>Histoire

9 / 07 / 2022

Congrès de Nantes (1938). Mercredi 16 novembre. 5/6

Séance du matin.

Le président de séance donne la liste de ceux qui ont renoncé à leur temps de parole. Parmi eux : Croizat. Il est vrai que la ligne du PCF a été expliquée en long, en large et en travers par plusieurs orateurs, au risque de se répéter.

Léon Jouhaux :

Il lui revient de répondre aux intervenants.

Une autre « gouvernance » ?

« Notre devoir est de diriger cette nation vers des fins d’émancipation sociale qui ne soit pas seulement l’émancipation de la classe ouvrière, qui soit l’émancipation de la nation française dans l’égalité sociale.

Et cela est la pensée d’un homme dont nous portons tous le souvenir dans le cœur : c’est la pensée de Jean Jaurès, c’est à celle-là, que pour ma part, je resterai toujours fidèle. Nous devons, sur le terrain où nous sommes placés, ne pas perdre de vue que nous avons des intérêts particuliers à défendre, des droits à obtenir à garantir, à développer, à donner au travail la place qu’il lui revient dans la direction de la collectivité nationale.

C’est parce que nous n’avons pas pu obtenir cette reconnaissance … que nous sommes dans une situation dangereuse pour les conquêtes que nous avons réalisées … »

Jouhaux aurait pu rappeler la prise de position du Comité Confédéral National le 19 mai 1936 :

 le CCN CGT « revendique sa place dans les organismes techniques, sociaux et économiques, d’études et de préparation que le gouvernement sera appelé à créer ou à rénover. La CGT demande pour l’application de son PLAN, des pouvoirs de décision et de contrôle ».

Cette demande réalise au CCN un consensus général.

Léon Jouhaux prend bien la précaution de citer Jaurès. Bien. Mais Jaurès avait, un peu seul, il est vrai, dénoncer le « corporatisme » du syndicaliste « révolutionnaire » Lagardelle, et cela, dès 1908. Lagardelle qui finira troisième ministre du Travail de Vichy, chargé d’appliquer la Charte du travail.

Lagardelle voulait dès 1908 que la CGT assume des tâches de gestion. C’était un « co-constructeur » de « consensus », bien avant nos »modernistes » du XXIème siècle.

Et Jaurès, sauf erreur, n’était pas partisan de l’UNION SACREE, c’est-à-dire du renoncement aux revendications.

Puis Léon Jouhaux parle de la guerre et de la paix.

« Est-ce que le Congrès aurait oublié qu’une grande voix s’est fait entendre  à un moment critique en faveur de la paix, que cette grande voix a été celle du président Roosevelt … ? »

Aux Etats-Unis, après la crise de 1929, c’est le chaos. Roosevelt, gestionnaire lucide des intérêts bien compris du capitalisme américain prend des mesures de relance économique. C’est le New Deal (Nouvelle Donne). C’est une première version du fameux « America first ».

Quant à la paix rooseveltienne, ne consiste-t-elle pas essentiellement à tailler des croupières dans les « Empires » britannique et français ? et à calmer les ardeurs de l’expansionnisme du Japon ?

« Nous avons été d’accord pour répondre à l’appel du président Roosevelt. Nous avons été d’accord pour que l’on organise enfin cette Conférence internationale au cours de laquelle dans l’égalité des droits et des devoirs, le monde nouveau pourra s’établir ».

Alors que la course folle aux armements indique clairement vers quoi l’on s’oriente, comment penser un seul instant que les chefs des prochains Etats pourraient courtoisement s’entendre ?

« Nous (CGT) nous sommes exclus » des discussions entre « grands ».

 « Nous ne concevons pas que nous puissions organiser une conférence de la nature de celle que nous demandons sans conversations préalables ; (…) Il y a aujourd’hui assez de logique et assez de sens de droiture pour que ces sentiments l’emportent dans une conférence. »

Léon Jouhaux ne rappelle pas la mise en garde de Jaurès : « le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l’orage ».

A propos des décrets-lois.

« Les décrets-lois, nous ne pouvons pas les accepter. (Applaudissements).

Nous ne pouvons pas les accepter tels qu’ils sont rédigés.

Nous n’accepterons pas que l’on substitue à la loi des 40 heures la semaine de 45 heures et de 48 heures. (Applaudissements).

« Nous n’avons pas fait juin 36 pour subir en 1938 l’arbitraire que l’on veut nous imposer ». (Applaudissements).

« J’avais cru que monsieur Reynaud, qui est un adversaire politique mais dont nous reconnaissions les uns et les autres la valeur intellectuelle et le courage apporterait quelque chose de nouveau. ( … ) Il a laissé passer l’heure, il a jeté la déception dans les milieux qui étaient prêts à collaborer loyalement avec lui… »

« ( … )  Autre chose encore à quoi nos rédacteurs n’ont pas pensé. On a modifié le statut des délégués ouvriers … »

 Est-ce par simple étourderie que « nos rédacteurs » ont rédigé des décrets qui visent à marginaliser la CGT, voire à la rendre inoffensive ? Où est-ce une volonté politique mûrement réfléchie ?

« Se rendent-ils compte, nos constructeurs à la petite semaine des inconvénients qui peuvent découler de leurs décrets ? »

Le gouvernement Reynaud-Daladier, Conseil d’administration des intérêts capitalistes, serait-il composé de naïfs ou d’incompétents, ou les deux à la fois, pas à l’écoute des bons conseils du Bureau confédéral de la CGT ? et c’est ce qui expliquerait ces décrets et leurs « inconvénients ». ?

Le « démocrate » Daladier mène sa guerre de classe.

Le rôle du PCF dans la CGT « réunifiée ».

« Je ne veux pas revenir sur les accusations qui ont été portées contre nous de nous être laissés coloniser (rires, mais le compte rendu ne précise pas qui rit et pourquoi …). C’est une atteinte trop profonde à notre caractère pour que je veuille répondre ».

Que va faire la CGT ?

« Et c’est ainsi (unis) que nous pourrons partir à la bataille … nous devons songer à l’action, cette action doit se mener selon un plan déterminé par nous … 

« Les lois (40 heures etc) avaient été reconnues justes par les représentants du grand capitalisme ». Vraiment ?

Ou alors, les grands capitalistes, terrorisés par l’action spontanée de la classe ouvrière et la grève générale de juin 36, ont concédé des réformes qu’ils estimaient indispensables pour que cesse la grève.

Et puis, il y a les parlementaires : « Nous allons leur demander s’ils vont contester la signature qu’ils nous ont donnée ».

Et si pourtant, les décrets sont maintenus ?

« Nous préparerons minutieusement, dans ses détails, le recours à notre arme suprême, si elle devenait indispensable ».

« (… ) Nous recourrions aux moyens qui nous sont propres … pour défendre les droits mais aussi les libertés de tous les honnêtes gens … et l’acte de la CGT serait alors l’éclair fulgurant de la justice terrassant l’injustice ». (Les délégués se lèvent et applaudissent longuement Léon Jouhaux).

L’ « exemple » américain.

Léon Jouhaux tente de vendre le modèle de Roosevelt.

On peut ne pas oublier qu’aux EU, dès 1934, de larges secteurs de la classe ouvrière se mobilisent pour la défense de leurs intérêts particuliers – pas pour la Nation ! pas pour la « grandeur de l’Amérique » – ils se mobilisent sur leur propre terrain, y compris par la grève.

Celle de Minéapolis avait marqué les esprits. Six premiers jours de grève en mai avait permis d’arracher au patronat des Transports la reconnaissance du syndicat.

C’était un premier succès qui ne doit rien à Roosevelt et ses conseillers.

En juillet, nouvelle grève pour les salaires. Les grévistes s’organisent quasi militairement pour répondre aux provocations de la police et des milices patronales. Ils ont leur journal de grève largement diffusé auprès de la population.

Anticipant sur la répression policière – voire de l’armée – et les violences des milices patronales, ils ont même leur « hôpital » de campagne …

D’étranges « amis des travailleurs », les médiateurs fédéraux chargés de mettre en application les lois sur l’arbitrage, tentent d’enfumer les jeunes syndicalistes en leur disant :

1 « Je ne vous demande pas de faire des concessions aux patrons, je vous demande d’en faire à moi, qui suis votre ami … »

2 « J’ai essayé d’obtenir des concessions des patrons qui ont refusé. Que puis-je faire de plus ? ».

3 « Soyez raisonnables. Si vous vous obstinez sur vos revendications, nous serons obligés de publier quelque chose contre vous dans les journaux… » Suivent des menaces curieuses pour des « amis » des travailleurs. Les médiateurs passent de la flatterie à la menace … de la menace à la flatterie …

Ce ne sont en réalité que des agents du gouvernement.

Les jeunes militants qui organisent la grève et construisent le rapport de force ne sont pas dupes. Ils ne bavardent pas sur les mérites des « honnêtes » gens.

Ils déjouent les pièges et les provocations du parti « communiste » et finissent par l’emporter sur l’essentiel de leurs revendications.

Jeudi 17 novembre. Séance du matin.

Le président de séance annonce que les rapports moral et financier sont adoptés à l’unanimité moins quatre abstentions. (Applaudissements et protestations).

Commencent les interventions des rapporteurs de commissions.

Celle sur les décrets-lois est présidée par René Michaut* qui déclare :

« La commission souligne que les décrets-lois ne frappent en général que les travailleurs à l’exclusion de ceux qui sont responsables de la situation actuelle …  elle a souligné aussi qu’aucune disposition n’est prise pour enrayer le chômage et pour faire droit à une revendication qui nous est chère : la retraite des vieux travailleurs ». (Applaudissement).

Et que :

« Les décrets-lois ne permettent pas le redressement économique du pays ».

Michaut tient à préciser que :

« La commission a estimé que la CGT n’a aucune responsabilité dans les difficultés actuelles, alors même qu’à différentes reprises elle a apporté des suggestions susceptibles d’éviter les difficultés » et que :

« La commission a tenu compte des acclamations unanimes de ce congrès approuvant l’exposé de notre camarade Jouhaux, indiquant que si le mouvement ouvrier est obligé de recourir à tous les moyens qui lui sont propres, le congrès ne refusera pas de donner ses moyens au Bureau et à la CA de la CGT ».

A cette étape, il est question de l’ « organisation immédiate d’une journée de protestations. »

Puis est présentée la résolution élaborée en commission. Extraits.

« Considérant que le mouvement ouvrier n’a aucune responsabilité dans le mouvement actuel du pays et qu’il a au contraire présenté un PLAN de rénovation économique et sociale, comprenant notamment des réformes de structures, ainsi que la nationalisation du crédit et des industries clés

Considérant que dans le cadre du régime actuel, les organisations syndicales confédérées ont présenté de nombreuses suggestions et offert à maintes reprises leur concours le plus entier en vue de l’amélioration de la production et du relèvement économique du pays.

Considérant encore que la CGT ne s’est jamais refusé à demander aux travailleurs de prendre leur part des sacrifices incombant à tous les citoyens en fonction de la situation actuelle, le congrès décide,

D’organiser le samedi 26 novembre une journée de protestations nationale.

Le Congrès donne mandat au Bureau et à la CA de préparer sans retard toute l’action nécessaire, y compris la cession collective du travail (il existerait une cession individuelle du travail ?) au cas où celle-ci s’avèrerait indispensable à la défense des réformes sociales. (Applaudissement prolongés).

Le Congrès donne mandat au Bureau et à la CA de la CGT de présenter au pays un PLAN constructif comportant les mesures concrètes qu’appelle le redressement économique, social et financier du pays ».

Notons :

       Que le mot  grève, est soigneusement évité.

       Que l’on ne sait pas si la CGT pourrait engager des « discussions » avec le gouvernement si celui-ci proposait une « concertation ».

Les deux dirigeants staliniens Croizat et Frachon s’inscrivent immédiatement pour apporter leur soutien.

Les ouvriers s’ « agitent ».

Frachon note : « On nous apprend que dans telle localité, les ouvriers commencent à s’agiter et se mettent en grève ».

Grève ? Le mot proscrit lui a échappé.

Les ouvriers s’ « agitent ». C’est qu’ils considèrent qu’il n’y a rien à négocier. Ils veulent l’abandon des décrets. Fidèle aux traditions des staliniens et de la politique de l’amalgame, Frachon bavarde sur les « fascistes ». Les « agités » seraient-ils des « fascistes » ou des manipulés par les « fascistes » ? Frachon suggère, rien de plus … La provocation est grossière mais habituelle. (On n’a pas oublié les propos diffamatoires à l’encontre des gilets jaunes).

Le néo-syndicaliste Dumoulin ne cache pas sa joie : « Voilà une unanimité que je me garderai bien de rompre ». Le consensus est total. On attend …

La motion est adoptée à l’unanimité.

C’est alors que des congressistes dont le compte rendu ne précise pas l’identité demandent si la journée de « protestations » du 26 sera une journée de grève. Le président de séance rassure le congrès en disant bien haut et fort qu’il n’en est pas question.

Que se passe t-il en réalité dans le pays ?

Les grèves spontanées qui ont été déclenchées en même temps que se tient le congrès tendent à se généraliser. A partir du 22 novembre, c’est une évidence. Evidemment, la direction confédérale se défendra d’en être à l’initiative. Les grèves se déroulent dans le département du Nord, puis dans la région parisienne. Le bastion Renault est en grève.

« Aux raffineries de Donges, les ouvriers ont occupé l’entreprise pour protester contre la semaine de six jours rétablie alors que tous les ouvriers ne font pas 40 heures et qu’il y a un chômage croissant ». (Source : Pierre Naville, « l’entre-deux guerres »).

La direction confédérale attend … Quoi ?

Où est l’état major de la classe exploitée ?

Léon Jouhaux pense qu’il « ne faut donner aucun prétexte à ceux qui cherchent une politique de répression ». (Source : « Léon Jouhaux dans le mouvement syndical français »).

Finalement, après le congrès, après avoir trop longtemps tergiversé, la direction confédérale annoncera, presque en s’excusant, préparer une journée de « protestations » pour le 30 novembre.

L’Etat-major des capitalistes s’y était préparé. Il a eu le temps Une campagne de presse anti CGT se déchaîne.

Le FIGARO y participe, tout naturellement. On sait que ce journal a contribué à glorifer le régime de Mussolini. (Cf : article, « le bal des domestiques »).

*Concernant René Michaut :

« Accusé d’avoir coopéré avec le gouvernement de Vichy, il fut exclu à vie de toutes organisations syndicales en février 1945… (Source le Maîtron).

JM 9 Juillet 2022

 

chaud ! chaud ! chaud !

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