>Histoire

3 / 05 / 2017

Le combat incessant pour l’indépendance syndicale en Allemagne (1)

1ère partie :
La « Communauté de travail » dans l’Allemagne de la république de Weimar.

La défaite militaire de l’impérialisme allemand et la chute de Guillaume II le 9 novembre 1918 ouvrent une période d’instabilité sociale. Côté patronal, on craint par-dessus tout la « contagion » révolutionnaire. Tous les regards sont tournés vers l’est. « Tout devenait possible, y compris le bolchévisme, dont l’Allemagne a connu tous les débuts » (Paul Viénot, incertitudes allemandes, PP. 75-76).
Pierre Walline fut un dirigeant important de l’ancien CNPF, délégué du patronat à l’OIT de 1945 à 1974. Il a consacré une étude détaillée à « 50 ans de rapports entre patrons et ouvriers en Allemagne ». Son étude couvre la période 1918-1968. (Tome 1 : 1918-1945 ; tome II : 1945-1968).
La question de la « Communauté du travail » est ainsi présentée.
« C’est le 15 novembre 1918, six jours (seulement) après la chute du régime impérial, qu’un accord national était conclu à Berlin entre les organisations patronales et les syndicats ouvriers. Cette convention établissait entre ces grands groupements une communauté de travail et fixait les principes de la collaboration qui devait s’instituer sur tout le territoire du Reich et dans toutes les professions, pour le maintien de la paix sociale et le sauvetage de l’économie nationale, entre les employeurs et leurs salariés », démarche qu’approuve sans aucune réserve l’auteur.
« Les plus grands noms du patronat », Stinnes, Siemens, Rathenau … figurent aux côtés des syndicalistes conduits par Legien « social-démocrate », Stegerwald, syndicats chrétiens et Hartman, syndicats « démocrates ».
Walline note :
« Ces hommes ont certainement, par la proclamation d’une sorte d’union sacrée, rendu l’espérance à beaucoup de leurs compatriotes ».
Oui, certainement, mais lesquels précisément ?
Les millions d’ouvriers et d’employés en grève pour leurs revendications spécifiques n’y trouveront sans doute pas leur compte.

henry-bogdan-guillaume-2-kaiserL’empereur Guillaume II doit abdiquer. La république est proclamée. Une constitution est adoptée.
Les socialistes réclamaient l’abdication depuis le 23 octobre. Pourquoi ? « Il s’agissait de la lutte contre la révolution bolchévique qui monte, toujours plus menaçante et qui signifierait le chaos. La question impériale est étroitement liée à celle du danger bolchévique. Il faut sacrifier l’empereur pour sauver le pays. Cela n’a absolument rien à voir avec un quelconque dogmatisme républicain ». (selon l’historien E. Kolb). Très éloignés de ces considérations, les ouvriers des grands centres industriels se mobilisent pour défendre leurs revendications.

Concessions patronales

L’accord instaurant la Communauté prévoit :
– La reconnaissance des syndicats comme représentants qualifiés des travailleurs.
– Le droit de coalition sans restriction.
– L’administration paritaire du placement.
– La création d’organes paritaires de conciliation. (1)
– La conclusion de conventions collectives dans les différentes branches d’industrie. (2).
– L’abandon par les chefs d’entreprise des syndicats jaunes. (3)
Le texte à peine adopté, le patronat va chercher à en limiter la portée pour ne conserver que les aspects les plus négatifs, en particulier, les procédures dites d’ « arbitrage » destinées à écarter une véritable pratique contractuelle.
Un homme a joué un rôle de premier plan : Carl Legien. « Il a mis de côté le principe de la lutte des classes et s’est engagé avec toute sa personnalité en faveur de la « communauté de travail ».

En introduction du 1er tome, P. Walline écrit : « l’Allemagne est une terre d’expériences industrielles et sociales d’un intérêt exceptionnel. ( … ) L’aventure sociale qui s’y déroule est marquée par l’ambition de ses débuts comme par le tragique de sa fin. Pour l’avoir suivie de près ou de loin, presque jour par jour jusque 1934 et pour avoir connu nombre de ses protagonistes, par exemple à l’occasion des réunions du BIT, j’ai cru pouvoir la décrire en m’efforçant d’éviter l’erreur ou l’injustice … »
Walline connait en effet très bien tant les milieux patronaux que syndicaux ouvriers. Son témoignage et ses analyses se placent évidemment du point de vue des partisans de l’économie dite « libérale », c’est-à-dire du capitalisme qu’il souhaite plus harmonieux, moins « injuste », plus « moral ».

 

La Communauté d’entreprise : coquille vide ou 1ère ébauche d’un futur Front du travail ?

Communauté de travail ? Définition :
Les statuts de la Communauté plantent le décor :
« Reconnaissant que la reconstruction de notre économie nationale exige le rassemblement de toutes les forces économiques et spirituelles, ainsi que la collaboration confiante de tous, et pénétrées de la responsabilité que cela leur impose, les organisations d’employeurs et de travailleurs de l’industrie et des métiers s’unissent dans une communauté de travail ». 14 communautés nationales du travail sont constituées : industrie du fer, industrie textile, chimie etc. Selon les statuts « le devoir s’impose à chacun de mettre l’accent sur l’intérêt commun de la profession ».
La grève devient l’arme des mauvais allemands :
« Les signataires promettent solennellement qu’aucune grève ni aucun lock-out n’aura lieu avant que les chances d’un accord ait été épuisé », (Walline, p.60) d’où l’impérieuse obligation de s’en remettre aux procédures de conciliation.
Le cadre étant fixé, les ouvriers sont priés « de travailler et de redoubler d’efforts » car « nous sommes tous menacés de périr ». Les chômeurs sont invités à retrousser leurs manches et à participer à l’œuvre commune de reconstruction : extraire le charbon, fabriquer l’acier … et surtout ne rien revendiquer. L’honneur national l’exige.

La sainte Communauté en panne.

« La Communauté de travail faisait généralement preuve de sagesse et de prudence. ( … ) Elle approuvait le rétablissement du travail aux pièces ou au rendement ». Ainsi, si les syndicats ouvriers avaient obtenu le droit de généraliser les conventions collectives de branches, accords souvent favorables aux salariés, ils devaient se soumettre à la généralisation du travail surexploité. Il n’est pas étonnant que cette construction bureaucratique qui prétend concilier des intérêts inconciliables – ceux du Travail et ceux du capital – n’aient pas donné, pour ses initiateurs, tous les effets escomptés.
Walline cite les propos édifiants de partisans patronaux de la Communauté de travail. L’un deux écrit :
« L’institution ne s’est pas enracinée. La faiblesse de l’institution tenait à ce qu’elle n’était pas née dans la masse, mais avait été réalisée par en haut, de Berlin. Tout son plan en gardait un caractère schématique. Et il se produisit pour elle ce qui devait advenir vingt ans plus tard pour la Charte du travail du gouvernement de Vichy … certaines des communautés professionnelles n’eurent aucune activité ».
Un autre s’inquiète :
« Les chefs s’étaient rencontrés et unis quand ils avaient pris conscience en commun de leur responsabilité au moment du plus grand péril ». Mais, « dans les masses, l’esprit d’avant-guerre s’était maintenu et il reprenait la primauté à mesure que les misères de la situation économique et politique réveillaient les vieilles oppositions d’intérêts ».
( … ) « Travail, union, ordre et discipline, voilà ce à quoi pensaient, au milieu du désarroi général les signataires de l’accord du 15 novembre ». N’était-ce pas plutôt renouer avec le « vieux fatras » dénoncé depuis longtemps par Marx ? (p. 74).
C’est qu’on ne supprime pas « les oppositions d’intérêts » si facilement. Certes, le patronat a sauvé l’essentiel : « l’économie de marché ». Mais la « finance » de l’époque n’est pas pour autant rassurée. De 1918 à 1921, les effectifs globaux des syndicats passent de 1 700 000 à 7 500 000. C’est la force terrifiante du nombre des exploités face à une infime minorité d’exploiteurs. Dans les milieux patronaux, certains commencent à s’interroger. Puisqu’il n’est pas possible de réaliser « en douceur » l’intégration de la classe ouvrière à la nation, le moment n’est-il pas venu de réfléchir à l’utilisation de méthodes plus radicales ? Celles qui fusionnent le « national » et le « social » ?

Mars 1924 : mort-clinique

Constatant l’inefficacité de la communauté, nombre de « partenaires sociaux », (l’expression est de Walline), quittent le navire. Le Bureau central de la Communauté, dont Legien est un pilier, est dissous le 31 mars 1924, 10 ans avant la loi travail du IIIème Reich. Hans von Raumer, l’un des dirigeants patronaux, tire ce bilan :
« Il n’est pas excessif de dire que la Communauté centrale de travail a, dans la première année de son existence, sauvé l’Allemagne du chaos et d’une révolution bolchéviste. Lorsque toutes les autorités s’écroulaient : Monarchie, Etat, armée, Administration, on vit naître, de la collaboration des chefs d’entreprise avec les syndicats une puissance qui maintint l’ordre dans l’économie et les entreprises ».
Mais le corporatisme « soft » de la Communauté de travail de la république de Weimar n’a que partiellement rempli son office. La confédération ouvrière, pourtant dirigée par des partisans de l’union sacrée – toujours au nom de « l’intérêt général – demeure pour la « finance », un danger mortel.
Pour le triomphe de « l’intérêt général » et du « bien commun », la loi-travail hitlérienne va rebattre les cartes. Elle débute ainsi :

« Dans l’entreprise, l’entrepreneur comme chef d’entreprise, les employés et les ouvriers comme membres du personnel sous sa direction, travaillent en commun à la réalisation des objectifs de l’entreprise et pour le bien commun du Peuple et de l’Etat ».

Un nouveau chapitre des relations patrons-ouvriers s’ouvre en Allemagne. Dans quelles conditions ? Ce sera l’objet de la deuxième partie.

(1) « Patronat et syndicats prendront l’habitude de se rencontrer, d’échanger leurs vues, d’ajuster leurs projets. Ils réduiront au minimum les risques de conflits dont la cause est bien souvent l’ignorance, la méfiance ou le malentendu ». (Walline, p 44). Le patronat entend prolonger l’union sacrée du temps de guerre. Il compte sur la bonne volonté de Légien. Hugo Stinnes baptisa en 1924 l’un de ses grands navires, le Carl Legien.
Mais Legien, c’est aussi celui qui face à la tentative de putsch de Kapp (mars 1920) réunit la direction de son syndicat qui appelle à la grève générale et en provoque l’échec. Le gouvernement qui suit, dirigé par le social-démocrate Ebert (en fuite à l’annonce de la tentative de coup d’état) lui propose le poste de chancelier, poste qu’il refuse. (Legien meut en décembre 1920). Du côté « résistant » à l’intégration, Walline ne dit rien … comme il ne dit rien de la répression brutale qui frappe des milliers de syndicalistes.

(2) Selon Walline, 500 000 travailleurs bénéficiaient déjà en 1905, d’une convention collective. Ils étaient 1 400 000 en 1913.

(3) Le patronat s’engage à ne pas faciliter la création de « syndicats » d’entreprise, appelés jusque-là : « unions pour la paix économique ». Mais il y a loin de la promesse à la réalité. On peut rappeler que la création de « sections syndicales d’entreprise » réclamée notamment par la centrale cléricale CFDT en mai 68 recoupe très logiquement les préoccupations patronales. Les jaunes obtiennent gain de cause en décembre 1968 : « la grande victoire de mai ! » Pas fous, les patrons !
(4) Voilà une formulation qui rappelle la Charte du travail de Belin-Pétain.

J. M 30-avril 2017

chaud ! chaud ! chaud !

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