>Histoire

21 / 10 / 2023

Le migrant : « variable d’ajustement ».

Le montant total des allègements de cotisations sociales pour 2022 s’élève à 73,7 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 14 % par rapport à 2021 (Source FO militante).

Pourtant les patrons, surtout ceux du MEDEF, se plaignent.

Ils seraient même « en colère » nous prévient le « journal » valeurs actuelles. Doivent-ils renoncer, faute de moyens, à un repas quotidien ou aux soins dentaires … ? Pas vraiment.

Ces gens-là ont un principe : plus ils empochent notre pognon, plus ils sont en colère. C’est une très vieille histoire, depuis l’aube du capitalisme.

On peut le vérifier au travers d’un dossier dont raffole la presse des milliardaires : l’immigration.

Fin août, les patrons du MEDEF ont réclamé plus d’immigrés pour les secteurs de l’économie qui « en ont besoin ». Il y aurait les migrants utiles qui assurent les profits et les migrants inutiles, ceux qui peuvent continuer à se noyer … le Fonds Monétaire International avait identifié il y a déjà plus de vingt ans, une « Afrique utile et une Afrique inutile ».

Le patronat qui est ni « utile » ni « inutile » mais seulement nuisible, a toujours su utiliser la question de l’immigration – en France et partout – comme une variable d’ajustement permettant l’envol des profits.

Prenons l’exemple édifiant d’une colonie française, la Martinique, au moment de la seconde abolition de l’esclavage en 1848 (1), abolition qui, il est toujours bon de le rappeler, n’a pas été généreusement octroyée, mais conquise de haute lutte.

Source : notamment, « histoire de la Martinique, tome 2, de 1848 à 1939 » de Armand Nicolas.

La contre révolution relève la tête.

L’auteur indique que « à la Martinique, les trois années qui ont suivi l’abolition de l’esclavage ont vu s’effriter l’œuvre de la révolution de Février … on peut dit dire qu’au moment où Louis-Napoléon usurpe le pouvoir, (décembre 1851) les anciens esclaves devenus citoyens français ont vu tous leurs droits, toutes leurs conquêtes anéantis un à un … » à tel point que le Contre-amiral Vaillant Gouverneur de la Martinique écrit au Ministre de la Marine : « J’ai donné des ordres pour que la devise : LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE » disparaisse de tous les monuments ou établissements publics ou privés ». De quoi rassurer les amoureux de l’ « ORDRE ».

Ce Gouverneur exprime bien la mentalité des colons blancs, avides de gains faciles : « Il faut moraliser la race noire … lui faire respecter les nécessités sociales… » Et bien sûr, « l’autorité de l’évêque paraît le meilleur instrument d’ordre de paix et de conciliation ». Peut-on mieux dire ? (2).

« Le coût du travail ».

L’abolition de l’esclavage fut pour les colons l’occasion de percevoir de grasses « indemnités ». Obsédés par la baisse du « coût »  du travail, il leur fallait trouver le moyen de contourner la loi en attendant de pouvoir rétablir l’ « ordre » et d’instaurer le « travail forcé ».

Ce fut la fonction d’un décret paru le 13 février 1852.

Le livret du travail.

Ce décret de la honte institue l’obligation d’un « livret du travail ».

« Chaque travailleur manuel devait en posséder un sur lequel était notés son identité, son domicile, son signalement, son âge, ses différentes embauches avec l’appréciation des employeurs … » Sans livret à jour, on tombait dans le délit de « vagabondage ».

Cette décision provoque la colère des exploités. Le Gouverneur s’alarme. Il met en garde les colons :

« Je les ai engagés (les colons) à être très mesurés en public ou devant leurs domestiques … » Ne soyez pas trop arrogants ! »

Gendarme en pleine action. La police du travail traque les délinquants potentiels, ceux qui « ne veulent pas travailler ». « L’esclavagisme portait en lui le racisme comme la nuée porte l’orage » écrit A. Nicolas.

Dès 1852, Napoléon III avait instauré une « fête du Travail », idée reprise par Pétain en 1940.

Notons qu’il existe toujours une association des « amis de Napoléon III » qui vient de fêter par une somptueuse messe les 150 ans de la disparition du tyran. Il y fut déclaré ceci :

« Et son humanité se retrouve dans toute sa vie et dans toute son œuvre, qu’il consacre au progrès social, à la prospérité de tous et à la protection des travailleurs, qu’il consacre au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à un système international visionnaire. Un empereur singulièrement humain, dans ses forces, dans ses failles. Et inlassablement au service de la France ». Présents parmi les 350 invités, le maire d’une grande ville et deux députés … on ne sait pas s’ils représentaient l’ensemble de leur groupe.

Ces conseils de prudence ne sont pas toujours entendus. Le Gouverneur s’inquiète de l’action d’ « agitateurs » et du développement du « marronnage » comme au temps de l’esclavage.

Ce qui sauve les nouveaux esclavagistes, comme toujours, c’est l’absence d’organisation de la classe des exploités réduits à une « poussière » d’individus, tandis que les colons disposent de l’armée, de la police, des prêtres et des juges au service de l’ « ordre ».

La lutte semble bien inégale. Pourtant, les profits ne sont pas à la hauteur des espoirs des « employeurs ».

Déportations de migrants.

« La France est le pays du monde qui s’est le plus battu dans l’univers (sic) au service de la liberté des autres ». (Propos d’un président de la Vème république du coup d’état permanent. Peu importe lequel ; ils sont interchangeables). Voyons ce qu’il en est.

D’abord, des chinois.

Armand Nicolas explique que « des essais furent entrepris en direction de la Chine. Les foules asiatiques étaient un marché inépuisable et bon marché de main-d’œuvre … les conditions de cette immigration la faisaient fort ressembler à la traite négrière ».

Une des principales sociétés passe commande pour 10 000 travailleurs chinois « dans un délai de cinq ans ».

Lorsque les survivants de la traversée débarquent, les colons ne se précipitent pourtant pas sur « la marchandise ». On se méfie. D’autant que l’on apprend que « des révoltes ont éclaté à bord des navires chargés d’immigrants ». Des courtiers « ont été décapités ».

Dix ans après l’arrivée des premiers chinois, les colons n’en veulent déjà plus. Ils se plaignent : « ils sont intempérants, voleurs, indisciplinés et ne fournissent aucun travail régulier ». Ils sont bons à être rejetés à la mer.

« Migrants » chinois en Martinique.

Puis, des indochinois.

« La France de Napoléon III avait entrepris la conquête de l’Indochine. Les prisonniers et les opposants politiques ne manquaient pas. On les disait : soumis, laborieux, économes ». Tout le contraire des vilains chinois, fourbes et cruels. Pour montrer le bon exemple, un certain baron de Lareinty en commanda cent.

Mais cette fois encore l’expérience tourna court. Les indochinois ne sont pas aussi soumis qu’espéré.

Troisième essai.

On se tourna alors vers des « travailleurs » déportés du Congo. L’idée n’enchantait pas les « entrepreneurs » qui craignaient une alliance entre les Noirs du Congo et ceux de Martinique. Les réticences surmontées, près de 10 000 débarquèrent sur l’île.

Un procès verbal des autorités nous apprend que pendant les traversées, « les décès ont atteint une proportion effrayante ». On sait aussi que « près de la moitié des derniers arrivés sont des jeunes enfants de six à huit ans classés comme adultes » et que les « migrants devaient payer leur déportation ».

Le Procureur Général note en 1859 : « les retenues diverses placent les immigrants de cette catégorie dans une situation d’infériorité relativement aux immigrants des autres origines ». C’est toujours bon de faire jouer la concurrence libre et non faussée !

Hélas, les congolais n’ont pas non plus donné pleine satisfaction.

Dépités, les colons se tournèrent vers les travailleurs indiens. On les disait « doux et faciles à conduire ayant des principes religieux qui leur commande une soumission absolue ».

Pourtant, bien vite, le Gouverneur s’alarme et dénonce : « ( … ) un esprit de malveillance s’est manifesté ces temps derniers dans quelques ateliers de ces immigrants qui ont mis le feu sur diverses habitations … » et encore « La désertion des ateliers est un fait d’une fréquence déplorable … les Indiens emploient tous les moyens possibles pour se soustraire à leurs obligations de travail … » parce que bien sûr, ce sont des paresseux.

La brutalité et le cynisme de la classe dirigeante des colons blancs étaient sans limite. « En 1865, le Gouverneur Lapelin osait écrire que l’immigration était un bienfait pour ceux qu’elle retire de la barbarie et de la servitude ». Aux colonies, arbeit mach frei ! « le travail rend libre » !

« En 1885 (date de la conférence de Berlin où les puissances impériales se partagent l’Afrique et ses innombrables richesses) le Conseil général prit la décision d’arrêter l’immigration ». Pourquoi ?

Armand Nicolas donne cette explication :

« Désormais les Habitations du pays (les colons blancs) étaient largement pourvues de main-d’œuvre. La concurrence avait joué à plein et contraint les travailleurs créoles à accepter des salaires de misère. Le but était atteint ».

Mais partiellement seulement, car – et Armand Nicolas le montre bien – l’esprit de révolte ne manquait pas.

En l’absence d’organisation de classe capable d’unifier le combat des différentes fractions de travailleurs, ce sont souvent des « faits divers » qui provoquent les explosions de colère, de véritables « jacqueries ».

Par exemple, en 1870, l’ « affaire » du jeune noir Léopold Lubin. Agressé violemment par deux colons, il se défend et, crime suprême, ose « lever la main » sur un blanc (3). La décision de justice qui suit – cinq ans de bagne – est directement à l’origine d’un début d’insurrection brutalement réprimée …

Les premières « sociétés de Secours Mutuels inquiètent les colons et leur police spirituelle, les jésuites. Pour conserver le contrôle de la classe exploitée, les jésuites fondent une confrérie dite de « l’esclavage de la Vierge » dont le succès est mitigé.

Selon Armand Nicolas, les premières grèves éclatent en janvier 1882 à Sainte Marie et Trinité : «Le bruit ayant couru que le gouvernement venait de décider d’élever le salaire à trois francs par jour, des groupes de travailleurs parcoururent les campagnes pour appeler à ne pas travailler pour moins de trois francs. L’arrêt du travail fut total sur plusieurs Habitations … » En métropole, « les chambres de Commerce annoncèrent la mort du commerce et des colonies et demandèrent un gouverneur militaire » pour rétablir l’ordre.

La constitution difficile des premiers syndicats ouvriers permettra d’unifier le combat des différentes fractions de la classe exploitée, qu’elle soit d’origine chinoise, indochinoise, congolaise, indienne ou créole.

Expulsés au bagne.

Le bagne, c’est au choix, la Guyane – là, c’est la mort lente quasiment assurée – ou la Nouvelle Calédonie.

En Nouvelle Calédonie, dès 1882, « L’administration pénitentiaire … fait l’acquisition de terres … pratiquement, toutes les terres fertiles sont sous sa juridiction. Avec la découverte de mines de cuivre et de nickel, les sociétés minières obtiennent même que leur soient affectés des condamnés en cours de peine. Plus de 2000 vont ainsi travailler pour des structures privées … sans que le condamné reçoive la moindre gratification ».

Plus de 4000 condamnés de la Commune de Paris sont déportés. « Ironie de l’histoire, ils sont confrontés à l’insurrection Kanak, déclenchée en 1878 à la suite du processus de confiscation de terres par l’administration coloniale ». Louise Michel et bien d’autres refusent de se soumettre à cette politique coloniale, néo-esclavagiste. (Source : Michel Pierre : « le temps des bagnes, 1748-1953 »).

Charles-Louis Constant Menche de Loisne.

Gouverneur de la Martinique en 1869. Un homme d’ordre.

(1). Pour mémoire, Napoléon 1er rétablit l’esclavage aboli par la révolution française. « Napoléon sut incarner l’ordre », l’ordre, l’ordre, comme le dit le président de la République du coup d’état permanent, à l’occasion du bicentenaire de la mort du tyran.

(2) La lecture d’une missive de Bergoglio et la présence sur scène d’un évêque aux journées du MEDEF fin août 2023 montrent que les patrons savent toujours où trouver des soutiens efficaces.

(3) L’article 33 du code Noir (1685) stipulait :

« L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort ».

Et aujourd’hui ? L’Organisation internationale du Travail nous informe :

Deux milliards de personnes – 61 % de la population dans le monde – survivent dans ce qu’il est convenu de nommer : « l’économie informelle ». De quoi s’agit-il ? Ce sont, selon la définition de l’O.I.T, ces « travailleurs » qui survivent sans contrat de travail, sans aucune règle concernant les salaires et sans protection sociale.

Pour être plus précis, selon l’O.I.T. :

  • En Afrique, 85,8 % des « emplois sont informels.

  • En Asie, 68,2 %.

  • Dans les Etats arabes, 68,6 %

  • En Amérique, 40 %.

  • 25,1 % en Europe et en Asie centrale.

Trois remarques :

1 / En Afrique, un responsable syndical (d’une ancienne colonie belge) explique : « 85 % ? certainement pas ! c’est beaucoup plus … » Notons que ce pays qui a signé toutes les conventions de l’OIT, est classé par la CSI dans le groupe 3 : « violations régulières des droits syndicaux ».

2 / En Europe, 75 % échapperaient au semi esclavage qu’est l’ « économie informelle ». Les gouvernements, qu’ils se rattachent à l’Union européenne ou pas, s’acharnent à faire baisser ce pourcentage.

3 / Le déchainement des guerres est toujours le prétexte de limiter les droits syndicaux, de baisser les salaires, de remettre en cause la pratique contractuelle, de détruire les codes du travail. C’est le cas de l’Ukraine, notamment. Les messages d’alerte des confédérations syndicales d’Ukraine membres de la CSI sont suffisamment clairs.

L’OIT nous dit aussi qu’en plus des 2 milliards d’emplois informels, il y a 1,4 milliard d’emplois « vulnérables ». Et que, en 2017, « plus de 300 millions de travailleurs des pays émergeants et en développement – c’est ainsi qu’on les nomme – avaient un revenu de moins de 1,90 dollars par jour » (Extrait d’un rapport intitulé : « Emplois et questions sociales dans le monde »).

Officiellement, esclavage et travail forcé ont été abolis. On mesure le chemin qu’il reste à parcourir.

JM. 21-10-2023.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

>Suite

Calendrier de l’UD : cliquez sur les jours

<< Avr 2024 >>
lmmjvsd
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30 1 2 3 4 5