26 / 10 / 2015
L’accord est signé dans la nuit du 7au 8 juin. Le pays est bloqué. Les « quelques fanatiques » que dénonce le néo Delmas ont pris les choses en main. Refusant la dislocation de la grève en une poussière de « journées d’actions » éclatées au contenu revendicatif flou, ils ont imposé le rapport de force qui a imposé au patronat un 1er recul.
Les staliniens occupent dans la CGT réunifiée des positions importantes. Ils mettent en garde la classe ouvrière contre les « impatiences » et « l’aventurisme » des « provocateurs ». Hénaff, dirigeant CGT-PCF signale que les ouvriers parlent fréquemment des « accords-maquignon ». La délégation CGT est conduite par Léon Jouhaux.
Delmas a ce commentaire édifiant :
« Si le grand patronat avait connu exactement l’état d’esprit des milieux gouvernementaux et celui des dirigeants syndicalistes renonçant à canaliser un mouvement dont ils n’étaient pas les maîtres, il aurait certainement pris une autre attitude que celle qu’il adopta. Mais les dirigeants du patronat eurent peur. Peur de voir la révolte populaire prendre un tour moins débonnaire et peur de voir le gouvernement adopter pleinement le point de vue des ouvriers. Ils crurent à la menace d’un nouveau régime économique dans lequel ils perdraient toute puissance et leurs profits. Ils se résignèrent à céder ».
Il conclut ainsi :
« Toute une politique sociale avait été discutée et le gouvernement avait obtenu l’adhésion des délégués du patronat français pour l’introduction dans la législation française de la semaine de quarante heures et des congés payés ».
Ne serait-il pas plus juste de dire : le couteau sous la gorge, patronat et gouvernement ont cédé sur une série de revendications importantes ? … Le premier en attendant l’heure de la revanche ; le second en préparant d’autres lois « sociales », concoctées par le gouvernement Chautemps (dirigeant du parti radical) et instituant comme dans les régimes « autoritaires » corporatistes l’arbitrage obligatoire, c’est-à-dire la négation du droit pour les confédérations ouvrières de négocier librement, hors la tutelle de l’Etat-arbitre …
De ceci, Delmas ne dit pas un mot. Un silence éloquent …
Matignon a cependant comme conséquence immédiate de « booster » encore plus la syndicalisation qui atteint des sommets. Patrons et politiques qui réclament hypocritement des « syndicats forts », mais intégrés à l’Etat, colégislateurs, sont cette fois, bien silencieux. Un silence éloquent …
Affiche de propagande SFIO. Le parti s’approprie les succès de la grève générale. Le PCF, évidemment, agit de même. L’autre « partenaire » du gouvernement le parti radical peut respirer. Le pays est passé tout près de la « catastrophe ». Bien sûr, ce ne sont pas les notables du parti radical – avocats, notaires … – qui étaient en mesure de « calmer » ces « quelques fanatiques » que dénonce Delmas. Comme le patronat, les chefs radicaux attendent leur heure. Il leur revient dès 1937, avec la collaboration pleine et entière de la SFIO et de ses alliés du moment néos, d’instituer le Statut moderne du travail dont il sera question précisément plus loin.
Evoquant les lois sociales et la politique de grands travaux que Jouhaux reproche au gouvernement de tarder à mettre en œuvre, Blum déclare :
« Ce que j’entends, c’est demander à la CGT sa collaboration pour la mise à exécution de toutes ces mesures, ou bien, si elle le désire, sa collaboration pour l’application des mesures qui ressortent de son programme. (Allusion au plan de la CGT). J’entends l’associer au sommet, non par des commissions dans lesquelles s’installeraient des discussions académiques, mais pour un travail de réalisations pratiques … » ; donc pas de camarade-syndicaliste-ministre ; trop voyant, trop risqué !* Pas plus de « grande conférence sociale » aux résultats improbables (que les syndicalistes peuvent à tout moment quitter) … juste une collaboration « technique ».
La démarche provoque au sein de la Confédération des réactions variées.
Selon les auteurs de « Jouhaux dans le mouvement syndical français », paru en 1979, PUF) « pratiquement, Jouhaux, tout en faisant des réserves sur plusieurs des personnalités dont Blum songe à s’entourer, formule deux souhaits :
*A l’issue du Conseil national de la SFIO réuni le 10, une lettre signée Léon Blum et Paul Faure avait été adressée à la Confédération et plus précisément, au citoyen Jouhaux :
« ( … ) secrétaire général de la CGT, invité à répondre à l’attente du corps électoral en entrant dans le gouvernement chargé de réaliser le programme commun qu’il a aidé à établir ». Suite au refus de Jouhaux, le gouvernement change de tactique.
A noter que Paul Faure, ministre du Front populaire et partisan de la mutation de la CGT en subsidiaire de l’Etat dès le 10 mai 36, se rallie en 40 à Vichy dont il intègre le fantomatique Conseil national.
( … ) Omniprésent dans les coulisses du Pouvoir (vichyste), l’ancien secrétaire général de la SFIO refusera d’intervenir en faveur de Léon Blum lors du procès de Riom et ne cessera de dénoncer les « crimes » de la Résistance
**Cette proposition s’inspire de « l’exemple » du ministère à la résorption du chômage, en Belgique, confié au néo-socialiste Henri De Man.
JM ; octobre 2015.