>Histoire

9 / 11 / 2015

« À gauche de la barricade » 5/7

Des accords Matignon au Statut moderne du Travail

Nous avons vu que les acquis de 36 sont le produit de l’action de la classe ouvrière et plus largement de l’ensemble des salariés qui, par leurs propres méthodes – la grève générale « bloquer le pays » – infligent au patronat un premier recul.

Loin d’exprimer un  soutien  au gouvernement SFIO-radicaux soutenu par le PCF, les grévistes marquent une défiance certaine. Ils placent à leur façon ce gouvernement de coalition sous contrôle.

Les illusions – quand elles existent – ne durent pas bien longtemps. Le 1er ministère Blum doit céder la place à un gouvernement Chautemps (parti radical) qui va immédiatement s’employer à inverser la tendance. Il s’agit pour la bourgeoisie de « reprendre la main ».

Les discussions autour du « Statut moderne* du travail » s’inscrivent dans cette volonté d’amorcer le processus de la revanche. Loin de s’y opposer, les deux grands partis supposés défendre les intérêts des travailleurs, SFIO et PCF, accompagnent, voire, alimentent le processus ; tout ceci dans un contexte où les grèves continuent – souvent contre l’avis des directions syndicales – grèves, beaucoup moins « débonnaires » qu’en juin.

En mars 1937, la CGT appelle à une « demi-journée de grève générale », que Delmas qualifie de « soupape De sûreté ». Il s’agit déjà en quelque sorte d’une journée d’actions comme on dit de nos jours …

Dans le peuple du 19 mars, Léon Jouhaux tire ce bilan :

  • Nous avions décidé que la grève générale serait limitée à la région parisienne : elle l’a été.
  • Nous avions dit qu’elle ne devrait pas toucher les services publics ; ils ont fonctionné normalement.
  • Nous avions dit que le ravitaillement de Paris devait être assuré, de même que tous les services essentiels de secours. Aucun trouble ne s’est produit de ce côté.
  • Nous avions dit que le travail devrait être repris dans l’après-midi et prévu que les services de transports en commun devaient reprendre à cet effet. On sait que ces instructions ont été suivies à la lettre …

Le quotidien L’Humanité tient un discours analogue. Ainsi, toutes les conditions sont remplies pour que les revendications ne soient pas satisfaites.


Selon JP Le Crom : « Léon Jouhaux déclarait que la CGT ne serait pas défavorable à un système (d’arbitrage) qui assurerait la continuité des pourparlers patronat-syndicats. Sans méconnaitre les dangers d’un tel système et en particulier sur le droit de grève, soucieux de préserver coûte que coûte la paix sociale, (il) définissait sa proposition comme un sacrifice de la classe ouvrière à l’intérêt du pays ». Autrement dit, « l’intérêt général »…

Le pic de syndicalisation a atteint son sommet. Pourtant, les premiers déçus quittent l’organisation syndicale pour ne plus y revenir … avant fin 1944.

 

Le statut moderne du travail

Cette partie reprend plusieurs éléments du mémoire de P. Hébert « sur le statut moderne du travail (1938) et la Charte du travail (1941) » sur la question de l’arbitrage (Source : corporatisme d’hier et d’aujourd’hui (pour l’indépendance syndicale), édité par l’UD CGT-FO de Loire-Atlantique à l’occasion de son XXIIème congrès en mai 2015. (Pages 150 à 159).

Le projet du statut moderne du travail regroupe six projets de textes ; seul le projet N° 3488 relatif aux procédures de conciliation et d’arbitrage aboutira à une loi, la loi du 4 mars 1938. Patrick Hébert explique : «  ( … ) Dans le débat qui se déroule, nous retrouvons le problème du rôle et de la place de l’Etat. ( … ) La loi impose maintenant de prévoir dans le cadre des conventions collectives, la désignation par chacune des parties d’un arbitre nommé pour la durée de la convention et d’arbitres suppléants.

Si dans le mois qui suit la passation ou le renouvellement de la convention collective les parties n’ont pu se mettre d’accord sur le renouvellement des surarbitres, cette liste sera dressée ou complétée d’office par le 1er président de la cour d’appel, dans le ressort de laquelle s’est réunie la commission paritaire, après avis du préfet.

Cette loi, en maintenant la possibilité de l’intervention de l’Etat dans le règlement des conflits du travail, même si cette intervention est limitée, provoque une certaine ambiguïté et surtout, elle suppose que l’on accepte de considérer l’Etat comme étant neutre, objectif, au-dessus des intérêts de classe et que l’on fasse passer des intérêts de classe après l’intérêt de la nation. Mais il serait utopique de croire que cet ensemble législatif permettra de supprimer toutes les grèves ».

D’ailleurs, chez les partisans de « l’ordre », on ne se fait guère d’illusions…

« Personne ne peut se flatter, malgré l’arsenal des lois que nous votons pour tenter d’aboutir à la conciliation ou, éventuellement à l’arbitrage que, s’agissant de textes appliqués à des milliers d’hommes répartis sur toute la surface du territoire qui sont parfois soumis à des propagandes diverses, qui sont souvent malheureux, il n’arrivera jamais un incident. Par conséquent, malgré nos précautions, la grève peut éclater. Nous voulons alors que tout au moins, la grève soit pacifiée, qu’elle soit privée des moyens de violence ou d’illégalité auxquels on recourt trop souvent ».
(Camille Chautemps, débats au Sénat)

« ( … ) Le texte prévoit que dès qu’une grève se produit, le préfet délègue un fonctionnaire qui, après avoir entendu les parties et constaté les questions litigieuses, devra le plus rapidement possible, faire voter au scrutin secret sur la poursuite de la grève. ( … ) Si le fonctionnement de tout ou partie de l’entreprise est nécessaire à l’approvisionnement ou à la sécurité de la population, ou encore, à la vie des autres entreprises, le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour assurer le fonctionnement du service indispensable, au besoin par l’intervention directe. Selon ce texte, il ne devrait plus y avoir de grèves de longue durée. ( … ) Que d’illusions ! L’histoire nous montre qu’aucune loi ne peut limiter le droit de grève sans recours à la force la plus brutale. ( … ) Il est assez surprenant de constater que la CGT a donné son accord à ce projet … »
(Hébert)

 

Concilier l’inconciliable

P. Hébert poursuit : « Nous avons pu remarquer que malgré leur volonté de préserver l’indépendance des organisations ouvrières, les dirigeants du Front populaire introduisent les éléments permettant par l’intermédiaire de l’Etat de limiter la liberté d’action des syndicats. ( … ) La participation des socialistes au gouvernement les entraîne inévitablement à considérer que leur présence est une garantie suffisante pour préserver les intérêts des travailleurs. Ils oublient simplement que l’Etat n’est pas neutre et que Front populaire ou pas, il ne change pas sa nature. Il reste l’instrument privilégié de la classe dominante pour maintenir son pouvoir politique et économique.


Travailler moins longtemps, laisser la place aux plus jeunes ? Les partisans de l’arbitrage ne sont jamais favorables aux solutions qualifiées de « simplistes » : réduction du temps de travail ; augmentation des salaires …

L’intérêt des classes exploitées ne peut s’accommoder d’un quelconque « intérêt général », même s’il est patronné par la « Gauche ».

( … ) Le projet de Statut Moderne du Travail est caractéristique de cette politique : vouloir maintenir l’indépendance des organisations de la classe ouvrière, tout en développant la collaboration entre les classes ; c’est risquer à tout moment de passer de l’autre côté du cheval, c’est-à-dire, sur le terrain du corporatisme.

A son procès à Riom, Léon Blum s’étonnant que l’accusation n’ait pas retenu le vote des lois sur l’arbitrage obligatoire ou celles sur les contrats collectifs déclare : Mais je pense que si on ne les a pas incriminées, c’est sans doute parce que, dans le régime actuel, tout en transformant l’esprit de ces lois, et en y substituant des méthodes d’autorité à des méthodes de liberté, on a cependant retenu un assez grand nombre de mesures positives.

Ainsi, le Front populaire, en désarmant le prolétariat, en décevant les classes moyennes et en laissant les mains libres au grand capital, ne se contentait pas d’ouvrir la voie politique au fascisme, il facilitait par sa législation sociale la mise en place d’un régime corporatiste fondé sur la volonté de supprimer toute expression de lutte de classe ».

Pour conclure sur ce point, P. Hébert cite un commentaire très instructif de celui qui deviendra le spécialiste du corporatisme sous Vichy, avant de faire bénéficier les différents gouvernements de la IVème et Vème République de ses immenses compétences, François Perroux :

« Plus significatif encore est l’exemple de la France actuelle. Depuis juin 1936, l’organisation du marché du travail et de l’économie a été dotée d’instruments juridiques depuis longtemps connus mais qui jusqu’à ce jour n’avaient pas été chez nous largement employés. Aux termes de la législation de 1936, travailleurs et employeurs désignent des représentants au Conseil national économique dont le statut a été remanié et l’activité élargie. Des commissions mixtes avec représentation paritaire des deux parties sont créées pour l’élaboration des conventions collectives du travail. Bien mieux, selon la loi du 1er janvier 1937, les différents collectifs du travail dans l’industrie et le commerce sont obligatoirement soumis à la conciliation et à l’arbitrage.
S’il n’y a pas de convention collective qui en organise les règles, l’article 4 de la loi prévoit que le gouvernement désigne un surarbitre « parmi les membres en activité ou à la retraite des grands corps de l’Etat ». ( … ) Ces procédures sont sans doute dans la pensée d’une partie des dirigeants actuels de la France un acheminement vers une socialisation ultérieure ; elles constituent une phase de transition. Mais le franchissement de la dernière étape ne dépend pas d’eux. Les partis socialiste et communiste ont bel et bien et bon gré mal gré accepté et contribué à promouvoir une législation qui dans l’immédiat implique :
– La renonciation à la lutte des classes pure et simple.
– La renonciation à la socialisation pure et simple.
Cette législation peut être, selon les préférences doctrinales interprétée comme un ensemble de mesures présocialistes, ou, avec autant de raisons, comme un ensemble de mesures pré-corporatistes ( … ) On étonne et on afflige beaucoup un socialiste français en lui disant que ses représentants ont plus fait dans la voie d’une solution corporative que tous les gouvernements antérieurs.** On énonce pourtant une vérité certaine. Les techniques sont prêtes. Les institutions sont forgées. Les réactions politiques d’un futur prochain détermineront qui les emploiera et comment elles seront finalement employées.
(F. Perroux : capitalisme et communauté de travail, 1938)

Pour conclure provisoirement sur ce point, notons ce commentaire du dirigeant stalinien de la CGT réunifiée, B. Frachon :
« Malgré ses imperfections, l’arbitrage obligatoire n’est pas un mauvais cadeau de nouvel an pour la classe ouvrière ».

 

Vichy fera le nécessaire pour le perfectionner !

* Du Statut moderne du travail à la modernisation-« simplification » du code du travail du gouvernement néo de 2015, il n’y a qu’un pas. Le MEDEF, le gouvernement, la CFDT s’attaquent – méthodiquement – à tous nos acquis. Ceux de la Libération, bien sûr, mais aussi, ceux de la grève générale de juin 36.

** Le rapport de la commission Bartolone (compte-rendu du groupe de travail consultable sur internet) prétend procéder à la fusion du sénat et du Conseil économique et social environnemental en y incluant les militants syndicalistes. Il s’agit de remettre sur le tapis le vieux projet gaulliste d’association capital-travail rejeté en 1969 Il reviendrait aux conférences sociales, grandes ou petites, d’y associer les deux confédérations.

J M août 2015.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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