>Histoire

10 / 01 / 2024

Les syndicats et la guerre. Juillet 1916 (7).

La grève contre l’union sacrée.

Juillet 1916, c’est, comme disent les va-t-en guerre modernes, la guerre de « haute intensité ». Toute l’économie est tendue vers un ultime but : « gagner » la guerre.

Les millions de cadavres s’empilent. C’est, dit-on dans chaque camp, pour le triomphe de la démocratie. On connait la chanson.

Les libertés démocratiques sont suspendues.

Les syndicalistes qui restent des syndicalistes sont pourchassés. Le « carnet B » qui organise le fichage de tous les opposants vise notamment les militants syndicalistes restés fidèles au mandat des congrès. Le mandat avait été une dernière fois rappelé par la direction confédérale de la CGT le 29 juillet 1914 :

« ( … ) Toute guerre n’est qu’un attentat contre la classe ouvrière … ».

Ce point de vue était partagé par les camarades syndicalistes allemands. Mais, par la grâce de l’UNION SACREE, ils devenaient … des « boches ». (« A chacun son boche » comme diront plus tard les staliniens après la douloureuse rupture du pacte germano-soviétique, pacte Hitler-Staline, ou l’inverse si on préfère).

Les quelques journalistes qui ne sont pas les perroquets des états-majors sont pourchassés.

La guerre est une bénédiction pour le business, à commencer bien sûr, par celui des armes. Elle est bénie par les Eglises toujours promptes à prêcher la soumission au nom du bien commun.

En France, il y a trois ministres « socialistes » complices au gouvernement de guerre, dont Guesde. Jaurès a été assassiné.

Jusqu’au lointain Congo, les travailleurs-esclaves des mines du Katanga travaillent pour alimenter la machine de guerre. Au Congo, le coût du travail est tout proche du point zéro. C’est tout bon pour le business.

Il semble bien qu’il soit une première fois « minuit dans le siècle ». Pourtant,

La lutte des classes continue. (Source Alfred Rosmer : « le mouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale »).

Alfred Rosmer (1877-1964). Un des rares militants de la CGT hostile à l’union sacrée. Un observateur attentif de la lutte des classes du début du XXème siècle avait noté que tout militant ouvrier qui parle de 14-18 devait impérativement avoir lu, et surtout étudié, les livres de Rosmer. Sinon, qu’il s’abstienne ! Il n’avait pas tort.

 

Le 29 juin 1916 c’est la grève aux usines de Dion à Puteaux.

Rosmer explique (tome 2, page 114) : « ( … ) Le conflit qui s’était élevé entre les ouvrières et la direction durait depuis plusieurs semaines. La fédération des métaux en avait été saisie ».

La fédération des métaux répugnait à s’inscrire dans la politique odieuse de l’union sacrée. Ces militants étaient accusés de travailler pour l’ « ennemi » allemand.

La fédération avait communiqué les informations concernant la grève au journal l’HUMANITE fondé par Jaurès, mais la censure ayant sévi, la page était restée blanche.

« Le mouvement (de grève) avait pris naissance dans l’atelier dit des « fusils » où travaillaient 110 ouvrières ; il pouvait paraître relativement anodin. Ce qui lui donna son importance et sa signification, ce fut qu’il s’agissait de la première grève d’ouvrières travaillant pour la guerre ».

Rosmer rappelle qu’il y avait déjà eu des grèves en début d’année, « les travailleuses de l’aiguille, les travailleurs de l’Habillement s’étaient rebellés contre les salaires de guerre imposés par le patronat » mais c’était la première fois que la grève éclatait dans une usine travaillant directement pour « la grande boucherie ».

L’historien Pierre Roy rappelle que près de 1 500 000 personnes travaillaient dans les usines pour la guerre (Source : Pierre Roy « Pierre Brizon, député pacifiste … »). « Le ministre socialiste  jusqu’au-boutiste Albert Thomas avait dû faire des concessions substantielles » pour éviter l’embrasement. Il fallait bien un habile ministre de gôche pour que le carnage continue.

110 ouvrières se révoltent, ouvertement. 110, cela peut paraître insignifiant. Mais c’était suffisant pour provoquer l’alarme chez tous les va-t-en guerre de l’époque.

Le coût du travail forcé.

« Les baisses (de salaire) étaient imposées progressivement ». Les tauliers espéraient ainsi passer en «douceur ». « Mais la réalité finissait par apparaître clairement aux ouvrières avec la feuille de paie et il leur fut permis de constater qu’en six mois les tarifs avaient été abaissés trois fois ».

Non seulement les patrons planqués à l’arrière envoient les fils, les frères, les petits amis et les maris se faire exploser la tête au front, mais en prime, ils volent les ouvrières, en catimini si possible « avec des contremaîtres – quelques-uns, pas tous – se conduisant à leur égard avec une grossièreté trop habituelle ».

Les 110 ouvrières sont en grève non pas pour « travailler mieux » ou « autrement » ni rien de tout cela, mais pour leurs salaires, pour le droit de vivre.

Rosmer précise :

« Elles travaillaient en deux équipes. Celle de jour faisait 10 heures et demie, celle de nuit, onze heures. Deux retenues sur les salaires leur étaient imposées : 1% pour frais d’outillage ; 2 % pour les familles des mobilisés. De plus, la direction portait à leur compte les réparations d’outillage … »

A l’usine, la guerre des classes battait son plein. Les mesures vexatoires, les coups tordus s’accumulaient mais tout ceci ne faisait que renforcer la détermination des grévistes.

Les ouvrières n’étaient pas les « collaboratrices » de leurs exploiteurs.

Des ouvrières dans une usine d’armement.

9 juillet : 11ème jour de grève.

Rosmer : « Le gouvernement ne peut ignorer la gravité de ce conflit ». Par crainte de la généralisation de la grève, il est contraint de désapprouver le patronat qui, comme souvent, prétend ne rien lâcher. C’est le gouvernement qui impose un retour au salaire antérieur. Il promet qu’ : « en aucun cas, le salaire ne serait diminué ». C’est un « compromis » que les grévistes acceptent, un compromis qu’elles ont obtenu sur la base d’un rapport de force (1). Pourtant, au départ, qui aurait parié sur une victoire ?

« Ces semaines de batailles contre la direction ont développé chez elles un vif sentiment de solidarité … »

Les 110 ouvrières en grève ont ouvert une brèche. Elles savaient – au moins quelques-unes – que la fédération des métaux ne les laisserait pas tomber.

Le 1er mai 1916, la fédération de la métallurgie, bravant les cris indignés des « patriotes » les plus exaltés – exaltés – pour rester modéré, avait maintenu ses meetings :

« ( … ) Plus encore que les années précédentes, c’est un devoir pour nos organisations de réunir leurs adhérents le soir du 1er mai … nous vous demandons de combattre tout sentiment pouvant exciter la haine entre travailleurs des nations belligérantes … nos camarades des nations belligérantes, comme nous, étaient contre la guerre. Eux, comme nous la subissent … » Jaurès n’aurait pas mieux dit.

Elles avaient peut être pris connaissance de cet appel, malgré la censure omniprésente.

Peut-être croyaient-elles à une partie de la propagande gouvernementale ? (2).

Il est presque certain qu’elles ne savaient rien des grèves de leurs camarades mineurs du Pays de Galles, en grève pour les mêmes raisons qu’elles.

Ni des grèves de Barcelone (3) … et certainement, elles ignoraient tout de la résistance des mineurs du Katanga, au cœur de l’ « ordre » barbare …

« Pas un sou pour la guerre ! »

C’est en 1916, le 24 juin (4), cinq jours avant le début de la grève, que trois députés restés – ou plus précisément, redevenus – socialistes refusaient de voter les crédits de guerre : Alexandre Blanc, Pierre Brizon, et Raffin-Dugens. Cette importante nouvelle parvint-elle jusqu’aux 110 grévistes ?

Les 512 autres députés avaient voté pour la guerre et la continuation du carnage, « jusqu’au bout ». Pierre Brizon leur lance :

« Messieurs, les soldats demandent qu’à leur tour les députés, les sénateurs et les journalistes qui prêchent la guerre sans fin aillent dans les tranchées, sous le feu, pour la relève … » Il semble que l’appel n’ait pas été entendu … (5).

Les interventions de Brizon provoquent les cris indignés et parfois hystériques des 512 valets du Capital – ceux de « gauche » ne sont pas les derniers – qui, croyant se défendre, se justifier, dénoncent stupidement la « germanophilie » de Brizon. Les « bas du front » de toutes nuances de 2023, de la « gôche » et de la « gôche » de la « gôche » à la droite la plus extrême, n’ont rien à envier à ceux de 1916.

Son collègue député et ami Alexandre Blanc lance : « Notre déclaration aura plus de succès dans les tranchées ! ». C’est certain.

Dessin emprunté à la LIBRE PENSEE 04 ; Les fauteurs de guerre ont pour premiers ennemis l‘ouvrier sous l’uniforme, toujours soupçonné de pactiser avec l’étranger.

 

(1) Les grévistes ont fait le contraire de ce que préconisait l’ex socialiste de « gauche » Benito Mussolini en mars 1919. S’adressant à des ouvriers métallurgistes à Dalmine, il leur dit : « Vous avez inventé une nouvelle forme de grève, celle qui ne bloque pas la production … » et dont se moquent les capitalistes.

(2) Rosmer parle de ces « fausses nouvelles sensationnelles » destinées à obscurcir les esprits et fanatiser les peuples ; Celle-ci par exemple : (on raconte que) « 200 000 allemands sont prêts à envahir le Canada ». Les 110 ouvrières n’étaient sans doute pas dupes. Et même si elles l’étaient, elles ont quand même cessé la production.

(3) Les propagandistes de « l’union sacrée » n’avaient peur de rien ; comme ceux d’aujourd’hui.

Rosmer cite cet exemple de propagande particulièrement grossière : « Menaces de grèves à Barcelone. Est-il vrai que des provocateurs allemands battent les routes de la Catalogne ? Des agents internationaux parcourent le pays et préparent une grève générale dans toute l’Espagne pour le commencement de 1916. Ces agents internationaux, croit-on, (sic) ne sauraient être que des agents allemands ou germanophiles puisque les usines espagnoles travaillent pour les alliés ». Plus le mensonge est énorme … !

(4) C’est aussi en juin 1916 qu’est signé le pacte Franco-britannique qui prépare l’après-guerre selon les plans des deux impérialismes encore dominants – mais plus pour longtemps – de ce début de siècle.

Les 110 grévistes ne pouvaient pas le savoir. L’accord était ultra secret. Pourquoi ?

Il prévoyait une partition de tout le Moyen-Orient entre la « France » et la « Grande-Bretagne ». Le pétrole était déjà au centre des convoitises. « Au début de la guerre, Londres avait envoyé une force armée indienne (l’Inde était une colonie britannique) s’emparer des raffineries de pétrole d’Abadan, sur la côte sud de la Perse, et du grand port le plus proche, Bassora, dans l’Irak actuel … » (Source : James Barr : « Une ligne rouge dans le sable »).

L’auteur poursuit : « La France et la Grande-Bretagne pourraient chacune établir leur entier contrôle si tel était leur souhait. La zone bleue française côtière intégrait les régions côtières syrienne et libanaise et débordait sur le territoire de la Turquie actuelle ; au nord, la zone rouge britannique étendait la tête de pont préexistant jusqu’à Bagdad, et incluait aussi le port d’Haïfa.

La Palestine était marquée de la couleur brune … »

Les deux alliés et néanmoins concurrents ne parvenaient pas à s’accorder sur la question palestinienne. Côté britannique, on avait un plan : « Il s’agissait du soutien au sionisme – cette campagne politique jusque-là infructueuse visant la création d’un Etat Juif en Palestine – qui représentait pour la Grande-Bretagne un meilleur moyen de consolider sa position au Moyen-Orient » (J. Barr …).

Bref il s’agissait d’un « partage » de type purement colonial. Dans ces tractations secrètes – on comprend pourquoi ! – les peuples n’existaient pas, n’avaient pas droit à la parole.

Voilà pour quels sordides intérêts les ouvrières de Dion devaient fabriquer des armes. Toujours plus …

Le plus drôle si l’on peut dire, c’est que les chefs de guerre US, restés en retrait à cette date (juin 1916) invoquaient à tous propos, sans rire, « les droits et les libertés des petites nations … » dont ils se prétendaient les plus ardents défenseurs.

Les plans britanniques ne se sont pas tous réalisés comme prévus. La colonisation de la Palestine et son cortège de crimes a été effective après la deuxième « der des ders ».

Il est bon de connaître cette appréciation d’un « haut » responsable politique américain formulée en 1986, 80 ans après les accords secrets de 1916 (que les révolutionnaires russes ont eu le mauvais goût de publier après la chute du tsar, le bon allié de la « France ») :

« S’il n’y avait pas eu l’Etat d’Israël, les EU devraient l’inventer pour protéger leurs intérêts dans la région. C’est le meilleur investissement que nous ayons réalisé ». (L’auteur ? Joe Biden).

le pétrole. Le chef de guerre impérialiste Clémenceau a déclaré : « L’essence est devenue aussi indispensable que le sang pour les batailles de demain … » Dans son livre « une ligne dans le sable », l’historien James Barr explique :

« Au début de la guerre, Londres avait envoyé une force armée indienne s’emparer des raffineries vitales de pétrole d’Abadan, sur la côte sud de la Perse et du plus grand port le plus proche, Bassora, dans l’Irak actuel.

( … ) Le gouvernement de sa Majesté avait justifié le coût de sa présence en Mésopotamie en invoquant les bénéfices financiers de la future production pétrolière. Les clauses du protocole de partage pétrolier avec Paris étant devenues publiques, elles suscitèrent la controverse, en particulier aux EU, exclus de ce marché ».

Dans ce contexte, les révoltes populaires succèdent aux révoltes. En 1925, la « France » bombarde Damas, une 1ère fois, puis une seconde fois … en mai 1945, le 8 mai – tout un symbole ! – et les semaines qui suivent … autant de guerres coloniales qui n’en finissent pas d’exercer leurs ravages. Autre exemple, de 1936 à 1939, la Grande-Bretagne mène une guerre coloniale d’une violence inouïe en Palestine. Les groupes armés sionistes participent activement à la répression des Palestiniens, affirmant l’engagement du sionisme à défendre les intérêts pétroliers des puissances impérialistes. (Voir, notamment, les travaux de la Fondation Ghassan Kanafani). Officiellement, le monde est en paix. En Palestine, c’est la paix des cimetières.

(5) Une délégation de la CES (Confédération européenne des syndicats) s’est rendue en Ukraine pour y prêcher les vertus de la guerre démocratique. Elle a demandé poliment aux mafieux qui gouvernent le pays de bien vouloir mener une politique plus sociale de manière à intégrer « vite » l’Union européenne. Elle n’a pas exigé le rétablissement des droits supprimés avec la destruction du code du travail. Cette poignée de curieux « syndicalistes », de malfaisants, restés prudemment à distance du front – « le hachoir à viande » selon l’expression de ceux qui sont passés par là et qui ont survécu – se comporte comme les hystériques pro guerre de 1914.

La direction de la CE « S » finira peut être par être récompensée par un prix Charlemagne ?

En Russie comme en Ukraine, tôt ou tard, les travailleurs constitueront ou reconstitueront les organisations de classe libres et indépendantes qui leur permettront de reconquérir leurs droits. Ils le feront sous les huées plurielles des va-t-en guerre de « droite » et extrême, de « gauche » et « gauche de la gauche » … ceux-là, sans doute les plus nauséabonds des va-t-en guerre.

Un militant syndicaliste ukrainien porte, à ses risques et périls, cette judicieuse appréciation : « Il est avantageux pour l’impérialisme occidental de prolonger la guerre aussi longtemps que possible, en affaiblissant la puissance militaire de l’agresseur russe et en entraînant finalement l’Ukraine dans les chaînes de l’esclavage par un endettement dont elle ne pourra jamais sortir ».

JM janvier 2024

chaud ! chaud ! chaud !

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