Malgré les fortes réserves des personnels et des Comités socio-économiques (CSE) du groupe, la direction de France Télévisions a décidé de faire passer en force son projet « Tempo ». Depuis le 4 septembre, les journaux nationaux de France 3 – le « 12-13 heures » et le « 19-20 heures » –, qui étaient diffusés depuis 1986, ont disparu de l’antenne pour laisser place deux fois par jour à 24 éditions régionales. Celles-ci incluront des sujets nationaux voire internationaux, piochés dans une manne préparée par les rédactions nationales de France Télévisions.
Problème : la nouvelle organisation a été largement sous-dotée en ressources pour faire face aux nouvelles missions. Tel qu’il est exécuté actuellement, le projet Tempo va mettre les personnels sous l’eau, assène Renaud Bernard, délégué syndical central FO chez France Télévisions. Certains salariés vont voir leur charge de travail doubler et devront travailler 50 ou 60 heures par semaine.
Contre la précipitation avec laquelle s’est déployé Tempo et pour la protection de leurs conditions de travail, les personnels de France 3 se sont mis en grève pour deux jours les 4 et 5 septembre. Treize des 24 éditions n’ont pas pu avoir lieu au premier jour de la grève.
Une centaine d’équivalents temps-plein manquants
Annoncé en juillet 2022, il y a 14 mois, le projet a fait l’objet de nombreux ateliers et comités de préparation. Mais en fait, on a réfléchi à l’organisation sans reconnaître le besoin en ressources
, résume le DSC. En résulte un fort sentiment de ne pas avoir été écoutés
de la part des partenaires sociaux. Les besoins en effectifs ont été évalués par la direction du groupe, qui a conclu à la nécessité de déployer 60 équivalents temps-plein (ETP). Or, certains planificateurs reconnaissent qu’il en aurait fallu environ 160
, expose Renaud Bernard. Autre sujet litigieux, la répartition de ces nouveaux ETP : certaines antennes régionales devront travailler à moyens constants.
Dans une interview donnée au journal Le Monde début septembre, la directrice générale de France Télévisions, Delphine Ernotte, justifiait ce projet de décentralisation de l’information : Que nous disent les téléspectateurs ? Qu’ils attendent une info locale vue de chez eux, des campagnes et des périphéries, moins parisiano-centrée.
FO n’est d’ailleurs pas par principe opposé à la stratégie éditoriale de régionalisation. C’est un changement de positionnement, ça aurait mérité d’être discuté, estime Renaud Bernard. Le problème, c’est d’abord la précipitation et les moyens alloués.
D’autant plus au sein de rédactions déjà dans l’attente du bouleversement du système de financement de l’audiovisuel public, qui menace la pérennité des moyens alloués à l’information.
Des risques psycho-sociaux soulignés par une expertise
Une expertise mandatée par les CSE de France Télévisions et de France 3, réalisée par le groupe 3E Acante, préconisait en juin dernier d’accorder des délais supplémentaires pour la mise en place du projet Tempo. Une recommandation restée lettre morte, malgré les alertes lancées par FO. Dans leur rapport, les experts soulignent la tension dans laquelle se trouvaient déjà les personnels bien avant les changements de la rentrée : équipes non complètes dans certaines rédactions, baisse de 8,4% des ETP entre 2018 et 2022, sentiment de travailler dans l’urgence… Le projet Tempo ne fait ainsi qu’alourdir encore des conditions de travail déjà dégradées. L’expertise souligne donc les importants risques psycho-sociaux que son déploiement en l’état ferait peser sur les salariés.
Les équipes craignent également que le projet marque une nouvelle étape dans le rapprochement des antennes régionales de France 3 et des radios publiques locales. Je suis pour une forme d’union entre France 3 et France Bleu
, a réaffirmé Delphine Ernotte dans son interview au Monde. Les nouveaux journaux régionaux, « ICI midi » et « ICI soir », portent d’ailleurs déjà le nom de l’offre numérique proposée conjointement par France Bleu et France 3.
En tant que partie prenante dans la vie de France Télévisions, on demande d’abord de la mesure dans la politique qui est menée, souligne Renaud Bernard. Pourtant, le projet est passé aux forceps.
Dans un souci de faire entendre raison
, FO n’a pas appelé à poursuivre la grève, mais Renaud Bernard avertit : Nous appelons à la négociation de nos organisations de travail, sinon, on relancera le conflit.