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Monde 20 / 02 / 2015

Made in Germany : le modèle allemand au-delà des mythes

Guillaume Duval est rédacteur en chef d’Alternatives économiques. Ingénieur de formation, il a travaillé plusieurs années dans l’industrie allemande.

Made in Germany« Made in Germany », paru en 2013, vient de reparaître avec une nouvelle préface. Simple, documenté, court (230 pages) et pas cher (6,70€).

« Pour sortir des mythes qui entourent le modèle économique allemand, je ne saurai trop conseiller la lecture de Made in Germany » – Daniel Cohn-Bendit (pour une fois qu’il voit juste ne nous en privons pas).

Ce livre s’inscrit dans le sillage de livres allemands récents (non traduits en français) « Allemagne, l’Illusion » et « La bulle Allemagne » dont il a été question dans un numéro d’Ouest Syndicaliste de l’automne dernier.
Ci-dessous des compte-rendus de lecture de ces deux livres avec une interview d’Olaf Gersemann auteur de « La bulle Allemagne »

 

Trends.be

« L’économie de ce pays est en échec. Sa croissance depuis l’an 2000 est plus faible que la moyenne européenne. Les salaires y ont progressé moins vite, et la pauvreté, en hausse, touche un enfant sur cinq ». Bienvenue en… Allemagne.

Grue © ReutersAinsi démarre le portrait de la première économie européenne, dressé par l’économiste allemand Marcel Fratzscher, dans un ouvrage à paraître lundi. Au moment où le modèle allemand est encensé dans le monde entier, le président de l’Institut de recherches DIW, à Berlin, comme d’autres économistes de premier plan, veut en finir avec les clichés aussi flatteurs que « dangereux ».
Son pays est « en déclin » et « vit sur ses acquis », explique-t-il dans « Allemagne, l’illusion » (« Die Deutschland Illusion »).
Le revenu moyen d’un ménage allemand a baissé de 3% depuis l’an 2000. La baisse a même atteint 5% pour les 10% les plus pauvres, souligne-t-il.
Certes, l’Allemagne, considérée comme « l’Homme malade de l’Europe », il y a encore une dizaine d’années s’est redressée depuis la crise financière de 2009. Ses près de 200 milliards d’euros d’excédents commerciaux en 2013 témoignent d’une compétitivité exceptionnelle. Le nombre de chômeurs a chuté de plus de 5 millions en 2005 à moins de 3 millions aujourd’hui. L’amélioration des comptes publics a permis à la chancelière Angela Merkel d’adopter un projet de budget 2015 à l’équilibre au niveau fédéral pour la première fois depuis 1969 !
Mais tout cela ne doit pas occulter « les faiblesses fondamentales de l’économie allemande », notamment son « énorme manque d’investissements ». Ces derniers sont passés de 23% du Produit intérieur brut (PIB) au début des années 1990, à 17% aujourd’hui, nettement moins que la moyenne des pays industrialisés (20%).
Pour M. Fratzscher, « le déclin de l’économie allemande va s’accélérer si on ne change pas fondamentalement la politique actuelle ».

 

« La bulle Allemagne »

Après de mauvais indicateurs ces derniers mois, Olaf Gersemann, chef du service économique du groupe de médias Welt, voit aussi l’avenir en noir, dans un livre paru lundi dernier « La bulle Allemagne ». Pour lui, « L’Allemagne se proclame modèle du monde (…) mais l’orgueil précède la chute ».
Comme M. Fratzscher, M. Gersemann relativise les succès de son pays, qui, sur 20 ans, se classe 156e sur 166 pays pour la croissance. Et si le nombre de chômeurs a baissé de façon spectaculaire, le volume d’heures travaillées n’a pas progressé en Allemagne depuis 20 ans.
L’auteur démonte le mythe des réformes de l’Etat providence, menées au début des années 2000 par le chancelier Schröder, et qui ne sont « pas la raison du miracle de l’emploi en Allemagne ».
Les succès récents du pays viennent plutôt de sa puissante industrie automobile et de ses entreprises de machines-outils, parfaitement positionnées pour profiter de l’essor d’une vaste classe moyenne dans les pays émergents, notamment en Chine.
L’Allemagne a aussi profité de la flambée de consommation chez ses voisins où les salaires progressaient vite quand elle-même se serrait la ceinture.
Enfin, l’effondrement des naissances a « considérablement allégé la facture des ménages et de l’Etat », aubaine à court terme seulement. En 2050, l’Allemagne ne sera plus que la troisième nation d’Europe de l’Ouest, derrière la Grande-Bretagne et la France déjà passées en tête pour le nombre de jeunes scolarisés…

 

Books.fr

Olaf Gersemann : « Nos entreprises sont en train de quitter le pays »
Il règne en Allemagne une allégresse et un sentiment d’orgueil que rien ne justifie. Le pays a hypothéqué l’avenir en négligeant les fondamentaux que sont la démographie, les investissements publics, l’éducation, les nouvelles technologies, l’énergie bon marché et… la valeur travail. L’économie dépend de l’automobile à un point absurde. Et désormais, les entrepreneurs allemands préfèrent investir ailleurs.

Livre - Die Deutschland BlaseLe livre « La bulle allemande » par Olaf Gersemann.

 

Interview

Dans l’article qui ouvre ce dossier, l’Anglais Philippe Legrain explique que la bonne santé de l’économie allemande n’est qu’apparente. Vous venez pour votre part de publier un livre intitulé « La bulle allemande ». Vous êtes donc d’accord avec ce constat ?

« L’article est superbe. Je n’y ai pas trouvé une seule phrase avec laquelle je ne sois pas d’accord. Mais bien sûr ce n’est qu’un article, et l’argumentation est parfois un peu courte – sur l’apprentissage, par exemple. Que ce soit ou non l’effet de la brièveté du texte, il me paraît surestimer ou sous-estimer certains facteurs. »

Avant d’y venir, si vous aviez à définir en quelques mots le mal dont souffre aujourd’hui votre pays, que diriez-vous ?

« Le problème le plus profond, c’est le déclin démographique. Du coup, notre société se comporte globalement un peu comme un homme d’un certain âge qui se demande si cela vaut vraiment la peine de continuer à acquérir des compétences, mettre ses connaissances à jour ; un homme qui attend tranquillement la retraite. Or, ce qui est parfaitement compréhensible à l’échelle de l’individu est suicidaire à l’échelle d’une société. Et en même temps, il règne dans mon pays une allégresse et un sentiment d’orgueil que rien ne justifie, et qui me paraissent dangereux parce qu’ils favorisent des décisions irrationnelles. »

Pouvez-vous donner un exemple d’une décision irrationnelle récente ?

« Aucune autre nation au monde, après la catastrophe de Fukushima en mars 2011, n’a décidé de sortir complètement et définitivement du nucléaire. Sauf la nôtre. Nous l’avons fait car nous pensons être les seuls à même de relever le défi des énergies renouvelables. Nous nous imaginons que l’humanité entière nous regarde avec admiration. Or c’était un retrait unilatéral, qui n’a pas été concerté avec nos partenaires, ni même vraiment préparé pour nous-mêmes.
Ce pays est un géant de pacotille. Nous surestimons notre puissance économique actuelle – qui n’existe que relativement à la faiblesse des autres – et, surtout, notre potentiel pour l’avenir. »

A propos du vieillissement de la population allemande, vous évoquez dans votre livre les « dettes implicites » qu’il entraîne. Qu’entendez-vous par là ?

« Les dettes « implicites », comme l’adjectif l’indique, n’apparaissent pas dans les statistiques officielles. Ce sont les obligations liées aux promesses de prestations faites par l’État. En Allemagne, elles correspondent avant tout aux futures retraites et elles sont au moins aussi élevées que les dettes explicites. Si on les prend en compte, l’Allemagne atteint un niveau d’endettement tel qu’on l’imagine mal réussir à s’en acquitter. En 2035, nos derniers baby-boomers auront arrêté de travailler ; tous ceux qui devront financer leur retraite sont déjà nés, et ils sont trop peu nombreux. Il y a quinze ans, nous aurions encore pu infléchir la tendance. Aujourd’hui, c’est trop tard : ceux qui peuvent encore avoir des enfants appartiennent déjà à des générations moins nombreuses que les précédentes. »

Il n’empêche que la réussite allemande, sur le front du chômage par exemple, est spectaculaire…

« Le chômage a diminué de près de moitié depuis 2006, passant de 5 à 2,7 millions de chômeurs. C’est la grande réussite des réformes entreprises par Schröder (lire  « Des réformes surestimées ? » ci-dessous). Mais attribuer uniquement à cela la bonne santé de l’économie allemande depuis 2005, c’est-à-dire à notre capacité d’être un peuple vertueux qui consent à faire beaucoup d’efforts, c’est se leurrer. Nous oublions à quel point nous avons aussi eu beaucoup de chance. »

Qu’est-ce que la chance vient faire dans la réussite économique allemande ?

« L’euro, sous-évalué au regard de la force de l’économie allemande, nous a énormément favorisés. Dans les pays méditerranéens, les coûts de production ont beaucoup augmenté. Or la monnaie unique les a empêchés d’utiliser l’arme classique de la dévaluation pour regagner de la compétitivité. Le résultat a été doublement bénéfique pour l’Allemagne. D’une part, la demande a progressé dans ces pays, ce dont les exportations allemandes ont profité : avant le début de la crise, on trouvait plus de Porsche à Athènes que dans les rues de Berlin ! D’autre part, les entreprises grecques, italiennes, espagnoles, françaises ont perdu de leur force de frappe par rapport aux firmes allemandes sur le marché mondial. On en est arrivé au point où l’Allemagne exportait en masse des tomates en Grèce ! »

Mais, depuis, les Grecs ont dû revendre leurs Porsche, et les exportations allemandes se portent à merveille…

« Oui, mais nous avons aussi profité – sans doute plus qu’aucun autre pays – de l’essor de la Chine, dont les besoins correspondaient précisément aux points forts de l’industrie allemande (lire « Le colosse aux semelles de plomb »). En outre, toujours grâce à l’euro, nous bénéficions du taux d’intérêt très bas de la Banque centrale européenne. C’est parfait pour les membres de la zone euro dont la croissance est la plus faible, puisque cette politique monétaire permet, en théorie du moins, de relancer l’économie. Mais, pour l’Allemagne, ce taux est trop bas depuis 2010. Si la logique économique était respectée, le taux d’intérêt aurait dû être pour nous de 4 % en 2013 (au lieu de 0,25 %). Notre économie est artificiellement stimulée et cette surchauffe n’est pas tenable. En juin 2014, les agences d’évaluation du crédit et de renseignement économique ont estimé que 270 000 entreprises allemandes sont en situation précaire. Dans des circonstances normales, beaucoup d’entre elles auraient déjà fait faillite. »

La faiblesse des taux permet à l’État allemand d’être le seul pays industrialisé à présenter un budget à l’équilibre. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose…

« Bien sûr, mais c’est, encore une fois, un équilibre artificiel. Il ne signifie pas que l’État allemand a retrouvé sa solidité financière des années 1960 (le dernier budget à l’équilibre remonte à 1969). Si, pour rembourser sa dette globale, qui s’élève à 2 000 milliards d’euros environ, l’Allemagne devait payer un petit pour-cent d’intérêt en plus, cela constituerait une charge supplémentaire de 20 milliards et suffirait à faire basculer le pays dans le rouge. »

Vous dites dans votre livre que l’Allemagne est le Japon de l’Europe. Pourquoi ?

« Il existe beaucoup plus de parallèles que nous ne le souhaiterions : la démographie déclinante, une économie uniquement tournée vers l’exportation, l’inefficacité du secteur des services, la rigueur salariale… Mais l’essentiel, c’est que, depuis 1993, l’Allemagne fait partie avec le Japon des douze pays au monde où la croissance a été la plus faible. »

Et à vous lire, cette croissance n’est pas près de repartir à la hausse…

« Le PIB est le fruit de deux éléments : la quantité de travail et la productivité de ce travail. Pour avoir de la croissance, il faut que l’un ou l’autre de ces facteurs augmente, de préférence l’un et l’autre. En principe, il existe deux moyens de faire progresser le volume d’activité : ou bien ceux qui n’avaient pas d’emploi en prennent un ; ou bien les personnes déjà en poste travaillent davantage. Le chômage a baissé et de nombreuses femmes, autrefois au foyer, occupent désormais un emploi. Mais les postes nouvellement créés l’ont souvent été à temps partiel. Au début des années 1960, ce type d’emploi était exceptionnel et les salariés à temps plein faisaient des semaines de 44-45 heures, sans compter les heures supplémentaires. Nous avions aussi moins de congés. Au total, un actif travaillait en moyenne, en 1960, 2 162 heures dans l’année. Depuis, cela n’a cessé de diminuer. Nous travaillons aujourd’hui, par personne et par an, 1 397 heures. Seuls les Pays-Bas, parmi les pays développés, font pire avec 1 381 heures. Le nombre est de 1 654 heures en Grande-Bretagne, 1 686 heures en Espagne, 1 699 heures en Autriche et 1 790 heures aux États-Unis . La Pologne atteint même une moyenne de 1 929 heures. Cela signifie qu’un Polonais travaille en moyenne cinq heures et dix-sept minutes par jour de l’année quand un Allemand ne travaille que trois heures et cinquante minutes. »

Mais la productivité n’a-t-elle pas compensé la diminution du nombre d’heures travaillées ?

« Entre 2005 et 2013, l’augmentation de la productivité a bien été le principal moteur de notre croissance, mais elle ne cesse de se tasser elle aussi. Après la réunification, on pouvait penser qu’elle augmenterait, en raison du rattrapage de l’Allemagne de l’Est. Mais son taux de croissance est resté à peu près identique à celui des années 1980, à un peu plus de 2 %. Entre 2000 et 2013, il est tombé à 1,2 % en moyenne et, pour les années du soi-disant nouveau « miracle économique », entre 2005 et 2013, cette moyenne s’établit même à 0,9 %. C’est comme si notre économie était atteinte de myopathie. »

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