9 / 06 / 2023
Sophie Liédot
La colère demeure intacte contre la réforme des retraites. Pour la quatorzième journée nationale d’action exigeant son retrait, plus de 900.000 manifestants ont défilé le 6 juin sur tout le territoire, à l’appel de toutes les organisations syndicales et de jeunesse. Cinq mois après le lancement de la mobilisation, celle-ci reste d’un niveau élevé, toujours forte du soutien de 66 % des Français. Alors que l’Elysée tente de siffler la fin de partie, en proposant une réunion multilatérale mi-juin, FO est la première organisation à avoir officialisé son refus de participer à cette opération de communication. La prochaine réunion de l’intersyndicale est prévue le 15 juin.
Une nouvelle fois, la motivation des travailleurs à s’opposer à la réforme des retraites imposée par l’exécutif n’a fait aucun doute mardi 6 juin. En cette quatorzième journée d’actions interprofessionnelles à l’appel de l’intersyndicale toujours unie, plus de 900.000 personnes sont descendues dans la rue pour rejoindre les 250 cortèges organisés sur tout le territoire, dans de grandes villes comme de petites. Après cinq mois de mobilisation acharnée, entrecoupés de manifestations, de grèves, d’actions de blocage, de tenues d’AG, ce niveau toujours élevé de participation donne le vertige. Même s’il est en retrait comparé au record atteint le 7 mars, sixième journée d’actions. Ce qui est logique, quand l’inflation, la flambée des prix alimentaires (+14% en un an), prennent les travailleurs à la gorge.
Et pourtant : 300.000 manifestants à Paris, 50.000 à Toulouse et Marseille, 30.000 à Bordeaux, 27.000 à Lyon, 20.000 à Nantes, 15.000 à Caen, 10.000 à Grenoble, Rouen, Rennes, Clermont-Ferrand ou au Havre. Et encore 9.000 à Montpellier, 7.000 à Toulon, 6.000 à Dijon, 5.000 à Béziers comme à Angoulême, 4.000 au Puy-en-Velay, toujours 2.000 à Bagnols-sur-Cèze… Remontés des unions départementales FO, les chiffres témoignent de la profondeur du mouvement, depuis janvier, et de la crise ouverte par cette obstination de l’exécutif à user de tous les artifices constitutionnels pour imposer son projet injuste et infondé. Après avoir fait adopter la loi le 16 mars par un 49.3, à l’issue de débats parlementaires mis à mal par l’utilisation en cascade d’articles constitutionnels les cadenassant, le gouvernement a tout tenté pour empêcher le vote de la proposition de loi (PPL) visant l’abrogation partielle de sa réforme. Le 8 juin au matin, le groupe à l’initiative de cette proposition de loi, a décidé de la retirer.
Le 6 juin, à Nantes
Avant même son examen à l’Assemblée, programmé le 8 juin, la PPL avait été vidée de sa substance et la présidente de l’Assemblée avait prévenu qu’elle déclarerait irrecevables les amendements tentant de rétablissement l’article 1, supprimé. Au risque d’approfondir la crise. Histoire de bien enfoncer le clou, les premiers décrets d’application de la loi ont été publiés dimanche 4 juin. Avec l’objectif de l’entrée en vigueur au 1er septembre 2023 du recul de deux ans, à 64 ans, de l’âge légal de départ, l’accélération du calendrier pour l’allongement de la durée de cotisation, la fin des régimes spéciaux…
Le 6 juin, à Paris, en amont de la manifestation, le secrétaire général de la Confédération, Frédéric Souillot soulignait au cours d’un point presse : « Si la proposition de loi n’est pas votée, on sera de nouveau dans un déni de démocratie ! Il n’y aura eu aucun vote sur une réforme aussi fondamentale. Cela confirmera juste que le Parlement est une chambre d’enregistrement ». L’intersyndicale avait donné rendez-vous aux journalistes, devant l’Assemblée nationale, deux heures avant le départ du cortège, de l’esplanade des Invalides, quelques centaines de mètres plus loin, en direction de la place d’Italie. Manière de souligner le soutien des organisations syndicales à la proposition de loi.
Et c’est dans ce contexte de contestation qui perdure sur les retraites que FO a été la première organisation à rendre publique son refus de participer à la rencontre multilatérale (avec patronat et syndicats) proposée mi-juin par l’Elysée, qui aimerait bien siffler la fin de partie. La Confédération ne participera pas à cette opération de communication. Cela a été acté en bureau confédéral. Y aller pour quoi ? Pour s’entendre dire qu’il faut discuter, ou négocier, tous les sujets qu’on avait mis sur la table dès octobre 2022 et que l’exécutif a balayé d’un revers de la main ? C’est non. FO n’ira pas écouter la messe à l’Elysée, a expliqué Frédéric Souillot. A moins d’un retrait de la réforme, qu’elle continue d’exiger.
A tout ceux qui anticipaient la fin du mouvement à l’issue de cette quatorzième journée, le secrétaire général n’a fait qu’une réponse : « FO ne tourne pas la page sur la réforme des retraites ! Nous restons mobilisés et déterminés ».
L’intersyndicale a annoncé qu’elle se réunirait le 15 juin, pour décider des suites à donner au mouvement. Lequel, selon le dernier sondage (Harris Interactive), reste fort du soutien inchangé de 66 % des Français. En attendant, FO a commencé à traquer les failles juridiques dans les premiers décrets publiés.
Le 6 juin, dans le cortège parisien, les travailleurs exprimaient tous leur détermination à poursuivre. « Tant qu’il y a un espoir de gagner, on va poursuivre le mouvement. On le fait pour nous mais aussi pour nos enfants », expliquait ainsi Salman, militant FO à la RATP secteur bus depuis 27 ans. A ses côtés, Hicham, un camarade conducteur de XPO Logistics, spécialement venu du Loiret pour manifester dans la capitale, appuyait : « Si on laisse passer la réforme des retraites. D’autres suivront, qui feront encore plus mal ».
Comme à chaque fois depuis la toute première journée nationale interprofessionnelle, le 19 janvier, une vingtaine d’artistes et personnels administratifs des théâtres se sont tenus pour manifester derrière la banderole blanche brandie par le SNLA-FO (syndicat national libre des artistes). « On se relaie pour assurer une présence constante dans les manifestations. Et on ne lâchera pas, même si les premiers décrets d’application de la réforme sont parus » !, martelait Franck Guilbert, secrétaire général. Et de fustiger une réforme qui va plonger dans la misère des milliers d’intermittents du spectacle, notamment. N’étant plus indemnisés par Pôle emploi à leur 62e anniversaire et ne pouvant bénéficier de leur retraite, du fait de trimestres marquants, ils vont se retrouver au RSA suite au report à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits et le passage de 172 à 176 du nombre de trimestres pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Plus loin, dans les rangs des énergéticiens FO, Maxime Allibert, secrétaire général du CMCAS de Valence annonçait en direct la grève lancée par FO à la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme), dans le cadre d’une intersyndicale, La tranche 2 est désormais à la main des grévistes qui empêchent la tenue des travaux de maintenance. C’est déjà le cas, sur un autre réacteur, à la centrale de Cruas (Ardèche) depuis le 19 mai. A la centrale de Gravelines (Nord), où FO est majoritaire, le mouvement a été suspendu début mai, après 65 jours de grèves…
La combativité à s’opposer à la réforme des retraites, était tout autant lisible dans les cortèges en province. Ainsi à Bagnols-sur-Cèze (Gard), où le cortège a réuni 2.000 personnes. « Pour une ville de 18.000 habitants, cela reste beaucoup. Pour la précédente réforme, en 2019, nous étions 800 au plus fort. Beaucoup de manifestants viennent des villages alentours », précisait Louise Moulas, secrétaire générale de l’Union locale, pour qui « l’opposition à la réforme est intacte. Je n’ai entendu personne dire : c’est foutu, on a perdu ! Les gens disent plutôt que l’exécutif : a sorti les décrets, bon, et alors » ?.
On est très loin du baroud d’honneur, confirmait Xavier Boiston, secrétaire général de l’UD du Rhône. A Lyon, 27.000 manifestants ont défilé le 6 juin au matin, dont beaucoup de salariés du secteur privé – qui ont fait grève pour la journée – et un cortège jeune assez important.
A Marseille, 50.000 manifestants sont partis du Vieux-Port, pour rejoindre la Porte d’Aix. Des énergéticiens, des agents hospitaliers, des agents territoriaux et aussi beaucoup de salariés du privés, issus de la métallurgie comme de petites entreprises. Les enseignants étaient moins présents qu’habituellement, beaucoup étant au congrès de leur fédération qui se déroule à Angers jusqu’au 9 juin. « Certains se sont vus retirés plusieurs jours de grève, d’un seul coup, de leur fiche de paie de mai. Pour certains, c’est 550 euros en moins ce mois-ci. Ce coup de massue était dissuasif pour faire à nouveau grève », expliquait Franck Bergamini, secrétaire général de l’UD FO des Bouches-du-Rhône. « Même si la fatigue est là au bout de plusieurs mois, la détermination est intacte. Les manifestants veulent le retrait de cette réforme. Chez les militants, il y a un mélange de colère et de déception. Ils vivent très mal qu’on leur vole deux ans de leur vie mais aussi que la réforme soit imposée par le gouvernement, sans aucun vote à l’Assemblée » !.
A Brest (Finistère), 13 000 manifestants ce 6 juin ont défilé. Des chiffres qui restent très honorables pour Catherine Créach, secrétaire générale de l’UD FO, qui pointe une jeunesse toujours très mobilisée. Après six mois de mobilisation, les gens ne décolèrent toujours pas contre cette réforme des retraites