>Histoire

14 / 04 / 2018

Chronique des envahisseurs. (2ème partie)

« La main tendue … au Vatican ». (2)  La première partie est parue le 21 février.

Juin 36, les grèves se généralisent. C’est bientôt la grève générale. « Tout est possible » écrit Marceau Pivert, responsable de la SFIO. La puissance de la grève ébranle l’Etat. 1937, les grèves continuent, bouleversant les plans des différents « appareils » politiques et syndicaux. Les travailleurs obtiennent la création de la SNCF que l’actuel gouvernement prétend privatiser. Les grèves sont dures, la grève « ce n’est pas la fête ».

Mais 1937, c’est aussi l’instauration de procédures d’arbitrage obligatoire qui n’ont d’autres fonctions que de limiter les prérogatives de la CGT, et, d’ouvrir la possibilité, le moment venu, d’interdire la grève au nom bien sûr, de « l’intérêt général ». De nombreux responsables syndicaux ne semblent pas mesurer la gravité de l’attaque. Le déjà presque fasciste François Perroux s’en félicite, ostensiblement. (Voir : « corporatismes d’hier et d’aujourd’hui »). Il reviendra au régime de Vichy de généraliser l’arbitrage obligatoire en « Charte du travail ».

C’est dans ce contexte de luttes des classes acharnée qu’intervient l’épisode peu connu de la revue dominicaine « sept » ; un épisode oublié, c’est compréhensible, mais que l’actualité a sous une forme particulière « réactivé ».

Blum et les dominicains.

La politique du Front populaire : SFIO-PS, PCF sans ministre et radicaux se heurte tout au long de l’année 1937 à la résistance ouvrière. De jeunes militants syndicalistes dirigent avec leur CGT des grèves et font souvent reculer le patronat. Dans ce contexte, l’appareil d’Etat, dont Léon Blum est à ce moment l’une des figures marquantes cherche des alliés pour contenir, dans un 1er temps, « l’impatience » des « masses ».

C’est tout naturellement que l’Eglise, ou du moins, une fraction de l’Eglise, notamment les dominicains, répond positivement aux sollicitations d’un pouvoir en grande difficulté.

Portait de PIE XI.

Extrait d’un bréviaire édité en 1939 :

Q : A quelle race appartiens-tu ? R : j’appartiens à la race aryenne. Q : Pourquoi dis-tu que tu es de race aryenne ? R : Parce que la race italienne est aryenne. Q : Quelle est la mission de la race aryenne ? R : La race aryenne a pour mission de civiliser le monde. Q : les juifs nés en Italie appartiennent-ils à notre race ? R : Non …

(Source : Henri Fabre ; l’Eglise catholique face au fascisme …page 140) Pas de quoi refroidir les ardeurs des partis du Front populaire.

Les militants syndicalistes ont tout intérêt à conserver une distance respectable vis-à-vis de ces partis qui recherchent l’alliance avec le Vatican. Hier comme aujourd’hui.

L’hebdomadaire « sept ».

L’hebdomadaire des dominicains a été fondé après le 6 février 1934 (émeutes des Croix de feu), à l’initiative du pape PIE XI, par le père Bernadot (1), dominicain. Il est dirigé par des religieux qui entendent placer la question sociale au centre des préoccupations.

En France l’Eglise dispose d’un relais « syndical » quasiment inopérant. La CFTC, avec l’affichage de son « C » chrétien reste marginale. On est encore bien loin de l’opération d’enfumage connue sous le terme de « déconfessionnalisation » de la CFTC. (Congrès de la CFTC de 1964 qui change de sigle et devient CFDT).

Les plus clairvoyants des cléricaux ont compris en 1937, que l’Eglise devait s’adapter pour ne pas être marginalisée. Le SGEN se constitue dans l’enseignement et se donne des airs laïques. Les plus naïfs, – il y en a toujours – y croient ou font mine d’y croire.

Près de 30 ans avant Vatican II, l’hebdomadaire « sept » engage le combat de la « modernisation », de « l’ouverture ».

Sa doctrine est simple : explorer toutes les possibilités d’ « une troisième voie » entre « communisme et nationalisme » pour « un ordre social plus juste et plus équitable » en renouant avec tous les « principes de la doctrine sociale de l’Eglise ».

Sa diffusion est loin d’être confidentielle : 25 000 abonnés en 1937 ; et un tirage jusqu’à 100 000 exemplaires à l’occasion d’une interview de Léon Blum.

L’interview de Léon Blum.

Léon Blum en 1936. Il est alors le leader incontesté de la SFIO, section française de l’Internationale Ouvrière. Le programme du FP ne contient aucune disposition de nature à indisposer l’Eglise. Cependant le ministre Jean Zay publie cette importante  circulaire :

Circulaire du 15 mai 1937 interdisant le prosélytisme religieux « Ma circulaire du 31 décembre 1936 a attiré l’attention de l’administration et des chefs d’établissements sur la nécessité de maintenir l’enseignement public de tous les degrés à l’abri des propagandes politiques. Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec une fermeté sans défaillance ». une recommandation plus que jamais d’actualité.

Février 1937 : « Sept se positionne surtout vis-à-vis des questions sociales et économiques et plaide pour une doctrine sociale de l’Eglise qui se soucie de la condition ouvrière. Le modèle corporatiste est montré comme l’autre branche de l’alternative entre lutte des classes et charité chrétienne. (Selon Magali Della Sudda, thèse d’histoire, « la suppression de l’Hebdo dominicain sept », consultable sur internet).

Les enjeux sont clairement posés. Que va dire Léon Blum ?

Le titre de la contribution de Blum est : « les chrétiens dans la cité».

A la question d’un journaliste lui demandant son avis sur une éventuelle « collaboration entre les catholiques et le gouvernement », il répond :

« S’il y a en effet, coïncidence entre certaines initiatives du Front populaire et les réformes demandées par l’école sociale catholique, nous ne voyons aucune raison pour ne pas leur donner loyalement notre appui. ( … ) Refuser cet appui aurait été pratiquer la politique du pire. ( … )  Il ne nous semble pas que ce soit l’intérêt du pays.  Il ne nous semble pas qu’il y ait rien en cette attitude  qui ne soit conforme à la doctrine de l’Eglise ».

« S’il y a coïncidence » … la question serait donc posée ? Rappelons que l’encyclique qui actualise la doctrine sociale de l’Eglise – QUADRAGESIMO ANNO – est toute « fraîche ». Publiée en 1931 elle bénit le fascisme mussolinien. (2) Comment pourrait-il y avoir «une quelconque coïncidence ?

En 1933, la SFIO a expulsé de ses rangs les néos-socialistes qui évoluent vers le fascisme et en 1937, Blum bavarde sur de possibles coïncidences … Léon Jouhaux, dirigeant de la CGT doit aussi contenir l’influence des néos-syndicalistes, les « modernes » de l’époque, rassemblés autour de René Belin.

Léon Jouhaux.

Le grand-père paternel de Léon Jouhaux avait été fusillé après les Journées de Juin 1848. Son père, Adolphe Jouhaux, employé municipal à Paris, tambour sous la Commune, échappa à la répression grâce à sa bonne connaissance des égouts où il se réfugia quelques temps … (Source, le Maitron). Pourtant en 1914, L. Jouhaux se rallie à l’union sacrée en opposition avec la fédération des métaux. En 1936, certains socialistes rêvent d’intégrer au gouvernement des camarades ministres syndicalistes. Jouhaux s’y refuse. Mais il écrit aussi : « l’attitude à l’égard de l’Etat ne saurait être la même que naguère (Source, Jouhaux : la CGT, ce qu’elle est, ce qu’elle veut ». N’est-ce pas la porte ouverte à de multiples dérives ?

 

Les supputations de Blum ne suscitent guère de réactions dans les milieux syndicalistes. C’est le moins que l’on puisse dire. Dans certaines circonstances, se taire, n’est-ce pas cautionner ?

Loin des calculs politiciens de Blum et de son « numéro deux », Paul Faure, (qui finira à Vichy), les militants de la CGT qui n’obéissent pas aux ordres du parti stalinien sont bien trop occupés à se battre quotidiennement pour arracher leurs revendications, toutes ces conquêtes sociales que le gouvernement Macron-Philippe veut maintenant détruire.

A l’inverse, chez les cléricaux, c’est l’effervescence. Les plus « traditionnalistes », arc-boutés sur le vieux corporatisme de la Tour du Pin, s’étranglent d’indignation. Pas de discussions entre l’Eglise et les « rouges » ! Les « modernistes » de l’époque tentent au contraire de pousser l’avantage.  Les lois sur l’arbitrage obligatoire instauré par le radical Chautemps constituent pour ceux-là, un incontestable succès. La CFTC voudrait des procédures d’arbitrage toujours plus contraignantes, bien commun oblige.

Blum a entrouvert la porte à l’infiltration des cléricaux dans l’Etat.

Et aujourd’hui ?

Le président précédent, bien que faisant preuve de bonne volonté, n’offrait sans doute pas encore toutes les garanties. L’Eglise sait faire preuve de patience. Le locataire de l’Elysée, élu dans les conditions que l’on sait est, désormais clairement, le disciple, le continuateur des « uriagistes » de 1940. Il l’indique lui-même lors de son allocution au Collège des Bernardins.

Avril 2018, les salariés sont en grève pour la défense de leurs intérêts particuliers, conquis de haute lutte en 36-37 et en 45. La grève des cheminots est un bon indicateur du niveau de combativité des salariés.

Le pouvoir, les médias aux ordres, le patronat s’inquiètent, d’où l’appel du président aux évêques de France. Il y a quelque chose de grotesque dans la démarche : comme si une quinzaine de prélats réunis au collège des Bernardins flanqués d’une cour de 400 convives pouvaient inverser le cours de la lutte des classes ! Le président y croit pourtant ou fait semblant.

Il en profite – c’est peut-être la leçon essentielle – pour rappeler à ceux qui ne veulent toujours pas le voir, quelle idéologie l’anime. Son inspiration, il la trouve dans l’action de la branche catholique personnaliste, vichyste pendant la guerre puis convertie aux vertus du néo-socialisme d’après-guerre : Mounier, Ricoeur, de Lubac, Marrou … (3) autant d’individus oubliés de tous, ou presque.

Quant à son coup de chapeau à ceux qui ont « inventé le syndicalisme moderne », la CFDT, n’est finalement qu’un encouragement pour continuer plus que jamais à revendiquer, en toute indépendance.

Car si les thèses corporatistes des « modèles » du président sont le moteur de la réaction, la revendication reste, plus que jamais, le moteur du progrès. (Robert Bothereau).

Manifestation ouvrière à Clichy contre la venue du Parti social français du colonel de La Rocque en mars 1937. La police de l’Etat « démocratique » tire : bilan, 5  morts, 200 ou 300 blessés. (Selon les sources). « La fusillade de Clichy avait été précédée le 7 mars 1937, de la fusillade de Metlaui en Tunisie, au cours de laquelle 19 mineurs en grève ont été abattus par la gendarmerie ». (Source : Danos, Gibelin, juin 36, T.  II, page 139). Guerre de classes à « l’intérieur », guerre de classe à « l’extérieur ».

Deux Documents :

1 / Extrait des mémoires de François-Charles Roux, ambassadeur au Vatican de 1932 à 1940.

« ( … ) Pendant le premier semestre 1937, la situation morale du Saint-Siège en France s’était encore fortifiée. Elle n’a jamais été aussi forte, m’écrivait de Paris, le comte W. d’Ormesson. ( … ) Jamais encore on n’avait vu si complète fusion entre l’élément ecclésiastique et le monde officiel ». (Page 218, huit ans au Vatican).

Les « communistes » comme toujours sont à l’avant-garde. C’est la Gazette de la Bourse qui se réjouit :

« Sous le titre : Hymne de louanges entonné par les communistes en l’honneur du Vatican, la gazette écrit :

On ne peut que s’étonner de voir l’Humanité défendre la cause de l’Eglise et du Vatican ». (Page 234).

On ne peut que s’étonner de l’étonnement des boursicoteurs.

2 / Lorsque le socialiste Vincent Auriol est investi président de la République le 16 janvier 1947, il reçoit les représentants des Eglises. Un dialogue édifiant s’engage :

( … ) Guerre de classe à l’intérieur, guerres de classe à l’extérieur avec, dieu soit loué, la bénédiction de Monseigneur Suhard, plus vichyste que les pires vichystes. Auriol raconte :

« Vendredi 31 janvier 11h30, (je reçois) le cardinal Suhard qui déclare : vous savez Monsieur le président que l’Eglise a toujours été loyale à l’égard de tous les gouvernements ». Réponse : « Je le sais Monseigneur et j’espère  qu’elle continuera … » Auriol avait précédemment reçu le pasteur Boegner (ex vichyste, titulaire de la Francisque, membre du Conseil national de Vichy) et le Grand Rabbin (Julien Weil). « Tous, sous des formes diverses m’ont dit : amen ». (Source : V. Auriol, mémoires politiques).

Respect de l’ordre en métropole, c’est-à-dire continuation du régime d’exploitation capitaliste, respect de l’ordre à l’extérieur, c’est-à-dire défense – par tous les moyens, y compris la guerre – de « l’Empire » colonial.

On a vu dans un article précédent comment la direction du PCF – Maurice Thorez en tête –  cherchait à l’époque du Front populaire un accord avec la hiérarchie de l’Eglise catholique, ceci sous couvert d’appel aux catholiques.

Cette orientation exigée par le Kremlin a de lourdes conséquences sur le comportement de certains militants syndicalistes qui font passer la politique du «parti-qui-a-toujours-raison » avant les intérêts des salariés ou quand d’autres continuent obstinément de penser que « l’union » de ces vieux partis avec les syndicats résoudra tous les problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée.

( 1) Proche de l’Action française royaliste, ce dominicain rompt avec Maurras et adopte une posture « socialisante ». Certains prêtres-formateurs de l’école d’Uriage – l’abbé de Naurois – se revendiquent de Bernadot. (Source : Bernard Comte : Uriage une utopie combattante).

( 2) Extrait de l’encyclique. Description du « modèle italien : « Grève et lock out sont interdits ( … ) point n’est besoin de beaucoup de réflexion pour montrer les avantages de l’institution. ( … ) Collaboration pacifique des classes, éviction de l’action des organisations socialistes … »

(3) Parmi les heureux élus cités par Macron dans son discours des Bernardins, un certain Henri Irénée Marrou.

C’est un spécialiste de saint Augustin. Prof à Lyon pendant la guerre. Il fait partie du tout 1er cercle de Mounier et écrit dans la revue Esprit en 1940 et 1941. Contrairement au père de Lubac, autre référence de Macron, il n’a pas, semble-t-il, donné de conférences à Uriage.

Il se rend disponible auprès du SGEN CFDT, (fondé en 37).

Dans son « histoire politique de la revue Esprit« , Winock écrit :

« En janvier 41, est convoqué à Vichy un mouvement culturel subventionné par Vichy: Jeune France« . Henri Davenson, (le  pseudo de Marrou) en fait partie.

Winock n’a pas peur d’écrire :

« Jeune France et Uriage en ces années 1940 et 1941 prouvaient qu’on pouvait oeuvrer dans le régime, soit contre le régime, soit pour un redressement qui survivrait au régime, à tout le moins, jusqu’à un certain point »

En septembre 43, puis 44, se tiennent deux « congrès » d’Esprit à Dieulefit (où est « réfugié » Mounier) en compagnie de Beuve-Méry et Marrou.

En 45, Marrou rejoint le « comité directeur » de la revue Esprit avec Ricoeur. On y discute d’un projet rédigé au sein d’Esprit en décembre 44 sur le thème :

« Rajeunir la Déclaration des Droits de l’Homme ».  Il s’agit d’en remplacer les aspects purement individualistes par des articles concernant la personne et les dimensions communautaires … »

Plus tard, Marrou se prononce contre l’emploi de la torture en Algérie. Nul doute n’est plus permis, il est bien de gauche …

D’ailleurs, il milite en faveur de Vatican II.

En mai 68, pour résumer, tout ne lui plaît pas. Ses idées, dans la mesure où il en a, sont celles de Ricoeur. (Voir à ce sujet, la brochure de l’UD FO de Loire-Atlantique consacrée à la grève générale de mai 68).

Le quotidien La Croix établit une biographie de Marrou très éloignée de la vérité. C’est plus prudent.

J M 13-04-2018

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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