>Histoire

10 / 12 / 2020

« La société sans école ». 1ère partie.

Dans l’éditorial du journal de la FNEC-FP FO,  le syndicaliste indépendant de novembre 2020, Clément Poullet titre :

« Les personnels disent NON à la société sans école de Blanquer ! ».

Notre camarade rappelle : Déjà, en mai  (le ministre) se félicitait des « vertus » de la crise : « Cette reprise de mai-juin permet d’expérimenter des modalités de fonctionnement nécessairement mixtes, entre présence à l’école et enseignement à distance. Un groupe de travail va réfléchir aux usages numériques, au travail en petit groupe … »

L’objectif est clairement affiché : éloigner autant que possible l’élève de l’enseignant.

Son collègue ministre de la santé, tout occupé à détricoter le statut des personnels hospitaliers et à poursuivre la politique d’économie budgétaire par la fermeture de lits, a le même objectif : éloigner autant que possible le patient du médecin. « Télé enseignement » et « télé médecine » seraient le nec plus ultra du modernisme.

Comment justifier de telles régressions ?

Leur employeur, M. Castex, fait dans l’humour troupier à la Fernandel, peut-être involontaire : «Le meilleur moyen d’aider l’hôpital … c’est de ne pas tomber malade ». Comme diraient certains,  le niveau baisse … 

Le meilleur moyen d’ «aider» l’école serait-il de supprimer l’école en « présentiel » ?

Les objectifs du gouvernement, les deux compères les avaient présentés devant le Collège des Bernardins, l’auguste assemblée des jésuites, chère au président de la République. C’était en 2015 et 2016. Examen de passage réussi puisque les voici tous deux promus ministres chargés d’impulser avec les « partenaires sociaux » les réformes « en profondeur ».

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Mars 2020, manifestations d’étudiants pour le droit aux études, contre la fermeture des facs, pour la défense des diplômes nationaux … Le gouvernement y oppose répression et « confinement » …

Le virus agit dès lors comme un véritable don de la Providence : pour les capitalistes, c’est l’occasion rêvée de licencier. Pour les individus en charge de la fonction publique, c’est, croient-ils, la possibilité d’accélérer le rythme des contre-réformes.

 Les collabos.

« Un groupe de travail va réfléchir … » Tiens donc ! Quel groupe de travail ? Avec qui ? Certainement les habituels domestiques-« corps intermédiaires », rassemblés autour de la CFDT. L’édito conclut :

« ( …. ) Dans toutes les assemblées générales s’expriment le ras le bol et la volonté d’en découdre : assez des contre-réformes qui saccagent l’école, nos statuts et nos conditions de travail ! Donnez-nous les moyens et laissez-nous faire notre travail ! ».

« La guerre ».

« Nous sommes en guerre » avait martelé le petit banquier-chef d’état. Nous défendons nos intérêts particuliers avec nos syndicats répondent les salariés, les travailleurs, les jeunes … pas d’union sacrée !

L’école laïque qui a permis à des générations d’enfants du peuple d’accéder au savoir, donc de s’émanciper est dans le collimateur des obscurantistes de tous bords.

L’offensive vient de loin et dépasse les clivages habituels. Dans son « de l’école » publié en 1984, le professeur de linguistique Jean-Claude Milner porte ce jugement :

« Il faut le savoir en effet, tous les thèmes de toutes les réformes de tous les niveaux d’enseignement sont d’origine chrétienne :

Dévaluation de l’institution au bénéfice de la « communauté » …

Dévaluation de l’instruction au bénéfice de l’éducation …

Dévaluation du cognitif au bénéfice de l’affectif (mise en place du tutorat) …

Affaiblir l’école, calomnier les savoirs, c’est déséquilibrer une machine délicate, aussi délicate à vrai dire que peut l’être toute liberté individuelle. Voilà pourtant à quoi se dévoue avec un acharnement inlassable et un aveuglement opiniâtre une alliance secrète et imbécile ».

 (1) Le COVID, « accélérateur incroyable de réformes » ?

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Une salle de classe vide. L’institut Jean Lecanuet* affiche ses ambitions ; cette photo de classe vide résume l’ambition « révolutionnaire » de nos cléricaux de choc. Dans un communiqué daté de  juin 2020 on lit :

« À quelques expériences près, l’Education nationale était restée à l’écart de la révolution numérique.

Alors que, depuis le milieu des années 1990, le numérique bouleversait, presque partout, la vie économique et, au-delà, la vie sociale, le face-à-face maître-élève de la salle de classe se poursuivait. L’ überisation de l’école promise par certains n’avait pas eu lieu. Bien sûr, ici ou là, sous la houlette de jeunes enseignants, le tableau interactif remplaçait le tableau noir, mais rien de réellement structurant ne s’était produit en termes pédagogiques et surtout en termes organisationnels. Les régions avaient beau distribué gratuitement des millions d’ordinateurs portables ou de tablettes numériques, l’école restait l’école avec ses codes, ses méthodes, ses traditions, ses crayons, ses cahiers et ses cartables. Même l’élève le plus addict au digital était prié de laisser son outil et son savoir en ce domaine à la porte de son établissement. Un maître du début du XXe siècle – celui de Topaze, tiens ! –, faisant irruption dans une salle de classe d’aujourd’hui, n’aurait pas perçu beaucoup de changement.

Avec une accélération absolument incroyable, le Covid-19 est venu totalement bouleverser la donne. L’impératif de continuité pédagogique, fixé à juste titre par Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation, dès le premier jour de fermeture des écoles, collèges et lycées, n’a donné le choix à personne. En quelques jours, enseignants et élèves ont dû plonger dans le grand bain de l’école numérique. Certes, entre des enseignants pour certains en panique de devoir modifier en quelques heures des décennies de pratique pédagogique et des élèves quelquefois dépourvus d’un ordinateur personnel, rien n’a été facile. Peu importe, retenons que le 16 mars 2020 marquera la révolution numérique de l’institution scolaire.

Maintenant que les établissements réouvrent, la question qui se pose est de savoir s’il y aura une école d’après Covid. La réponse est oui. Pour le dire trivialement, personne ne réussira à remettre le dentifrice dans son tube. Trop de choses se sont passées et trop d’enjeux sont devant nous. Après les personnes âgées frappées par le coronavirus, ce sont aujourd’hui les jeunes qui risquent d’être frappés par la crise économique et la déqualification. L’école comme l’université devront rester hybrides mixant présentiel et distanciel, non plus sous la contrainte sanitaire, mais au nom de l’efficacité pédagogique, de la personnalisation, du soutien aux plus fragiles, de l’adaptation des formations. Ni les enseignants, ni les élèves, ni les familles ne voudront du retour à l’école de l’avant-Covid, c’est une certitude. Après la révolution, il n’y aura pas de restauration ». (Communiqué intégral).

*Jean Lecanuet était en 1965 le candidat de la « démocratie chrétienne » (sic) à la présidence de la république. Il était « opposé » à Mitterrand, l’homme à la francisque, et à de Gaulle pour qui la politique « sociale » de Vichy « n’était pas sans attraits ». Ses adeptes du XXIème siècle concentrent toutes les tares de l’obscurantisme « moderne ».

De la révolution française à la contre révolution vichyste.

Le combat contre « la société sans école » est une très vieille histoire. Il faudrait y consacrer des livres entiers. En voici quelques jalons :

1 / En 1793, Robespierre proclame : « ( …. ) Tous recevront même nourriture, mêmes vêtements, mêmes soins,  même instruction, … tous les enfants ont droit à la recevoir (l’instruction). L’étude des connaissances humaines sera enseignée publiquement et gratuitement par des maîtres salariés de la nation … » La révolution française et le « sanguinaire » Robespierre méritent bien toute la haine des obscurantistes d’hier et d’aujourd’hui.

2 / L’Empire de Bonaparte triomphant signe un Concordat avec l’Eglise catholique, rétablit l’esclavage et met le continent à feu et à sang …

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Le concordat est promulgué le 18 avril 1802. Bonaparte confie : « Quant à moi, je ne vois dans la religion le mystère de la réincarnation mais le mystère de l’ordre social … Dans l’établissement d’un corps enseignant, mon but est d’avoir un moyen de diriger les opinions politiques et morales … l’enseignement aura pour but de former des sujets vertueux par principe de religion, utiles à l’Etat pour leurs talents, attachés à son gouvernement et à son auguste chef par amour et par devoir ».

3 / Victor Hugo prononce le 15 janvier un discours contre la loi Falloux. Il fustige le « parti clérical » :

« ( … ) Le parti clérical a anathémisé Montaigne au nom de la morale, Molière au nom de la morale et de la religion … voilà longtemps que vous voulez mettre un bâillon à l’esprit humain … et vous voulez être les maîtres de l’enseignement ? »

4 / Pour la COMMUNE de Paris (1871), l’instruction publique laïque n’est « qu’un aspect de la lutte du peuple travailleur contre le vieux monde gouvernemental de l’exploitation, de l’agiotage et du cléricalisme … »

La COMMUNE décrète :

Article 1 : « L’Eglise est séparée de l’Etat.

Article 2 : Le budget des cultes est supprimé.

Article 3 : Les biens dits de mainmorte appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles … sont déclarés propriété nationale ».

K. Marx commente : « La COMMUNE se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres (qui) furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée pour y vivre des aumônes des fidèles … »

La classe dominante, la bourgeoisie de Thiers, avec ses soldats et ses policiers déporte et massacre des milliers de  communards. Thiers résume avec sa brutalité coutumière le programme de la bourgeoisie :

« Le savoir est un commencement d’aisance qui ne peut être accordé à tous. ( … ) Ce sont les ouvriers les plus instruits et qui gagnent le plus qui sont tout à la fois les plus déréglés dans leurs moeurs et les plus dangereux pour la paix publique ». Certains diraient aujourd’hui, la « concorde sociale » ou « l’amitié sociale » (pape François, encyclique « tous frères, sur l’amitié sociale », octobre 2020).

5 / Les lois laïques de Jules ferry, le cauchemar des pédagogues « révolutionnaires » :

La loi de 1881 institue la gratuité de l’enseignement primaire.

La loi de 1882 institue l’obligation scolaire et la neutralité religieuse  dans l’enseignement primaire.

La loi du 30 août 1886 abroge les titres I et II de la loi Falloux, institue la laïcité du personnel enseignant, interdit toute subvention publique à l’enseignement primaire privé et stipule que toute commune doit être pourvue d’une école primaire publique (ce qui est encore loin d’être le cas, puisque les gouvernements de la Vème république poursuivent tous, les mêmes politiques « d’économies budgétaires » ; d’où les fermetures d’écoles rurales, d’hôpitaux de proximité, de bureaux de poste …).

Ces lois ne font certes pas de Ferry un socialiste, ni un anti colonialiste. Elles suffisent cependant à en faire l’objet de toutes les haines des partisans ouverts ou plus honteux, d’une « société sans école ».

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Ferry écrit : « Pour fonder en France une libre démocratie, il ne suffit pas de proclamer l’entière liberté de la presse, l’entière liberté de réunion, l’entière liberté d’association. La France n’aura pas de liberté tant qu’il y aura un clergé d’Etat, une Eglise ou des Eglises officielles. Séparation absolue de l’Eglise et de l’Etat ».

Dans un article intitulé « les parents à l’école » (septembre 1978), Serge Mahé, explique :                                                                                                                                                                                         

«  ( … ) Il était impérieux pour la bourgeoisie et le capitalisme naissant d’asseoir sur une école publique les bases de sa révolution encore contestée par une Eglise monarchiste. L’obligation solaire et l’école obligatoire de jules Ferry naquit dix ans après la COMMUNE de ce compromis entre les besoins de la bourgeoisie et les aspirations des travailleurs … »

Un compromis rendu d’autant plus fragile que :

–          La classe ouvrière s’organise en syndicats et partis pour défendre contre l’ordre et l’Etat bourgeois ses intérêts spécifiques.

–          Une large fraction de la bourgeoisie n’accepte pas le « ralliement » de l’Eglise à la république du pape Léon XIII ; ralliement pour le moins douteux …

(Le président de la Vème république en exercice écrit : « il manque à la France la figure d’un Roi ». Source : « qu’est-ce que le macronisme ? »)

6 /  La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 stipule :

–          Article premier : « La république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».

–          Article deux : « La république ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte … »

Cette loi, les adversaires de l’école laïque ne l’admettent pas. Le pape pie X dénonce le 11 février 1906 (Lettre aux français) « des dispositions législatives qui laïcisent les écoles et les hôpitaux … »

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1905 : Le manifeste des instituteurs syndicalistes affirme : « Notre enseignement n’est pas un enseignement d’autorité. Ce n’est pas au nom du gouvernement, même républicain, ni même au nom du peuple français que l’instituteur confère son enseignement. Les rapports mathématiques, les règles de grammaire non plus que les faits d’ordre scientifiques …ne sauraient être soumis aux fluctuations d’une majorité … » Le texte se termine par la décision de rejoindre la C.G.T.   

Avec Vichy « Ils » pensent tenir leur revanche. Quelques repères :

 La loi du 30 septembre 1940 abroge la loi du 7 juillet 1904 portant suppression de l’enseignement congréganiste.

La loi du 6 janvier 1941 autorise des prêtres  à faire le catéchisme dans les écoles publiques ; 90 minutes par semaine. Cette disposition sera abandonnée à la demande des « autorités allemandes » soucieuses de ne pas ranimer la « guerre scolaire ».

Un décret du 21 janvier 1941 stipule que les élèves de l’enseignement privé peuvent bénéficier d’une bourse d’étude allouée par l’Etat.

L’article 8 de la loi du 15 octobre 1940 prévoit la dissolution du Syndicat National des Instituteurs.  Les écoles normales d’instituteurs sont fermées le 18 septembre 1940. Cette décision ravit le quotidien LA CROIX : « La suppression des écoles normales atteint le mal dans sa source. C’est par là que les puissances ténébreuses empoisonnent la nation … »

L’historien Rémy Handourtzel a ce commentaire :

« Le régime de vichy, surtout Carcopino (5ème ministre de l’éducation de Vichy) invente les termes d’un compromis sur la place de l’enseignement catholique dans le système français d’éducation, compromis successivement reconduit par les IVème république : loi Marie et Béranger et Vème république : loi Debré de 1959 et Guermeur de 1977 … » pour ne citer que celles-ci.

« L’encyclopédisme … »

Le compromis s’établit aussi sur un autre plan. Le ministre Carcopino se vante d’ « avoir allégé les programmes » et de traquer l’ « encyclopédisme mortel » dont souffrirait le système éducatif.   Carcopino, maître des  pédagogistes pieux de l’après-guerre ? affirme : « il doit y avoir primauté de l’éducation nationale sur l’instruction publique », autrement dit, au passe de l’école au catéchisme.

On verra que cette orientation ne disparaît pas après le régime vichyste.

D’ailleurs quelques pédagogues « modernes », « formateurs » de l’ « école » de formation des cadres de Vichy se convertiront sans difficulté aux mouvements d’éducation populaire d’après-guerre.

2ème partie : l’après-guerre.

JM décembre 2020.

chaud ! chaud ! chaud !

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