14 / 06 / 2025
Marc Prévotel rédige de 1976 à 1989, ses « chroniques des envahisseurs ». Il y montre comment l’Eglise catholique, officiellement ralliée à la République prétend « infuser dans toutes les veines de l’Etat, comme une sève et un sang réparateur, la vertu et l’influence de la religion catholique ». (Pape Léon XIII, en 1895). Il met en évidence le rôle assigné à la CFDT et au courant personnaliste chrétien désormais installé – par « effraction », certes – à la tête de la Vème République lors du 1er quinquennat Macron.
(Voir, Marc Prévotel : « cléricalisme moderne et mouvement ouvrier »).
Il a été beaucoup question ces temps-ci de Léon XIII et de la « doctrine sociale » de l’Eglise catholique. Celui qui se fait appeler Léon XIV en serait, nous dit-on le fervent continuateur.
A l’époque des « pactes sociaux » et autres «conclaves », C’est l’occasion de rappeler quelques fondamentaux.
Le « modèle » allemand.
Edouard Dolléans est l’auteur d’une « histoire du mouvement ouvrier », en trois tomes. (3ème tome paru en 1953).
Le dernier est en partie consacré à vanter les mérites – selon lui – de la cogestion à l’allemande. C’est sa conclusion.
Commençons par le commencement.
La soi-disant « responsabilité collective » du peuple allemand.
Dolléans écrit : « Les ouvriers ont été les Allemands les moins attirés par les aspects politiques du national-socialisme ». Les moins attirés ? Ils l’auraient donc été ?
Précisons. Le national socialisme a substitué le Front du travail au syndicat de classe. Les dirigeants syndicaux membres du parti social-démocrate avaient lamentablement participé au 1er mai 1933 nazi baptisé la « fête du travail » et, en prime, à la gigantesque messe à ciel ouvert ; Ceci en présence de Mgr Orsenigo, représentant du Vatican, enchanté par cette nouvelle et vivifiante expérience.
Ce Front du travail était censé rassembler les ouvriers et les patrons qui finançaient massivement le parti nazi. C’est que la défense de la « liberté d’entreprendre » a un coût !
Les ouvriers comme tous les « bons aryens » y étaient embrigadés de force. Le Front du travail, c’était le conclave permanent, institutionnalisé.
« Les ouvriers » ne l’ont jamais revendiqué.
Cette doctrine corporatiste, cette association Capital-Travail, avait été élaborée sous le pontificat de Léon XIII, en 1891. Ce fut l’encyclique rerum novarum, sous-titrée, « sur la condition des ouvriers ».
L’encyclique, (et les encycliques « sociales » suivantes) très souple dans la forme, envisageait avec gourmandise la solution préférée de la hiérarchie catholique, celle du « syndicat » unique dont la réalisation en Allemagne nazie fut le Front du travail.
« Syndicat » unique ou à défaut, si les circonstances – les rapports de force entre classes – ne le permettaient pas, le maintien d’un syndicat « ouvrier » séparé, mais respectueux de la doctrine chrétienne, « syndicat » rallié à un corporatisme « soft » moins brutal que la forme nazie ; c’est-à-dire dans les deux cas, l’exact opposé du syndicat de la Charte d’Amiens.
Non, les ouvriers allemands ne sont pas responsables du nazisme ; Jean Marc Schiappa résume ainsi toute l’affaire : « Par trois fois, la classe ouvrière allemande a essayé, au prix de mille sacrifices de prendre le pouvoir (1918, 1921, 1923). Ultérieurement le sectarisme stalinien a considéré que Hitler n’était pas pire que la social-démocratie (appelée, social-fascisme) » … La sanction est tombée, brutale.
Thorez et Léon XIII.
En 1937, le stalinien Maurice Thorez explique que l’encyclique et le Manifeste du parti communiste sont les deux textes de référence, absolument incontournables, aussi décisifs l’un que l’autre et … complémentaires. Les staliniens, ça ose tout …
Marceau Pivert avait été chargé par la direction de la SFIO de remettre les choses en ordre, ce qu’il avait fait, plutôt bien. Ci-dessous un lien pour la brochure complète de Pivert :
La doctrine de l’Eglise n’a évidemment pas changé. Elle ne le peut pas puisqu’elle vise à instaurer « l’ordre chrétien » (à l’époque en France et aux colonies) par la collaboration des classes et la mutation des syndicats en « corps intermédiaires » subsidiaires de l’Etat bourgeois. C’est une doctrine totalitaire.
Ne pas rappeler tout ceci, ou même le cacher soigneusement, n’est-ce pas contribuer à tenter d’exonérer les directions social-démocrate et stalinienne et la direction de la confédération syndicale de leurs énormes responsabilités dans la catastrophe qui a frappé l’Allemagne en 1933 ?
Dolléans : « Aujourd’hui (en 1953), ils (les ouvriers) sont plus proches de l’équilibre spirituel ». Curieuse affirmation.
A la chute du nazisme, l’Eglise a choisi pour l’Allemagne l’option de rentrer dans le syndicat ouvrier (l’ADGB) en reconstruction pour y imposer sa doctrine.
En France, elle a maintenu l’existence d’une CFTC très minoritaire et qui par conséquent ne sert pas à grand-chose du point de vue des partisans pluriels, de « droite » (et extrême) et de « gauche » de l’association capital-travail. Puis elle a monté l’opération « déconfessionnalisation » qui produira le miracle néo socialiste : la CFDT. Miracle qui fait encore rêver, à « gauche » …
Thorez : 1900-1964.
Dolléans affirme : « Ils luttent aussi pour leur participation, sur un pied d’égalité, à la direction de l’économie nationale ».
Cette « revendication », on la retrouve dans le 1er programme de B. Mussolini. Elle en avait rapidement disparu pour réapparaître lors de l’épisode tragi-comique de la « république » de Salo avant l’écroulement du fascisme.
Elle figure aussi en bonne place dans le « programme » du Conseil national de la résistance sous-titré, « les jours heureux ». La brochette de réactionnaires qui composent ce « Conseil » – à commencer par certains nostalgiques de l’ordre monarchique (de Gaulle lui-même …) et partisans hystériques de l’ « Algérie française », éternellement française (dont Georges Bidault en tête d’affiche, Bidault, président du CNR, partisan du groupe terroriste OAS, islamophobe maladif) l’a adopté sans problème (1). La CFTC et son représentant au CNR avait bien compris que ce « programme » ne présentait aucun danger pour l’ « ordre « bourgeois.
Tant qu’il s’agit de faire croire que les exploités pourraient « partager » avec leurs exploiteurs des « pouvoirs » aux contours pour le moins flous, l’opération de peut être que bénéfique aux capitalistes.
La sacro sainte « gestion de l’entreprise » … capitaliste.
« Participer à la gestion de l’entreprise dans laquelle les ouvriers travaillent, telle est la cogestion, ou le droit de co décision ». Certains parlent maintenant de « co construction ».
« En 1945, des comités d’entreprises ont été créés dans les mines métallurgiques et dans les mines de charbon de la Ruhr mises en tutelle par les alliés. Dans ces comités, les ouvriers ont autant de délégués que les chefs d’entreprise ».
La belle affaire ! L’Allemagne démembrée (2), placée sous tutelle comme une semi colonie reste un pays capitaliste. L’astuce, si l’on peut dire, consiste à « embarquer » tous les représentants officiels de la classe ouvrière dans un projet rénové d’association capital-travail, à visage plus humain que le corporatisme nazi.
La hiérarchie catholique et ses relais dans la confédération ouvrière ont tiré un trait sur les déclarations des évêques de Fulda de 1933 et sur celle de 1936 (3) – ils voudraient tant nous les faire oublier ! – qui bénissent le régime nazi, pour enclencher un processus de « modernisation » de la doctrine.
L’instauration de l’ORDRE NOUVEAU corporatiste ayant échoué par la droite et son extrême, il fallait tenter le coup par la « gauche ».
Conséquence immédiate : soumission en matière salariale.
Rappelons que les encycliques sociales – celle notamment qui accepte le régime fasciste de Mussolini en 1931 – quadragesimo anno, quarantième année – recommandent aux ouvriers de ne pas profiter de leur situation de force, « la force du nombre », pour revendiquer des salaires « excessifs ».
On ne fait pas de misère aux patrons, sinon, c’est l’enfer, direct, sans passer par la case purgatoire.
Bien sûr, on peut rire de tout ceci ; pourtant les millions de travailleurs victimes du national-socialisme et de la stupidité de dirigeants « ouvriers » qui ont cru pouvoir « co construire » doivent continuer après-guerre de se serrer la ceinture.
Dolléans écrit : « les grèves en vue des augmentations de salaire paraissent aux ouvriers allemands ne servir à rien car la grève serait suivie de trois mois de hausse des prix qui annulerait l’augmentation … les syndicalistes allemands paraissent avoir compris ce que l’on appelle : le cercle infernal salaires-prix ».
Il faudrait se résigner, se soumettre et en prime dire : merci not’ bon maître ! (4)
En France, c’est l’appareil stalinien qui mène la danse au nom du « produire d’abord, revendiquer ensuite », c’est à dire jamais … jusqu’à la grève Renault de mai 1947. L’appareil est alors obligé de « tourner » et de quitter le gouvernement pour reprendre le contrôle des « masses » qui risquent de lui échapper.
« Grève générale » ?
« En vue d’obtenir ce droit de cogestion une grève générale avait été décidée dans la métallurgie et les mines pour le 1er février 1951 ». Le terrain avait été labouré : « un projet de loi avait été déposé par deux membres de la gauche chrétienne afin de rendre légal le droit à la cogestion ».
Une loi fut promulguée le 21 mai 1951. « Le droit de cogestion serait limité (dans un premier temps) aux mines, à l’acier et à l’I.G.Farben ».
Durant l’hiver 1950-1951, il y avait officiellement deux millions de chômeurs. « Les conditions de l’existence, même pour un ouvrier spécialisé sont pénibles ; Les prix sont montés trois fois plus vite que les salaires … »
La participation à la mode allemande, ça sent l’escroquerie. Mais des syndicats résistent et imposent aux patrons la signature de conventions collectives qui limitent, mais ne suppriment pas, les conditions d’exploitation du travail par le capital.
Conséquences dans notre CGT-FO.
Ces thèses « allemandes » sont reprises par une petite fraction de la direction confédérale. Le chef de file – Le Bourre – est passé aux oubliettes dans les égouts du mouvement ouvrier. Selon Dolléans, Le Bourre était « un militant sans peur et sans reproche », partisan, qu’on se le dise, d’ « un syndicalisme constructif », un « syndicaliste libre », autrement dit, un « syndicaliste » de « pactes » … Les autres militants, c’est-à-dire la grande majorité de la Confédération ne l’étaient-ils donc pas, libres ?
« Le nouveau syndicalisme » de cette petite fraction néo corporatiste prétendait s’appuyer sur un patronat « compréhensif », comme pensaient-ils, il y en avait un en Allemagne ; mais s’inquiétait des incompréhensions du patronat français. Dolléans : la « Confédération du patronat français comprend-elle une telle élite patronale et un syndicalisme apolitique et cherchant l’efficacité (5) ».
La fraction Le Bourre éditait une revue intitulée, sans rire : « pour l’unité » (6). Il organisa une conférence pour « le regroupement syndical » sur l’axe de l’acceptation du corporatisme. Il était intervenu dans les congrès confédéraux où il prêchait les vertus de l’Europe nouvelle en construction.
Ses thèses réactionnaires ont été combattues notamment par Alexandre Hébert et l’UD CGT-FO de Loire-Atlantique.
Le Bourre est marginalisé et la Confédération maintient le cap de l’indépendance syndicale.
En 1959, il « renonce » à son mandat de secrétaire confédéral (7) pour militer en faveur de « l’Algérie française », contre Bothereau A. Hébert et Bergeron et la majorité confédérale réunie sur l’essentiel : le refus de l’intégration au désordre corporatiste.
Il « renonce » … c’est le terme employé par le MAITRON. En réalité, corps étranger au syndicalisme ouvrier, il est éjecté de la confédération ; ce n’est pas du tout la même chose.
1 Le programme du CNR revendique : « la participation des travailleurs à la direction de l’économie ». Quelle économie ? L’économie capitaliste puisqu’il ne s’agit évidemment pas d’un programme de rupture avec le désordre capitaliste. le « programme » met les points sur les i : « afin de promouvoir les réformes indispensables ... (il faut) une organisation rationnelle de l’économie (c’est évident), assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général », autrement dit aux capitalistes.
L’intérêt général ? C’est l’ex socialiste Marcel Déat, rallié au fascisme avec une préférence marquée pour celui de Berlin, qui en parle le mieux, dans le « journal » : « L’effort » de septembre 1940 :
« Tout peut se condenser dans cette remarque : le moteur de la Révolution a cessé d’être l’intérêt de classe pour devenir l’intérêt général. On est passé de la notion de classe à celle de la nation … », nation remplacée maintenant par la fantomatique UE.
2 En 1943, le chef de guerre Roosevelt avait eu le projet de démembrer la France qui serait devenue, la Wallonie. Les livres d’histoire des écoles, collèges et lycées n’en parlent pas. Il ne faut pas écorner l’image du Sauveur US !
3 Déclaration des évêques, le 24 décembre 1936. Joyeux Noël !
« Le Führer a vu venir de loin le bolchévisme et il s’est appliqué à écarter ce danger épouvantable de notre peuple allemand et de tout l’occident. Les évêques allemands estiment qu’il est de leur devoir d’assister dans cette lutte le chef du Reich allemand avec tous les moyens sacrés qui sont à leur disposition … C’est le devoir de l’Eglise et de la religion que de collaborer, dans le temps présent, à la défense contre cette puissance satanique ».
4 Dolléans remarque : « Il faut tenir compte de l’influence qu’a pu avoir le rapprochement entre chrétiens et socialistes. Lors du congrès catholique de Bochum, le cardinal Frings, archevêque de Cologne, avait déclaré que la cogestion était conforme à la volonté divine et à la civilisation actuelle ».
5 « L’efficacité » ? On peut ne pas oublier qu’en Allemagne fédérale, c’est un ancien général SS, R. Hoën qui prend en charge après-guerre et jusqu’au milieu des années 70, la formation des « élites ». Des centaines de milliers de cadres subissent son « enseignement ». Dans l’entreprise rénovée, nous sommes tous « collaborateurs » dit Hoën.
6 Avant-guerre la fraction Belin des « néos-« syndicalistes » de conclave, avait aussi sa propre revue « syndicale ».
7 La CGT du stalinien Frachon avait, elle aussi fait «monter » dans l’appareil un représentant de la doctrine sociale de l’Eglise catholique (admirateur celui-là de Jean XXIII, champion du bien commun et de l’intérêt général »), Pierre Le Brun qui militait ouvertement pour transformer la CGT en un bidule sociétal, une sorte de seconde CFDT et subordonnée à la 1ère. Le Brun était et de loin, le cgtiste préféré de Jean Monnet, l’agent américain. (Voir mémoires politiques de Jean Monnet).
Dans la CGT, certains en rêvent encore.
Attention aux Le Bourre et Lebrun du XXIème siècle !
Attention aux adeptes des « pactes sociaux », des pactes avec les gouvernements au service des exploiteurs, des partisans de « conclaves … nostalgiques, souvent, peut-être un peu honteux, de l’ORDRE colonial, autrement dit du chaos. « Syndicalistes de conclaves, convertis au pitoyable « on ne peut pas faire autrement » du François-le-pieux-de Bétharram, réduits au rôle grotesque de béquilles, de segments du PARTI DE L’ORDRE, le segment « syndical », le plus méprisable, celui qui inclut l’acceptation des guerres et leurs génocides.
JM. 14 juin 2025.