>Histoire

21 / 12 / 2020

Albert Camus.

Note de lecture : « Camus militant communiste, Alger, 1935-1937 » de Christian Phéline et Agnès Spiquel-Courdille. (360 pages, février 2017, paru chez Gallimard).

L’ouvrage revient sur un épisode important de la vie du grand écrivain. Camus a adhéré au Parti communiste Algérien. L’expérience fut de courte durée.

L’adhésion.

Le 21 août 1935, il écrit à Jean Grenier, son ancien professeur de philosophie : « Vous avez raison quand vous me conseillez de m’inscrire au parti communiste. ( … ) Il me semble que les outrances du communisme reposent sur un certain nombre de malentendus qui peuvent être répudiés sans dommage … dans tous les cas je vous promets de rester clairvoyant ». Parole tenue.

Le 18 septembre 1951, il tire ce bilan :

« Laissez-moi vous dire comment j’ai quitté ce parti. ( … ) On m’avait chargé de recruter des militants arabes … je l’ai fait et ses militants arabes sont devenus mes camarades, dont j’admirais la tenue et la loyauté. Le tournant de 36 est venu. Ces militants ont été poursuivis et emprisonnés, leur organisation (le PPA) dissoute, au nom d’une politique approuvée et encouragée par le PC. Quelques-uns, qui avaient échappé aux recherches, sont venus me demander si je laisserais faire cette infamie sans rien dire. »

Le contexte.

Le 2 mai 1935, c’est la signature du pacte dit, Laval-Staline, d’assistance mutuelle. Conséquence, le PCF endosse la politique de défense nationale du gouvernement français ; le PCF abandonne la politique dite « classe contre classe » qui désignait la  social-démocratie et les syndicats « réformistes » comme l’adversaire principal. Cette politique de division forcenée des rangs ouvriers s’appliquait, sur ordre du Kremlin à toutes les sections. En Allemagne, elle a ouvert un boulevard aux menées liberticides des nationaux-socialistes. Les militants du parti communistes allemand en seront les premières victimes.

Le tournant se  concrétise par le soutien aux formules de « Fronts populaires » avec, pour ce qui concerne la France, l’alliance avec le Parti radical, (1) parti phare représentant de l’impérialisme français, hostile, viscéralement, à l’indépendance de « nos » colonies.

Albert Camus. (1913-1960). « A la rentrée de 1935, Camus porté par son goût de la justice, adhère à ce qui deviendra l’année suivante le Parti communiste d’Algérie et s’attache à la création d’une Maison de la Culture et du Théâtre du Travail. L’expérience où il s’était promis de garder les yeux ouverts ne dépasse pas deux ans. Elle inspirera durablement les préventions de l’écrivain à l’égard de toutes formes de stalinisme ». (Les auteurs).

Les militants arabes regroupés avec Messali Hadj au PPA-MTLD se battent, eux, pour l’indépendance de l’Algérie. En métropole, ils militent à la CGT aux côtés des syndicalistes français.

L’Etoile-Nord-Africaine adhère au Front populaire. Il y a des illusions. Dans un premier temps, Camus soutient le projet Blum-Violette qui aurait accordé s’il avait vu le jour à 24 000 algériens « évolués » des droits de citoyens français, tous les autres algériens étant condamnés à rester de simples sujets, sans droits, sans dignité …

 Le gouvernement de Front populaire réprime les militants indépendantistes. « Messali et ses principaux seconds sont arrêtés à Alger le 27 août 1937 et incarcérés ». Une  infamie.

Le ministre de l’intérieur, Max Dormoy, publie un décret qui qualifie l’Etoile-Nord-Africaine (ENA, devenue PPA)  « d’organisation séparatiste dirigée contre la France ». (Page 193).

Le PCF assimile le PPA au PPF du pro nazi, Jacques Doriot, ancien dirigeant du PCF.

Les auteurs notent (page 39) : « Le soutien tacite que le jeune Parti communiste algérien (PCA : très peu d’algériens son adhérents de ce parti) apporte aux mesures répressives contre l’ENA puis contre le PPA qui lui succède précipitera en définitive un spectaculaire renversement des rapports de force au bénéfice du courant messaliste à partir du scrutin départemental d’octobre 1937 ».

Ce PCA est, pour une bonne part, une fiction. Il dépend complètement du parti-frère, le PCF. Ses dirigeants doivent exécuter les consignes venues de la métropole et appliquer la ligne, sans dévier.

La ligne du PCF, Thorez la résume on ne peut plus clairement en février 1939 dans sa thèse sur l’Algérie, « nation en formation ». Il proclame : « l’intérêt du peuple d’Algérie est d’être uni autour de la démocratie française ». 

Le PCF se pose en premier défenseur de l’intégrité de l’ « Empire ». Il parle de « paix » en Algérie, jamais d’indépendance.

Dans ce contexte à hauts risques pour les militants loyaux, Camus milite pourtant activement. C’est un instituteur membre du PCF, Gaston Donnat, militant « orthodoxe », plein de « foi », comme il l’écrit lui-même, qui raconte dans ses mémoires (« afin que nul n’oublie », page 58) : « J’ai gardé le souvenir d’un des orateurs algérois qu’il me fut donné de présenter au public. Il s’agissait d’Albert Camus : silhouette mince, l’air  fatigué, malade (Camus était tuberculeux) ; avec son long manteau pendant, élimé, nous étions en hiver, tout, en lui, marquait une vie matérielle frisant la misère. Conversation bien sûr très intéressante, mais je le trouvais trop insuffisamment optimiste, et pas assez réaliste ».

Camus n’est pas adepte du « réalisme socialiste », résolument « optimiste » en vogue au Kremlin.

L’ « épuration ». 

Un rapport d’un dirigeant stalinien, un certain Lozeray daté du 30 octobre 1937 « met en garde surtout contre la présence au sein des militants, (du PCA) d’un courant trotskiste qui se retrouve avec les anarchistes espagnols, avec les gens du POUM, avec les espions fascistes ». Il fallait donc « procéder à quelques épurations d’agents provocateurs trotskistes, tel Camus dirigeant de la maison de la Culture … »

L’Humanité approuve l’arrestation «de militants trotskystes, auxiliaires du fascisme … » 

Au même moment, la police politique du Kremlin traque en Espagne les militants ouvriers, militants syndicalistes ou/et politiques qui résistent à la chape de plomb du stalinisme (2).

A Moscou, les grands procès en sorcellerie se succèdent. Rares sont les intellectuels qui n’acceptent pas.

Camus est de ceux-là. Les auteurs notent ces propos d’un proche de l’écrivain : « J’étais alors assez proche de Camus pour me souvenir que le conflit qui a abouti à son exclusion reposait essentiellement sur la dénonciation à la police de certains militants du PPA de Messali ». (Page 192).

Ainsi, certains militants du PCA sont conduits à se comporter en vulgaires employés de l’ordre colonial.

Un journal pro colons au titre évocateur, « l’Afrique française » résume les enjeux :

« Le PPA n’avait pas interrompu sa néfaste activité. Il avait continué à mener sa dangereuse propagande … le PC ne l’entendit point ainsi, et, ayant recours à son accusation habituelle de « trotskistes » (l’Humanité du 29 août), il fit le nécessaire où il fallait (« très haut », assurent tous les quotidiens locaux) et, sur un ordre arrivé de Paris, le 27 août, M. Messali Hadj et cinq de ses collaborateurs étaient arrêtés à Alger sous l’accusation de : reconstitution de ligue dissoute et de provocations d’indigènes à des désordres et à des manifestations contre la souveraineté française en Algérie ». (Page 195).

L’ordre colonial règne, mais Camus a refusé de se soumettre.

Les auteurs notent, page 212, ces propos d’un proche de Camus :

 « Depuis sa rupture avec le PCA, les sympathies de Camus allaient aux libertaires, aux objecteurs de conscience, aux syndicalistes à la Pelloutier, bref, à tous les réfractaires ».

Camus, l’homme qui a  dit NON à la répression des militants indépendantistes, mérite d’être mieux connu.

Le livre de Phéline et Spiquel-Courdille y contribue.

(1) « Camus était contre la participation du Parti radical au Front populaire, parce que le Parti radical était le parti de la grosse colonisation ». (Page 231).

(2)  Voir à ce sujet : Orwell, « hommage à la Catalogne ».



JM.   21 Décembre 2020

 

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