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9 / 09 / 2023

Espagne : 1931-1938. 2/4

 Deuxième partie.

« Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre ». (Karl Marx).

Au lendemain de la victoire électorale. (février 1936).

Le premier avertissement aux partisans de la continuité, de la « stabilité », de l’ « ordre » est le dossier de l’amnistie des prisonniers politiques.

Depuis 1933-1934, des milliers de militants syndicaux, environ 9000, la plupart membres de la C.N.T. croupissent en prison.

D’un côté, le président de la république, Azana, en appelle à « la défense de la République … à la discipline et au respect de l’autorité constituée ».

De l’autre côté, des manifestations et des grèves éclatent dès le lendemain des élections, sans demander l’autorisation de personne On dirait aujourd’hui qu’il n’y a pas d’ « état de grâce ». C’est que les travailleurs ne veulent pas seulement la « démocratie » bien abstraite promise en chœur par les différentes composantes du Front populaire. Ils veulent la rupture avec l’ordre ancien.

La méfiance l’emporte souvent sur l’enthousiasme. A valence et Oviedo, ce sont des militants de la C.N.T. qui prennent les choses en main en procédant à la libération des condamnés politiques de 1934.

« Les paysans s’installent sur les domaines des grands propriétaires et commencent à les cultiver pour leur propre compte … on signale un peu partout des incendies d’églises et de couvents. Il n’y a aucun doute : l’ordre établi et la propriété sont menacés ». (Témine, Broué, page 66).

Même processus dans l’industrie : « Dans la région madrilène, où prévaut l’influence de l’U.G.T. 30% des entreprises sont placées sous double contrôle gouvernemental et syndical. En Catalogne sous influence de la C.N.T. 70 % des entreprises ont été incantadas, saisies » et placées  sous contrôle syndical ; 50 % au Levante etc. C’est une situation de double pouvoir qui s’instaure. C’est le début classique de la révolution.

Les services publics sont pris en main par des Comités mixtes C.N.T. et U.G.T.

En réalité, les syndicats sont les seuls facteurs d’ordre.

C’est pourquoi, ils sont la cible privilégiée de ceux, à « droite » et « extrême, à « gauche » qui veulent le rétablissement de l’ « ordre, l’ordre, l’ordre » comme on dit aujourd’hui dans les cercles tentés non seulement par l’Etat policier, mais par la solution totalitaire.

La garde civile – les forces du désordre – où sévissent toutes sortes d’individus proches des cercles d’extrême droite nostalgiques de la monarchie intervient. A Yeste, dix-huit paysans sont tués.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la méfiance des militants syndicalistes qui ne se soumettent pas au « Front populaire » était non seulement bien compréhensible mais surtout tout à fait légitime. Une leçon d’Espagne à retenir.

Tirant en 1936 le bilan de 1931, le leader PSOE, Largo Caballero affirme « ne plus vouloir commettre les mêmes erreurs ». Très bien.

Par conviction ? Par tactique ? Pour essayer de conserver le contrôle de la situation ?  Caballero et la fraction du PSOE et de l’U.G.T. qu’il influence tient un discours très « gauche » : il proclame : « Pour établir le socialisme en Espagne, il faut triompher de la classe capitaliste … », il se prononce « pour la dictature du prolétariat ». Il ne s’agit pas d’impulser des conseils ouvriers (et paysans) mais une dictature « à travers le parti socialiste » (Broué, Témine). Pas de quoi susciter l’adhésion et encore moins l’enthousiasme du plus grand nombre … ce serait même plutôt l’inverse.

Certains le comparent pourtant à un « Lénine espagnol » ; un Lénine espagnol partisan de l’accord avec les secteurs « progressistes » de la classe exploiteuse ! Etrange. Partisan aussi, et c’est complémentaire, de la soumission des confédérations U.G.T. et C.N.T à l’ordre « républicain ». N’est-ce pas aussi surprenant ? Pour ne pas dire tout à fait absurde.

 Lénine espagnol, certainement pas. Plutôt, une variété de guesdisme  espagnol.

Le guesdisme à la mode d’Espagne est à l’origine de bien des ravages.

En juin, Caballero demande à Azana qui préside alors aux destinées du Front populaire d’ « armer les travailleurs ». Il a peu de chance d’être entendu puisque Azana veut qu’ils rendent les armes. Au-delà des postures et des calculs d’appareil, ceci démontre une chose : « en bas », on ne veut plus vivre – survivre – comme avant. En « haut », on tâtonne pour trouver la solution miracle qui assurerait la sacro sainte la continuité des institutions.

La reconstruction de l’Etat.

Il y a les déclarations de Caballero et il y a les faits. C’est sous son gouvernement formé le 4 septembre que s’est réalisée la reconstruction de l’appareil d’Etat bourgeois, de son armée et de ses corps répressifs, qui comprennent aussi bien les anciens corps, gardes d’assaut, gardes civils rebaptisés : « gardes civils républicains », que le nouveau corps des carabiniers, celui des policiers des douanes, peu nombreux avant la guerre mais qui comptera sous le gouvernement Négrin 40 000 membres. L’Etat « républicain » ? Une bande d’hommes armés finalement mise au service du capital (F. Engels). Et rien d’autre.

Le 3 octobre, le PSUC stalinien menace : « assez des groupes irresponsables qui doivent être considérés comme des factieux ! ». Les factieux sont donc les ouvriers et la masse des paysans pauvres ; mais en aucun cas les forces de l’ « ordre ».

Le 23 octobre, la direction de la C.N.T. signe pourtant un « plan d’unité d’action » PSUC-U.G.T. C.N.T. FAI dont le 1er point était : « Mettre au centre les accords et décisions de la Généralité (le gouvernement de « gauche ») en y apportant toute notre influence et notre appareil interne pour en faciliter l’application ». Les staliniens savent qu’en catalogne, ils ne peuvent assurer « l’ordre républicain » sans la collaboration des anarchistes, plus précisément des chefs anarchistes, qu’ils obtiennent sans beaucoup de difficulté.

Le plan prévoit le désarmement des milices ouvrières ; une opération délicate.

Le 27 octobre, c’est la promulgation d’un décret pour le désarmement des ouvriers. L’article 1er prévoit que « toutes les armes seront déposées à la Caserne générale d’artillerie et au ministère de la Défense de Barcelone. L’article 2 menace : « ceux qui conserveraient ces armes après la fin du délai mentionné ci-dessus seront considérés comme des fascistes et jugés avec toute la rigueur que leur conduite mérite » et donc, livrés aux bons soins des policiers staliniens.

Solidaridad Obrera, l’organe central de la C.N.T. ne mène aucune campagne pour la libération de ses militants jetés en prison. Comme le souligne Jean-Jacques Marie dans les cahiers du mouvement ouvrier, « de l’abandon de ses propres militants à l’abandon de leur propre héritage politique, il n’y a qu’un pas ».

La politique de rupture avec l’ordre capitaliste est abandonnée. Le dirigeant anarchiste de la FAI – puisqu’il y a quand même des dirigeants anarchistes – Garcia Oliver, ministre de la Justice du gouvernement Caballero, justifiait la dissolution des milices ouvrières en déclarant : « le gouvernement actuel nous représente ».

Monsieur le ministre « anarchiste » de la Justice est ministre d’un gouvernement qui organise la chasse aux militants anarchistes. « Le ministre Garcia Oliver avait institué des camps de travail pour les prisonniers « fascistes » ; à partir de 1937, ils serviront aussi à parquer des anarchistes et des poumistes ». (Source : cahiers du mouvement ouvrier. Mars 1999).

Une méthode efficace pour la restauration de l’ « ordre ».

La C.N.T. sans boussole.

 « Dans un rapport élaboré par le comité national de la C.N.T. qui se tient à Paris en décembre 1937, la participation de l’organisation aux différents gouvernements républicains était justifiée par l’isolement dont aurait souffert la révolution « si comme le proposèrent certains, on était allé jusqu’au bout ». Sans préciser ce que signifiait ce : « jusqu’au bout ».

« Il ne restait plus qu’à s’engager publiquement dans la gestion gouvernementale ». (Extrait du rapport de la délégation de la C.N.T. au congrès extraordinaire de l’AIT). Ce document accablant constitue désormais la feuille de route – on n’ose pas dire la bible – de la direction anarchiste domestiquée.

La ministre anarchiste F. Montseny avança comme argument pour convaincre le plénum, des dangers de l’ « isolement » et de l’intervention étrangère auxquels ils seraient soumis  dans le cas où l’organisation  opterait pour l’option révolutionnaire «  (J.J. Marie).

Autrement dit, madame la ministre se plaçait au niveau des avocats du parti radical, terriblement raisonnables, grands défenseurs de la « république » et de la propriété privée des moyens de production, en position de concocter toutes les alliances avec le PS, le Parti Stalinien. Alliance totalement illusoire comme l’a montré le déroulement des évènements.

C’était aussi ouvrir la voie à la destruction de la C.N.T. comme confédération ouvrière. Une aubaine pour les adversaires pluriels de l’indépendance syndicale et de la démocratie ouvrière.

 La sinistre farce de « l’anti fascisme ».

A ce stade, il ne restait plus aux chefs anarchistes – qui décident de tout en petit conclave – qu’à « adhérer au conseil national antifasciste, de « gauche » – de gauche, n’est-ce pas l’essentiel ? piloté par les assassins de Nin et de tous autres militants anonymes, à commencer par … les militants anarchistes.

Au moment où est actée la dissolution des milices ouvrières, le dirigeant du POUM, Julian Gorkin se contente de demander respectueusement que le gouvernement républicain adopte un « programme socialiste ou socialisant ».

En France :

On sait qu’en France, c’est Maurice Thorez de retour de Moscou qui impose à la Libération le désarmement des milices, condition indispensable à la reconstruction de l’Etat. Dans ses mémoires, de Gaulle, tout aussi obnubilé par l’Etat, l’Etat fort, rend hommage au savoir-faire du PCF. Seul, de Gaulle ne pouvait pas grand-chose. « Un seul Etat, une seule armée, une seule police ! » tel est le slogan choc du PCF… et des gaullistes.

1936 : une affiche de l’U.G.T. les staliniens tentent de prendre le contrôle de l’U.G.T. pour y imposer leur politique. C’est en Catalogne où l’U.G.T végète que l’opération aboutit rapidement. « D’abord, gagner la guerre », martèlent les staliniens. Ensuite on verra pour le « social ». Ce ne sera ni l’un, ni l’autre.

Les discours et les actes des socialistes.

Une résolution du groupe socialiste de Madrid datée d’avril 36 proclame :

« Le prolétariat ne doit pas se borner à défendre la démocratie bourgeoise, mais assurer par tous les moyens la conquête du pouvoir politique, pour réaliser, à partir de lui sa propre révolution sociale. Dans la période de transition de la société capitaliste à la société socialiste, la forme du gouvernement sera la dictature du prolétariat ». (Broué, Témine, page 67). 

Cette affirmation se heurte à une opposition interne vigoureuse menée par Prieto qui estime que les travailleurs ne doivent pas mettre en avant des revendications exagérées qui seraient susceptibles de briser l’économie capitaliste. Il se contente de répéter les conseils des encycliques « sociales ».

Le rôle du PCE.

 Félix Morrow explique :

 « Les staliniens espagnols, de concert avec Prieto et Azana appelèrent les travailleurs à ne pas toucher à la propriété ».

C’est ce que feront aussi les staliniens du PCF, en 1936, respectueux de l’ « ordre républicain », respectueux du « programme » du parti radical de Daladier, respectueux des institutions – « nos institutions » – et les plus zélés défenseurs de l’ « Empire ».

Morrow poursuit :

« Ils (les staliniens) furent les premiers à soumettre leur presse à la censure, les premiers à exiger la liquidation des milices ouvrières » comme le fit le PCF à la Libération.

« La guerre civile durait depuis à peine deux mois quand ils entamèrent une campagne criminelle contre le POUM et la jeunesse anarchiste ».

Autrement dit, l’ennemi principal, ce sont encore les militants des organisations ouvrières, syndicats et partis qui ne se soumettent pas. Des campagnes insidieuses, haineuses désignent les partisans de la rupture avec l’ordre établi comme de potentiels alliés des « fascistes ». Dans ce domaine, les partis staliniens ne manquent ni d’expérience, ni d’imagination.

Andrès Nin.

Andrès Nin, dirigeant du POUM avait été délégué au 3ème congrès de l’internationale communiste en 1921. Il avait aussi dirigé la C.N.T. Il refuse de se soumettre à l’ordre stalinien, il travaille avec l’opposition « trotskyste » puis s’en éloigne.

En 1936, il constitue un éphémère rassemblement syndical,  la Fédération Ouvrière d’Unité Syndicale (FOUS). En septembre 1936, cette force modeste, même en Catalogne, rejoint l’U.G.T. Nin explique ce choix : « Le soulèvement de Franco a pipé les possibilités de développement » de la F.O.U.S. La mobilisation passe par la C.N.T. et l’U.G.T. c’est-à-dire les syndicats largement majoritaires. Il a raison. Il choisit l’U.G.T pour « contribuer à sa rénovation ». Un choix contestable, notamment en Catalogne.

D’ailleurs, Nin constate lui-même : « Jusqu’au 19 juillet, l’influence de l’U.G.T. en Catalogne était insignifiante. Cette centrale n’avait ni prestige, ni tradition. Son nom n’était attaché à aucune des grandes luttes du prolétariat catalan. Les organisations qui s’y affiliaient ne s’étaient distinguées ni par leur esprit révolutionnaire, ni par leur combativité (contrairement à la C.N.T.). Et surtout, « elles étaient de typiques sociétés de résistance dont les représentants étaient comme des poissons dans l’eau dans les institutions d’arbitrage, de conciliation et dans les organismes officiels ».

Du dialogue social, du bla bla et c’est tout.

Autrement dit, les syndicalistes de l’U.G.T. au moins les dirigeants, n’étaient que les « co-constructeurs de consensus » de l’époque. On comprend que dans ces conditions, les staliniens du petit PSUC soient rentrés dans l’U.G.T. pour en prendre la direction. Ce n’était pas très difficile. Pour le POUM, c’était moins compréhensible.

Selon les staliniens, la grève pour défendre les revendications et comme ultime moyen pour gagner le droit à la survie, était comme en France l’arme des capitalistes. Un dirigeant PCE, martèle : « Nous sommes aujourd’hui dans une période où les patrons provoquent et attisent les grèves pour des raisons politiques de sabotage et où des éléments fascistes s’introduisent comme agents provocateurs dans quelques organisations pour servir les fins de la réaction ».

La direction de l’U.G.T. de Catalogne est bien incapable de résister aux staliniens.

Les pressions, les menaces à l’encontre des militants syndicalistes s’intensifient. Cette orientation explique aussi le changement dans la composition sociale du PCE qui récupère toutes sortes d’aventuriers et de réactionnaires divers qui y trouvent un cadre sécurisant qui leur convient fort bien.

ET L’HUMANITE d’enfoncer le clou : « Le comité central du parti communiste espagnol nous demande d’informer l’opinion publique, en réponse aux articles fantaisistes et tendancieux publiés par certains journaux … le PCE n’a qu’un seul but : la défense de l’ordre républicain dans le respect de la propriété ». (Source B.n.F.).

Ce qui suppose d’utiliser les compétences d’une certaine police « républicaine » qui n’a, elle aussi, qu’un seul but : préserver les privilèges des classes exploiteuses.

L’internationale communiste, c’est-à-dire Staline, fournissait les éléments de langage :

« Si, au début, les diverses tentatives prématurées de socialisation et de collectivisation, résultat d’une mauvaise compréhension du caractère de la lutte actuelle, pouvaient se justifier par le fait que les gros propriétaires fonciers et capitalistes avaient déserté leurs terres et leurs usines, alors qu’il fallait à tout prix que la production continue, elle ne se justifie plus du tout aujourd’hui (début mars 1937). A l’heure actuelle, alors qu’il existe un gouvernement de Front populaire dans lequel toutes les forces engagées dans la lutte contre le fascisme sont représentées, de telles choses ne sont pas seulement inopportunes mais absolument intolérables ».

( … ) Un gouvernement de Front populaire dans lequel toutes les forces engagées dans la lutte contre le fascisme sont représentées … Pour les staliniens, à cette étape, c’est essentiel. L’appareil a absolument besoin de la caution des dirigeants C.N.T. PSOE etc.

L’appareil « communiste » a un tel mépris pour la socialisation et la collectivisation que les deux termes sont employés entre guillemets.

Si l’internationale « communiste » fournit les éléments de langage, elle fournit surtout les « cadres » chargés de  « diriger » les « masses » qui ont besoin de « chefs » tout puissants chargés d’organiser la traque et le meurtre des militants ouvriers. La police politique de Staline agissait sous couvert de la police républicaine officielle autant que sous la forme de police parallèle.

On comprend la jubilation des fascistes du monde entier à chaque fois qu’était annoncée l’ « exécution » par les nervis staliniens d’un militant ouvrier, qualifié d’ «agent fasciste ».

Les patrons et hobereaux, principaux soutiens, avec l’armée et l’Eglise, du corporatisme franquiste, n’ont-ils pas la chance de bénéficier avec cette troisième internationale « communiste » d’une protection à toute épreuve ? 

Franco, au centre, avec ses amis les plus chers. Exemple d’humour sacré : « L’Action catholique se désintéresse de la politique ». (Pie XI). Mais quand même l’ « infaillible » PIE XI (« le pontife de la paix », selon Léon Blum en février 1939) s’intéresse à l’Etat et à sa « stabilité » : « L’Eglise, là où on lui obéit, est le salut par excellence de l’Etat ». Difficile de mieux dire.

« Gagner la guerre d’abord … le social, ce sera plus tard ».

Le PCE pour mieux tromper les travailleurs disait : « victoire militaire d’abord, victoire sociale ensuite ».

C’était le meilleur moyen de rendre les « masses » apathiques. Puisque le « changement » promis était renvoyé, dans le meilleur des cas, aux calendes grecques, à quoi bon se mobiliser ?

Enfumage.

Le petit jeu médiatique des « démocraties » comme du franquisme consistait à désigner l’appareil international du « communisme », Staline en tête, comme l’instigateur principal, voire unique, de l’ « insurrection rouge ».

L’Eglise catholique n’était pas en reste. Dans une déclaration du 1er juin 1937, l’épiscopat espagnol unanime publie cette plaisanterie : « La révolution a été essentiellement anti espagnole. L’œuvre de destruction a été réalisée aux cris de : vive la Russie ! à l’ombre du drapeau de l’internationale communiste ». Les corporatistes ont besoin des staliniens qui ont besoin des corporatistes pour enfumer le « peuple » et prospérer.

La Catalogne, Barcelone.

La catalogne et plus précisément Barcelone, c’est, en 1937, le cauchemar des socialistes de « droite » et des staliniens. C’est que la C.N.T. y est très fortement implantée, bien plus que le POUM qui y reste minoritaire.

La Catalogne va donc faire l’objet de toute l’attention de l’appareil international du stalinisme qui y dépêche sa fine fleur.

 Mettre l’U.G.T. au pas.

A Barcelone, l’U.G.T. vivote. Le PSUC en prend la direction.  Félix Morrow explique par quel subterfuge : « La Généralité (le gouvernement de la « gauche » unie) décréta l’affiliation obligatoire de tous les employés à un syndicat ». Le syndicat obligatoire – à moins que ce ne soit « syndicat » – habituellement, c’est plutôt l’affaire des corporatistes et fascistes divers. A Barcelone, c’est différent. Les staliniens y font adhérer « les ouvriers et employés les plus arriérés qui préféraient cette institution respectable à la radicale C.N.T. Mais, la principale base de masse des staliniens en Catalogne était une fédération de commerçants, petits hommes d’affaires et industriels (la G.E.P.C.I.) qui fut déclarée fédération affiliée à l’U.G.T. Cette prétendue section catalane agissait en toute indépendance de l’exécutif national de l’U.G.T. contrôlé par Caballero. Devenu le principal et le plus ardent défenseur de la Bourgeoisie, le PSUC recruta massivement » dans ce qu’il est convenu d’appeler, « la gauche catalane », des petits chefs d’entreprises, des bourgeois terrorisés par le climat d’ « anarchie » qui règne à Barcelone, des réactionnaires de diverses obédiences. Ces nouvelles recrues ont en commun une passion pour l’ « ordre » qui assure les bonnes affaires. Le PSUC passe d’un groupe minuscule à un « mouvement » de plusieurs milliers d’individus où les ouvriers ne constituent qu’un groupe très minoritaire. 

George Orwell se rend en Espagne en 1936. Engagé dans les milices du POUM, il se rend à Barcelone. Il se trouve là au cœur de la révolution. Il explique qu’il est d’abord un peu naïf : Il y a, dit-il, le « camp républicain » dont il ne distingue pas les différences face « aux fascistes », les franquistes. Petit à petit il prend conscience du rôle contre révolutionnaire joué par l’appareil stalinien : « Si la controverse politique ne vous intéresse pas, non plus que cette foule de partis et sous-partis … alors, je vous en prie, dispensez-vous de lire ce qui va suivre … en gros, les forces de la C.N.T. et du POUM tenaient les faubourgs ouvriers, tandis que les forces de police et le PSUC, tenaient la partie centrale et résidentielle de la ville. ( … ) La C.N.T. était toujours représentée dans le gouvernement et dans la Généralité … » Son expérience sur le terrain a conduit Orwell à perdre nombre de ses illusions : « Reprocher à un capitaliste d’agir comme un capitaliste c’est comme de blâmer un putois parce qu’il pue ».

Orwell décrit ce qu’il voit :

« Les anarchistes avaient effectivement la haute main sur la Catalogne … c’était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avait pris le dessus. ( … ) Il ne restait de presque toutes les églises que les murs et les images saintes avaient été brûlées.

( … ) Les garçons de café, les vendeurs vous regardaient bien en face et se comportaient avec vous en égaux … les bourgeois aisés se terraient ou, provisoirement se déguisaient en prolétaires.

( … ) La viande se faisait rare ; il était à peu près impossible de se procurer du lait …

( … ) Dans les boutiques des barbiers, des Avis au public rédigés par des anarchistes, expliquaient gravement que les barbiers n’étaient plus des esclaves.

( … ) Pour la plupart, les recrues (pour se rendre au front) étaient des garçons de seize ou dix-sept ans issus des quartiers pauvres de Barcelone. On ne parvenait même pas à les faire s’aligner … je m’aperçus avec consternation qu’on ne nous enseignait aucun maniement d’armes … sur le moment, je ne me rendis pas compte que c’était parce qu’on n’avait pas d’armes à distribuer ».

Orwell confirme que certains bourgeois qui se terrent et se déguisent en prolétaires choisissent d’adhérer au PSUC, puisqu’il s’avère être le meilleur, ultime ? rempart contre l’ « anarchie ». Il explique :

« Du point de vue des membres de la Généralité soumise à l’influence dirigeante du PSUC, la première chose à faire, nécessairement, pour consolider leur position, c’était de désarmer les ouvriers de la C.N.T. Comme je l’ai déjà fait observer, la mesure prise pour dissoudre les milices de partis étaient au fond une manœuvre à cette fin. Simultanément on avait remis en activité les forces de police armées d’avant-guerre, gardes civils et autres, et on était en train de les renforcer et de les armer puissamment. Cela ne pouvait avoir qu’une seule signification. Les gardes civils, en particulier étaient une force de gendarmerie de type européen courant qui, depuis bientôt un siècle avaient servi de garde du corps à la classe possédante ».

Il n’était donc pas surprenant de voir les staliniens parader dans les rues de Barcelone en compagnie des gardes civils.

Mettre le POUM au pas puis le détruire.

L’U.G.T. normalisée, il reste à monter les provocations, début mai 1937, qui justifieront la répression des militants non soumis à la stratégie contre révolutionnaire du PSUC. Les faits sont suffisamment connus. Ce n’est pas l’objet de cette contribution d’y revenir précisément.

Voyons seulement comment l’appareil stalinien présente les choses.

Dans un premier temps, ce sont les militants C.N.T. qui constituent la cible principale. (Au même moment, on l’a vu, des ministres « anarchistes » siègent au gouvernement).

Puis l’offensive se concentre contre le POUM.

Le Daily Worker, « journal » du parti « communiste » de Grande-Bretagne reproduit très consciencieusement les éléments de langage de la police politique « communiste ». George Orwell note dans les annexes de son livre cet article du 11 mai 1937, rédigé depuis Londres. La citation nauséabonde est un peu longue mais permet de comprendre le mécanisme de la provocation :

« Les agents allemands et italiens qui affluèrent à Barcelone sous prétexte de préparer le fameux congrès de la IVème internationale, (note : il s’agit en réalité d’une réunion de partis qui en Europe sont politiquement proches du POUM et hostiles à la IVème internationale) n’avaient qu’une seule grande tâche. Ils devaient – avec le concours des trotskystes de l’endroit – préparer en provoquant désordres et effusions de sang un état de chose tel qu’il permît aux allemands et aux italiens de déclarer qu’il leur était impossible d’exercer le contrôle naval des côtes catalanes du fait des troubles régnant à Barcelone ». Le « journaliste » du Daily Worker poursuit :

« Autrement dit, ce qu’ils préparaient, c’était une situation pouvant servir de prétexte aux gouvernements allemand et italien à faire débarquer tout à fait ouvertement sur les côtes catalanes des troupes de terre ou de l’infanterie de marine, en déclarant qu’ils ne le faisaient que pour rétablir l’ordre

( … ) Le POUM agissant avec le concours d’éléments criminels bien connus et d’un certain nombre de fourvoyés appartenant aux organisations anarchistes, conçut le plan, organisa et mena l’attaque sur l’arrière de façon à la faire exactement coïncider avec l’attaque sur le front à Bilbao … » (L’attaque menée par les troupes franquistes.)

Orwell a ce commentaire ironique : « Le POUM était une organisation politique sans base véritable dans les syndicats et il n’eût guère été plus capable d’organiser une grève à Barcelone que, disons par exemple, le parti communiste anglais le serait de déclencher une grève générale à Glasgow ». Depuis la trahison « communiste » de la grève générale de 1926 brutalement réprimée (par Churchill), le PC était de fait réduit à l’état de secte dont les chefs n’étaient que les perroquets du Kremlin.

Orwell, qui suivait la question de près, note qu’une grande partie de la presse bourgeoise reprend à son compte la version des staliniens puisqu’elle justifie la répression des secteurs les plus combatifs du mouvement ouvrier. Il cite un long article du News Chronicle qui aurait pu aussi bien être un tract du PSUC de Barcelone. L’article de ce journal bien pensant se termine par : « Ainsi, Barcelone fut jetée au carnage par des agents provocateurs se servant de cette organisation subversive, le POUM ! »

Orwell s’attarde sur l’état d’esprit des militants du POUM de Barcelone. « Le POUM n’avait pratiquement pas d’organisation clandestine. Ses leaders savaient certainement que, très probablement, le parti serait supprimé. Mais jamais, ils n’auraient imaginé une chasse aux sorcières de cette sorte. Ils s’y attendaient si peu que jusqu’au jour même de l’interdiction du POUM, ils avaient poursuivi les travaux d’aménagement des locaux du POUM. Entre autre chose, ils faisaient construire un cinéma dans l’immeuble du comité exécutif, qui avait été auparavant une banque … »

Une imprévoyance inespérée pour l’ « arc républicain ».

Stein  était un militant dirigeant du parti communiste en Tchécoslovaquie. Il s’engage dans les Brigades internationales. Son livre est le récit de son expérience. Il y a côtoyé nombre de « commissaires politiques staliniens » dont André Marty, figure du PCF, Marty surnommé, « le boucher d’Albacete ». Stein écrit : « Rome et Berlin fournissaient des avions et des chars tandis que Moscou continuait à envoyer des commissaires de police, des surveillants de prison et de pelotons d’exécutions ».

Il démolit  le mythe de l’aide militaire soviétique. Les canons livrés ? « ils dataient de la 1ère guerre mondiale. Pour cette ferraille, la Russie se faisait payer à prix d’or ! ».*

Les fameuses « brigades ».

Dans ce livre-témoignage, l’auteur met en évidence la corruption et le cynisme absolu des organisateurs staliniens des Brigades internationales qui n’hésitent pas à utiliser les compétences de la pègre pour organiser la surveillance et la liquidation physique des militants. (Pierre Broué évaluait à 20 % le nombre de ces individus) ; de même que dans les camps en Russie stalinienne, la police politique utilisait les compétences des droits communs contre les militants communistes mal pensants.

Stein raconte son arrivée à Albacete, le centre des Brigades internationales. Une cérémonie de prestation de serment accompagne les nouveaux arrivants : « Nous jurons de combattre pour la république espagnole et la démocratie dans le monde. Nous sommes tous égaux. Il n’y a pas de différence entre les travailleurs, les paysans, les petits bourgeois et les bourgeois ». Il ne manque que les « patrons patriotes » que le PCF invente en 1944.

Stein commente : « Les mots de socialisme ou de révolution étaient absents du serment ( … )   rares étaient ceux qui se rendaient compte que le texte était calqué  sur la nouvelle ligne du Parti communiste ». (Stein emploie indifféremment : communiste ou stalinien).

Il relate une discussion avec quelques anarchistes, membres des Brigades :

« comment se fait-il que vous, anarchistes, participiez au gouvernement  d’union avec la bourgeoisie ? … non seulement vous y participez mais les membres de votre parti (la F.A.I.) paradent en uniformes d’officiers … »

Réponse : « Nous avons effectivement abandonné notre théorie pour le moment. Les circonstances nous obligent à nous éloigner de nos principes, mais cela est une mesure provisoire ».

Dans la postface au livre de Stein, Jean–Jacques Marie s’interroge : « Stein exagère-t-il ? ». Il revient sur nombre d’affirmations de Stein qui pourraient paraître au premier abord outrancières, pour démontrer qu’elles ne le sont pas.

Il cite les propos d’un militant du PCF, proche en 1950 d’André Marty, un militant fondateur de l’A.C.E.R. (« Association des combattants en Espagne Républicaine »). Ce militant lui dit :

« Bien sûr le POUM n’était pas un parti d’agents de Franco et de Hitler. Mais ces gens-là étaient des utopistes.  Ils pensaient que l’on pouvait faire la révolution en Espagne. C’était de l’utopie. On faisait la guerre et les utopistes à la guerre, c’est gênant. On devait s’en débarrasser. Mais si on avait dit : il faut écarter ces gens-là parce qu’ils vivent dans le rêve, on n’aurait convaincu personne ».

*La réalité de l’ « aide » soviétique. L’historien Jean-Jacques Marie écrit : « Staline en privé, jugeait les avions soviétiques de très mauvaise qualité. Le 7 novembre 1940, il déclare : « Nos avions ne peuvent rester en l’air que 35 minutes, tandis que ceux des anglais et des allemands peuvent le faire pendant plusieurs heures », ce qui n’empêche pas les « amis de l’URSS » – il y en a encore aujourd’hui – d’exalter les exploits de l’aviation soviétique en Espagne.

Mais la vente d’avions même délabrés rapporte gros et permet d’alimenter le mythe de l’ « aide » soviétique. « Staline, mécontent de voir ses engins se comporter en cercueils volants, fait fusiller le commissaire à l’aviation dont l’exécution n’améliore guère la qualité des appareils ». (Source : Sygmut Stein, ma guerre d’Espagne, brigades internationales, la fin d’un mythe »).

Staline préparait l’avenir à sa façon : il fait fusiller des milliers de militaires, y compris ceux des échelons supérieurs, surtout les plus compétents, ceux qui pourraient lui faire de l’ombre. Sa guerre contre la petite Finlande en 1938 tourne d’ailleurs au fiasco ; ça se sait, ça se voit, à Berlin, notamment.

Document : l’Humanité, 5 septembre 2016.

Stalinisme d’hier et d’aujourd’hui.

 Le Mexique, la République espagnole et les Républicains

« seuls deux pays sauvèrent l’honneur de la communauté internationale en aidant la République et les Républicains espagnols : l’URSS et le Mexique »

Lundi 5 septembre 2016

Jean Ortiz

Alors que les « démocraties occidentales », derrière le cache-sexe anti-communiste de la « non intervention », avaient en réalité lâché les « rouges » et choisi leur camp , les unes honteusement, comme le gouvernement de Blum, prétextant de « la pression » du gouvernement anglais, acquis dès le début aux putschistes, de la nécessité, par peur du communisme , « d’apaiser Hitler » en lui donnant des gages, arguant du « pacifisme » de l’opinion publique française, seuls deux pays sauvèrent l’honneur de la communauté internationale en aidant la République et les Républicains espagnols : l’URSS et le Mexique.

L’aide importante de l’Union Soviétique, la plus significative et la plus connue, massive à certaines périodes, moins à d’autres, notamment en matériel militaire lourd, blindés et avions modernes qui permirent en novembre 1936 de contribuer à sauver Madrid. Cette aide était payée par le gouvernement républicain qui avait décidé de déposer la plus grande partie de l’or de la Banque d’Espagne à Moscou. Cette décision fut prise, à l’unanimité du conseil des ministres du 6 octobre 1936, alors que le socialiste Largo Caballero était chef du gouvernement. L’engagement antifasciste de l’URSS ne saurait être nié ni sous-estimé.

Mais il est vrai notamment que, dans le même temps, les agents staliniens du NKVD et leur chef ORLOV torturaient et assassinaient Andrés Nin, le leader du petit parti trotskisant POUM… Ombres et lumières de la Guerre d’Espagne …

Cette histoire a gardé toute sa beauté lumineuse. 

« Beauté lumineuse … »

3ème partie : la victoire contre le franquisme était-elle possible ? 

JM. 9 septembre 2023.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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