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Histoire 16 / 12 / 2017

La charte du travail et la charte d’Amiens sont incompatibles.

A. Hébert : une contribution d’actualité.

Le « manifeste des douze » adopté le 15 novembre 1940, (6 jours seulement après la dissolution de la CGT et de la CFTC) est généralement présenté comme un 1er acte de résistance syndicale à Vichy.  Dans un article intitulé : « les chrétiens à la recherche de leur identité syndicale », Alexandre Hébert remet les pendules à l’heure. En voici le texte complet qui est plus que jamais d’actualité.

« Les chrétiens à la recherche de leur identité syndicale.

L’Union départementale CFDT de Loire-Atlantique a tenu son 37ème congrès les 25 et 26 novembre 1978. A cette occasion, le secrétaire de l’UD, Bernard Henry a présenté au nom du Conseil de l’UD un rapport d’orientation qui témoigne d’une certaine naïveté et doit être soigneusement analysé.

« La CFDT dans le mouvement ouvrier. Notre identité ».

   

Pour A. Hébert, « le combat historique était celui à mener contre le corporatisme dont l’effondrement du régime de Vichy n’a nullement sonné le glas ». (B. Hazo : « l’homme qui dit NON »). Chacun aura noté la « déception » de la CFDT à l’annonce des ordonnances Macron. C’est que la politique du « mouniériste » Macron ne va pas encore assez loin …

 Tel est le titre du premier chapitre. Après avoir fait référence à Fernand Pelloutier, Bernard Henry (secrétaire de l’UD-CFDT 44) définit le syndicalisme comme étant « un instrument de libération culturelle qui a été et est encore aujourd’hui pour des millions d’hommes et de femmes les moyens de découvrir toutes les dimensions de l’homme ». … et voilà comment on peut rattacher la pensée de l’anarcho-syndicaliste Fernand Pelloutier à l’humanisme chrétien d’Emmanuel Mounier et de ses disciples (1). A la suite de quoi, il ne reste plus à Bernard Henry qu’à affirmer tranquillement que :

« La CFTC puis la CFDT sont en cela les héritiers de ce courant ».

Et voilà le syndicalisme chrétien de la CFTC puis de la CFDT, devenu, par la grâce de Dieu (et de Bernard Henry) l’héritier de l’anarcho-syndicalisme des créateurs de la CGT.

Il faut toutefois reconnaître que Bernard Henry n’insiste pas outre mesure sur cet approfondissement doctrinal  pour utiliser le langage des révérends Pères. Mieux, quelques lignes plus loin, le rapport prend soin de préciser avec une humilité toute chrétienne que :

« Créée en 1920, la CFTC était marginale dans le mouvement ouvrier …

Le mérite des militants CFTC a été, jusqu’en 1945, de forger une organisation syndicale un outil de lutte (contre qui ?) qui commence à faire ses preuves (sic) durant les grèves de 1936. »

Leur légitimité …

Mais, ô divine surprise, la CFTC cesse soudain en novembre 1940, d’être marginale grâce au « Manifeste des douze » que le rapport cédétiste nous présente en ces termes :

« A l’époque de la résistance avec la déclaration du manifeste des douze (en riposte au corporatisme de Pétain), pour la première fois, ensemble, la CFTC et la CGT, affirment leur volonté de ne rien renier du passé du mouvement ouvrier, notamment en réaffirmant les positions du syndicalisme français :

  • Il doit être anti capitaliste et opposé à toutes formes d’oppression des travailleurs.
  • Il doit accepter la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt collectif.
  • Il doit être libre.
  • Il doit prendre dans l’Etat toute sa place.
  • Il doit rechercher la collaboration internationale des travailleurs et des peuples ».

Malheureusement pour la « légitimité » de la CFDT, cette façon de présenter les choses constitue, à proprement parler, une falsification historique.

D’abord, le manifeste des douze n’a pas été élaboré par la CFTC et la CFDT mais par des militants à la CGT (2) et à la CFTC qui n’engageaient qu’eux-mêmes. Autrement dit, il serait tout à fait faux de faire de l’appel des douze une sorte d’ancêtre à l’accord CGT-CFDT.

Ensuite, il nous faut bien constater que Bernard Henry et ses amis ne manquent pas de culot en présentant le Manifeste des douze quasiment comme un acte de  résistance « en riposte au corporatisme de Pétain », alors que le Manifeste des douze qu’ils se gardent bien de citer en entier (mais nous allons le faire à leur place) déclarait textuellement :

« Il n’y a pas à choisir entre le syndicalisme et le corporatisme. Les deux sont également nécessaires« .

Enfin, il nous faut également constater que les citations elles-mêmes du fameux Manifeste, par Bernard Henry, sont ou tronquées ou purement et simplement falsifiées. C’est ainsi que les douze affirmaient froidement que le syndicalisme doit accepter la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général, dans la version cédétiste, « intérêt général » se transforme en, « intérêt collectif », ce qui, dans la mythologie chrétienne, doit paraître plus … « socialiste ».

Les douze affirmaient également que le syndicalisme devait « prendre dans l’Etat toute sa place » et, ajoutaient-ils « seulement sa place ».

Cette dernière formule est passée sous silence par nos cédétistes partisans, quant à eux, de l’intégration (sans restriction d’aucune sorte) des syndicats dans l’Etat.

Il nous faut malgré tout, reconnaître à ce rapport le mérite d’une certaine franchise. En se référant au Manifeste des douze (comme nous à la Charte d’Amiens), la CFDT annonce enfin la couleur. La CFDT, non seulement continue la CFTC, mais demeure fidèle à l’idéologie corporatiste sur laquelle a été construite la centrale chrétienne.  Et c’est encore l’idéologie corporatiste qui sous-tend toutes les prises de positions de la CFDT en faveur du pseudo « socialisme auto gestionnaire » cher aux néo-socialistes à la Marcel Déat (3) ou à Michel Rocard. (4)

Les militants anarcho-syndicalistes regroupés à l’UAS n’ont pas attendu le récent « recentrage » de la centrale chrétienne pour être fixés sur la nature, le rôle et la place de la CFDT. Il est vrai qu’ils ne doivent pas leur « légitimité » à la révolution nationale » de Philippe Pétain ! »

Alexandre Hébert. Décembre-janvier 1979.

Les cléricaux falsifient et tronquent les textes. Les cléricaux « d’extrême gauche » cédétistes aussi. Ainsi monsieur Pierre Cours-Salie, prof de philo encarté au SGEN-CFDT et auteur d’un inégalable ouvrage intitulé : la CFDT, un passé porteur d’avenir,  présente à sa façon le Manifeste  qu’il réduit à cette seule phrase : « le syndicalisme français doit être résolument anticapitaliste et d’une manière générale’ opposé à toute oppression des travailleurs ». (Page 78). Corporatistes de « gauche » et « d’extrême gauche » s’entendent toujours bien pour raconter des sornettes.

  Le bal des « loosers »

Les chefs du parti d’Epinay en conclave. Jacques Delors, ex CFTC passé à la CFDT mène la danse.

Sur la photo, les chefs cédétistes sont absents, sans doute pour cause de respect scrupuleux de l’indépendance du parti par rapport au syndicat.

Peu importe, tout ce petit monde se trouvera d’accord avec la pétition lancée par Esprit, le Monde et témoignage chrétien (automne 1995) exigeant de Juppé qu’il ne cède pas sur son plan de « réforme » de la sécu.

En pointant le rôle des cléricaux du courant « personnaliste », les « mouniéristes », A. Hébert a fait preuve cette fois encore de beaucoup de clairvoyance. Il est clair que la tendance cléricale rassemblée aujourd’hui autour de la CFDT tient en apparence un discours différent de celui des évêques le 16 août 1941 : «  Nous voulons que, sans inféodation, soit pratiqué un loyalisme sincère et complet envers le pouvoir établi. Nous vénérons le chef de l’Etat et nous lui demandons instamment que se réalise autour de lui l’union de tous les français (l’intérêt général). Nous invitons les fidèles à se placer à côté de lui dans l’œuvre de redressement qu’il a entreprise sur les trois terrains de la Famille, du Travail et de la Patrie … » le langage de la CFDT a bien changé. Il faut bien s’adapter, sous peine de disparaître …

Jaurès nous mettait en garde.

« L’Eglise aime mieux évoluer que disparaître, elle finit par se résigner à ce qu’elle n’a pu détruire et par rajuster ses principes à ce qui est ». (Histoire de la révolution française, tome I, la Constituante).

Le manifeste des douze évoque aussi le rôle de super arbitre de l’Etat :

La lutte des classes qui a été jusqu’ici un fait plus qu’un principe ne peut disparaître que (… ) par un esprit de collaboration entre ces parties, esprit auquel devra se substituer, en cas de défaut, l’arbitrage impartial de l’ Etat ». Comme si l’Etat était « impartial » ! En juin 36, l’Etat agit pour briser la grève générale, en 1945, il décrète avec le PCF que la « grève, c’est l’arme des trusts», en 1940, il prétend rayer de la carte toute forme d’organisation ouvrière indépendante … le maintien et le développement d’une vraie pratique contractuelle suppose au contraire un effacement de l’Etat.

Dans une étude réalisée sur l’histoire du syndicalisme, Roger Sandri notait que le Manifeste des douze « traduit davantage les orientations traditionnelles du syndicalisme chrétien de la CFTC que celles de la CGT ». C’est le moins que l’on puisse dire. C’est à juste titre que le camarade Sandri fait remarquer aux plus étourdis que « le texte est présenté par le futur ministre socialiste Christian Pineau, en introduisant le principe de subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général ». M. Pineau, vrai résistant – et pas de la dernière heure – n’en demeure pas moins un étrange « socialiste ».

  Roger Sandri intervient lors d’un congrès de la CGT-FO (1972). Il a été secrétaire confédéral pendant de longues années. Lors de son décès en 2015, la confédération a édité un N° spécial de FO-HEBDO afin de retracer son parcours militant. Comme A. Hébert, R. Sandri n’acceptait ni les théories, ni les affirmations toutes faites et non démontrées. A suivre, une de ses contributions, d’une actualité brûlante.

« Des théories fallacieuses.

(… ) Il y a ensuite, tous les faiseurs de système, qui veulent transformer les rapports sociaux naturellement conflictuels en une sorte d’oecuménisme où la lutte des classes laisserait sa place au bien commun universel.

Il y a les adeptes de la démocratie tout azimut, qui, sous prétexte d’associer le syndicalisme à l’élaboration  des décisions prises au niveau de l’entreprise, de la commune, de la région, de l’Etat, ont comme objectif au nom d’une démocratie dite participative, son intégration et la remise en cause de son droit permanent à la contestation.

Il y a ceux – et ce sont souvent les mêmes – qui, dans la recherche d’une solution aux problèmes économiques du monde moderne, voudraient sortir le système de planification du champ de la production, qui est sa limite, pour l’étendre à celui de la consommation. De là, sont mises en avant les grandes théories sur la politique autoritaire des revenus, à laquelle nous nous sommes toujours opposés, quelles que soient les circonstances. Toutes ces théories, y compris celles des pouvoirs ne datent pas d’hier.

Mussolini, l’inventeur du fascisme, présentait le programme d’action de son mouvement le 23 mars 1919 à Milan. Il réclamait entre autres :

« Pour les travailleurs, le droit à la gestion des entreprises et le contrôle de l’industrie – la remise des terres aux paysans – la dissolution des sociétés anonymes – la suppression de toutes spéculations boursières et bancaires – le prélèvement sur le capital – l’autonomie communale et régionale ».

Ces déclarations ultra gauchistes devaient déboucher sur vingt années de dictature, en servant d’exemples au Salazar, Hitler, franco, Pétain pour ne citer que les plus célèbres. »      Roger Sandri, secrétaire confédéral.

Roger Sandri n’était pas de ceux à qui on peut faire prendre des vessies pour des lanternes.

  • Emmanuel Mounier, décédé en 1950 est, avec H. Beuve-Méry (le fondateur du quotidien le Monde), l’inspirateur de l’école de formation des « cadres » de Vichy (Uriage) et ce, jusqu’en décembre 1942. Jacques Delors s’en inspire fortement. Il le revendique. M. Macron fut jusqu’à sa déclaration de candidature au trône de France, membre du comité de rédaction de la revue Esprit, fondée par Mounier. Pour en savoir plus : voir « corporatistes un jour, corporatistes toujours », consultable sur le site de l’UD, rubrique : Histoire, publié le 15 mars 2016 et corporatismes d’hier et d’aujourd’hui, ou les articles parus le 21-06-2016 « les poissons roses dans le bénitier» et Macron, mouniériste « moderne » paru le 14-05-2016.
  • Quelques-uns d’entre eux finiront ministres à des postes où ils ne se sont pas fait remarquer comme des défenseurs acharnés des intérêts particuliers des salariés, probablement parce qu’il n’est pas facile de défendre à la fois les intérêts spécifiques des salariés exploités et l’intérêt général c’est-à-dire les intérêts des exploiteurs.

Jouhaux et Bothereau ne sont pas signataires du Manifeste. Les imagine-t-on un seul instant, signataires de cette stupidité : « Il n’y a pas à choisir entre le syndicalisme et le corporatisme, les deux sont nécessaires » ? Jouhaux et Bothereau ne se font pas d’illusions, il n’y a pas le moindre espace dans le système corporatiste pour le syndicalisme indépendant.

Côté CFTC, les trois signataires ne rejettent pas du tout la perspective d’une Charte du travail, bien au contraire. C’est sans doute avec un sens de l’humour involontaire que l’historien catholique de la CFTC, Gérard Adam écrit :

« Les syndicalistes chrétiens ne sont pas hostiles à certains thèmes corporatistes ». Ils essaient surtout d’y entrainer les militants réformistes. G. Adam raconte les tentatives du dirigeant CFTC Gaston Tessier, en direction de Léon Jouhaux, qui lui répond poliment mais fermement, en substance qu’il n’a pas le temps de le rencontrer …

Ce qui chagrine une fraction, une fraction seulement, des syndicalistes chrétiens, c’est la volonté de Vichy d’imposer un syndicat unique. Ceux-là veulent conserver leur syndicat étroitement contrôlé par la hiérarchie catholique et fondé sur les principes de rerum novarum.

Mgr Feltin argumente au contraire :

«  ( … ) L’Eglise n’a jamais considéré la liberté syndicale comme tellement essentielle que tout régime social qui en suspendrait l’exercice, doive par le fait même être taxé d’abus de pouvoir. On ne peut donc pas dire que le syndicalisme unique soit mauvais en lui-même et que l’Eglise le condamne » ce que confirment les encycliques dites « sociales », en particulier quadragesimo anno (Quarante années après rerum novarum).qui bénit le régime mussolinien.

Il y a plusieurs voies dans la maison du Seigneur.

  • Venu de la SFIO, exclu en 1933, Déat fonde le RNP, parti fasciste concurrent du parti national-socialiste de Jacques Doriot, (ex « N°2 » du PCF) le PPF. Déat finira ministre du travail de Vichy. Son bras droit, le sinistre Albertini, un des animateurs de la fédération SFIO et de l’UD CGT de l’Aube de 1936 à 1939, véritable dirigeant du RNP, écrit en 1942 dans le national-populaire:

« Les syndicalistes de la tendance Jouhaux restent très actifs. Ils font pression sur les syndicalistes jusque-là ralliés à la Charte du travail et au régime nouveau ( … ). Il est temps d’interdire tout contact avec ces égarés, dissidents en puissance et agents en France du comité d’Alger. Ceux des dirigeants syndicalistes qui maintiendraient des contacts avec eux doivent savoir à quoi ils s’exposent. Assez de complaisance avec un attentisme qui confine à la trahison ». (Cité par Robert Bothereau dans « le syndicalisme dans la tourmente ». Allbertini devient après-guerre, conseiller de nombreuses personnalités politiques de la IVème puis de la Vème République. A noter que les corporatistes de « gauche », en particulier ceux issus de la « mouvance Uriage », entament, dès 1945 pour certains, un peu plus tard pour d’autres, de brillantes carrières. Ce n’est pas un hasard si les anciens d’Uriage et tous ceux qui par la suite s’y rattachent se trouvent le 29 mai 1968 derrière Pierre Mendes France et/ou en avril 1969 derrière le général De Gaulle, sa régionalisation, son « sénat » intégrant la CGT promue « colégislatrice ». Ce programme figurait déjà pour l’essentiel dans le « programme » de Mounier, en 1932, programme repris par le fasciste Marcel Déat, puis par la « deuxième gauche » …

D’autres corporatistes, de « droite » cette fois, Maurras, par exemple, sont liquidés, sauf Maurice Bouvier-Ajam, pétainiste jusqu’au bout des ongles mais qui a la présence d’esprit de se convertir à temps aux délices du stalinisme en apparence triomphant.

  • Rocard, l’apôtre de la décentralisation, l’anti jacobin par excellence, le champion du régionalisme (le « colonialisme » qui étouffe les régions – surtout la pauvre Bretagne – ) est l’inspirateur de nombre de projets visant à mettre à bas la république une et indivisible.

On se souvient – ce n’est pas vieux – de l’épisode pitoyable des « bonnets rouges » qui prônaient l’union de toutes les classes, sous la houlette tout de même, de certains patrons de choc, mais, « bretons ». L’un des dirigeants de ce mouvement fascisant avait déclaré benoîtement : « en Bretagne, on est tous un peu patrons ». Ben voyons …

Relire à ce sujet l’édito de Patrick Hébert paru dans le journal de l’UD CGT-FO de Loire-Atlantique, « l’OS » le 6 novembre 2013 : « Neue Europa » et « Neue Ordnung » qui débute ainsi :

« Il y a des moments où il faut remettre les pendules à l’heure … »

                                                 J.M décembre 2017.

chaud ! chaud ! chaud !

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