4 / 05 / 2025
Guerre sociale, guerre des classes et guerres coloniales (17).
Première partie.
Pour tenter d’échapper à la débâcle politique, le roi Charles X multiplie les provocations guerrières ; il veut l’union nationale. De provocations en provocations, il y aura l’interminable guerre de conquête coloniale de l’Algérie. Selon les estimations, de 500 000 à 800 000 algériens y ont laissé la vie, ceci pour la seule période qu’étudie Alain Ruscio, celle de 1830 à 1852.
Alain Ruscio : « La 1ère guerre d’Algérie, une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852 » (700 pages).
L’auteur prévient : « Ce livre se veut d’abord une synthèse des précieux témoignages publiés à l’époque et au cours des décennies qui ont suivi, puis, évidemment de l’énorme matériau accumulé par plusieurs générations de chercheurs auquel il avouera souvent sa dette. ( … ) Ignorant l’arabe il n’a pu consulter la bibliographie algérienne dans cette langue. D’où, très probablement des approximations, sans doute des erreurs. Et un regard plus centré sur le versant français de cette histoire que sur la vision algérienne. C’est pourquoi nous avons sous-titré notre essai : une histoire et non l’histoire ».
Pour qui veut comprendre la suite des évènements et les 132 ans de colonisation, il s’agit d’un document de travail indispensable. Il faut aussi se référer à l’étude de Jacques Frémeaux, « la dernière campagne d’Abd el-Kader ». Et il y en a bien d’autres …
La guerre d’Algérie ne commence pas en novembre 1954 mais le 14 juin 1830.
Après les massacres du constantinois de mai 1945, (gaullistes, « socialistes » SFIO et « communistes » PCF tous complices), comment ne pas comprendre que la guerre de libération nationale aura bien lieu ?
La résistance à l’envahisseur a débuté en Algérie le 1er jour de la conquête.
Cette note revient brièvement sur le sort du roi Charles X et de son régime corrompu, rejeté par la majorité (cf, « les trois glorieuses »), une monarchie des « copains et des coquins », des cyniques et des corrompus, déjà.
L’imprudent avait joué avec la dissolution de la Chambre … mal lui en a pris.
Les nostalgiques pluriels de « l’Algérie française » n’y trouveront pas leur compte.
Depuis bien longtemps l’Algérie suscite des convoitises et surtout des haines, tenaces …
Quelques points de repère.
Avant la conquête : Au XVIème siècle, l’Algérie – qui ne s’appelle pas encore l’Algérie – est une province de l’empire Ottoman. En 1830, la population est estimée à : entre trois et quatre millions d’habitants. L’énorme majorité est constituée de ruraux montagnards. Alger n’a que 30 000 habitants. Dans les régions de nomades ou semi nomades, le système économique dominant est celui de la propriété collective. Les colonialistes en tireront la conclusion qu’en l’absence de propriété privée individuelle, les colons ont le droit – voire le devoir – de s’emparer des terres, les meilleures, et d’en chasser leurs occupants.
1541 : Ruscio rappelle : « Alger, repère inexpugnable, lieu d’échec systématique des assauts européens … Charles Quint (1500-1558) n’avait-il pas échoué, malgré la formidable armée – 24 000 hommes venus d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie, de Malte, dont les chevaliers de la foi – qui avaient traversé la Méditerranée en 1541 ? » Il s’attaque aussi à Tunis comme l’avait fait Louis IX (qui se fait appeler « Saint-Louis ») presque trois siècles plus tôt. Il s’agissait de convertir les « barbares », par la force ; et surtout, de s’emparer de leurs richesses. Ce fut un fiasco, déjà.
Notons que le très chrétien roi de France, François 1er avait passé une alliance militaire avec Soliman le Magnifique qui régnait sur l’empire Ottoman : « Au cours de l’histoire, la France n’a pas toujours été en guerre contre l’islam … » note à juste titre le site Orient XXI ; Il s’agissait de contenir l’extension de l’Empire de Charles Quint, le tout aussi pieux que François 1er. « La question est plus politique que religieuse » … comme souvent. L’Orient XXI indique : « c’est ce qui permit aux troupes françaises d’échapper au désastre humiliant de l’expédition d’Alger en 1541 ».
Juillet-août 1683 : sur ordre de Louis XIV, et « pour la 1ère fois dans l’histoire, une ville fut bombardée à partir d’une flotte basée au large … les galiotes à fond plat pouvaient lancer des bombes de 200 livres bourrées d’explosifs » ce qui provoque l’enchantement de l’évêque Bossuet et de beaucoup d’autres (1). Jusque dans les années 1970, dans les livres d’histoire destinés aux écoliers de cours élémentaire, (7 et 8 ans), on lit ceci : « Louis XIV travaille beaucoup. Il s’applique à bien faire son métier de roi » ; même quand il pourchasse les huguenots.
1775 : « La monarchie espagnole avait lancé contre Alger une nouvelle expédition, 20 000 hommes, 300 navires … » expédition qui se solda par un échec retentissant.
Napoléon Bonaparte : « Comment poursuivre le combat contre la perfide Albion (l’Angleterre) ? … Alger pouvait fort bien être pour les Français ce que Gibraltar était pour leurs ennemis … » Un consul à Alger, André Jeanbon Saint-André, voulait en découdre, expédier 30 000 hommes, « frapper droit au cœur » pour « mettre fin à l’insolence des Algériens ». La propagande anti algérienne était déjà d’une violence et d’une bêtise absolues.
1808 : un projet de débarquement à Alger est soumis à l’approbation de l’empereur.
Napoléon est « dégagé » (2) avant d’avoir mis son plan de conquête à exécution.
Février 1827 : les plans de guerre se précisent. C’est le nonce apostolique de Paris, Mgr Luigi Lambruschini – une sorte de vice-ministre de la Guerre – qui explique dans un rapport destiné au Vatican :
« Je crois pouvoir affirmer à votre Eminence (le pape) que sa Majesté très chrétienne (Charles X) fera partir de ses ports, au printemps prochain, une nombreuse flotte armée pour la guerre contre Alger. ( … ) Ces mesures vigoureuses et l’annonce anticipée que j’en fais exigent un secret absolu de sorte que rien ne transpire et que le Dey (le gouverneur d’Alger) ne puisse entreprendre des préparatifs de défense ».
A l’époque, le consul de France à Alger représentait aussi les intérêts du Vatican.
La propagande belliciste ne faiblissait pas, bien au contraire. On était à la recherche de prétextes, même les plus ridicules – ce fut l’ « affaire » de l’éventail – pour déclencher la guerre sainte et surtout, ouvrir de nouvelles perspectives à un « business » à la recherche de nouveaux marchés ; on parlait encore de commerce.
Certes, il n’était pas encore question de baisser toujours plus les « charges » des « employeurs », ni de « baisser le coût du travail ». Pourtant, déjà, même le général Clauzel s’intéressait à ces questions : « La main-d’œuvre arabe ne coûte rien alors qu’en Amérique, un nègre coûte 5000 francs ».
3 décembre 1831 : quelques semaines seulement après la reddition du Dey et en violation des engagements pris solennellement, le général Clauzel signe un arrêté incorporant au domaine public : « toutes les maisons, magasins, boutiques, jardins, terrains, locaux, établissements quelconques … »
Le pillage devient légal. L’appât du gain, toujours.
Excédé par l’arrogance et la stupidité de l’envoyé du roi Charles, le Dey d’Alger, (placé sous tutelle de l’Empire Ottoman), lui chatouille le museau avec son éventail. A Paris, les « élites » sont prises de folie guerrière. Il faut laver l’affront, accélérer les préparatifs de guerre, à tout prix. C’est l’économie de guerre.
C’est aussi et surtout le moyen d’éloigner, de se débarrasser même, de centaines de milliers de gueux, de la populace qui, en terre chrétienne, menacent l’ « ordre », la « stabilité » et les traditions éternelles.
Adolphe Thiers résumait bien le point de vue des « civilisateurs », le 10 juillet 1830 : « Alger doit être effacé comme Etat de la carte de l’Europe … une colonie française doit s’élever sur la côte d’Afrique … toute la chrétienté est prête à reconnaître nos services, une seule puissance exceptée » (l’Angleterre, toujours, la perfide Albion).
On ne parlait pas encore d’établir une riviera sur les lieux des charniers.
Le ministre de la Guerre (on ne disait pas encore, de la défense), le marquis Gaspard de Clermont-Tonnerre était chargé d’exalter les vertus patriotiques et de faire peur : « Il n’y a pas de sécurité avec le gouvernement d’Alger sans sa destruction entière ».
De 1830 à 1852, un million de soldats, compte tenu des rotations, la plupart tirés au sort, vont participer à la conquête. Ce sont les pauvres qui ne peuvent pas monnayer leur exemption.
La résistance à l’embrigadement est bien réelle. « Il fallait parfois des gendarmes à pied et à cheval pour les mener … » Cette résistance-là reste à décrire, plus précisément.
Hécatombe.
100 000 n’en reviendront pas. Les soldats du roi sont morts de maladies (choléra, paludisme, typhus, … gangrène …), les rares « médecins » qui accompagnent les conquérants pratiquent la diète et la saignée. C’est l’ordre barbare, l’obscurantisme, jusqu’au bout. La mortalité est effrayante, causée aussi par l’excès de consommation d’absinthe qui coule à flot. Pour mener les troupes au combat, il y avait ce miracle de l’absinthe « chargée de 70 degrés d’alcool ». Flaubert avait pu écrire : « l’absinthe a tué plus de soldats que les Bédouins ».
C’était pour le pouvoir dictatorial une façon radicale de neutraliser et de se débarrasser des classes exploitées, des classes dangereuses, des classes qui peuvent s’organiser et « dégager » les régimes autocratiques.
10 juillet 1830 : « Charles X fit annoncer la prise d’Alger par un message aux évêques de France, destiné à être lu dans les églises du royaume, attribuant la victoire (militaire) à la protection divine : « le ciel a béni nos armes, la justice, la religion, l’humanité triomphent, Alger est tombé ! Grâces immortelles en soit rendu au Tout-Puissant qui a couronné, par cette éclatante victoire notre glorieuse expédition d’Afrique » (3).
Bien avant Huntington, c’était déjà le Bien contre le Mal.
Union sacrée ? ça ne marche pas.
Charles X rêvait d’union sacrée autour de ses projets de conquêtes. Mais on en est loin. « Seuls les milieux d’affaires de Provence traditionnellement attachés à une emprise française sur la rive opposée de la Méditerranée se montrèrent enthousiastes. La Chambre de commerce vota une adresse de félicitations au roi ». Le peuple dans son immense majorité était tenu dans l’ignorance complète des évènements. Le peuple avait un souci immédiat : survivre.
D’après certains spécialistes, l’espérance moyenne de vie en France était alors de 38 ans. Les hommes devaient accorder 7 ans de leur courte vie à l’armée. On ne retrouve rien de précis concernant le sort des femmes qui, dans cette société bourgeoise en formation, chrétienne, bien pensante jusqu’au bout des ongles, n’existaient pas vraiment.
Juillet 1830 : représentation de l’entrée triomphale des troupes d’occupation à Alger.
132 ans de colonisation et de résistance presque ininterrompue.
Pourtant, tout fut mis en œuvre pour convaincre l’ « opinion » du bien fondé de l’expédition guerrière.
Les 36 000 hommes de troupes (dans un 1er temps, puis, plus de 100 000 !) étaient accompagnés de « mémorialistes » chargés d’écrire la gloire de nos exploits guerriers. Des peintres furent réquisitionnés pour chanter les louanges de « nos soldats » ; mais Il ne fallait ne rien dire des épidémies de dysenterie … et des cadavres des pauvres types laissés sans soins qui s’amoncelaient.
Les aumôniers militaires devaient s’assurer de la bonne santé des « âmes » des guerriers francs.
« Des observateurs étrangers de haut rang furent invités ».
Sans oublier les prostituées (et la syphilis) sans doute chargées de convaincre les derniers musulmans « fanatiques » de la supériorité de notre civilisation et de notre goût pour « le travail ».
Un tout premier « business », modeste encore.
« Un commerçant astucieux, un certain Hennequin, avait fait venir de sa ville, Nantes, sans doute le premier restaurant français en terre algérienne … caisses de foie gras, de champagne, et d’autres marchandises de luxe », ceci pour les chefs.
Mais, « un phénomène marqua pourtant énormément les esprits des soldats : lorsque certains d’entre eux s’aventuraient ou s’isolaient, ils étaient impitoyablement tués, décapités et mutilés ».
Parmi les gens informés, tous ne partageaient pas l’optimisme royal. Le baron Jean Chrysostôme de Lacuée-Saint Just qui savait compter, était de ceux-là : « L’orgueil de posséder Alger et de faire planer le coq gaulois sur les côtes de l’Afrique coûtera tous les ans quarante millions. ( … ) Alger ne nous offre aucune espèce d’avantage et le seul parti que nous ayons à prendre, c’est de l’abandonner promptement ». Et voilà un baron « anti français » ! Etonnant, non ?
La révolution menace l’ORDRE et la STABILITE.
Alain Ruscio explique : « Pour une opinion très largement hostile à une réaction ultra, la prise d’Alger ne devait pas être l’occasion d’un regain de popularité pour un régime vermoulu … le régime était à bout de souffle ».
L’expédition coloniale, loin de provoquer un réflexe patriotique contribua à saper un peu plus les bases d’un régime qui alliait provocations permanentes contre le peuple et gestes grotesques. Ainsi, le roi avait rétabli la cérémonie dite du « toucher royal » que la Révolution de 1789 avait interrompue.
Une cérémonie qui devait bien faire rire en dehors de nos frontières. Selon le site « vive le Roy, unir le peuple de France dans l’amour du roi », le bon Charles « touchait aussi les religieuses pour les préserver de la contagion ». On saura tout.
Site ici : https://viveleroy.net/ceremonie-du-toucher-des-ecrouelles-par-charles-x/
Deuxième partie :
Une seconde dissolution ? Chiche !
Le roi Charles est dégagé, pas dans les urnes mais par la révolution : Les trois glorieuses.
Les classes exploitées doivent s’organiser.
La 1ère internationale.
Les bombes fournies aux sionistes par nos « amis américains » pèsent 900 kg. Le progrès.
Le plus grand criminel de guerre de l’époque, Bugeaud, a écrit le 6 août 1845 : « Mon armée ? La plus douce qui ait jamais existé ». Une affirmation qui rappelle forcément celle des sionistes d‘aujourd’hui : « Tsahal ? L’armée la plus morale du monde ».
Dégagisme ? Le Larousse indique : « Attitude d’insoumission et de rejet prônant l’éviction par la voie des urnes ou la révolte des détenteurs du pouvoir ».
Pour ceux que le soutien inconditionnel de l’Eglise catholique aux exactions et politiques coloniales pourraient encore surprendre, rappelons ces propos de PIE IX, tenus en 1866, 18 ans après la seconde abolition de l’esclavage :
« L’esclavage en lui-même, n’est dans sa nature essentielle pas du tout contraire au droit naturel et divin et il peut y avoir plusieurs raisons justes d’esclavage ».
J.M 4-05-2025.