10 / 11 / 2024
Celui qui ne connaît pas l’histoire ou s’avère incapable d’en tirer les enseignements principaux, est condamné à la revivre.
En août 1935, la classe ouvrière, les fonctionnaires, tous les travailleurs, sont confrontés à une violente offensive des capitalistes. Le gouvernement est dirigé par Pierre Laval, celui qui en juin 1942 déclare souhaiter la victoire de l’Allemagne pour faire barrage au communisme. En 1945, il est jugé et exécuté.
Dans sa jeunesse, il avait été vaguement socialiste avant de se lancer des les affaires.
Le contexte international. En Allemagne.
Aux élections qui avaient précédé la catastrophe de janvier 33, le bloc des partis de « gauche » était majoritaire. Et même, les nationaux-socialistes avaient reculé. A Berlin, aux élections de novembre 1932, le PC avait recueilli 37,7 % des voix et le SPD (PS) 23,8 % soit un total de 61,5 % contre 23,2 % aux nazis.
Dans les entreprises, les nazis ne s’implantaient pas, rejetés par l’immense majorité des travailleurs.
Les fascistes avaient pourtant fini par triompher. Ils avaient été bien aidés par la tactique des dirigeants staliniens qui avaient constitué un syndicat ultra minoritaire qui n’était pas seulement inutile, mais surtout nuisible. Ses « responsables » passaient leur temps à dénoncer l’ADGB forte de plusieurs millions d’adhérents ce qui rendait impossible l’unité d’action contre le fascisme ; ceci en application des géniales consignes du « petit père des peuples ». Ce fait, décisif, est généralement caché par les historiens … ou « historiens ».
Depuis des années, les chefs staliniens martelaient, en substance : l’ennemi principal, ce n’est pas le fasciste mais plutôt le « social-fasciste », c’est-à-dire, l’ouvrier ou le salarié membre du parti socialiste ou du syndicat dit, réformiste (1).
Les dirigeants « social-démocrates », membres de la IIème internationale n’en demandaient pas tant pour justifier leur inaction et leur refus d’unité d’action contre le fascisme.
Les dirigeants du syndicat ADGB encartés au parti « socialiste », bien disciplinés, multipliaient les journées d’action, les grèves disloquées, partielles, respectaient les « trêves » exigées par les patrons, celle de Noël, par exemple. Les dirigeants disaient : « nous ne sommes pas d’accord avec Brüning mais il nous protège des bandes fascistes ». C’est « le moindre mal ».
Tels sont les faits.
Les décrets-lois.
Le travail des fascistes avaient été facilité par la politique de la république de Weimar ; Son chef, Heinrich Brüning, dirigeant du parti catholique, curieusement appelé parti « du centre », avait gouverné par décrets-lois (de mars 1930 à juin 1932) avant de céder la place à Hitler muni des pleins pouvoirs généreusement accordés par tous les députés catholiques.
La doctrine de Brünning était simple : taper toujours plus fort sur « ceux qui ne sont rien », en bloquant et même baissant les salaires ; la baisse des salaires devait impliquer la baisse des prix. Evidemment, il n’y a pas eu de miracle. L’inflation a continué de frapper notamment les secteurs les plus exploités de la classe ouvrière. Brüning dénonçait les fonctionnaires, jugés paresseux (comme « nos » indigènes des colonies) et trop payés. Il imposa la baisse des indemnités aux chômeurs, tout en arrosant généreusement les capitalistes de subventions diverses.
La sanction de cette politique – le nazisme – n’était pourtant pas inévitable. La responsabilité des directions des organisations censées défendre les intérêts des classes exploitées est immense.
La défaite sans combat va accélérer la marche à la guerre pour un nouveau partage du monde.
Toulon, Le Havre, Brest.
En France le gouvernement au service du Capital a fière allure … si l’on se place du point de vue des intérêts des propriétaires des moyens de production. Sous la houlette de Laval, sévissent :
D’abord un « homme de gauche » E. Herriot, un « raisonnable », un « mesuré », un « co-constructeur » comme on dit maintenant, un bien visible dans l’organigramme gouvernemental puisqu’il est, qu’on se le dise, Ministre d’Etat ! Pas moins. A « gauche », on est fier d’avoir un homme aussi compétent, « un homme d’ordre ». Celui-là ne finira pas à Vichy. C’est presque une exception.
Aux côtés d’Herriot, deux autres ministres d’Etat : Marin, d’extrême droite et Flandin qu’on retrouvera à Vichy.
Il y a un ministre de la guerre, chargé de préparer la seconde « der des ders » impérialiste. Il y a un ministre des colonies ; en 36, c’est un « socialiste », Marius Moutet qui assurera le relais. Le ministre du travail est issu du syndicalisme : LO. Frossard, qui lui finira à Vichy. En 1935, il est déjà plus que mûr. Sur 19 ministres, 13 finissent à Vichy, votent les pleins pouvoirs à Pétain ou font partie du fantomatique Conseil national ; beaucoup écrivent dans la multitude de « journaux » d’extrême droite que financent les capitalistes.
Le pacte Laval-Staline.
Le 15 mai 1935, Laval signe avec Staline un communiqué, une bombe : « Le devoir incombe aux signataires de ne laisser en rien affaiblir leur défense nationale. A cet égard, M. Staline approuve pleinement la politique de défense faite par la France pour maintenir sa force au niveau de sa sécurité ». Ce revirement brutal s’accompagnait du tournant vers les politiques dites, de Front populaire. Dans l’HUMANITE du 16 mai, le chef stalinien Vaillant-Couturier confesse : « C’est dur, je le sais … » Dans ce contexte, pas question bien sûr de soutenir les grèves. Ou même de faire semblant.
Le coup de force de Laval.
Il décrète la réduction de 10 % de toutes les dépenses publiques.
Comme Brüning, il prétend réduire dans un premier temps les salaires des fonctionnaires de 10 % (2). Les salariés du privé n’y échapperaient pas non plus. Comme il n’y a pas de sécu ni d’établissements d’enseignement technique, il ne peut pas les détruire … Les héritiers de la politique de Laval tentent maintenant de le faire.
Selon Laval, s’il y a du chômage, c’est la faute des chômeurs ! C’est simple. Ils doivent payer. S’ils ne comprennent pas pourquoi, c’est simple : c’est parce qu’ils ne comprennent rien à l’économie (3).
A « gauche », les amis néos « syndicalistes » de Belin élaborent un « PLAN » pour disent-ils, sortir de la « crise ». Mais la planification du capitalisme, ça ne marche pas. Le seul résultat, c’est de rendre ridicule l’idée même de planification. C’est que le plan prévoit d’indemniser les capitalistes « victimes » des nationalisations. Le plan ne précise pas quelles entreprises seraient concernées. Ce plan sent l’arnaque.
Les « néos » de Belin plaident aussi pour un régime d’arbitrage généralisé, logique autoritaire qui s’oppose directement à la pratique contractuelle. La loi nazie du 20 janvier 1934, imposée au nom du bien commun et de la « communauté d’entreprise » institue un « curateur du travail », chargé de trancher les « différends » entre patrons et ouvriers, notamment sur les salaires. (Voir à ce sujet : Daniel Guérin, fascisme et grand capital, tome 2, pages 178-179). Objectif principal : abaisser toujours plus le « coût du travail ».
Brest : les ouvriers en grève quittent l’arsenal et partent en manifestation. Le gouvernement Laval-extrême droite porte l’entière responsabilité des violences.
Résistance ouvrière. L’historien Pierre Broué note :
« Les marins du Havre étaient en grève et, le 7 août, les équipages de cinq paquebots avaient mis sac à terre, les officiers mécaniciens ayant refusé le prélèvement de 10 % opéré sur leurs salaires.
Mais ( … ) Tout avait commencé le 5 août. A Brest, les ouvriers d’un chantier avaient débrayé spontanément … contre la diminution de leurs salaires.
A Toulon, 3000 ouvriers s’étaient réunis à la sortie de l’arsenal … et avaient défilé en ville … » l’intersyndicale CGT-U, CGT avait proposé … 5 minutes d’arrêt de travail ! Il fallait savoir ne pas commencer une grève.
« ( … ) Dans la nuit du 5 au 6, le préfet maritime de Brest avait fait occuper l’arsenal par les forces de police et de gendarmerie et par des éléments du 2ème régiment d’infanterie coloniale. Les travailleurs s’étaient heurté le 8 à des barrages armés et avaient découvert qu’ils étaient « lock-outés ».
( … ) Un jeune ouvrier, Auguste Chevalier avait été abattu par un officier … Il y eut deux autres victimes.
A Toulon, la grève s’étaient généralisée dans le port et la manifestation s’était transformée en émeute … »
La répression fit cinq morts et de nombreux blessés.
Broué note que la presse, presque exclusivement aux mains des capitalistes s’en prenaient aux grévistes assimilés à la « pègre » ; les grévistes étaient bien sûr rendus responsables des « violences ».
Toute la presse des domestiques du Capital soutenait la politique « courageuse » de Laval. Deux exemples :
Le journal LE TEMPS, ancêtre du Monde, résumait bien la servilité des médias d’ « informations » : « La réduction des dépenses publiques, parce qu’elle allège les charges qui pèsent sur la production, parce qu’elle rend l’aisance au marché des capitaux, parce qu’elle tend à remettre en marche le mécanisme du crédit, ne peut qu’accroître le pouvoir d’achat de l’ensemble des consommateurs ». Classique.
Un journal pour les riches et les très riches, LE MATIN, s’étranglait d’indignation. Il dénonçait l’ « infâme racaille, des « étrangers sans nationalité bien précise (4), éternels chômeurs, vagabonds et repris de justice, sidis inquiétants (sidis désignant des « indigènes » algériens ; mon dieu ! des arabes !), tout un peuple indéterminable logé à l’enseigne commune de l’envie, de la paresse et de la crasse ».
Les réactions des directions « responsables » :
Broué écrit : « Les partis de Front populaire avaient immédiatement appelé au calme, à la discipline et dénoncé le rôle des provocateurs ». Classique aussi.
Le chef stalinien Jacques Duclos parlait le 8 août des « éléments troubles qu’entretient monsieur Laval pour les besognes de provocation et de basse police ». Pourquoi cette bassesse, pourquoi cette hargne contre les ouvriers en état de légitime défense ?
L’individu fournit lui-même la réponse : « Nous attachons un trop grand prix à notre collaboration avec le parti radical pour ne pas nous dresser contre les provocateurs ». Le parti radical, parti de l’impérialisme français, ultra colonialiste avait intégré le Front populaire en juin. Le PCF voulait l’élargir aux néos- « socialistes » tendance Belin qui, en 1933, avaient été éjectés de la SFIO. Leur mot d’ordre : « ordre, autorité, nation » évoquait évidemment les régimes fascistes et bonapartistes-corporatistes divers.
Vaillant-Couturier, autre gloire du PCF en rajoutait : « les hommes du 6 février (allusion aux émeutes d’extrême droite du 6 février 34) ont outragé le drapeau tricolore ».
Le jeune ouvrier assassiné à Brest avait voulu brandir le drapeau rouge. Provocation ! glapissent les chefs staliniens.
Les milliers de travailleurs ont été laissés seuls face à la répression de l’Etat capitaliste. Pire, ils ont été insultés, calomniés. (Parallèlement, les militants algériens, souvent syndiqués à la CGT-U ou à la CGT, et qui ne se soumettent pas à l’ordre colonial sont eux-aussi trainés dans la boue).
Les révoltes d’août 35 annonçaient le mouvement vers la grève générale de mai-juin 36.
Le mouvement ouvrier n’était pas vaincu. Tout était encore possible.
Elles montrent aussi que les obstacles seraient nombreux.
Les condamnés.
Le journal LA DEPECHE de Brest a couvert le procès des « provocateurs » et noté leurs professions : apprenti à l’arsenal, docker, ouvrier-zingueur, couvreur, menuisier, ajusteur, chauffeur, charpentier, terrassier …
La plupart sont dockers. (Même chose à Toulon).
L’un d’entre eux écope de trois mois de prison ; on a découvert des cailloux dans ses poches …
(1) En avril 1933, l’internationale « communiste » adopte une résolution qui proclame :
« L’établissement d’une dictature fasciste ouverte … accélère le rythme de développement d’une révolution prolétarienne en Allemagne en détruisant toutes les illusions démocratiques des masses et en les libérant de l’influence de la social-démocratie ».
Mais alors, logiquement, l’établissement d’une dictature fasciste en France, en Espagne, aux EU … serait partout souhaitable pour « accélérer le rythme … » ?
Après-guerre, les staliniens et beaucoup d’autres ont avancé la thèse ignoble de la « responsabilité collective du peuple allemand » pour tenter de faire oublier leur propre responsabilité et incompétence. D’ailleurs, aujourd’hui encore …
(2) Quant aux croisades anti fonctionnaires, elles ne cessent de faire des émules. S. Guérini, ex ministre proclamait : « Il faut lever le tabou du licenciement dans la fonction publique ». Propos repris par G. Kasbarian l’actuel préposé à la destruction de la fonction publique. Du Laval de 1935 tout craché.
(3) Laval continue de faire des émules. Le chef du MEDEF, Patrick Martin, vient de déclarer : « renchérir le coût du travail menacerait des centaines de milliers d’emplois ». Au moment des affaires Auchan, Michelin, Sanofi, Saunier -Duval … c’est gonflé ! Avec les tauliers, c’est toujours la guerre des classes.
(4) Les ligues d’extrême droite, les nostalgiques de l’Ancien Régime manifestent contre les étrangers, qualifiés de « métèques ».
Février 1935 : manifestation CROIX DE FEU contre « l’invasion des métèques » … en présence d’un futur président de la Vème république-du-coup-d’état-permanent.
JM. 10-11-2024.
chaud ! chaud ! chaud !
leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre
>Suite