>Histoire

9 / 09 / 2020

Guerre des classes et guerres impérialistes : 2ème partie. Georges Clémenceau.

(1ère partie : http://force-ouvriere44.fr/warren-buffet-la-guerre-des-classes/)

« Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre ».(Clémenceau, débats à la Chambre, 20 octobre 1918).

Se posant en chef de guerre contre le virus, le président de la République avait conseillé aux syndicats de se placer « sous l’autorité du 1er ministre ». L’affaire s’est mal terminée. Le 1er ministre,  bien que seul rescapé d’une gigantesque fessée électorale a été remercié.  Son successeur est nous dit-on, un passionné depuis presque tout petit, du fameux « dialogue social ».

Et il faudrait rester sérieux !

La Vème République, « République des coquins (et des coquinEs !, depuis qu’il y a la parité) et des copains … (et des copinEs … ) mais aussi, République « du coup d’état permanent » a voulu saisir le virus providentiel pour « tout en gardant le cap » des contre-réformes, accélérer  le rythme.

Seulement voilà, la lutte des classes est encore passée par là.

 Les personnels soignants et non soignants particulièrement exposés à l’incurie criminelle des gouvernements successifs, (depuis l’instauration du « budget global » du ministre Ralite) ont magnifiquement ignoré les appels vibrants des « décideurs » à la « concorde sociale ».

Le gouvernement peut bien engranger des préconisations unanimes au CESE sur la « co construction » commune du « jour d’après », ou encore l’engagement à respecter les préconisations de « l’agenda 2030 » pour une bonne « mondialisation », ceci ne change pas fondamentalement le rapport des forces entre les classes.

Nos apprentis chefs de guerre ont beau remplacé les conseils des ministres par des « conseils de défense », rien n’y fait, nos syndicats sont toujours là avec les revendications, que ça leur plaise ou non …

« Nos » chers chefs de guerre. Clémenceau.

Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » … « La politique coloniale de la France (a contribué) à créer l’état de chose horrible où nous sommes » (dernier discours de Jaurès avant son assassinat).

1ère partie : les guerres coloniales.

Des chefs de guerre, on n’en a pas manqué. Un colloque réuni en 2014 consacré à « la pensée politique de Georges Clémenceau » (1841-1929) a été suivi de la publication d’un livre sur le sujet. Un de plus.

Clémenceau a été ministre de l’INTERIEUR de 1906 à 1909, et président du Conseil (et chef de guerre de 1917 à 1920).

Evidemment, il y a plusieurs Clémenceau : celui qui a consacré 700 articles à l’affaire Dreyfus, celui qui s’est posé en anti colonialiste, anti Jules Ferry, Clémenceau le journaliste, le « tombeur des ministères » etc.  Voyons d’abord ce qu’il en est des,

1 / Guerres coloniales : La France de la IIIème République, celle de Jules Ferry envoie 30 000 soldats en Tunisie en 1881 pour soumettre le Bey de Tunis, asservir le peuple tunisien et piller les richesses du pays. Dans quelques discours tonitruants, Clémenceau tourne en dérision la politique colonialiste de J. Ferry. En 1885, il déclare :

« ( … ) Non, il n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures … » Pourtant, Clémenceau vote les crédits de guerre, votés d’ailleurs à l’unanimité. Le traité du BARDO qui consacre la victoire des armées françaises ne fait pas l’unanimité … Clémenceau s’abstient. Curieux anti colonialiste …

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L’historien tunisien Mahmoud Faroua a consacré une excellente étude à « la gauche en France et la colonisation de la Tunisie » (1881-1914).Il a dépouillé les archives parlementaires, la presse etc.

 Adage africain : « tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur ».

Il écrit : « Clémenceau réclame une politique coloniale démocratique qui s’attache plus aux conquêtes morales qu’aux conquêtes matérielles. Clémenceau dut mettre en sourdine son anti colonialisme après l’arrivée des radicaux au pouvoir. Président du Conseil en 1906, il n’a nullement remis en cause l’œuvre coloniale accomplie par ses prédécesseurs. Cette œuvre, il va encore la poursuivre et l’étendre. Ses initiatives aboutiront à la veille de la grande guerre à l’instauration du protectorat sur le Maroc.

Mahmoud Faroua conclut que le leader de la gauche radicale dans l’histoire de l’expansion coloniale française peut être considéré « comme l’héritier et le continuateur somme toute fidèle de Jules Ferry, l’artisan du protectorat tunisien ».

Clémenceau regrette l’intronisation à Tunis du cardinal Lavigerie. Bien. Mais c’est pour noter dans une déclaration de septembre 1881 : « ( … ) Après la prise de Kérouan, le fanatisme musulman aura-t-il dit son dernier mot ? Les conditions d’occupation barbare seront-elles changées ? ». Le « fanatisme musulman » est depuis longtemps une obsession de nos chefs de guerre.

Ni Paul Lafargue, ni Jean Jaurès ne sont disposés à applaudir Clémenceau. Bien au contraire.

En octobre 1907 un meeting socialiste présidé par Paul Lafargue se termine par : « A bas Clémenceau, vive l’internationale » !

Jaurès, longtemps hostile  aux « excès », aux « abus » de la politique coloniale des radicaux adresse une lettre ouverte à Clémenceau dans laquelle il dénonce « certains actes horribles pareils à ceux qui s’étaient déroulé à Casablanca où deux prisonniers marocains avaient creusé leur propre tombe avant d’être fusillés par les hommes du général Drude ». La ville avait été bombardée sous prétexte d’assurer la protection des ressortissants européens. Classique. (Voir à ce sujet : Abdelkrim Mejri, « les socialistes français et la question coloniale » (1903-1912).

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Ci-dessus, Casablanca après le bombardement voulu par Clémenceau. La politique du Tigre qui prétend en 1908 prescrire le recensement des algériens susceptibles d’être appelés sous les drapeaux en 1909 provoque l’hostilité des musulmans d’Algérie.  Messali Hadj raconte dans ses mémoires politiques : « A Tlemcen (la ville de son enfance), dans les cafés Maures, aux marchés, à la mosquée, dans les confréries, partout, on ne parlait que de l’impôt du sang que le gouvernement français voulait lever. Les femmes ne voulaient pas que leurs enfants soient immolés au service de l’armée française … » Clémenceau chassé du pouvoir, le général Mangin invente en 1912 la « force noire ». 

Bien que jusque-là partisan d’une « colonisation pacifique, démocratique » – en 1903 Jaurès se prononce « pour une expansion pacifique et raisonnable des intérêts français et de la civilisation française »   il écrit en novembre 1907 :

« Il n’y a plus qu’un moyen de prouver aux marocains que nous ne voulons pas les conquérir, c’est de nous retirer … » position qui se heurte à la politique guerrière de Clémenceau et des radicaux.

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En France, 1er mai 1908. Les militants syndicalistes sont considérés comme des voyous. Clémenceau fait la guerre.

Le 27 mars 1908, Jaurès déclara que :

« Mes amis socialistes et moi ne voterons pas les crédits de guerre … je me demande de quel droit nous portons la guerre, le fer et le feu au cœur du Maroc  et il dénonce à juste titre les prétentions communes  des capitalistes français et allemands qui veulent exploiter à très bas coût le minerai marocain.

En 1912 – Clémenceau n’est plus au gouvernement – Jaurès rejette le projet néo colonial du « socialiste » Deslinières que Guesde approuve. En 1912, Guesde est mûr pour l’union sacrée, aux côtés de Clémenceau pour la défense de « l’Empire ». Jaurès et Guesde ont suivi deux trajectoires opposées.

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40 000 soldats marocains sont expédiés au front en 1914 pour défendre la France « protectrice » et reconquérir … l’Alsace et la Lorraine. Jaurès a été assassiné. Les cléricaux, ceux du Sillon, les ancêtres de la « deuxième gauche », exultent.

Les hommes du chef de guerre : le général d’Amade, « pacificateur » du Maroc, ici représenté en boucher. Il reçoit le 23 janvier 1909, la médaille militaire.

2 / 1906, grèves ouvrières, guerre des classes : Jaurès contre Clémenceau.

Comment parler de Clémenceau sans rappeler ces propos de Jean Jaurès, après la catastrophe de Courrières ?

«  ( … ) Vous me disiez, monsieur le ministre, (il s’agit du ministre de l’intérieur, Clémenceau) que nous vous accusions d’avoir caché un cadavre ; non, nous ne vous avons pas accusé d’avoir caché un cadavre, mais il y a 1400 cadavres que la société capitaliste est en train de cacher ! » (Certaines sources font état de 1100 victimes).

1100 cadavres qui ne sont pas le résultat dont on ne sait quelle malédiction, mais des politiques menées par les capitalistes qui se servent, à l’époque comme aujourd’hui, de leur « conseil d’administration » qu’est leur gouvernement, pour toujours plus abaisser le coût du travail, qu’elles qu’en soient les plus tragiques conséquences.

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Victor Grifffuelhes, (1874-1922). Secrétaire général de la CGT, il s’oppose à la conception de Guesde du syndicat, courroie de transmission du parti : « A la théorie guesdiste, nous opposons la nôtre : adversaires de l’Etat et de toutes les institutions au point de vue politique ; adversaires de l’Etat et de toutes ses institutions au point de vue syndical ».

Griffuelhes n’a pas le profil d’un « co constructeur » de pactes sociaux. Il ne revendique pas le statut de « corps intermédiaire ».

Pour le chef de guerre Clémenceau, Griffuelhes et ses camarades de la CGT constituent autant d’obstacles à neutraliser, soit par l’intégration à la « gouvernance », soit par la répression, ou par une combinaison des deux.

« Votre moyen d’action, c’est le désordre. Mon devoir, c’est de faire de l’ordre ». (Mise en garde du « 1er flic de France » (Clémenceau) à V. Griffuelhes à l’occasion du 1er mai 1906, cité par J-B Duroselle : « Clémenceau »).

Ami de l’ « ordre », de la stabilité de l’Etat républicain et des institutions, Clémenceau a sa part de responsabilité, très lourde, dans la répression du syndicalisme. Il n’aime pas les syndicalistes, encore moins les grévistes. Quelques exemples :

En juillet 1907, deux manifestants sont tués à Raon-l’Etape. En juin 1908, à Vigneux, les gendarmes ouvrent le feu sur des grévistes réunis dans leur permanence, en tuant deux et en blessant une dizaine. Le 30 juillet 1908, à Villeneuve-Saint-Georges, les dragons attaquent 400 manifestants, en tuent quatre et en blessent presque une centaine. Dans la foulée, Clemenceau fait arrêter tout l’état-major de la CGT, dont Victor Griffuelhes, responsable national de la CGT, au motif qu’ils seraient les « responsables moraux » des grèves et affrontements. (1)

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Le 5 octobre 1909, c’est le début de la revue syndicale : LA VIE OUVRIERE. Ses principaux animateurs sont : P. Monatte, A. Merrheim, (métallurgie) V. Griffuelhes, et …. Léon Jouhaux.

Clémenceau invente un « complot anarcho-bonapartiste » contre la « sûreté de l’Etat ». (1906).

Extrait, à partir du journal de prison de Monatte de quelques notes de Colette Chambelland (fille de Maurice Chambelland, syndicaliste proche de Pierre Monatte). On y découvre toute la duplicité du premier flic de France.

« L’extension du mouvement inquiète le tout nouveau ministre de l’Intérieur, Georges Clemenceau, qui pense qu’en raison de son passé, il peut tenter une action inhabituelle : il se rend à Lens, rencontre Basly, mais aussi les militants du jeune syndicat, et Monatte l’amène devant le comité de grève. À la réunion générale des grévistes, Clemenceau promet de ne pas envoyer de troupes. Mais la grève rebondit, avec ses violences ; après un autre voyage de Clemenceau à Lens, la cavalerie entre en action.

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Clémenceau se tend à pied à la MAISON du PEUPLE. Il y rencontre les délégués des mineurs à qui il promet de ne pas faire intervenir la troupe. Promesse non tenue. Monatte est emprisonné.

Le 23 avril, une quarantaine de militants sont arrêtés, dont Monatte. Monatte n’apprend d’ailleurs que tardivement et sans détails, par son avocat, Ernest Lafont, les charges qui pèsent sur lui. Aux menées anarchistes, raisons de l’arrestation, s’ajoute la poursuite pour complot contre la sûreté de l’État. Monatte aurait touché des sommes importantes des bonapartistes pour fomenter ce complot et renverser la République. À la veille des élections, avant le 1er mai si redouté (on arrête aussi des dirigeants de la cgt), la manœuvre est évidente.

Monatte est conscient du danger et écrit, le 30 avril, à son avocat Ernest Lafont : « Qu’est-ce que ça va devenir, grands dieux, si le gouvernement y va à grands coups ! 50 perquisitions chez les réactionnaires, chez les camarades. Jusqu’à ma piaule qu’ils ont dû vilainement chambarder. Malheur ! Enfin si les gens de justice n’ont pas d’autre besogne à faire, autant vaut qu’ils s’occupent au petit jeu du complot. Je ne croyais pas imaginable ce complot. Mais, en y réfléchissant, je ne le trouve pas si bête de leur part. Ils savent qu’il reste toujours quelque chose des calomnies ; peut-être pensent-ils qu’il aura suffi d’ouvrir une instruction contre un prétendu complot révolutionnaire et réactionnaire pour faire croire aux imbéciles que la propagande syndicaliste est aidée par la réaction ».

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Mars 1907, les soldats du XVIIème régiment d’infanterie fraternise avec les grévistes et familles de vignerons. Ils refusent de titrer sur la foule. Clémenceau doit patienter jusqu’au 20 juin pour provoquer le carnage.

La fusillade de Narbonne. (1907).

La révolte des vignerons de l’Aude en mars 1907 est brutalement réprimée sur ordre de Clémenceau. On dénombre cinq morts et une trentaine de blessés.

La CGT prend position contre la répression. Une affiche est même éditée, « gouvernement d’assassins ! ». Des militants de la CGT sont poursuivis en justice, parmi eux, Alphonse Merrheim.

Clémenceau dans l’opposition ou Clémenceau ministre ne change pas de doctrine. Il l’exprime on ne peut plus clairement en mai 1917 :

« N’ayant jamais été partisan de la lutte des classes, je propose que personne ne s’épargne pour maintenir la paix sociale, au moins jusqu’à la fin de la guerre des boches ». Le virus a remplacé comme miraculeusement « le boche ».

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chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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