>Histoire

6 / 05 / 2023

8 mai 1945 : l’heure de la Libération ?

Tous les écoliers devraient le savoir. Le 8 mai 1945 ouvre une période de paix, de prospérité et de fraternité. L’ONU viendrait sceller l’union des nations et des peuples réconciliés.

Malheureusement les choses sont un peu plus complexes.

 Prenons deux exemples de « libération » parmi beaucoup d’autres :

          L’Indonésie dominée par les Pays-Bas.

          Le Congo dominé par la Belgique.

Plusieurs articles parus sur ce site sont consacrés aux politiques coloniales et à l’attitude du syndicalisme français … le 8 mai 1945 à Lisbonne

http://force-ouvriere44.fr/cest-arrive-8-mai-1945-a-lisbonne/

 Voir aussi la brochure éditée par l’UD FO 44 : « L’UD CGT-FO de Loire-Atlantique et la question coloniale ; le combat d’Alexandre Hébert » … le 8 mai 1945 et les jours qui suivent en Algérie, 40 000 Algériens sont massacrés, coupables d’avoir fêté la défaite du fascisme et brandi le drapeau de leur pays. C’est l’acte 1 de la guerre d’Algérie déclenchée par le gouvernement d’union sacrée de Gaulle-PCF-SFIO  …

Pour 8 millions d’Algériens, ce n’est pas vraiment le temps des « jours heureux ».

 Première partie : l’Indonésie.

 L’historien et journaliste  David van Reybrouck a écrit : « révolusi, l’Indonésie et la naissance du monde moderne ». Il y dresse un tableau édifiant des politiques coloniales des Pays-Bas depuis la conquête, le rôle de la Compagnie des Indes orientales fondée en 1602,  jusqu’à l’indépendance, une période qui couvre quatre siècles. Quatre siècles d’esclavage. La « prospérité » des Pays-Bas ne tombe pas du ciel.

Il est impossible de résumer en quelques lignes plus de 500 pages, d’autant que cette histoire est presque inconnue en France. D’où son intérêt.

 Notons que les petites têtes blondes hollandaises n’ont pas d’enseignement obligatoire de l’histoire avant l’âge de douze ans. Seuls ceux de douze à quinze ans y ont droit ; encore faut-il voir lequel …

 Ils connaissent sans doute assez bien l’histoire dramatique de la petite Anne Franck, comme quelques dizaines de millions de jeunes européens. Et c’est tout.

L’auteur rappelle que l’Indonésie fut « française » après la conquête de la Hollande par Napoléon – (« qui sut  incarner l’ordre » selon Macron … et repousser les frontières de l’Empire).

DVB écrit : en 1945, à propos du départ forcé des japonais : «  en Indonésie, la fin de la guerre avait quelque chose de surréaliste, c’était une libération sans libérateurs … »

On sait que la moitié de l’aide financière reçue par la Hollande au titre du plan Marshall a servi à mener quatre ans de guerre (combien de centaines de milliers de victimes ?) contre le peuple indonésien. Guerre de classes aussi : un proverbe dit : « plus il y a de pigment, moins il y a de paiement ! »

En mai 1945 :

 L’Indonésie est alors dominée par l’impérialisme du Japon qui prétend faire de toute l’Asie du sud-est – y compris la Chine – son « jardin » ce qui contrarie fortement les plans des trusts américains …

 Dès 1942, l’occupant hollandais a été contraint de céder la place au concurrent japonais.

Espérant amadouer les populations, l’Empereur du Japon a promis l’indépendance. La réalité fut bien différente. L’auteur consacre des dizaines de pages à retranscrire des témoignages de la barbarie ;  la barbarie, celle d’abord, des quelques milliers de colons hollandais, presque tous membres d’un parti structuré sur le « modèle » national-socialiste allemand, avec la même idéologie raciste, puis l’ordre colonial du Japon. DVB note cette remarque d’un journal hollandais publié à Java : « Si les Italiens ont besoin d’un Mussolini, les Allemands d’un Hitler, ce peuple a besoin d’un Colijin ». (Président du Conseil des ministres des Pays-Bas de 1933 à 1939. Colonialiste forcené) … puis celle des britanniques et à nouveau des hollandais.

 De syndicats ou de droits syndicaux, il n’est bien sûr jamais question puisque les syndicats sont interdits.

 David van Reybrouck indique :

 « (…) Juste avant la Libération, tous les journaux hollandais résistants avaient lancé un appel, à la demande du gouvernement hollandais en exil à Londres (et de la très sainte famille royale) pour que des volontaires s’engagent à poursuivre le combat  aux Pays-Bas et dans les Indes néerlandaises (le nom de l’Indonésie à l’époque). On avait répondu massivement à l’appel. En mai et en juin 1945, 170 000 habitants des Pays-Bas, parmi lesquels 60 000 femmes s’étaient présentés … pour « foutre les japs dehors ».

 L’auteur note ce propos de Goderd van Heeck, 22 ans, fils d’une famille prospère de fabricants de tissus : « Après le pillage total par le Japon, nous aiderions le pays à se reconstruire ».

 Van Reybrouck indique :

 « En dehors des engagés, il y avait aussi un tout autre réservoir dans lequel puiser. L’Eglise catholique émit l’idée d’envoyer aux Indes néerlandaises de jeunes collaborateurs qui avaient été membres de la SS ». Il vaut mieux que les jeunes hollandais de 2023 ne le sachent pas ! Il s’agissait selon l’Eglise catholique « de leur permettre de se réhabiliter. Car on pouvait examiner la question sous tous les angles, expliquait un mémorandum chrétien datant de juin 1945,  ces jeunes avaient eu le désintéressement de risquer leur vie pour leur idéal ».

 Cela concernait environ 4000 personnes  … « il y eut au nombre des appelés … plusieurs anciens SS ».

 Pour le pétrole.

 L’urgence pour les Pays-Bas, c’était d’abord de remettre la main sur le pétrole que lorgnait le « libérateur » américain … qui se payait le luxe de se présenter comme le protecteur des peuples opprimés.

 Mai 1945 marque pour 60 millions d’indonésiens le début d’une autre guerre, celle de libération nationale. Les gouvernements hollandais n’employaient pas le mot guerre ; ils préféraient parler d’ « opérations de police », ou de « maintien de l’ordre », comme  la « France » en Algérie ou la  Grande Bretagne en Inde ou au Kenya … ou les EU aux Philippines …

 Ce n’est pas l’objet de ce texte mais notons tout de même que les leaders nationalistes indonésiens étaient disposés à s’ « arranger » selon leurs intérêts du moment avec l’une ou l’autre des puissances coloniales ce qui excluait de leur part toute politique sociale favorable aux intérêts des exploités de l’industrie pétrolifère, des mines … , sans parler des millions de paysans pauvres dépourvus de représentation syndicale et politique indépendante des gouvernements.

1945 : c’est la libération. L’armée rétablit l’ordre. Officiellement, les Pays-Bas ont aboli l’esclavage en 1863. Ces deux photos sont empruntées aux « cahiers du CERMTRI, N° 178, avril 2022 : « Le soulèvement des colonies ».

Les cahiers rappellent « qu’au terme de la déclaration de Potsdam (qui réunit les chefs des « alliés »), l’armée japonaise devait maintenir l’ordre jusqu’à l’arrivée des vainqueurs, en l’occurrence l’armée britannique ».

Deuxième partie : le Congo.

 « Il ne faut attendre aucun salut ni aucune compassion d’un système fondé depuis le XVème siècle sur le pillage de l’Afrique et l’asservissement ou l’infériorisation de ses descendants. Pourquoi  voulez-vous que ce système accepte sa propre perte ? » (Wole Soyinka, prix Nobel de littérature).

 David van Reybrouck a consacré une autre étude minutieuse de près de 800 pages à l’histoire du Congo « belge ». En voici un bref aperçu.

L’auteur rappelle qu’en 1945, 54 pays se réunissent aux EU, chez le « patron » du monde « libre » et y rédigent la Charte des Nations Unis. C’est le miracle : le terme « colonies » disparaît au profit de : « territoires non autonomes ».

Il  rappelle aussi que sans les mines du Congo, sans son cuivre, son uranium … la machine de guerre alliée ne pouvait fonctionner.  C’est par la généralisation du travail forcé que la petite puissance impérialiste de Belgique écrasée en quelques heures par le concurrent  allemand, met près d’un million  de travailleurs forcés congolais au pas. Pourtant, les révoltes se succèdent. Evidemment, comme sous le régime nazi, il n’y a aucun droit syndical.  Pourtant des grèves éclatent pour l’augmentation des salaires ; au Congo, en pleine guerre ! La troupe intervient et « tire dans le tas » ; la guerre coloniale, la guerre des classes fait rage au cœur de la guerre impérialiste.

Les campagnes ne sont pas épargnées par le pillage : « tous les villages devaient participer à ce que l’on appelait l’effort de guerre. Le nombre de jours de travail à consacrer à l’Etat doubla, passant de 60 à 120 jours. » 120 officiellement …

« ( … ) Quand Bruxelles fut libérée, les Congolais dansèrent dans les rues de Léopoldville (qui deviendra Kinshassa). Ils espéraient que tout allait changer mais cette euphorie allait être de courte durée ».

Mai 1945.

« Il n’y a alors que 36 080 Blancs au Congo » : il y a les représentants de l’Etat belge et leur épouses, (ou à défaut, les « petites ménagères » congolaises « de 11 ou 12 ans »), les militaires, les gendarmes et les prêtres, partout présents au Congo, toujours au service de l’ordre et, on le sait, surtout, de la morale éternelle.

Dans les mines, avant ou après la « libération », rien ne change ;  c’est toujours le règne des kapos et de la schlague.

« Dans les campagnes, les fonctionnaires coloniaux avaient dû encourager la population à ramasser à nouveau des chenilles, des termites et des larves, une source traditionnelle de protéines ».

Le Congo et plus précisément le Katanga est un vrai « phénomène géologique ». On y trouve  en quantité du zinc, du cobalt, de l’étain, de l’or, du tungstène, du manganèse, du tantale  … d’où la passion des grands groupes capitalistes pour cette région du monde … d’où les guerres quasi ininterrompues dans la région des grands lacs depuis des décennies … d’où, x millions de victimes civiles invisibles puisque n’ayant, ni  la bonne couleur, ni le bon prénom, ni les bonnes superstitions … (1)

Déjà, la grande boucherie de 14-18 eut lieu grâce au cuivre du Katanga. « Les obus britanniques et américains, à Passendale, Verdun et dans la Somme … avaient des douilles en laiton composé à 75 % de cuivre katangais ».

DVB consacre quelques pages à relater les révoltes et les grèves de mineurs congolais.

La « réforme » impossible.

Les colons avaient essayé de constituer une « élite » congolaise – « les évolués » –  toute dévouée, moyennant quelques avantages matériels bien modestes. Les « écoles » tenues par les jésuites étaient chargées de l’ « éducation » de ces futurs sujets faussement « émancipés ».

« Les mouvements syndicaux étaient muselés, le colonisateur exigeant que des conseillers blancs y participent.  Par conséquent, il y avait toujours un fonctionnaire ou un aumônier  pour regarder par-dessus votre épaule rebelle … comment aurait-on pu se douter de l’imminence d’un bouleversement … ? »

L’ordre colonial, même le plus répressif n’est pourtant pas éternel. Ils croyaient tout contrôler. Jusqu’au championnat de foot qu’un prêtre jésuite avait mis sur pied pour « contrôler » la population et notamment la jeunesse qui leur faisait si peur : « le matin, l’église, l’après-midi, le foot … » et l’ « ordre » et la « stabilité » seraient assurés. Pas si simple !

L’évènement imprévisible.

… jusqu’à un certain 4 janvier 1959 et une altercation banale entre un chauffeur blanc de transport en commun trop arrogant et un voyageur noir qui n’accepte plus ni les leçons de morale, ni les insultes, ni les coups de chicotte (2). Le ton monte ; c’est le début d’une « émeute ». 20 000 spectateurs noirs d’un match de foot sortent du stade pour soutenir le voyageur noir. On passe de l’émeute au début d’une révolution anti coloniale … le foot qui devait contribuer au « maintien de l’ordre » et à la « stabilité » ne joue plus son rôle.

 

Mai 1945 … janvier 1959. Il fallait bien que ça arrive. Une autre page de l’histoire du Congo est ouverte.

Documents :

1 / « les indigènes évolués ». Extrait de recommandations au gouvernement belge en 1959 ; cité par Elikia M’Bokolo dans : « histoire générale de l’Afrique », tome VIII., édité par l’UNESCO.

« Il faut organiser une classe d’indigènes évolués qui se déclareront d’accord avec les idéaux et les principes de notre civilisation occidentale et qui seront, à standing égal nos égaux en droits et devoirs ; moins nombreux que la masse autochtone, mais puissants et influents, ils seront ces alliés qu’il nous est indispensable de trouver auprès des communautés autochtones. Ces classes moyennes seront la bourgeoisie noire qui commence à se développer partout, que nous devons aider à s’enrichir et à s’organiser, et qui, comme tous les bourgeois du monde seront opposés à tout bouleversement aussi bien intérieur que venant de l’extérieur ». C’était trop tard.

2 / Les plans du IIIème Reich. Source : Catherine Coquery-Vidrovich.

 « L’intérêt du IIIème Reich pour l’Afrique avait débuté bien avant la guerre. Vers la fin des années 30, une enquête statistique précise fut entreprise par les industriels allemands et les services du Reich. Les autorités allemandes notaient qu’en 1938, l’Afrique occupait sur le marché mondial, la 1ère place pour le coton, l’arachide et les noix de palme ; le 2ème pour le cacao, le thé, le tabac et la banane et un rang exceptionnel pour sa production minière : diamant, or, cobalt, vanadium, uranium et phosphates. Enfin, l’Afrique possédait 40 % des réserves mondiales en énergie hydraulique. L’Allemagne était sensible au peu de profit que tirait son commerce des richesses africaines … d’où l’idée de concevoir l’économie planifiée d’un grand Empire germanique où l’Afrique était conçue comme la zone d’influence naturelle et historique de l’Europe. ( … ) Par conséquent, ses parties les plus importantes – l’AEF, le Congo belge, le sud ouest africain – devaient être placées de manière directe ou indirecte sous la direction de l’Allemagne ».

Ce que résumait à sa manière directe le Führer lui-même : « Jusqu’à présent, une minorité de 45 millions d’anglais a régné sur 600 millions d’habitants dans l’Empire britannique ».  (Source : Conversation avec Molotov). Place au IIIème Reich … !

3 / Extrait de « histoire générale de l’Afrique », tome VIII par l’UNESCO. La question de l’uranium.

« La Belgique fut envahie et occupée en mai 1940 et sa colonie du Congo devint alors le point focal de son existence indépendante. ( … ) La demande d’approvisionnement adressée par les alliés au Congo belge pour des produits qui leur parvenaient avant de l’Asie du sud-est (sous contrôle du Japon) eut un impact énorme sur la production : étain, caoutchouc, huile de palme, zinc, charbon etc. Les exportations africaines de produits miniers furent indispensables à la victoire finale des alliés ; en particulier, la fabrication de la bombe atomique … dépendait de la fourniture d’uranium par les mines du Congo belge ».

4 /  Le rôle des Eglises. Le travail (forcé) rend libre et joyeux. Source : André Picciola, « missionnaires en Afrique ».

« Que de fois le travail forcé s’effectue au milieu des rires, des danses, sans acrimonie et ressemble aux ébats d’une bande d’enfants, heureux de quitter leurs jeux pour aider à quelques besognes dont ils feraient un jeu nouveau. Le travail a d’ailleurs été nécessaire et s’est présenté le plus souvent avec un caractère d’indispensable urgence dans les pays broussailleux et incultes pour assurer des liaisons et avoir des routes, jeter des ponts, en un mot, faire régner l’ordre et la paix ».

Le leader nationaliste du Kenya, Jomo Kenyatta avait eu la lucidité d’écrire : « Quand les Blancs sont venus, ils avaient la bible et nous les terres. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés. Quand nous les avons ouverts, les Blancs avaient les terres, et nous, la bible ». Les terres … le pétrole, l’uranium, le coltan …

  • En février 1958, F. Mitterrand, partisan d’un néo colonialisme introuvable énumère les « richesses » de l’Afrique : « ( … )  le pétrole, le fer, le manganèse, l’or, le diamant, euh, l’uranium sont déjà découverts dans le sous-sol africain et (qu)’après tout, l’investissement dans un pays fidèle parce que libre est un investissement rentable » (Source archives INA ; déclaration à l’occasion de la parution de son livre : « présence française et abandon », en 1957.
  •  
  • Une anecdote qui n’est pas sans rappeler l’histoire de Rosa Parks, jeune femme noire qui refuse en 1955 de laisser sa place dans un bus, à un voyageur blanc. Cette affaire parfaitement banale aux EU de l’apartheid, aurait pu n’avoir aucune conséquence. Et pourtant …

JM  mai 2023

chaud ! chaud ! chaud !

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