>Histoire

12 / 01 / 2017

Jaunes d’hier et d’aujourd’hui

Christophe Maillard est l’auteur de : « Un syndicalisme impossible, l’aventure oubliée des jaunes». Un livre d’actualité. (Facile à lire et riche d’enseignements ; 150 pages).
La période couvre les années 1899 à 1914.

Tout commence en 1899 au Creusot dans les usines Schneider. Un appel invite ouvriers et patrons à « la concorde et à l’harmonie ». Peu après, à Montceau les Mines, un appel circule proposant la « conciliation » entre ouvriers et patrons » rejetant la grève « comme unique moyen de résolution des conflits ». Quelques centaines d’ouvriers y répondent (page19). C. Maillard pointe du doigt le problème majeur de ces premiers syndicats jaunes : la hiérarchie catholique n’est pas entièrement convaincue du bien-fondé de ces initiatives. « Elle préfère mettre en avant des syndicats mixtes réunissant patrons et ouvriers », recommandation de l’encyclique rerum novarum du pape Léon XIII en 1891.
La devise des Jaunes est : paix, travail et Liberté. Leur hymne se conclut par : « La vraie lutte finale, c’est la Concorde et l’Union / terminez la bataille / Dans la paix et la Raison ».

Livre " Un syndicalisme impossible? L'aventure oubliée des Jaunes" par Christophe MaillardAu moment où certains cherchent à reconstituer l’axe du « syndicalisme rassemblé », c’est-à-dire la soumission à la ligne réactionnaire de la CFDT, l’ouvrage de Christophe Maillard tombe à pic. L’auteur montre bien la continuité des thèses corporatistes. Les jaunes qui se présentent comme étant les vrais « socialistes » continuent d’inspirer fortement – même s’ils s’en défendent – les partisans actuels de la « modernisation » du marché du travail. Les uns et les autres prétendent trouver des solutions conformes à « l’intérêt général », « au plus près du terrain ». Comme par miracle, les patrons aussi…

La « participation… »

Un 1er congrès se déroule à Paris en mars 1902. Il  revendique  « la participation des ouvriers aux bénéfices ». Une « revendication » qui fera bien des émules de « l’extrême droite » à « l’extrême gauche ».
Après une scission, le nouveau leader, Biétry entend édifier un « syndicalisme novateur » capable d’offrir une alternative à la CGT. Une fraction de la hiérarchie catholique et quelques capitalistes financent l’opération. A la CGT, personne n’est dupe. Les militants, toutes tendances confondues, se battent (parfois au sens propre) contre les Jaunes. Il n’y a pas alors d’espace pour le « syndicalisme rassemblé ».
Les jaunes qui combattent la revendication centrale de la CGT « 8 heures de travail » (et pas une minute de plus !) opposent la fixation des heures de travail au niveau des « corporations, des régions et des métiers ». (Page 50). L’affaire pourrait même se régler au niveau de l’atelier (Page 92) ; et d’invoquer … Proudhon …
Biétry prétend incarner le « véritable socialisme français », celui qui est conforme « au véritable sentiment national ». Les Jaunes de l’époque ne sont pas encore « européens ».
Sa bête noire, c’est Jaurès. Quoi de plus normal. Jaurès, un peu seul, il est vrai, démonte les thèses corporatistes de Lagardelle, ex « syndicaliste révolutionnaire », dès 1908, à l’occasion d’un congrès de la CGT. (Voir à ce sujet : corporatismes d’hier et d’aujourd’hui, en vente à l’UD. Lagardelle, auteur de la formule, « la Charte (du travail) sera syndicale ou ne sera pas » finira ministre du travail de Pétain).

Les « Jaunes », réformistes ?

Le 23 décembre 1902, Biétry fonde le Parti socialiste national qui prône « un socialisme de réformes persévérantes ». Aujourd’hui encore, les Jaunes se prétendent « réformistes » – ils seraient mêmes les seuls ! – bien qu’ils accompagnent, voire anticipent, toutes les contre-réformes des gouvernements et du patronat (MEDEF, essentiellement) : retraites, « refonte » du code du travail, atteintes au statut de la fonction publique, blocage des salaires etc.
Maillard a bien raison d’insister sur ce point (page 57) :
Zeev Sternhell considère le PSN comme « l’ancêtre du parti fasciste italien et du parti national-socialiste allemand ».
Les mots d’ordre démagogiques « à chacun une parcelle de propriété » cohabitent avec les évocations du passé :
« l’Utopie socialiste, ( … ) c’est la résurrection des grandes corporations d’autrefois dans une France grandie, apaisée, chrétienne et libre ».

Les jaunes tracent leur sillon.

L’abbé Brière mobilise l’Association franciscaine chargée d’assurer la promo du nouveau parti. Parmi les parrains : madame Sangnier, mère de Marc Sangnier, directeur du Sillon.
En 1904, dans le journal « le Jaune », Biétry théorise – bien avant la CFDT – sur « l’autogestion » :
«  Le salariat disparaîtra et sera remplacé par un contrat d’association qui fera de l’ouvrier un associé et un copropriétaire de son entreprise ». On y retrouve tous les poncifs de la « deuxième gauche ». Exemple :
« Du fait qu’il acquiert une partie de l’usine sous la forme d’une action l’ouvrier acquiert le droit de ne plus être expulsé de l’usine du jour au lendemain ; il s’attache au coin de pays où il vit … » (page 65) Vivre et travailler au pays, main dans la main avec le camarade-patron. Mais qui y croit vraiment ? Sacré Biétry, il ne lui manque plus qu’un bonnet rouge.
Afin de prévenir les grèves les Jaunes préconisent dès 1905, l’instauration d’un « conseil de conciliation ».
Mais en 1905 comme en 2017, on peut bien prêcher la « conciliation » appeler à un  nouveau (toujours plus nouveau !) pacte social, on peut bien imaginer tous les bidules visant à intégrer les syndicalistes à la gestion, menacer, instaurer l’état d’urgence … essayer de faire passer les pires réactionnaires pour des « réformistes »* … au bout du bout, ce qui détermine l’action des salariés, ce sont bien toujours les conditions matérielles d’existence.

"La grève au Creusot" par Jules AdlerLes grèves au Creusot. 1901 : la classe ouvrière cherche à se constituer dans la CGT, sur un plan interprofessionnel. Les grands patrons sentent bien le danger. Il leur faut sans tarder constituer « leur » section syndicale d’entreprise, le « syndicat »-maison, la « communauté ». C’est déjà le fameux « patrons-ouvriers-techniciens » de Vichy.

 

Déconfiture

Les Jaunes se décomposent et se « radicalisent ». En 1908, Ils manifestent contre un professeur du lycée Condorcet qui a eu l’outrecuidance de mettre en doute la réalité des voix entendue par Jeanne d’Arc. De l’isolement, on passe au ridicule.**
En 1912, Biétry quitte « le navire jaune en perdition » et se réfugie en Cochinchine pour y exploiter le café et le caoutchouc. Il s’y comporte comme le pire des colons. Il meurt en 1918.

C. Maillard conclut (page139) :

« En s’éloignant de la métropole, Biétry symbolise bien l’impossibilité pour les Jaunes d’avoir une place durable dans le paysage politique et syndical français ». Mais :
« Malgré l’échec final des Jaunes, un certain nombre de leurs combats et de leurs concepts ont connu, par la suite, bien des avatars et ont été transmis indirectement à des idées ou à des courants politiques différents, comme la participation gaulliste ou encore la CFTC. Pour Z. Sternhell, les Jaunes comptent aussi comme héritiers Doriot et son mouvement fascisant, le Parti populaire français dans les années 30 ou encore les rédacteurs de la Charte du travail de Vichy». (Page 145).
On pourrait aussi citer le néo-socialiste Marcel Déat.
Vraiment, un livre précieux et tellement d’actualité !

*La palme au quotidien l’humanité (pauvre Jaurès) qui nous explique sans rire (jaune) que la CFDT de Chérèque a achevé sa mue « réformiste ».

** Pourtant, nombre de « nos » politiques persistent dans leur adoration de Jeanne la Pucelle.

j. M 11-01-2017

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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