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3 / 09 / 2022

Le bal des domestiques (2). 2ème partie.

Voir la chronologie dans la 1ère partie.

LE FIGARO du 28 février 1933 titre :

« Les communistes incendient le palais du Reichstag.

Comme il était à prévoir, l’arrivée au pouvoir de Hitler et de son parti, les mesures draconiennes qu’il a prises contre les agitateurs révolutionnaires, l’intention qu’il a manifestée d’entreprendre une lutte à mort contre le marxisme, ont exaspéré toute la lie internationale. Les terroristes sont passés aux actes.

Ils ont commencé par incendier le palais du Reichstag; d’autres attentats sont prévus. L’enquête, dont on ne connaît pas encore les résultats, révélera sans doute les véritables origines de cet acte criminel auquel l’influence de Moscou ne doit pas être étrangère, et l’on peut s’attendre à des répressions particulièrement rudes. «Avec un poing de fer», a déclaré cette nuit Hitler »

Ainsi LE FIGARO reprend à son compte la version nazie.

 « Les autorités ont tout de suite été convaincues qu’elles se trouvaient en présence d’un acte de terrorisme des communistes.

« Comme le bâtiment est à peu près désert après la fermeture des bureaux administratifs, on a admis que les incendiaires avaient eu tout le temps voulu pour préparer leur forfait » … le « journaliste » du FIGARO est lui aussi convaincu, il « admet » tout ce qu’il faut.

Les mesures répressives indispensables – face à des terroristes ! des terroristes tout de même ! – … – sont légitimées.

« Une information publiée dans la nuit par l’Agence Wolff a annoncé que des mesures très énergiques allaient être prises contre les communistes ». Voilà de quoi réjouir l’ensemble de la presse « démocrate ».

« La note qu’on peut considérer comme officielle disait qu’il fallait s’attendre à de nouveaux actes terroristes au cours des jours qui vont suivre … »

On voit que la police est mobilisée. N’est-ce pas rassurant ?

« Et l’on apprenait en même temps que dans la nuit de samedi à dimanche une tentative criminelle avait été perpétrée pour mettre le feu à l’ancien palais impérial de Berlin. Un incendie allumé dans l’un des greniers a pu être rapidement maîtrisé. La police avait alors, paraît-il, acquis immédiatement la preuve qu’elle se trouvait en présence d’un attentat commis par les extrémistes de gauche.

« Mesures d’urgence

Au cours de sa visite dans le Reichstag incendié, le chancelier Adolf Hitler aurait déclaré : 

« C’est un présage céleste, nous exterminerons cette canaille avec un poing de fer.»

( … )  On peut admettre dès maintenant que des mesures draconiennes seront décidées contre le mouvement communiste en Allemagne. On s’attend même à son interdiction immédiate ».

Décidément, si ces nationaux-socialistes sont parfois déroutants, il faut bien admettre qu’ils ont de la poigne, eux.

L’annonce de nouveaux attentats permettra d’élargir la répression à tous les opposants et opposants potentiels : syndicalistes qui veulent rester des syndicalistes, socialistes, et, plus généralement tous les citoyens qui n’ont pas renoncé aux idéaux de 1789, (1789, « cette œuvre satanique » selon Henri de Gaulle, père de Charles).

Le secrétariat de l’exécutif de l’Internationale Communiste prédit le lendemain de l’incendie :

« Le règne de la bourgeoisie touche à sa fin en Allemagne ».

4000 militants du KPD sont arrêtés et placés en camps le lendemain de l’incendie.

27 février : un incendie tellement providentiel pour les desseins totalitaires du national-socialisme.

Le Populaire du 28 février n’est pas dupe : « La police prétend avoir arrêté un des incendiaires, un communiste venu de Hollande. Ce louche individu se prête très complaisamment aux aveux désirés par les autorités … l’incendie se produit au moment où il sert admirablement la politique de Hitler.

( … ) C’est peut-être le signal d’une saint Barthélémy hitlérienne, c’est sûrement le commencement d’une guerre civile atroce … ». Notons que le journal de la SFIO s’attend à une vraie résistance du mouvement ouvrier et se garde, au moins dans cet article de toute attaque à l’encontre du KAPD stalinien et de sa politique de division forcenée. 

Détour par la presse internationale.

A l’étranger, la presse dite « démocratique » entonne le même couplet : les coupables sont connus. Ce sont des « terroristes » qu’il faut empêcher de nuire … par tous les moyens ; y compris – surtout –  des moyens terroristes.

 Le comportement du DAILY MAIl, journal « populaire » à très gros tirage en Grande Bretagne est significatif.

Le 30 janvier 1933, jour de l’accession de Hitler au pouvoir, ce « journal » à façade plus ou moins « démocratique » mais qui s’apparente à un long tract d’extrême droite, donne la parole à un sénateur américain, William Borah, président de la commission des affaires étrangères … L’individu s’avoue « impressionné  par Hitler qui exprime de plus en plus la voix des allemands … »

Après l’incendie du Reichstag, le « journal » se radicalise. Il se félicite de « la réponse foudroyante du gouvernement allemand. ( … ) Le pays (sic) a décrété la peine de mort pour tous ceux qui fomentent la révolte contre le gouvernement … la police a le droit de perquisitionner tous les domiciles en Allemagne, la poste et les communications téléphoniques ne sont plus secrètes … ». C’est merveilleux !

« Selon la police, les Rouges avaient planifié d’assassiner policiers et officiels dans la rue et d’éliminer leurs ennemis en empoisonnant la nourriture et l’eau courante et en se déguisant avec des uniformes policiers ou nazis ».

En 1934, le « journal » conclut : « Herr Hitler a sauvé son pays ». (Source : Daniel Schneidermann dans : « la presse internationale face à Hitler »).

Ici, c’est le KPD, ce sont les communistes (le DAILY MAIL ne met pas de guillemets), qui sont visés. Mais pour ces gens-là, ce sont toutes les tendances du mouvement ouvrier et plus largement les défenseurs des droits de l’Homme qui sont visés.

Le 16 mars 1941, le NEW YORK TIMES Magazine publie un reportage avec cette photo sur l’intimité du « guide » qu’il s’agit de rendre attachant et sympathique. Bien d’autres articles du même style avaient précédé.

En cette année 1933, l’agence de presse mondiale, Associated press publie des « informations » sur la situation en Allemagne. Ensuite, les journaux republient parfois sans aucun commentaire. Exemple : juste après l’incendie du Reichstag, le New York Times republie ceci : Titre « des prisonniers allemands (A Dachau qui vient d’ouvrir) démentent être battus ». Sous-titre : « Thaelmann et autres Rouges apparaissent en bonne santé et ne se plaignent pas de leur santé ». Thaelmann était le dirigeant du parti communiste KPD emprisonné le lendemain de l’incendie. C’est lui qui avait été chargé d’appliquer, depuis 1928 la ligne de l’Internationale stalinisée de dénonciation des militants syndicalistes réformistes: « les sociaux-fascistes du SPD socialiste et leurs alliés syndicalistes « réformistes » sont l’ « ennemi principal ».

Soutiens pluriels aux Amériques.

Si l’on veut résumer l’état d’esprit de la classe dirigeante capitaliste aux EU avant-guerre , on peut se reporter aux propos édifiants d’Eliott Roosevelt (fils de …), riche entrepreneur, partisan de la « démocratie », ce qui signifie pour lui, le droit légitime d’exploiter librement « ses » ouvriers, ses « collaborateurs » comme on dit aujourd’hui, autrement dit, la liberté du renard dans le poulailler. (Sources : mémoires, parues après-guerre). Il écrit :

« La menace d’une guerre se dessinait … et mon principal souci était de savoir quelles en seraient les répercussions sur la bonne marche de mon entreprise et sur mes perspectives de bénéfices … »

L’individu sait qu’il y aura une seconde « der des ders ». Il sait que les dévastations qui en résulteront seront bien plus considérables que celles de la première « der des ders », qui a fait au moins vingt millions de morts et il avoue avoir pour principal souci, son compte en banque. Peut-on être plus cynique ?

Une fraction non négligeable du patronat américain qui finance à peu près toute la presse – comment pourrait-il en être autrement ? – avait pris fait et cause pour le national-socialisme, en particulier Henry Ford. Du moment que les profits pouvaient s’envoler …

Henry Ford en Allemagne en 1938. Il reçoit la Croix de l’Aigle, haute distinction de l’Etat national-socialiste.

Une bonne partie de la hiérarchie militaire US approuvait totalement la politique d’apartheid qui s’appliquait à l’armée américaine, était viscéralement « anti marxiste » (étaient englobés dans la catégorie « marxistes » ceux qui avaient plus ou moins affirmer des convictions « socialisantes …») et pour faire bonne mesure, antisémite. C’est le cas du général Patton, une gloire nationale, pour qui « les juifs sont pires que les animaux ».

On peut aussi ne pas oublier qu’en 1934, 45 juristes du NSDAP qui préparent les lois raciales adoptées à Nuremberg (en 1935) se  rendent à New-York pour étudier le « modèle » raciste américain qui les fascine. Ils sont très bien reçus par leurs collègues de New-York. Une manifestation de protestation est organisée par des associations juives. On leur envoie la police …

Les élections du 5 mars.

Le NSDAP obtient 17,2 millions de voix, le SPD socialiste, 7,1 millions et le KPD 4,8 millions. LA PRAVDA  titre :

« Une énorme victoire pour le KPD ! ».

Les chefs « socialistes » et « communistes » récoltent les fruits amers de leur politique.

En France, le POPULAIRE du 5 mars décrit la situation : « Il n’y a pas eu de campagne électorale … les communistes et les socialistes entièrement placés sous le régime d’exception (ont vu) leurs réunions interdites, leurs journaux suspendus, leurs tracts confisqués … 4000 communistes ont été arrêtés et incarcérés en huit jours ».

L’ADGB en grand danger.

La grande Confédération ouvrière, l’ADGB devient un enjeu majeur. Les dirigeants nazis ont tenté à plusieurs reprises d’amadouer certains dirigeants en leur promettant une place de choix dans l’ « œuvre de reconstruction-renaissance de la nation ».

Au lendemain des élections, le Bureau confédéral déclare attendre « le gouvernement à ses actes ». Le 20 mars, l’ADGB publie un manifeste :

« ( … )  Les organisations syndicales sont l’expression d’une nécessité sociale irréfutable, une partie indispensable de l’ordre social lui-même. ( … ) Par suite de l’ordre naturel des choses, elles se sont de plus en plus intégrées dans l’Etat. Les organisations syndicales ne prétendent pas influencer directement la politique de l’Etat. Leur tâche en ce sens ne peut être que de mettre à la disposition du gouvernement et du parlement des connaissances et des expériences acquises dans ce domaine ». Ce sont les « sherpas » du Capital. Peut-on être plus soumis ?

Eh bien oui. Un des dirigeants, Leipart, renchérit :

« Les syndicats poursuivent les mêmes grands buts que le gouvernement qui est de fonder la liberté intérieure et extérieure de la nation sur la force productive de tout le peuple ». Le syndicat se place délibérément « sous l’autorité » du gouvernement, il « fait bloc » avec l’Etat dont il devient un segment, soumis.

Et c’est logiquement que le 20 avril, le Comité confédéral invite les syndiqués à assister à la « fête du travail » le premier mai, comme « symbole de l’incorporation de la classe ouvrière dans l’Etat national-socialiste ». (Source : Daniel Guérin, Fascisme et grand capital ; Tome 2).

La politique de la direction de la Confédération ralliée à la politique de la recherche effrénée du consensus et de la co-construction – les termes ne sont pas encore utilisés – ne peut mener qu’à la catastrophe.

Les staliniens avaient constitué, en opposition à l’ADGB des syndicats dits « rouges », une exigence du Kremlin, « syndicats » ultra minoritaires, sectaires, destinés seulement à organiser la division systématique des rangs ouvriers.

Les chefs staliniens avaient été jusqu’à imposer des actions communes locales, y compris sous forme de grèves, avec les bandes nazies contre les syndiqués de l’ADGB, copieusement insultés, traités de « social-fascistes » …

(Après-guerre les staliniens ont inventé la « théorie » de la « responsabilité collective du peuple allemand », espérant peut-être faire oublier leur écrasante responsabilité.)

En France, réaction de la CGT.

De tout ceci, la presse ne dit pas un mot. Les syndiqués de la CGT de France, eux-mêmes confrontés à l’action des néos-syndicalistes de la fraction René Belin-Marcel Déat, ignorent à peu près tout de ces évènements capitaux.

La CGT se contente de ce bref commentaire :

« Le manifeste de l’ADGB montre que le mouvement syndical allemand renonce à la résistance. Il faut bien reconnaître que, depuis la guerre, la seule intervention active de l’Allemagne (l’Allemagne ? comprendre : l’ADGB) à la FSI (la Fédération syndicale internationale) a été pour réclamer le retour à Berlin du siège de l’internationale. ( … ) On pouvait légitimement espérer que la classe ouvrière la plus formidablement organisée, qui n’a pas connu la scission du syndicalisme, ferait le geste qui aurait sauvé l’honneur du mouvement allemand … il n’en a rien été ». (CCN CGT 30 et 31 mars 1933).

Le CCN ne pose pas le problème de fond, c’est à dire l’engagement de l’ADGB, de la direction de l’ADGB, dans une politique de co-construction des réformes et contre-réformes et de consensus sans rapport de force pour « limiter la casse ». En conséquence, c’est « la classe ouvrière » qui serait responsable de la catastrophe.

Les responsabilités sont complètement inversées.

Réaction de la CGTU.

Du côté de ce qui reste de la CGT dite « unitaire » (CGTU) contrôlée par le Bureau politique du PCF, c’est toujours la ligne « classe contre classe » de dénonciation du « social-fascisme » qui l’emporte. En témoigne cette affiche :

Bien sûr, aucune revendication syndicale. C’est l’époque où le PCF et la CGTU dénoncent les « lois d’assurances sociales fascistes … » Tout un programme ! Dans un document consacré aux 1er mai en Loire-Inférieure (puis Atlantique) publié en 2018 pour l’UD CGT-44, on lit cette phrase remarquable : « A Nantes, le 1er mai 1933 connaît un nouveau recul. L’acharnement de la CGTU à préconiser l’action commune n’empêche pas les manifestations séparées … » (source : « debout, camarades ! Les 1er mai en Loire-Atlantique 1890-2002 »).

Manifestation nationale-socialiste devant le siège du KPD. Début 1933. On y voit les portraits de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg.

Les pleins pouvoirs. 23 mars. (2)

Les pleins pouvoirs permettent aux nazis de faire passer les lois qu’ils veulent sans aucun débat.

Le 24 mars, l’HUMANITE titre : « le Reichstag fasciste vote les pleins pouvoirs à Hitler ». L’article signé Cachin, ne dit pas que les « social-démocrates » ont voté contre. Première falsification.

Deuxième provocation toute aussi grossière, l’incomparable Cachin écrit : « Les deux Jouhaux allemands, Leipart et Grosmann (Grossmann : un autre dirigeant de l’ADGB solidaire des positions de Leipart) sont depuis plusieurs jours en pourparlers avec le ministre hitlérien Goering … » Façon de dire que Jouhaux marche par l’intermédiaire de Leipart avec Goering. Ignoble.

Le POPULAIRE du 24 mars titre :

« Le Reichstag nationaliste a accordé à Hitler les pleins pouvoirs ». Et en sous-titre : « Le Centre catholique a honteusement capitulé devant le fascisme et voté la loi dictatoriale ».

Le POPULAIRE revient ensuite sur le passage du discours de Hitler consacré « aux soviets » : « Hitler a déclaré qu’à l’égard des soviets le gouvernement du Reich a l’intention de suivre une politique amicale, fructueuse pour les deux pays … la lutte contre le communisme en Allemagne est une affaire intérieure ; nous ne tolèrerons jamais une immixtion étrangère … » Message reçu 5/5 au Kremlin.

Le POPULAIRE note que le Reichstag a repoussé une motion socialiste demandant « la mise en liberté des 12 députés (socialistes) actuellement détenus ».

Recherche de consensus.

LA CROIX : pour une « loyale collaboration », une « collaboration active ».

Le quotidien rappelle les propos édifiants du patron du Zentrum, un prêtre, Mgr Kaas, à la veille des élections. L’individu reprochait aux chrétiens protestants de « saboter les tentatives de rapprochements entre l’Eglise et le NSDAP depuis le 31 juillet de l’année précédente » (Alain Fleury).

Alain Fleury explique : les catholiques du Zentrum ont le choix : « ou bien rester dans l’opposition au nom de la liberté … ou bien s’engager dans une politique « de loyale collaboration ».

Le suspens est réduit à sa plus simple expression.

Mgr Kaas « s’applique à rappeler que le désir de collaborer avec le pouvoir en place est parfaitement légitimé par la doctrine catholique dans la mesure où celui-ci est propre à promouvoir le bien commun ».

Pour le remercier de tant de bonne volonté co-constructive, son parti sera liquidé ce qui ne ravit pas la hiérarchie catholique. Mais, la situation politique et économique étant ce qu’elle est avec cette crise qui n’en finit pas, les cercles dirigeants de la bourgeoisie, pourtant plus ou moins civilisés, se contraignent à recourir à ces barbares, à ces « malotrus » de nazis, mal éduqués, pas bien polis, mais seuls capables d’imposer l’ « ordre ».

Ludwig Kaas en 1933, patron du Parti catholique, le Zentrum, (« parti du Centre »).

Hitler reçoit les pleins pouvoirs. Comment cela est-il possible ?

L’ambassadeur de France en Allemagne en 1933, André-François Poncet, considère que les forces politiques qui n’ont pas su s’opposer ont simplement commis « des erreurs psychologiques ». (Source : « souvenirs d’une ambassade à Berlin, 1931-1938 »). Est-il nécessaire de commenter ?

L’historien Johann Chapoutot porte cette appréciation différente : « Les nazis se vantaient bruyamment d’avoir pris le pouvoir. Ils n’ont rien pris du tout. Le pouvoir, on le leur a donné ».

En mars, il est clair que les organisations ouvrières n’engagent pas le combat pour faire barrage.

Les conditions politiques sont remplies pour :

Voter les pleins pouvoirs au chef des nazis. Ce sera fait le 23 mars.

2 Signer un Concordat qui scelle dans le marbre l’accord politique de fond entre les nazis et la hiérarchie de l’Eglise. Le 14 juillet 1933, Hitler commente l’évènement : « Ce concordat dont, par parenthèses, le contenu ne m’intéresse pas, nous fait bénéficier d’un climat de confiance qui nous sera très utile dans notre lutte contre le judaïsme international ». (Des catholiques aussi ont été victimes de la répression nazie, y compris des prêtres. Cela ne change rien à la fonction totalement réactionnaire de l’institution cléricale).

3 Imposer l’ensemble de la politique réactionnaire et notamment la loi de janvier 1934 qui « au nom du bien commun » liquide la totalité des conventions collectives. Cet aspect est systématiquement « oublié » par les historiens plus ou moins officiels. Qui ne dit mot consent ?

LA CROIX du 27 mars 1933 note que le Zentrum « signe un chèque en blanc … et se fait solidaire de la dictature ». C’est exact. Mais ce n’est pas une « erreur » ; c’est pensé et assumé.

Alain Fleury a raison d’insister : « le vote du 23 mars pour les pleins pouvoirs ne signifie plus seulement une « tolérance passive » pour le pouvoir mais bien « une adhésion » et « une collaboration active … » Les faits sont accablants.

Le pape PIE XI qui avait béni le régime mussolinien dans l’encyclique « quadragesimo anno, sous-titrée pour la restauration de l’ordre social » (c’est bien Mussolini qui « restaure l’ordre social ») deux ans plus tôt était évidemment partie prenante de la manœuvre ou plus précisément il en était son chef d’orchestre. Pro fasciste d’abord, pro hitlérien ensuite. (Pro Franco, pro Salazar, pro Pétain … et quelques autres dictateurs moins connus). C’est cohérent.

Alain Fleury a le mérite de préciser : « le cardinal Faulhaber exposa en ces termes devant les évêques bavarois  les motifs qui le conduisaient à faire preuve d’une plus grande tolérance envers le nouveau gouvernement et envers Hitler » :

Faulhauber : « Après l’expérience que j’ai faite à Rome, je dois me réserver de faire preuve malgré tout d’une plus grande tolérance à l’égard du nouveau gouvernement. ( … ) Aucun parti révolutionnaire n’est encore parvenu au pouvoir aussi régulièrement. Qu’on approfondisse le mot du Saint-Père qui dans son consistoire a, sans prononcer de nom, désigné Adolphe Hitler devant le monde entier comme l’homme d’Etat qui a, le premier après le pape, élevé sa voix contre le bolchévisme ».

 La messe est dite.

Il ne doit y avoir au niveau de la hiérarchie aucune voix discordante.

(Comment passer sous silence ce commentaire du « Saint-Siège » en mars 1998 : « Les sermons bien connus du cardinal Faulhauber en 1933, l’année même où le national–socialisme parvint au pouvoir ( … ) exprimèrent clairement le rejet exprès de la propagande nazie »).

Fort du soutien de Faulhauber, le 1er avril 1933, Goebbels se réjouit :

« Nous avons effacé 1789 de l’Histoire ! ».

Malgré le « ralliement » contraint et forcé à la République voulu par Léon XIII quarante ans plus tôt, la hiérarchie catholique a plus que jamais, elle aussi, en horreur les principes républicains, de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité – et sans doute par-dessus tout, la liberté de conscience – que représente  la grande révolution française.

C’est, pense-t-elle, l’heure de la revanche.

C’est ce que résume un article de LA CROIX daté du 6 avril qui précise : « On peut traiter avec le gouvernement hitlérien sans pactiser avec les erreurs du national-socialisme ». « Erreurs » ? Le saint quotidien fait sans doute allusion aux « excès », aux « brutalités » des bandes SA. C’est que, toujours prudent et avisé, les penseurs du Vatican craignent que ces « excès » ne provoquent une révolte incontrôlable, autrement dit, une révolution, socialiste celle-ci.

Les mises en garde n’avaient pas manqué non plus pour le régime mussolinien. Attention à une répression mal maitrisée !

Et si les révolutionnaires de 1789 sont devenus avec le développement du capitalisme, socialistes, alors, toutes les nuances de socialistes désignés ici comme « bolchéviques » doivent être mis hors d’état de nuire. C’est la première tâche de l’Etat nazi.

C’est ce que théorise Goebbels : « C’est le droit absolu de l’Etat de présider à la constitution de l’opinion publique ».

Ou encore Rosenberg, « théoricien » du national-socialisme : « La révolution du XXème siècle est dirigée contre les idées de 1789 … »

ou encore Friesler (président du Tribunal du peuple) : « le christianisme et nous avons une chose en commun, nous exigeons l’Homme tout entier » … pour le bien commun – ad majorem deï glorian – « pour la plus grande gloire de Dieu », diront les uns, pour la gloire du Reich, diront les autres.

Le soutien officiel de l’Eglise au régime nazi suscite à LA CROIX des commentaires étonnants :

« Comme il est facile de le constater, les autorités ecclésiastiques se sont toujours désintéressées complètement du point de vue politique ».

Il faut oser.

Du Vatican au Kremlin … du Kremlin au Vatican …

Contrairement au Vatican, le Kremlin ne prétend pas « ne pas faire de politique ». Qu’on en juge ; déclaration de l’Internationale « communiste reproduite dans la presse « communiste », avril 1933 :

« L’établissement d’une dictature fasciste ouverte … accélère le rythme de développement d’une révolution prolétarienne en Allemagne en détruisant toutes les illusions démocratiques des masses et en les libérant de l’influence de la social-démocratie ».

Logiquement, l’établissement d’une dictature fasciste en France, en Espagne, aux EU … serait partout souhaitable pour « accélérer le rythme … »

L’établissement d’une dictature fascisante dans l’Espagne de Franco a-t-elle « accéléré le rythme … » ? Mais le temps n’est pas à l’ironie.

On pense aux militants du KPD, aux militants syndicalistes, à ceux qui croupissent dans les camps et les prisons, qui voient encore dans Staline le Sauveur …

Cerise sur le gâteau,  un nouveau concordat !

LA CROIX bénit le régime nazi en publiant de larges extraits de la déclaration des évêques à Fulda et conclut :

 « L’obéissance des catholiques à l’Etat national-socialiste est désormais assurée par la devise : LA FIDELITE A L’ETAT, C’EST LA FIDELITE A DIEU ». C’est simple.

Quant au concordat, c’est tout aussi simple : « Le concordat est le plus grand évènement religieux depuis la réforme ».

1er mai 1933

Monseigneur Orsenigo, l’envoyé du pape participa au 1er mai 1933. Encore tout ému, il rend compte à PIE XI : « Hier, 1er mai, l’Allemagne a célébré la fête du travail. Celle-ci fut grande, colossale, apothéose du travail de tous ; la note dominante de la fête exprimée de mille manières fut l’exaltation d’une ère nouvelle dans laquelle doit disparaître toute lutte des classes pour faire place a une pleine concorde sociale et nationale des travailleurs, manuels et intellectuels. Les catholiques ont participé à la prière publique … » On ne sait pas si Leipart et ses camarades ont prié eux-aussi. Impossible de trouver la moindre information à ce sujet.

La collaboration prend rapidement un tour pratique : « Avant 1874, les naissances étaient uniquement recensées par les prêtres. L’Eglise accepte d’ouvrir ses registres et d’apporter son concours au pouvoir afin de décider qui est de pur sang aryen et qui ne l’est pas. Elle regrette seulement que les prêtres ne reçoivent pas de compensations pour ce surcroît de travail ». Ce n’est pas si fréquent de voir l’Eglise plutôt adepte du bénévolat, revendiquer : « toute peine mérite salaire ! ». (Source : Henri Fabre : « L’Eglise catholique face au fascisme et au nazisme ».

André-François Poncet a assisté au « spectacle » du 1er mai. Il écrit : « Le personnel des usines et des ateliers, des bureaux et des boutiques, patrons et employés, a été invité à s’y rendre en cortèges, groupé par profession, patrons en tête. On leur a fait entendre qu’il ne s’agissait pas d’accomplir un acte politique mais d’affirmer une foi sociale … il s’agissait de célébrer l’union de tous dans la religion du travail … la journée leur sera payée comme une journée normale et au salaire entier, s’ajoutera une indemnité spéciale de déplacement et de nourriture ». L’honorable diplomate a cette remarque un peu particulière et inquiétante: « les étrangers qui y ont assisté emportent l’impression qu’un vent de réconciliation et de concorde a soufflé sur le IIIème Reich ».

Il note tout de même :

Le matin du 2 mai, à 10 heures, les bandes nazies investissent les locaux des syndicats (4 millions de membres), volent le matériel, déportent en camp de concentration « 58 des principaux dirigeants … » La fable de la « concorde » aura duré moins d’une demi journée.

Le POPULAIRE du 2 mai retranscrit une dépêche de l’agence HAVAS dont ce passage :

« Hitler a une fois de plus souligné la nécessité d’anéantir le marxisme jusqu’au plus profond des cœurs puis il a prêché la nécessité de l’unité pour surmonter les différences et les oppositions de classes … » Le POPULAIRE ne dit rien de la présence de responsables nationaux de l’ADGB.

En guise de conclusion.

Pour s’emparer du pouvoir, le national-socialisme a bénéficié de beaucoup de bêtises et surtout de complicités.

Son projet totalitaire – notamment, son volet « social » – a été souvent prudemment occulté par les commentateurs divers. Occulté ou, pire, approuvé … sans doute parce que bien des projets politiques du XXIème siècle lui ressemblent par beaucoup d’aspects.

Il faut attendre la page 136 du livre d’Alain Fleury pour voir très brièvement évoquée la politique « sociale » du régime nazi.

Il cite les propos d’un penseur de LA CROIX à propos de la nouvelle législation du travail.

« On comprend que Hitler et ses collaborateurs  puissent se vanter de créer en matière de droit social un ordre nouveau en rupture complète avec les conceptions d’autrefois ».

La loi travail nazie commence par ses mots :

« Dans l’entreprise, l’entrepreneur comme chef d’entreprise, les employés et ouvriers comme membres du personnel sous sa direction, travaillent en commun à la réalisation des objectifs de l’entreprise et pour le Bien commun du peuple et de l’Etat ».

 

Est-il exagéré de dire que cette conception de l’entreprise prospère de nos jours dans toutes sortes de milieux ?

Les patrons, les actionnaires et les salariés ne sont-ils pas présentés comme des « collaborateurs » ? tous au service de l’ « entreprise » ? Au service d’un « projet » commun ?

On comprend que LA CROIX comme la quasi-totalité de la presse dite démocratique de l’époque approuve la « réforme » du droit du travail qui veut faire de l’entreprise rénovée une « communauté de destins » oeuvrant pour le bien commun : société sans statut, sans code du travail, sans convention collective, sans syndicat digne de ce nom.

Oui, un projet totalitaire encore aujourd’hui largement partagé …  depuis fort longtemps si l’on se souvient de cette recommandation de Thomas d’Aquin :

« Le gouvernement naturel est celui d’un seul » : un  guide.

(1) Le fondateur du Monde, Beuve-Méry et ses collaborateurs de l’équipe du Monde écrivent au 3ème trimestre 1945 un manifeste trop peu connu : « vers le style du XXème siècle ».

Ils y montrent ce qu’ils appellent, les « aspects positifs » du national-socialisme. Morceau choisi :

« Ses réalisations sociales sont indiscutables et souvent grandioses ; qu’il s’agisse du cadre de travail, des organisations, des loisirs et des voyages ou de l’éducation populaire : stades, maisons ouvrières, usines modernes, asiles de camaraderie ou locaux communautaires se sont multipliés ».

Ainsi, selon Beuve-Méry et ses collaborateurs, l’Allemagne de la « révolution » nationale-socialiste serait un petit paradis, il ferait bon y vivre dès lors qu’on à rien à se reprocher. C’est-à-dire : être ni syndicaliste, ni socialiste, ni communiste, ni anarchiste … ni défenseur des droits de l’Homme et du citoyen, ni libre penseur, ni franc-maçon, ni « humaniste », ni « amis » de Voltaire, Diderot … ni juif, ni slave, ni « de couleur », ni homosexuel, ni …

Il suffirait simplement d’être un bon aryen. Dommage que des « excès » viennent troubler la « fête ».

(2)    Tous les partis de droite et d’extrême droite votent pour les pleins pouvoirs.

Les socialistes du SPD votent contre. Les staliniens du KPD sont à cette date déjà dans la clandestinité ou en prison ou encore « libres » mais souvent complètement démoralisés. Contrairement aux affabulations des chefs staliniens, social-démocratie et fascisme n’étaient pas « frères jumeaux ». Pour vivre, la « social-démocratie » avait besoin d’un peu de parlementarisme. A l’inverse, le fascisme, les corporatismes divers voulaient en finir avec toutes les formes de parlementarisme.

Par exemple, Pétain, (ce « grand soldat » selon Macron) dit: « les parlementaires m’agacent, ils me font perdre un temps précieux ». Il a tenté d’instituer un « Conseil national » incluant les « forces vives » de la « société civile » dont d’ex syndicalistes de la CGT, très minoritaires ; et même marginaux. Il s’agissait de participer à la renaissance-refondation de l’Etat français. Un « bidule » qui n’a jamais fonctionné. Ce fut même un fiasco complet. Fort heureusement.

J. M, août 2022.

chaud ! chaud ! chaud !

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