>Histoire

23 / 06 / 2024

Le bal des domestiques  (3).

Grèce,  août 1936, l’extrême droite au pouvoir.

Le 4 août 1936, le général Metaxas organise, avec la complicité du roi Georges II un coup d’état.  Ce général n’a pas le profil des « young global leaders », (Attal, Macron …) mercenaires du Capital de notre temps.  Mais, pour écraser le mouvement ouvrier et ce qui subsiste de la démocratie, il est parfait. Les chefs de la bourgeoisie britannique, qui tiennent la Grèce en laisse (via la « dette ») le trouvent formidables*. Benito Mussolini aussi, du moins, jusqu’à l’invasion de la Grèce par les troupes fascistes.

Metaxas dit vouloir rendre à la Grèce sa « grandeur » et son « prestige » d’autrefois. Pas simple ! Un tiers environ du budget est absorbé par les intérêts des dettes anglaises. La souveraineté de la Grèce est toute relative.

Le « programme » du général consiste à détruire les organisations syndicales et politiques  qui représentent ou disent représenter les intérêts particuliers des classes exploitées.

La dictature militaire de Metaxas, c’est le corporatisme, avec un Bonaparte-général au sommet de l’Etat. En juin 1935, « l’alliance monarchiste », le parti du général ne recueille pourtant que 4,8 % des voix. 

Avant de voir les réactions de la presse, notons que la dictature reçoit le soutien sans la moindre nuance, de l’Eglise orthodoxe. Evidemment.

Les journaux domestiqués.

Ils tirent en France à des millions d’exemplaires. La plupart des titres ont disparu. Il reste le FIGARO et LA CROIX. Les piliers de l’ordre et de la bonne moralité.

Tous sont focalisés sur les « évènements » d’Espagne et l’offensive contre-révolutionnaire de leur champion, le général Franco.

Tous consacrent aussi de nombreuses pages aux jeux olympiques de Berlin et à « nos médailles ». 

Et puis, il y a la grève de juin 1936 qui affole les marchés. La classe ouvrière n’entend pas se laisser voler sa victoire électorale. On sait que le patronat se précipite dans le bureau de Léon Blum pour lui dire, en substance : « Monsieur Blum, sauvez-nous des excès de la populace qui menace notre droit à la propriété » ! On sait aussi que les chefs staliniens mouillent la chemise pour aider au rétablissement de l’ « ordre » et que sans eux, Blum n’aurait pas pu sauver l’ordre capitaliste.

Et bien sûr, les pressions sont fortes au sommet de la CGT réunifiée (c’est comme si aujourd’hui, CGT et FO ne constituaient qu’une seule confédération) pour que la confédération joue un rôle de « modérateur » … 

Le coup de force de Metaxas. Pourquoi ?

En mai 1936 avait éclaté à Salonique une grève à caractère insurrectionnel. Les travailleurs avaient pris le contrôle de la ville. Le gouvernement qui n’était pas encore officiellement d’extrême droite avait envoyé l’armée pour rétablir l’ « ordre», au grand soulagement du gouvernement britannique et des concurrents impérialistes de Rome et Berlin.

La CGT de Grèce avait annoncé une grève générale pour le 5 août. Personne ne pouvait dire si cette grève serait reconduite ou pas.

Le gouvernement prétendait imposer par décret des procédures d’arbitrage obligatoire en cas de grève et le contrôle direct de l’Etat sur les caisses de secours des syndicats.

Les militants syndicalistes avaient parfaitement raison d’y voir une tentative de museler leurs syndicats. C’était un coup de force inacceptable.

Le patronat grec avait besoin d’un « homme fort ». Ce fut comme souvent, un général.

Les journaux se chargent comme aujourd’hui de diffuser la propagande gouvernementale et ses « éléments de langage ».

Les perroquets du corporatisme. Quelques exemples.

LE PETIT PARISIEN (1 500 000 exemplaires vendus chaque jour) qui soutient à la fois Churchill et Mussolini explique : 

« La durée de la dictature est incertaine mais elle doit demeurer jusqu’à ce que le régime bourgeois que nous défendons soit à l’abri de tout péril communiste ». Ce « journal » se félicite que le général soit sensible au triste sort des pauvres, des malheureux et des exclus puisqu’il prévu un train de « réformes ouvrières » hardies. A ce moment précis Metaxas s’intéresse (ou fait semblant) à la Charte du travail mussolinienne. Les lecteurs sauront « qu’en matière de politique étrangère, rien ne change ». Autrement dit, la Grèce reste une semi colonie de l’Empire britannique.

PARIS-SOIR (1 500 000 exemplaires) informe à sa façon, le 6 août :

« Les ouvriers apprenant la proclamation de la loi martiale se sont hâtés de reprendre le travail … le souci principal du premier ministre est désormais d’appliquer sa politique sociale tendant à l’amélioration morale et matérielle de la situation des classes ouvrières et rurales, ainsi que celles des classes moins aisées ».

LE JOURNAL (650 000 exemplaires) ne cache pas son enthousiasme :

« Le calme règne dans le pays … quelques chefs révolutionnaires sont arrêtés. ( … ) La révolte a été étouffée dans l’œuf, mais il était temps. L’opinion publique a accueilli avec soulagement les premières mesures prises. Et à part quelques affrontements en Thrace entre la troupe et les grévistes … aucun incident n’est à déplorer ». Mieux, « la Grèce a été trop longtemps partagée en deux camps pour que le fossé puisse être comblé d’un seul coup. La situation devenait insoutenable dès lors que les troubles sociaux rallument les dissensions politiques et nous avons une dictature de plus, cela ne change peut-être pas grand-chose à la Grèce ». 

Les milliers de déportés syndicalistes dans les îles ne partagent certainement pas le point de vue de cette feuille de propagande qui se veut toujours « modérée » et donc, objective …

Un régime totalitaire apprécié des « démocraties » et des dictatures. En mars 1936, le roi nomme le général … ministre de la guerre, et, en avril, 1er ministre. Le 4 août, c’est le coup de force. En août 1937, Metaxas est proclamé « président d’honneur de la Confédération générale du travail » normalisée.

LE PETIT JOURNAL (220 000 exemplaires) dénonce « les troubles communistes » **. Ses lecteurs suivent avec passion les exploits de nos champions tricolores à Berlin. Ce journal préfère l’Italie fasciste à l’Allemagne nazie. Mais tout est affaire de nuances.

LE MATIN (500 000 exemplaires) partage les mêmes goûts. Cet outil de propagande ne cache pas l’origine de la « révolte » ouvrière : l’arbitrage obligatoire des conflits de travail.

« Le pays s’est trouvé en face d’une situation anormale, étant à la veille de voir éclater un mouvement séditieux … (qui) se préparait à jeter à bas le régime social et à anéantir la société hellénique (rien que ça !), le premier pas vers ce but aurait été la grève générale ».

L’ordre, la sécurité et la stabilité étant rétablis, le roi s’offre des vacances bien méritées à Corfou … malheureusement, les grecs n’avaient pas de chaines d’infos en continue pour suivre, haletants, toutes ses aventures …

(Il y a beaucoup d’autres publications, la plupart adeptes des régimes totalitaires : JE SUIS PARTOUT, GRINGOIRE etc. C’est la presse des égouts. Sans intérêt, l’équivalent des plus modernes chaines d’info en continu).

La presse dite, d’opinion.

La palme du jésuitisme revient au TEMPS, l’ancêtre du MONDE, le temps où sévit déjà Beuve-Méry qui a fondé le Monde en 1945 à la demande de De Gaulle. Ce journal prêche un corporatisme à visage humain. Il se veut « objectif » et « modéré ». Une modération de bon aloi qui l’amène à comprendre le général Metaxas. L’honorable quotidien le cite : 

« En qualité de chef du gouvernement, ayant assumé la totalité du pouvoir dont j’ai besoin pour sauver la Grèce des catastrophes qui la menacent, je déclare que je suis résolu à poursuivre, et par tous les moyens, la lourde mission que j’ai assumée à l’égard du roi et du peuple hellène ». Une lourde charge que LE TEMPS comprend. C’est qu’il a bien du courage ce général qui doit faire face à l’ « instabilité » chronique et à l’agitation permanente de la « populace ». Avec Metaxas, la « réconciliation nationale » serait à l’ordre du jour. La « paix sociale » serait assurée.

Evidemment le TEMPS approuve  l’instauration des procédures d’arbitrage et ne remarque pas la brutale répression qui frappe les militants syndicalistes. L’interdiction des journaux qui déplaisent au Bonaparte n’émeut pas plus les « journalistes » du TEMPS.

LE TEMPS, c’est bien « la bourgeoisie faite journal ».

Une ombre au tableau toutefois ? : « Le malheur est qu’une fois la dictature établie, on ne sait jamais quand et comment elle prendra fin ». Ce n’est pas faux. 

Mais non, même pas une ombre au tableau puisqu’à l’été 1940, le journal affirme : « le bilan de ces quatre années d’activité est éloquent : sur le plan financier, commercial, maritime, agricole et surtout social et de la défense nationale, les accomplissements réalisés sont considérables. Le pays a subi une profonde et bienheureuse transformation ».

La jeunesse grecque embrigadée. L’extrême droite dans toute sa diversité aime les uniformes. Dès le plus jeune âge.

LE FIGARO. Le « journal » soutient l’extrême droite. Il se félicite « de la présence de la police partout dans les rues. Et devant les établissements publics, sans que des troubles ne soient à signaler ». Et c’est tout.

L’ACTION FRANCAISE monarchiste de Maurras, «ce grand écrivain » selon Macron (Maurras, un antisémite exalté) publie les déclarations de Metaxas qu’il approuve totalement.

LA CROIX du 6 août publie une brève :

« Des troubles ont éclaté en Grèce ». Le saint quotidien ne cache pas que « les syndicats ouvriers avaient proclamé la grève générale en signe de protestation contre les lois d’arbitrage obligatoire … craignant l’immixtion d’éléments extrémistes, le gouvernement a pris les mesures propres à assurer la liberté du travail et le fonctionnement des services publics ».  Le journal du Vatican soutient la dictature sans le moindre état d’âme. Une particularité ; il n’y aura pas en Grèce de concordat dictature-Eglise catholique puisque c’est l’Eglise orthodoxe qui se charge de la « police des âmes ».

Les médias ont basculé à l’extrême droite. Toute ressemblance avec la situation actuelle  …

Conclusion : Les attaques contre le syndicalisme libre et indépendant sont une caractéristique de tous les corporatismes, y compris évidemment les variants du fascisme ou du nazisme.

 Penser qu’il est possible de composer avec les corporatistes dans une « co-construction » harmonieuse ou même vaguement conflictuelle relève de l’illusion complète ou plutôt du fantasme.

Comme souvent, ce sont les lois restreignant, voire supprimant le droit de grève qui concentrent l’offensive des capitalistes.

En France, René Belin, chef de la tendance néo de la CGT, était partisan des lois sur l’arbitrage adoptées début 1937 (sous la houlette du radical C. Chautemps) ; il milite pour que cette position devienne celle de la CGT, non sans succès ; Il est nommé 1er ministre du travail de Pétain. Il vaudrait mieux ne pas l’oublier.

Pas à la hauteur.

Le quotidien de la SFIO, LE POPULAIRE, publie deux brèves, les 6 et 8 août ; deux phrases ce jour-là pour signaler qu’ « à Salonique, tout est calme » … (Source BnF). Un POPULAIRE, pas à la hauteur … c’est le moins que l’on puisse dire.

Le ministre Jean Zay se rend en Grèce en avril 1937. De belles cérémonies sont organisées. On célèbre « l’amitié traditionnelle … » entre les deux pays. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de grecs au premier rang desquels des syndicalistes, croupissent dans les prisons et les bagnes du général-dictateur.

(Sur les questions essentielles de l’indépendance syndicale et des lois réactionnaires sur l’arbitrage, voir, « corporatismes d‘hier et d’aujourd’hui », édité par l’UD-FO 44. Pages 150 et suivantes, analyse à partir d’une étude de Patrick Hébert).

  • Le bras droit de Churchill le très démocrate Anthony Eden écrit à l’annonce de la mort de Metaxas le 29 janvier 1941 : 

« Lourde journée, violente migraine presque tout le temps. Metaxas est mort. Coup dur. Un petit pays comme la Grèce ne peut pas produire deux hommes de ce calibre dans la même génération et le champ politique est clairsemé ».  (Source : A. Eden, « mémoires politiques, l’épreuve de force »).

** Le KKE, le PC, présente de nombreuses particularités. Ce n’est pas l’objet de cette note de les exposer. Rappelons simplement que les militants qui ont voulu défendre une ligne d’indépendance de classe, qu’ils soient membres ou pas du KKE, ont été purement et simplement liquidés par l’appareil stalinien. Comme en Espagne … par exemple.

JM. 23 juin 2024.

 

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