>Histoire

22 / 02 / 2016

Conciliation et arbitrage

Présentation

Jean-Pierre Le Crom a consacré plusieurs ouvrages à étudier le corporatisme, celui des années 30 et 40. Il a travaillé avec l’UD-CGT FO de Loire-Atlantique, dans le cadre du CDMOT. Il a eu accès aux archives de l’UD ainsi qu’aux brochures de formation rédigées, essentiellement par le camarade Dehan.
Il a mené des discussions régulières (« une dizaine de fois, peut-être » explique Patrick Hébert), avec les responsables de l’UD de l’époque, dont Patrick, qui avait lui-même travaillé sur la question du corporatisme, en faisant le lien cette fois, avec l’après-guerre. (Voir dans corporatisme d’hier et d’aujourd’hui, la partie consacrée à la question de l’arbitrage, rédigée à partir des travaux de Patrick, ainsi que les compléments publiés sur le site de l’UD.)
Les ouvrages de Jean-Pierre Le Crom sont riches d’enseignements. Toutefois, son analyse bute sur un problème majeur. Bien que chercheur scrupuleux, il répugne à établir clairement les passerelles qui relient les théories corporatistes d’avant-guerre à celles portées aujourd’hui, notamment, par la CFDT. C’est une question d’actualité essentielle puisque les militants syndicalistes sont confrontés, au travers de la politique du « dialogue social » (les conférences sociales) à une nouvelle tentative d’intégration corporatiste.
Ce sont ces questions qui sont traitées ci-dessous.
Directeur de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) – laboratoire Droit et changement social de l’Université de Nantes, JP Le Crom est aussi Historien du droit.
Ses travaux portent sur l’Histoire du droit social et de ses acteurs (État, syndicats, patronat, associations). En particulier :

  • Syndicats, nous voilà,
  • La France malade du corporatisme, XVIIIème-XXème siècle. Ouvrage collectif
  • Et, au secours du maréchal.

Dans le chapitre « l’entre-deux-guerres : un pré-corporatisme », il consacre une étude à la conciliation et l’arbitrage obligatoire des conflits du travail.

Conciliation et arbitrage

« On étonne et on afflige beaucoup un socialiste français en lui disant que ses représentants ont plus fait dans la préparation d’une voie corporative que tous les gouvernements antérieurs. On énonce pourtant une vérité certaine ». (François Perroux, capitalisme et communauté de travail. 1938.)

 

La loi de décembre 1892

JP Le Crom la qualifie de « foncièrement libérale ». Une circulaire du ministère de la Justice en donne le mode d’emploi :

« (Elle) n’a voulu donner à aucun des moyens proposés un caractère obligatoire. Les parties demeurent toujours libres de recourir à la tentative de conciliation, de l’accepter ou de la refuser. Après son échec, elles ont le droit, mais non pas le devoir de recourir à l’arbitrage qui est essentiellement facultatif … »

JP Le Crom note :« En matière de grève, le patronat, suivi par une majorité de juristes, estime que le droit de grève n’existe plus, dans la mesure où la grève n’est plus possible avant le recours aux procédures de conciliation ».Jean Jaurès avait dès 1895 déclaré à l’Assemblée : « l’arbitrage manœuvré par un pouvoir habile supprimerait le droit de grève ».Pie XI, Mussolini, les capitalistes qui le financent l’ont parfaitement compris.

Les lois de 1936-1938

A l’inverse, le gouvernement de Front populaire instaure des procédures obligatoires. L’objectif est clairement affiché : éviter les grèves. Un accord – pour des raisons différentes – se dessine entre le patronat et la CGT. Les dirigeants du PCF y sont favorables. Les responsables réformistes de la CGT, également. JP Le Crom note :

« Soucieuse d’éviter la déstabilisation du Front populaire, la CGT n’est en effet pas hostile à une procédure qui assurerait la continuité des pourparlers entre patrons et syndicalistes, l’ordre et le calme étant nécessaires « à l’assimilation par l’économie des conquêtes sociales ». (Source, le journal de la CGT, le peuple, daté du 18 septembre 1936 ; article de Léon Jouhaux).

On doit remarquer que les trois grandes composantes de la CGT de 36, la composante dirigée par les staliniens, la composante réformiste menée par L. Jouhaux et la tendance dirigée par le futur ministre du travail de Pétain, René Belin, se rejoignent sur l’acceptation de la procédure.

Pourtant, arbitrage ou pas, procédure « obligatoire » ou pas, les grèves continuent tout au long de l’année 1937, dans un climat social de plus en plus tendu.

JP Le Crom indique que la loi de 36 prévoit trois degrés de conciliation*. Il s’agit en multipliant les instances « de calmer le jeu entre les acteurs sociaux, l’écoulement du temps favorisant l’apaisement des tensions ».

Les faits montrent l’échec de la procédure. JP Le Crom cite le conflit sur les salaires chez les chauffeurs de taxis de Paris. «  Loin de calmer les esprits, la lenteur de la procédure, 10 mois, de septembre 1937 à juillet 1938, a plutôt tendance à les exciter et à déclencher des arrêts de travail, pourtant interdits en cours de procédure ».

C’est pourquoi la loi de mars 1938 ramène la tentative de conciliation à une seule commission paritaire.

JP Le Crom en désaccord avec l’UD-CGT-FO 44

En 1963, l’UD édite une brochure contre le néo-corporatisme (consultable au CHT de Nantes). C’est une critique virulente mais argumentée des idées faussement novatrices de Bloch-Lainé sur la « réforme de l’entreprise ». L’UD explique :

« Les idées de Bloch-Lainé peuvent-elles prétendre à la nouveauté ? ( … ) Il suffit de relire les écrits des apologistes du fascisme pour retrouver non seulement les idées, mais le jargon lui-même de nos néos-syndicalistes. ( … ) Certains ont cru que le fascisme était mort avec la fin de la seconde guerre mondiale. C’est évidemment une naïveté. Aussi longtemps qu’il existera des antagonismes de classes, la tentation, pour la classe dirigeante, de les surmonter par les solutions expéditives du fascisme, sera grande. L’Histoire a prouvé que le fascisme conduit infailliblement à la barbarie totalitaire ».

JP Le Crom – c’est son droit – considère que « cette citation a un caractère caricatural ». Il estime que cela correspond « à une tendance bien française, à associer le terme corporatisme à fascisme, ou en tout cas à une pensée nettement réactionnaire ». Pourtant, ni Paxton, ni Sternhell, pour ne citer que ces deux exemples, ne sont français. L’un et l’autre ont pourtant largement contribué à mettre en évidence de façon irréfutable les « passerelles » entre corporatisme et fascisme. Il est bien normal que leurs démonstrations aient provoqué la sainte colère des néos corporatistes de notre temps.

Dans son intéressant « syndicats, nous voilà », paru en 1995, Jean-Pierre Le Crom citait déjà le passage reproduit plus haut, avec ce commentaire :

« Reflétant assez bien les tendances modernistes*** qui se dessinent dans les années soixante au sein des clubs d’inspirations plus ou moins mendésistes, les propositions de M. Bloch-Lainé peuvent difficilement, sauf à utiliser à outrance le jeu des analogies être classées comme fascistes ».

Deux remarques : la brochure incriminée ne qualifie nullement Bloch-Lainé de fasciste. Ensuite, elle met en évidence, et c’est son grand intérêt, ce fait incontestable que la logique des propositions « révolutionnaires » de l’auteur conduit inévitablement à un régime politique de type corporatiste ; le régime fasciste mussolinien étant une variante du corporatisme.

Comme pour se contredire, JP Le Crom note à juste titre :

« Certes, il (Bloch-Lainé) souhaite l’arbitrage obligatoire, des conflits, l’instauration d’un système de cotisations obligatoires par une procédure permanente et organique ». (Idée tellement novatrice ! ressortie par le 1er ministre lors de la dernière conférence sociale, à la demande de … la CFDT) Certes, ceci n’en fait pas un fasciste achevé, mais toutes ces dispositions, récemment reprises par certains néos socialistes, conduisent tout droit, qu’on le veuille ou non, à l’instauration d’un ordre totalitaire.

« Bloch-Lainé ne nie pas les divergences d’intérêts ». Bien sûr, les propriétaires des moyens de production et ceux qui vendent leur force de travail ont des intérêts opposés. Ni Belin, ni les papes, ni Mussolini ne l’ont jamais nié. Ils ont simplement voulu contraindre les seconds à se soumettre aux premiers, au nom de « l’intérêt général », ou du « bien commun » ou des deux à la fois. Rappelons qu’en 1933, René Belin, n’était pas « fasciste » ; il a pourtant fini co rédacteur de la Charte du travail.

JP Le Crom a ce commentaire curieux :

« Les réactions de Force ouvrière à ces propositions montrent la fonction d’épouvantail du corporatisme perçue comme une doctrine univoque. Notre étude souligne au contraire à quel point elle est plurielle ».

Bien sûr. L’Autriche du corporatiste Dolfuss n’est pas l’Autriche placée sous la dépendance absolue du national-socialisme. Ce n’est pas une découverte. Mais pour autant, peut-on laisser entendre que le corporatisme n’est pas un « épouvantail », qu’il y en aurait une forme civilisée, moderne, façon « dialogue social » de la CFDT- MEDEF ?

En conclusion, JP Le Crom en appelle à l’inévitable Julliard qui nous informe :

« Personne aujourd’hui ne songe à supprimer le droit de grève ou à faire nommer les dirigeants syndicaux par le gouvernement ».

Beaucoup, au contraire, en rêvent.

Le point de vue de Mussolini

Discours de Mussolini aux ouvriers de Milan ; 4 octobre 1934. « Camarades ouvriers, ( … ) L’autre solution, c’est la solution corporative, c’est la solution de la discipline de la production confiée aux producteurs eux-mêmes. Quand je dis producteurs, je ne veux pas seulement parler des industriels ou des employeurs mais des ouvriers eux-mêmes ». C’est l’autogestion et le Plan, pour le plus grand profit des capitalistes. « Les ouvriers doivent entrer toujours plus dans le secret du processus de production et participer toujours plus à sa discipline nécessaire ». 11 ans plus tard, il est pendu par les pieds, Plazzale Loreto, à Milan.

C’est en 1936, qu’est publié en français un livre contenant les principaux discours de Mussolini relatifs à « l’Etat corporatif ». C’est un document riche d’enseignements.

Le 4 novembre 1933, il déclare :

« Nous pouvons affirmer aujourd’hui que le mode de production capitaliste est dépassé** et avec lui, la théorie du libéralisme économique qui en a été l’illustration et l’apologie ( … ) Karl Marx avait tort lorsque, suivant ses schémas apocalyptiques, il prétendait que la société pouvait se diviser en deux classes, nettement distinctes l’une de l’autre et éternellement irréconciliables ». Mussolini ne fait au fond rien de plus que de réciter les encycliques « sociales », notamment quadragesimo anno, parue 3 ans plus tôt, qui fait l’apologie du régime corporatiste-fasciste du Duce, mais, sans le nommer explicitement.

Le « libéralisme économique » (le capitalisme) que Mussolini prétend enterrer, il le remplace par « une « économie disciplinée et donc aussi contrôlée parce qu’on ne peut supposer une discipline non contrôlée ». C’est le rôle de l’Etat corporatif (du corporatisme) que d’imposer la « conciliation des classes », conciliation rendue obligatoire sous la férule du parti fasciste.

« Conciliation obligatoire » ; droit de grève suspendu ou l’état d’exception permanent.

La loi du 3 avril 1926 sur la réglementation juridique des rapports collectifs de travail prétend confier à la Corporation le soin de régler les conflits du travail. Bien sûr, toujours en faveur du patronat. Comment pourrait-il en être autrement ?

La loi institue une Magistrature du travail. « La Magistrature du travail tranche les conflits en conciliant intérêts privés avec l’intérêt suprême de la nation ». Tous les corporatistes, qu’ils soient issus de la « droite » ou de la « gauche » rêvent de concilier les intérêts privés avec les intérêts suprêmes de la nation (ou aujourd’hui, ceux de la Communauté européenne).

L’article V de la Charte du travail**** stipule :

« La magistrature du travail est l’organe par lequel l’Etat intervient pour régler les différends du travail … »

Ainsi, en Italie fasciste, le corporatisme a pris une forme particulière, différente par bien des aspects du national-socialisme nazi, ou du corporatisme de Dolfuss ou Salazar …

Certes, la France de 2016 n’est pas l’Italie fasciste. Il n’empêche que ce gouvernement, flanqué de son inséparable MEDEFDT, prône un « dialogue social «  institutionnalisé incompatible avec le maintien d’une pratique contractuelle qui doit être, par définition, libre de toute tutelle. Comme le dit justement Jean Claude Mailly, pour ces gens-là, « un bon dialogue social, c’est être d’accord avec eux », sinon, c’est : circulez, y a rien à négocier ! Avec en prime, la menace permanente du 49-3.

On peut prendre le problème par tous les bouts, l’autoritarisme en matière de politique sociale débouche obligatoirement sur des remises en cause de la démocratie.


*1ère étape, réunion d’une commission paritaire départementale de conciliation, présidée par le préfet.

Seconde étape : réunion d’une commission paritaire présidée par un représentant du ministre compétent.

3ème étape : réunion à Paris d’une commission interprofessionnelle où siègent les responsables patronaux et ceux de la CGT, sous la présidence du ministre compétent.

** G. Bottaï qui est nommé en 1929, ministre des corporations raconte cette anecdote :

« Un jour, on m’annonce la présence en antichambre de Giovanni Agnelli (patron de la FIAT). Il entre, me salue s’assoit. Il commence à me parler en marchant de long en large, s’adresse à moi en me qualifiant de jeune homme, continue à parler pendant cinq minutes. Je ne savais plus si c’était lui ou moi qui était ministre ».

Celui qui finance, décide.

*** Nous verrons dans d’autres articles comment, parmi, les hommes d’Uriage, certains ont investi le « mendésisme ». C’est le cas notamment de Simon Nora.

**** « Les corporations sont reconnus par la loi, comme des organes de l’Etat ». (Article VI). Mais les corporations ne se mettent en place que sept ans plus tard. C’est le corporatisme « à pas de tortue ».

J. M Février 2016

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

>Suite

Calendrier de l’UD : cliquez sur les jours

<< Avr 2024 >>
lmmjvsd
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30 1 2 3 4 5