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Interviews 21 / 05 / 2022

« Indépendant syndicalement, on ne peut pas l’être à moitié ». (René Robin).

René Robin, ancien secrétaire-adjoint
de l’Union départementale FO de Loire-Atlantique.

 

René, Tu as occupé à l’UD-FO de Loire-Atlantique pendant de nombreuses années une place importante.

Peux-tu nous dire quel a été ton parcours de militant syndicaliste ?

Tu fais bien de parler de  parcours syndicaliste. Je n’ai en effet jamais été adhérent d’une organisation politique.

En préambule, je voudrais insister sur un point.

Les propos qui suivent ont une fonction principale : indiquer aux plus jeunes et aux militants à venir que la construction d’un syndicat n’est pas chose facile. Mais avec des convictions solidement établies au premier rang desquelles, le respect absolue en toutes circonstances des principes de la Charte d’Amiens –  c’est-à-dire l’INDEPENDANCE SYNDICALE –  avec de la ténacité, du courage, parfois, souvent même, et avec un travail nécessairement collectif, il est en dépit de toutes les difficultés, possible de défendre efficacement nos intérêts spécifiques, les intérêts des salariés, des travailleurs.

Indépendant de l’État, des partis, des sectes religieuses ou autres, on ne peut pas l’être à moitié.

Issu d’une famille ouvrière, mon père a travaillé aux chantiers navals à Nantes comme aide-comptable, payé toute sa vie juste au-dessus du SMIG. La vie était dure à la maison.

Il était syndiqué à la C.G.T. et quand il y a eu la scission et la création de la C.G.T-F.O. fin 1947, il ne s’est plus syndiqué. Il disait que cette division allait faire perdre de la force à l’ensemble des ouvriers.

Il a cependant participé activement aux grandes grèves de la Navale à Nantes en 1953 et 1955.

Moi, j’ai commencé à travailler aux Ponts et Chaussées comme dessinateur auxiliaire. J’avais acquis une formation de dessinateur au collège technique Leloup Bouhier.

Dès mon arrivée, un camarade FO m’a dit l’importance de se syndiquer et c’est Lucienne Echasseriau – surnommée Lulu – qui m’a emmené aux réunions à l’Union départementale FO.

J’étais intéressé et j’y retournais de temps en temps pour m’informer.

En 1954, il y a eu des élections à la SECU et c’est ainsi qu’à 19 ans, j’ai été désigné par l’UD, sans doute proposé par Lulu, pour être président d’un bureau de vote. Cela s’est bien passé pour moi et pour FO qui avait fait un bon score. Aux élections suivantes, FO était même arrivé en tête au niveau national. Je pense qu’on le devait à André Bergeron, un militant réformiste, honnête et pugnace ; je pense que les gens l’aimaient bien. Rappelons que FO est à l’initiative à l’époque de la généralisation des conventions collectives !

Puis j’ai été mobilisé en Algérie en 1957 pendant 28 mois.

Je me suis marié en octobre 1959 et j’ai repris mon travail aux Ponts et Chaussées. Pour parfaire ma formation, j’ai suivi des cours du soir aux Arts et Métiers et après examen, j’ai été promu dessinateur d’études puis Assistant Technique des Travaux Publics de l’État. Au bureau d’Études, les collègues trouvaient notre rémunération bien maigre par rapport à notre travail et m’ont incité à rechercher de l’aide pour améliorer notre condition.

Je suis retourné à l’UD où je me suis syndiqué et où j’ai rencontré quelques copains dont Jean Dervé du syndicat de l’équipement qui m’a conseillé de contacter Roland Gaillard, à Paris, pour connaître nos grilles indiciaires.

En 1965, c’est la création des cinq ports autonomes : Le Havre, Marseille, Nantes-Saint-Nazaire, Dunkerque et Bordeaux. Le personnel qui a constitué ces entités provenait pour moitié des fonctionnaires des Ponts et Chaussées et des personnels des Chambres de Commerce et d’industrie maritime.

C’est ainsi que j’ai atterri au port autonome de Nantes avec Lulu et Marius Chupin, militants FO.

Sous l’égide de la section syndicale FO de la Chambre de Commerce de Nantes avec Gustave Duret et Gérard Legoff, deux militants expérimentés, nous avons constitué un syndicat unique du port où j’ai vite intégré les structures FO. Au niveau national, nous relevions de la Fédération des Ports et Docks FO qui avait son siège à Paris dans le même bâtiment que la Confédération.

Cette création nouvelle des ports imposait la mise en place de conventions collectives pour tous les personnels y compris ceux des plus petits ports maritimes. Les responsables FO allaient à Paris tous les 15 jours et se retrouvaient avec les camarades de Boulogne, Dunkerque, Dieppe, St Malo, Lorient, Nantes-Saint-Nazaire, La Pallice, Bayonne, Port-Vendres, Marseille, Toulon.

L’entité directrice proposait un texte discuté entre nous et amendé, puis c’était la phase de négociations avec le patronat.

Cela a duré au moins deux ans et c’est ainsi que j’ai intégré l’équipe syndicale nationale.

Pendant 19 ans, j’ai conservé la responsabilité du Cartel des Ports FO où il y avait une ambiance super. J’ai voulu passer le témoin. Les copains ne le souhaitaient pas. J’y suis resté jusqu’à ma retraite, à 60 ans, en 1995.

La concurrence avec la CGT était rude ?

Sur les quais, les copains FO ouvriers et agents de maîtrise ont dû être forts pour défendre nos couleurs vis-à-vis de la CGT qui voulait imposer son diktat, son monopole.

L’implantation avait été difficile. A l’UD, les camarades, par exemple Robert Gaborieau, m’avaient demandé : « comment faire pour s’implanter chez les dockers ? » Gaborieau m’avait dit : « J’ai un copain docker. Peut-être est-il possible de s’appuyer sur lui ? ». Nous sommes allés sur le port, discuter. Nous étions trois : Robert, ce camarade et moi-même. Le gars avait dit : « si je me syndique à FO, je vais être viré ! ».

Pourtant, le syndicat s’est construit. On n’a rien lâché de nos revendications strictement syndicales. C’était le seul moyen de mettre à mal la « chasse gardée » de l’appareil CGT.

Je parle ici des années 1970 jusqu’à 1995. Nous avons eu jusqu’à 150 adhérents. Nantes et Dunkerque étaient les deux sites en pointe pour la syndicalisation. Les personnels administratifs ont été nombreux à nous rejoindre (environ 80).

Il faut dire aussi que des cadres ont rejoint FO mais certains ont fait ensuite ce mauvais choix de rejoindre la CGC, syndicat catégoriel.

Les ouvriers étaient plus nombreux à la CGT. Mais était-ce par conviction ? Être ouvrier syndiqué FO, ce n’était pas bon pour l’avancement !

Je rédigeais les tracts. Donc il y avait des polémiques. Un des dirigeants CGT disait quand même « bonjour » aux camarades FO, mais pas à moi …

Mais ce n’est pas à Nantes que c’était le plus compliqué. Dès la scission CGT-FO / CGT, la politique des « communistes »-staliniens dans les ports a pris une tournure inquiétante.

Je me souviens qu’à Dieppe, un copain docker FO a failli se faire écraser par une bille de bois, les bois de calage ayant été enlevés exprès ; ça pouvait aller jusque là !

A Bordeaux, les ouvriers FO du port avaient pris la précaution – tellement ils se sentaient en insécurité – de garder à portée de main un révolver. Il y a eu des coups de feu, sans conséquences graves, heureusement.

En 1995, dans la bataille contre le plan CFDT-Juppé, des militants FO et CGT ont bien été obligés de combattre ensemble. Pour autant, il faut bien dire qu’aujourd’hui encore, même si la situation n’est plus celle de ces années-là, le monopole CGT sur les ports, ça existe encore.

Il y a du boulot ! Que les jeunes comprennent bien que la construction d’un vrai syndicat qui ne renie pas ses principes et n’abdique jamais sur les revendications est une tâche ardue, mais qu’avec de la persévérance, on y arrive.

Et au plan national ?

Là-aussi les pratiques de la direction de la CGT étaient pour le moins contestables. Les négociations interpro avaient lieu dans un premier temps entre CGT, seule, et patronat. Ensuite FO, CFDT (après 1964 et la soi disant « déconfessionnalisation ») et CGC étaient reçues à part. C’était la « démocratie » cégétiste !

Bien entendu, il m’avait fallu intégrer le bureau fédéral avec René Valladon (à l’époque secrétaire de la fédération de l’équipement, de l’environnement et des transports) qui est venu à Nantes en 1995 me remettre la médaille du Mérite National, à titre syndical, en présence d’Yves Veyrier et d’Alexandre Hébert.

Du fait que j’allais souvent à la Fédé à Paris, j’ai eu l’occasion de rencontrer Marc Blondel et Jean Claude Mailly …

Les négociations nationales m’ont pris beaucoup de temps. Il me fallait être présent au Port Autonome mais aussi à l’UD ; c’est ainsi que ma femme a élevé presque seule mes trois enfants.

Et au plan de l’UD ?

J’étais élu à la CA de l’UD puis au Bureau. Je fréquentais assidûment toutes ces réunions et c’est ainsi qu’au départ d’Alexandre Hébert, il proposa à Patrick Hébert, son fils, ma candidature comme secrétaire adjoint de l’UD aux côtés de Gaby Guichet, responsable du syndicat FO de la ville de Nantes, afin d’équilibrer le bureau « politiquement ». J’étais considéré comme militant réformiste …

C’était bien sûr un critère, mais surtout, les camarades avaient vu comment tu avais construit le syndicat  …

Ce n’est pas le travail qui manquait. En dehors de mes activités nationales dans les ports, il fallait assurer la présence de l’UD dans les AG des différents secteurs, assurer les audiences diverses, à la préfecture par exemple, avec Patrick Hébert …

J’avais aussi été désigné avec quelques autres camarades par Antoine Faesh administrateur FO à l’AGRR (caisse de retraite complémentaire). C’est Thierry Gicquel qui a pris la suite.

Quelle était l’ « ambiance » générale à l’UD ?

Ce n’est un secret pour personne, différentes sensibilités s’exerçaient et je peux affirmer que les trotskystes, les anarchos-syndicalistes et réformistes ont toujours respecté la devise de FO : libres et indépendants des partis.

Nous avons eu des réunions épiques mais le bon sens nous a permis de toujours tenir la route.

En 1981, il y a eu quelques débats sur l’indépendance syndicale et le respect de la Charte d’Amiens ?

En effet. Je me souviens d’un copain FO et membre du parti socialiste qui voulait me convaincre que « la situation était compliquée et qu’il fallait y aller mollo sur les revendications salariales ».

Moi, je me fous de ce que dit le gouvernement. Je veux que les camarades et tous les salariés aient un bon salaire pour vivre bien.

Dès le milieu des années cinquante, Je fréquentais assidûment les réunions à l’UD et Alexandre Hébert nous analysait la situation, nous conseillait, nous expliquait ce qu’il ne fallait surtout pas faire : renoncer à notre indépendance, et donc, à nos revendications.

Du temps de Mitterrand, Jacques Delors, ministre de l’économie, avait décidé de bloquer les salaires et Alex nous a dit pourquoi il fallait réagir.  Petit à petit, les salariés ont compris notre position. Nous avons été la seule confédération à nous battre en appelant à la grève interpro contre l’austérité. Nous n’étions pas bien nombreux mais nous savions ce que nous faisions.

Alexandre avait raison.

Alexandre Hébert analysait  « précisément » la situation, mais surtout, il agissait …

Oui. Je vais donner un exemple. Alexandre Hébert a participé à Ancenis à bien des négociations avec des patrons des entreprises du secteur. C’est lui qui par sa fermeté dans la négociation avec les boîtes a permis le développement de FO à Ancenis, par exemple Chez Manitou et Toyota … d’ailleurs, les copains d’Ancenis ne voulaient que lui dans les négociations avec les patrons.

Mais la vie syndicale est souvent compliquée.

A Saint-Nazaire, le secrétaire de l’Union locale, Paul Malnoë ne voulait pas qu’Alexandre (et l’UD) se mêle de ce qui se passait localement. C’était sa chasse gardée ; ça faisait mal à Alex, car les postions de l’UL, parfois très proches de celles du PS, et filant le train à d’autres, n’ont pas permis à l’époque de développer FO comme il aurait fallu, alors que le potentiel était là.

Avec de la patience et des convictions, Patrick Hébert puis Michel Le Roch, avec aussi des militants déterminés et de valeur à Saint Saint-Nazaire, ont favorisé la « normalisation » des rapports UD et UL. Les camarades de Saint-Nazaire nous apportent maintenant le poids de leur sérieux et de leurs convictions.

Au bureau de l’UD, au moment du départ d’André Bergeron du poste de secrétaire général de la Confédération, Alexandre Hébert avait expliqué pourquoi il préférait soutenir la candidature de Marc Blondel plutôt que celle de Claude Pitous, soutenu pourtant par André Bergeron.

Il pensait que Blondel serait plus sur une ligne de refus d’accompagner les contre-réformes.

Il y avait à l’époque la Fédération de l’Éducation Nationale, très puissante, qui avait refusé en 1947 de choisir entre la CGT ou la CGT-FO, en restant dans l’autonomie, qui devait être « provisoire » …

Dans l’enseignement, en 1981, la fédération autonome, la FEN, accompagnait le gouvernement d’union de la gauche. En Loire-Atlantique l’ami d’Alexandre, Serge Mahé avait suivi le mot d’ordre de FO, un des rares instituteurs en grève ! Il avait raison !

Un dirigeant de la FEN avait même été nommé ministre du temps libre !

Beaucoup d’enseignants ont commencé à douter de la pertinence de l’action de la FEN.

D’ailleurs, à Paris, André Bergeron l’avait bien compris. Il fallait leur ouvrir une perspective : la syndicalisation à FO. A Nantes, les meetings du 1er mai ont longtemps été des réunions de militants communes à FO, la FEN et l’UNEF.

J’en ai parlé avec Bergeron. Il a longtemps pensé que la FEN pourrait un jour rejoindre FO.

Mais les années 1981-1982 ont marqué un tournant. Alors, il m’a dit qu’il avait décidé de ne plus laisser le monopole à la FEN et d’ouvrir la syndicalisation à FO.

Bergeron avait raison.

Les thèses de la FEN (et évidemment de la CFDT) n’avaient plus rien de commun avec les nôtres.

 André Bergeron restait profondément attaché aux principes de laïcité et de neutralité de la fonction publique.

Il était adhérent de la SFIO, la Section Française de l’Internationale Ouvrière que François Mitterrand avait transformé en parti « socialiste ». 

Tu as assisté au récent congrès de l’UD. Qu’en as-tu retenu ?

En 1955, quand on organisait une réunion au plan interprofessionnel, on rassemblait environ 50 militants.

Après la grève générale de mai-juin 68, il y a eu un apport de nouveaux militants. Yvon Rocton à Sud-Aviation à Bouguenais, Robert Gaborieau, à l’UL de Nantes, Thierry Martin, Robert Carcouet ont effectué un boulot de fourmi. Il fallait aller dans les boîtes de la métallurgie et partout pour constituer de nouveaux syndicats. L’UD était une ruche.

Il faut dire qu’à cette époque, il y avait moins de facilités pour militer. Nous avons arraché des lois qui ont amélioré les droits des travailleurs, lois d’ailleurs sans cesse remises en cause. On le voit bien avec les CSE et la suppression des CHSCT …

Quel chemin parcouru !

Quand on voit le dynamisme de notre dernier congrès de l’UD en mars 2022 – 900 militants réunis ! – on peut être heureux du travail militant accompli.

Quel dynamisme apporté par tous les responsables syndicaux qui se sont succédés à la tribune sous la bannière de l’INDEPENDANCE. Nous défendons les intérêts particuliers des salariés.

Nous ne gérons pas la France.

C’est aux politiques élus qu’il reviendrait de répartir équitablement les richesses, ce qui est loin d’être le cas.

Je suis heureux que Michel Le Roch ait à l’occasion du meeting FO du 1er mai, félicité mon camarade Yves Veyrier qui a respecté, par exemple sur le dossier des retraites, le mandat des réunions du Comité Confédéral National et de la Commission exécutive.

En effet, et il va y avoir en juin le congrès confédéral, un congrès déterminant …

Au congrès de l’UD en mars, Frédéric Souillot a fait une bonne intervention de syndicaliste, sur l’essentiel : les salaires les retraites. Et il a bien fait de rappeler fermement à certains élus politiques invités à la pause du congrès que NON, décidément NON, nous ne sommes pas à FO, des « corps intermédiaires » mais bien des syndicalistes.

En conclusion …

Nul doute que sur ces bases revendicatives fermes, des salariés comprendront la nécessité de rejoindre FO et mieux, d’y militer.

Merci, mon ami Yves !

Le 13 mai 2022

 

 

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