>Histoire

18 / 05 / 2024

Le joli mois de mai. Les syndicats et la guerre (9). La guerre au Cameroun . Première partie.

Des décennies de pillage.

« ( … ) Le très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle … ce qu’il ne pardonne pas (au national-socialisme), c’est … d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique » (Aimé Césaire, discours sur le colonialisme, 1950).

Mai 1945 au Cameroun. Pourquoi s’y intéresser aujourd’hui ?

Des militants syndicalistes CGT (la CGT était alors réunifiée suite aux accords du Perreux de 1943) ont tenté dans des conditions périlleuses d’organiser la résistance aux plans de guerre sociale de l’impérialisme français au Cameroun. Leur action courageuse a été largement occultée. Ce n’est pas un hasard.

Le Cameroun est alors placé sous contrôle de la France, la France impériale. Le 8 mai, en métropole, on fête la victoire. Mais au Cameroun, c’est le début d’une autre interminable guerre qui aboutira quinze ans plus tard après une guerre dévastatrice de plus de dix ans, à l’indépendance du Cameroun, une indépendance très relative, bien éloignée d’une souveraineté véritable.

Cette histoire de la « France » (1) et du Cameroun reste un sujet tabou. Ce serait déjà une raison suffisante pour s’y intéresser.

Une seconde raison, ce sont les massacres de mai 1945 dans le constantinois qui annoncent l’inéluctabilité de la guerre d’Algérie. Les Gaullistes et les partis dits de « gauche » organisent ensemble les massacres coloniaux. Tels sont les faits. Ceux-là sont désormais portés sur la place publique. Et c’est tant mieux. Ce n’est pas encore le cas pour le Cameroun (2).

Les camarades Bergeron et Bothereau en plein accord avec l’UD CGT-FO de Loire-Atlantique avaient mené le combat pour que notre confédération, conformément à toutes les bonnes traditions de la « vieille » CGT – avant qu’elle ne soit colonisée par les staliniens – adopte une position nette de rejet de la guerre. Peut-être seraient-ils accusés aujourd’hui par les chiens de garde du colonialisme de faire l’apologie du « terrorisme » ?

Pour faire simple, disons simplement qu’il ne leur serait pas venu à l’idée de prétendre :

cette question de la guerre ne nous concerne pas. Nous sommes syndicalistes donc, nous ne faisons pas de politique. Donc, nous ne prenons pas position pour ne pas contrevenir aux principes d’indépendance qui sont les nôtres.

Robert Bothereau.

Bien au contraire, nos camarades savaient que ne pas prendre position, c’était apporter un appui politique décisif aux bellicistes et colonialistes divers. Ils n’ont pas cédé à cette tentation mortifère pour le syndicalisme libre et indépendant. C’est pour cette raison, (parmi bien d’autres) qu’ils méritent tout notre respect.

Il n’était pourtant pas question à l’époque de la guerre du Cameroun. Pourquoi ? Peut-être parce que les guerres coloniales d’Indochine  et d’Afrique du Nord (3) (sans oublier les massacres coloniaux à Madagascar … ) concentraient toute l’attention de médias intéressés à occulter autant que possible certaines des réalités gênantes.

L’historien Patrick Pesnot a raison d’écrire :

« Une guerre (ou des guerres) peut en cacher une autre (ou plusieurs autres). Il s’agit (au Cameroun) d’une des pages les plus noires de l’histoire coloniale de notre pays et de la Françafrique. Mais une page quasi inconnue … »

Parmi les ouvrages consultés :

Léon Kaptue : Cameroun, travail et main-d’œuvre au Cameroun sous le régime français. 1916-1952.

Jean Suret-Canale : Afrique noire, l’ère coloniale. 1900-1945.

Mongo Beti : main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation. (Ouvrage longtemps interdits en France).

Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa : Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971.

Gaston Donnat : Algérie, Afrique, Cameroun : afin que nul n’oublie.

Théodore Atebayene : Cameroun, mémoire d’un colonisé.

Patrick Pesnot : Les dessous de la Françafrique.

Claude Liauzu : histoire de l’anti colonialisme.

Elikia M’Bokolo : L’Afrique au XXème siècle, le continent convoité.

Thomas Borrel … : l’Empire qui ne veut pas mourir : une histoire de la Françafrique.

Et les articles et travaux de l’universitaire camerounais Jacob Tatsitsa, enseignant au Canada.

Quelques points de repères chronologiques.

1884-1916 : Le Cameroun est occupé par l’Allemagne impérialiste.

Juillet 1922 : La France et la Grande-Bretagne obtiennent de la SDN le mandat B sur le Cameroun. « Le mandat B faisait obligation à la puissance de tutelle de promouvoir le bien-être des « indigènes », d’assurer la liberté de conscience, de religion et (surtout) du commerce ». (M’Bokolo …)

La répression seule ne suffit pas à assurer ordre colonial et « stabilité ». Le ministre des colonies Albert Sarraut déclare : Il faut « dégager et dresser les élites de collaborateurs » (les « indigènes »), collaborateurs dressés à servir les intérêts des sociétés qui s’implanteront au Cameroun. « Dresser … »

1923 : Albert Sarraut écrit : « Pour réparer les ruines et les ravages (de la guerre) la patrie peut y puiser des moyens, en quelque sorte illimités … Chaque jour plus nombreux, les financiers, les industriels, les commerçants se sont tournés avec intérêt après l’armistice vers ces champ nouveaux, longtemps ignorés d’eux … »

1923 : Instauration au Cameroun du « livret de travail ». Aucun « indigène » ne devra échapper au travail forcé.

6 mai 1924 : Pour échapper au travail forcé, les camerounais fuient les zones minières et les plantations tenues par les européens. Un décret portant répression est publié qui explique : « Sont considérés comme vagabonds au Cameroun et punis comme tels, les indigènes qui ne justifient pas de moyens réguliers et avouables d’existence ou variables suivant les nécessités de leur profession ». C’est le début de véritables rafles. Les chefs traditionnels de villages sont mis à contribution les jours de marché en échange « de gin, de rhum et quelques pacotilles » (L. Kaptue). En remplissant les prisons, l’état colonial s’assure d’un volant de « délinquants » aptes au travail non rémunéré. Façon radicale de régler la question du « coût du travail ». 

1927 André Gide écrit voyage au Congo et cette réflexion toujours d’actualité : « Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête ».

1929 : Un « service des mines » est installé. Des permis de recherche sont délivrés aux sociétés qui devront exploiter le sous-sol. Va se trouver posée la redoutable question de la main d’œuvre.

Les travailleurs forcés déportés vont essentiellement être contraints de travailler pour le secteur agricole. En effet, en

1935 : « l’exploitation minière se limite encore à un échantillonnage : un peu d’or dans l’Est, un peu d’étain … » (Suret-Canale, page 351). Quasiment rien. Notons qu’en 1922, la « France » avait justifié sa mainmise sur l’ancienne possession allemande par son incapacité à mettre en valeur les richesses minières du pays.

En 1913 : les statistiques allemandes mentionnaient 41 500 élèves solarisés dans les « écoles » des missions.

En 1935 il y avait 8500 élèves dans les « écoles » de l’enseignement public (Source : Suret-Canale). Le reste est contrôlé par l’Eglise catholique. Les jeunes camerounais ont la chance de méditer cette forte pensée du bon pape Léon XIII : « On l’admire (la France), partant pour les pays lointains où par son or, par les labeurs de ses missionnaires au prix même de leur sang, elle propage d’un même coup le renom de la France et les bienfaits de la religion catholique ». (Passage extrait de : Au milieu des sollicitudes du 16 février 1892, un an après rerum novarum qui exige de la classe ouvrière européenne qu’elle reste à sa place comme l’exige la Providence en se détournant des « mauvais bergers » socialistes …).

Les jésuites ont-ils enseigné la bulle Romanus pontifex (le pontife romain) adressée le 8 janvier 1455 au roi Alphonse V du Portugal. Le pape infaillible y confirmait le droit, et surtout, le devoir des portugais « d’envahir, pourchasser, capturer, vaincre et soumettre tous les Sarrazins, les païens et autres ennemis de Dieu, ainsi que leurs possessions mobiles et immobiles et à réduire leurs personnes en un esclavage perpétuel » ?

1939 : Source, Léon Kaptue ; la question du « portage ». La « France » n’a procédé à aucune construction de route. Tout se transporte à dos d’hommes. Pas seulement d’hommes. « Avec l’accroissement des besoins, les femmes et les enfants furent utilisés à cette besogne, comme à l’époque allemande. Le poids officiel de la charge par personne était fixé théoriquement à 25 kilogrammes, mais souvent dépassé. Le salaire (insignifiant) était irrégulièrement versé ou pas du tout. Comme pour toutes les autres formes de travail forcé, la deuxième guerre mondiale vint intensifier le portage … des peines de prison, des taxes et des amendes constituaient à l’époque autant d’épées de Damoclès suspendues en permanence au-dessus de la tête des travailleurs forcés …  Il se trouva des esprits assez imaginatifs pour attribuer les vagues de désertions à un complot ourdi contre la sécurité nationale. »

De Gaulle à Douala en 1940.

27 août 1940 : un coup de force du capitaine de Hautecloque, dit Leclerc, range le Cameroun dans le camp de la « France libre », alors que la grande majorité des colons penchait pour la soumission à Vichy. Leur modèle, c’était l’Afrique du Sud, l’apartheid.

Mongo Beti note : « Les camerounais autochtones, même en août 1940, ignoraient que leurs maîtres français eussent perdu la guerre ».

Leclerc produit cette déclaration historique :

« Dans un élan unanime, le Cameroun français s‘est rallié au général de Gaulle … l’excitation et l’énervement qui ont pu suivre pendant quelques heures l’établissement du nouvel ordre des choses doivent s’effacer devant l’intérêt général … vive le Cameroun français ! »

5000 légionnaires français « débarquent » à Yaoundé.

Théodore Atabayene explique :

« Les quelques rares indigènes évolués, propriétaires d’habitations décentes, furent sommés de libérer leur maison où on devait loger les officiers … C’est ainsi que mon père, Hermann Yene accueillit l’officier Pierre Mesmer … » Quant aux plus pauvres : « Dans les quartiers urbains et suburbains, les rafles et les fouilles faisaient rage. Les cases des indigènes étaient fouillées de fond en comble par les militaires qui arrachaient les couvertures en laine pour les remettre aux soldats. Les poules, les chèvres, les moutons et les porcs ne furent pas épargnés par cette rafle et passèrent régulièrement dans les casseroles pour nourrir la légion … »

1941 : Pour trouver de la chair à canon, l’évêque français, Monseigneur Graffin organise des cérémonies religieuses qui se concluent par des rafles. (T. Atabayene).

Fin 1941 : René Pléven, un homme de confiance de l’agent américain Jean Monnet, commissaire aux colonies dans le Gouvernement des Forces Françaises Libres en visite au Cameroun s’adresse à des petits camerounais dans une école tenue par les jésuites : « Mes petits enfants, vous ne connaissez pas les boches. Les Boches ont foulé de leurs sabots le sol de la Mère Patrie, la France. Il est temps de Prier la Madone pour chasser l’ennemi de la Terre Française ».

14 janvier 1944 : Un arrêté fixe la journée de travail à 8 heures pour les européens et à 9 heures pour les camerounais. La réalité est toute différente. Une lettre remise à une délégation de l’ONU (en 1951) décrit la situation réelle : « Nous travaillons de 6 heures du matin à midi et de 13 H 30 à 20 heures. Nous n’avons droit ni aux dimanches, ni aux vacances … nous n’avons pas un seul jour de repos dans notre vie … nous ne pouvons pas tout vous dire parce que vous êtes des Blancs, comme nos patrons … qui parlent de liberté et d’égalité qui ne s’étendent pas aux hommes de couleur ».

30 janvier-8 février 1944 : Fort de la soumission de la CGT au cadre d’union nationale du CNR, de Gaulle convoque à Brazzaville une conférence pour déterminer l’action de la France dans les colonies. Comme on pouvait s’y attendre, la ligne de l’impérialisme français ne change pas. La conférence qui se tient sans la présence de délégués africains proclame : « Les fins de l’œuvre accomplie par la France dans les colonies écartent toute idée d’autonomie, toute possibilité d’évolution hors du bloc français de l’Empire. La constitution éventuelle, même lointaine, de seff-gouvernements dans les colonies est à écarter ».

Mars 1944 : le soi-disant « programme » du CNR avertit : « Les représentants des mouvements, groupements, partis ou tendances politiques groupés au sein du CNR (donc la CGT) proclament qu’ils sont décidés à rester unis après la Libération … pour rétablir la France dans sa puissance, dans sa grandeur et dans sa mission universelle … » ce qui pourrait signifier « une extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales ». Du bla-bla pour justifier la poursuite de la politique coloniale à peine aménagée. On ne parlera plus de colonie mais … d’union française puis de « communauté ». On n’emploiera plus le mot détesté de tous, « corporatisme », mais on parlera de « participation » ou d’association capital-travail et plus tard, d’autogestion. On ne parlera plus des « comités sociaux » vichystes mais des comités d’entreprises … on pourrait poursuivre …

Liberté, égalité, fraternité ? Manifestation pour l’égalité des droits, contre le fascisme et le colonialisme. Les manifestants camerounais ont le soutien des quelques militants de la CGT présents au Cameroun.

10 mai 1944 : La conférence générale de l’organisation du travail se réunit aux EU, à Philadelphie, sous le patronage du chef de guerre, chef de l’ « économie de guerre », Roosevelt. Elle y adopte une déclaration, dite « de Philadelphie » signée par 41 pays qui acceptent la domination américaine. La déclaration commence par l’inévitable : « le travail n’est pas une marchandise ». Mais que pourrait-il bien être d’autre en régime capitaliste ? Plus loin, il est affirmé : « Les représentants des travailleurs et des employeurs, coopérant sur un pied d’égalité avec ceux des gouvernements, participent à de libres discussions et à des discussions de caractère démocratique en vue de promouvoir le bien commun ». C’est déjà la « co-construction » des « réformes ».

C’est l’affirmation de la volonté d’instaurer à l’échelle mondiale un ORDRE NOUVEAU, d’inspiration corporatiste, celui voulu par le président Roosevelt et les intérêts capitalistes US dont Roosevelt n’est que le zélé serviteur.
Il y est aussi question « d’égalité des chances » mais surtout pas, d’égalité des droits. Rappelons qu’à Vichy la référence constante à « l’égalité des chances » permettait de justifier l’inégalité des droits à l’encontre des juifs, par exemple … M. l’ambassadeur des EU à Vichy et ses amis pétainistes antisémites étaient bien d’accord là-dessus.

Après avoir énuméré quelques bons sentiments de circonstance, la déclaration se conclut par :

« La Conférence affirme que les principes énoncés dans la présente Déclaration sont pleinement applicables à tous les peuples du monde » mais, « dans les modalités de leur application, il doit être dûment tenu compte du degré de développement social et économique de chaque peuple … ». En clair, Le pillage impérialiste doit se poursuivre.
(L’un des rédacteurs de ce texte est Jan Smuts, chef de gouvernement des racistes sud-africains, mais un « ami » de l’impérialisme britannique).

1945 : Retour au Cameroun. Un père blanc rapporte ces propos édifiants d’européens en « rapport d’inspection » :

« Les Européens de l’administration m’ont déclaré froidement lors de certaines récriminations que je faisais – ce qui montre qu’ils sont au courant de cette lamentable situation – que les races Yabassi n’étaient pas intéressantes, qu’il fallait en finir, que leur meilleur sort était de crever, après les avoir saignés jusqu’à la dernière goutte ». (Cité par Léon Kaptue).


(1) « France » entre guillemets dans la mesure où les actes et projets politiques des classes dirigeantes sont totalement étrangers aux aspirations de la grande majorité de la population tenue encore aujourd’hui dans l’ignorance quasi absolue des exploits de la classe capitaliste au Cameroun.

(2) Notons que les héritiers politiques des ministres d’union sacrée PCF et SFIO-PS de 1945, soutiennent encore aujourd’hui – à la suite de la droite » et de la droite extrême la plus raciste,, la politique colonialiste de l’Etat d’Israël.

(3) L’historien Olivier Le Cour Grandmaison note à juste titre que de 1945 à 1964 Les gouvernements français ont mené une guerre quasi permanente contre les peuples colonisés :

« ( … ) En attestent ceux de Haiphong (23-27 novembre 1946) : 6000 morts, de Madagascar (mars 1947-mars 1948) : près de 89 000 morts, la répression des manifestations à Sfax en Tunisie (5 août 1947), 29 morts, la guerre d’Indochine (décembre 1946-juillet 1954) 400 000 victimes « indigènes » et cinq mois plus tard, le début du conflit algérien qui s’achève le 18 mars 1962 après avoir fait entre 300 000 et 500 000 morts parmi les « Arabes ». Entre 1945 et 1964, la France a donc été presque constamment engagée dans des opérations et des conflits militaires d’ampleur qui se sont soldés par près d’un million de morts. Ce chiffre est supérieur au nombre de Français – militaires, résistante-s, civils – disparus au cours de la Seconde Guerre mondiale (environ 600 000) ».

Deuxième partie : le 8 mai 1945, la répression coloniale, comme en Algérie, 1er acte de la guerre du Cameroun …
Les résistants et militants cgtistes dans le viseur de l’ « ordre » colonial.

JM. 18-05-2024.

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