaires », le plus souvent « verts » de toutes nuances, des différentes branches patronales, et, dans certains cas, des représentants des deux confédérations ouvrières.

JM 24 octobre 2021.

chaud ! chaud ! chaud !

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