>Histoire

3 / 07 / 2022

Congrès de Nantes (1938) 4/6

Séance de nuit.

 Albert Bouzanquet : UD Tunisie.

« ( … ) Puisqu’on parle de la plus grande France, le Maroc est inséparable de la Métropole, comme il est inséparable de la Tunisie et de l’Algérie. »

C’est le point de vue largement partagé par les congressistes. On a vu que le PCF est particulièrement mobilisé pour la défense de l’ « Empire ».

Bouzanquet poursuit :

« De janvier 1937 à avril 1937, nous avons enregistré des conflits sanglants ».

Il parle des 18 mineurs morts à Metlaoui sans dire qu’ils sont victimes de la répression coloniale. Les mineurs en grève revendiquaient de meilleurs salaires, l’égalité de traitement avec les travailleurs européens. Essayons d’imaginer 18 mineurs grévistes massacrés par exemple à Valencienne. L’affaire ferait-elle l’objet d’une demi-ligne au congrès confédéral ?

« A la suite des évènements sanglants du 9 avril, évènement dus à l’action politique d’un parti indigène nationaliste (il s’agit du Néo-Destour), nous avons eu quatre mois durant les rigueurs de l’Etat de siège ».

C’est la résistance du peuple de Tunisie qui serait responsable.

 « Lorsque vous connaîtrez toutes ces choses, vous conviendrez tout de même que la tâche syndicale n’est pas, dans nos pays, aussi facile qu’on peut le supposer ». On compatit !

Toutefois, « Nous n’avons aucune appréhension à avoir, nous démocrates et syndicalistes, de nos frères indigènes (applaudissements) parce que nous cherchons à les élever à notre niveau … »

Classique paternalisme.

« Le syndicalisme dans les pays d’outre-mer est avant tout un élément de paix sociale … ».

On conviendra que dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les classes doublement exploitées de Tunisie cherchent à constituer leur propre syndicat. Ce sera l’UGTT. (Voir à ce sujet, la brochure de l’UD 44 : A. Hébert, l’UD 44 et la question coloniale).

avril 1938. Manifestation nationaliste à Tunis. La police tire sur la foule. Puis c’est l’état d’urgence. La CGT rend les dirigeants nationalistes responsables. La direction confédérale de la CGT s’oppose à la constitution d’un syndicat de travailleurs tunisiens.

Mohammed Marouf : Algérie.

« Nous demandons non seulement à la CGT de rester au Front populaire mais d’y travailler et d’apporter son plus grand concours pour le renforcer et le faire vivre … le Front populaire nous a apporté une certaine liberté et certaines revendications dont nous profitons ».

Rappelons que le gouvernement de Front populaire a interdit l’Etoile-Nord africaine de Messali Hadj et pourchassé ses militants. Politique poursuivie par Daladier, Pétain, le CFLN …

« Nous avons des camarades qui, parce qu’étant syndiqués, non seulement sont renvoyés, non seulement on leur interdit de se syndiquer, mais quand ils font la grève, on les poursuit et on les condamne ».

« Les lois sociales … ne sont pas encore arrivées ici »,  (en Algérie).

Marouf lit ce télégramme adressé aux congressistes :

« Population musulmane, rurale, ouvrière, agricole, compte sur votre vigilante intervention en faveur population musulmane et particulièrement ouvriers agricoles ».

Interruption du président de séance : « Je demande au camarade Marouf de bien vouloir conclure, son temps de parole est dépassé ».

Il obtempère avec cette phrase : « J’espère qu’au prochain congrès, nous apporterons des résultats encore meilleurs que ceux que nous apportons aujourd’hui ».

En quatre ou cinq minutes, Marouf a réussi à importuner le président de séance.

Marouf était à ce moment membre du Parti Communiste Algérien placé sous tutelle du PCF. Lorsque le président de séance lui dit de se taire, il obéit. Il y est habitué.

En 1938, Albert camus est membre du PCA, dans la cellule dite des intellectuels. Il refuse la politique de l’appareil qui indique à la police française les noms des militants indépendantistes. Il quitte le PCA.

Personne n’est obligé d’être soumis.

Lorsque le 8 mai 1945, le gouvernement de Gaulle, PCF, SFIO planifie le massacre de 45 000 « musulmans », coupables de fêter la fin du IIIème Reich et coupables d’avoir brandi le drapeau de l’Algérie libre, les staliniens perdent leurs nerfs.

Les colonialistes les plus furieux exercent tous leurs talents. Parmi eux, un certain Cheylan, secrétaire de l’union locale CGT de Guelma. L’individu, membre du PCF (le F est important) qui avait fourni aux autorités coloniales la liste des algériens adhérents à la CGT à exécuter, sera finalement exclu de la CGT. (Cf. Cahier du CERMTRI  n° 178).

Pauvre Marouf …

Au congrès de mars 36 à Toulouse le délégué « musulman » avait parlé 3 minutes ne laissant pas le temps au président de séance, de lui couper la parole.

Louis Saillant : Fédération du Bois.

Le président lui demande de ne pas dépasser la demi-heure à laquelle il a droit.

Saillant, partisan à cette date de Léon Jouhaux, commence par de longues, très longues considérations générales pour dire : « Je voudrais que Nantes soit le congrès de l’unité morale dans la CGT ». Les congressistes applaudissent.

Il commente quelques aspects des décrets-lois déjà dénoncés par d’autres et conclut par une condamnation « des méthodes de la presse bourgeoise » qui cherche à opposer Jouhaux à la tendance communiste. (Applaudissements).

Saillant sera président du Conseil National de la Résistance à la suite du très réactionnaire Georges Bidault, partisan fanatique de l’ « Algérie française »  …  de l’OAS et ses terroristes.

Après-guerre il est secrétaire de la FSM contrôlée par le Kremlin.

Chacun est libre de ses choix.

Eugène Hénaff :

Il est membre suppléant du CC du PCF.

Il note : « On oublie que les capitalistes … ont réalisé pendant la période de prospérité relative les bénéfices scandaleux que vous connaissez et que, malgré la crise, ils continuent à en réaliser de confortables ». Malgré la crise, ou grâce à la crise ?

Il s’en prend à Serret et Chambelland, « depuis dix ans, ces vieilles radoteuses … ».

Décrets-lois : « Il faut que ce congrès … mandate la direction confédérale future pour que celle-ci … s’adresse d’abord aux parlementaires qui seront appelés à ratifier dans quelques jours les décrets-lois et leur demande de réaliser l’engagement qu’ils ont pris lorsqu’ils ont été élus ». On ne sait pas lequel.

Il veut aussi que la « CGT édite une affiche » … pourquoi ?  « ( … )  pour s’adresser au pays »

Mais si le gouvernement ne recule pas, grâce à l’affiche ? Alors,

« il faut agir avec promptitude ce qui ne veut pas dire qu’on doive s’engager dans une action irréfléchie… »

Et si pourtant ces décrets-lois entraient en application ? Il faudrait « organiser un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière » c’est-à-dire ? « Un mouvement sans doute limité ». Sans doute ? il y a un doute. « Il faudrait trouver un moyen de faire réfléchir la bourgeoisie ».

Notre stratège communiste aurait pu proposer une seconde affiche, ou une carte postale, ou une minute quotidienne de silence …. Ou une procession à Rome. Il ne le fait pas. Puis il bavarde sur le thème de la liberté, la paix, le progrès social …

Selon  le compte rendu, des délégués se lèvent et entonnent l’internationale.

Robert Lacoste : Fédération des fonctionnaires.

Après de longues considérations générales, il déclare :

« ( … ) Beaucoup de gens nous demandent aujourd’hui de refaire la France. Refaire la France, il y a longtemps que le mouvement syndical le réclame à cor et à cris. En 1918, il y a eu le programme de la CGT pour le redressement général de la France et de son économie. Il y a eu ensuite le Plan du Travail. Il y a eu également notre contribution à la formation du Front populaire qui concrétisait, qu’on le veuille ou non, les magnifiques aspirations d’un peuple vers le renouvellement du pays ».

Ainsi, tous les malheurs viendraient de ce que les PLANS successifs de la CGT n’ont pas été appliqués.

L’avenir n’est guère réjouissant : « Tant que les capitaux ne subiront aucune discipline, on ne pourra pas parler de discipline nationale du travail ». Mais comment discipliner le Capital ?

« C’est le moment de rappeler que nous avons apporté au cours des dernières années, à plusieurs reprises, des propositions constructives qui permettaient de remettre l’économie de ce pays en marche. … c’est le moment de rappeler qu’au congrès de Toulouse (de réunification), nous avons préconisé des mesures destinées à mettre en valeur tout le potentiel de richesse économique de ce pays. (…) comment peut-on avoir le front de parler de notre égoïsme et de notre désir de chambardement ?! »

Les propositions « constructives » – certains diraient aujourd’hui, « co-constructives » – on n’arrête pas le progrès – n’ont pas fait l’unanimité. Lacoste en parait tout dépité, puis il se reprend :

« Vous avez le droit et le devoir de les reprendre (les propositions constructives), de les clamer très haut et d’agréger autour de vous tous les honnêtes gens de ce pays qu’obsède la nécessité d’un redressement économique, social et moral de la nation ».

L’histoire de l’humanité serait désormais l’histoire des honnêtes gens contre les malhonnêtes …« Cette grande tâche est pour nous une tâche d’unité, en même temps qu’elle nécessite que notre CGT soit unie, indépendante et puissante ».

A deux reprises, l’orateur invoque encore « l’unité morale » – pourtant il n’est pas jésuite –  pour conclure : « il nous faut une CGT fraternelle, unie, indépendante et puissante ». (Vifs applaudissements).

Après cette édifiante diatribe, les millions d’honnêtes travailleurs, d’honnêtes fonctionnaires, d’honnêtes chômeurs etc ne savent toujours pas comment la CGT entend bloquer l’application des décrets-lois.

En novembre 1940, Lacoste et huit autres confédéraux (pas Jouhaux) signent avec trois dirigeants CFTC une déclaration, « le manifeste des douze » qui prétend : « Il n’y a pas à choisir entre syndicalisme et corporatisme, les deux sont nécessaires ».

Pas étonnant dans ces conditions de voir Lacoste abandonner le combat syndical (comme deux autres signataires) et de le voir promu, si l’on peut dire, ministre de la IVème république ; ministre de l’Algérie en 1956-1958.

Notons que c’est en 1956, qu’à l’initiative des camarades Bothereau, Bergeron et Hébert, la Confédération prend position pour l’indépendance de l’Algérie, tandis que le PCF vote les pouvoirs spéciaux et que Thorez voit toujours dans l’Algérie … « une nation en formation ».

Tels sont les faits.

Prise de fonction de Robert Lacoste en 1956. Nommé ministre de l’Algérie. (En présence du sinistre général Salan).

JM 2-07-2022

chaud ! chaud ! chaud !

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