>Histoire

8 / 05 / 2018

C’est arrivé un : 8 mai 1945, à Lisbonne.

A Paris, on chante, on danse, on s’embrasse ; les robes fleuries aux couleurs de l’oncle Sam et de l’Empire britannique sont de sortie.

En Algérie, à Sétif, à Guelma, notamment, le gouvernement d’union – on dirait aujourd’hui, de grande coalition – (PCF, PS, De Gaulle) porte l’entière responsabilité du massacre de 40 000 algériens qui fêtent eux-aussi, non pas la défaite de l’Allemagne, mais l’écrasement du national-socialisme. C’est le premier acte d’une guerre de 17 ans. Le PCF dénonce les « provocateurs », le PPF de Doriot, ex N°2 du PCF, derrière Thorez, passé avec armes et bagages au national-socialisme …

En Espagne, la dictature de Franco se porte bien. Les très démocrates Churchill et Roosevelt y veillent. A Yalta, ils se partagent le monde avec Staline. L’intégration de l’Espagne franquiste à l’Otan ne posera aucun problème.

On pourrait poursuivre l’énumération. Ainsi va le monde ce 8 mai 1945.

Au Portugal :

Salazar en 1933.

Salazar veut créer un homo novus. Il se rattache au Centre national catholique dont la devise est : Religion et patrie. « l’accent est mis sur la valeur des communautés baptisées naturelles : famille, patrie, corporation, commune, province, état ». Salazar assure qu’ « il n’existe aucune obligation morale qui ne provienne de Dieu, aucune domination qui puisse être imposée à un homme par un autre si ce n’est au nom de Dieu ».

« Depuis longtemps, je pense que certaines réformes, rendues fatales dans notre société par la marche des choses, doivent être accomplies par les droites plutôt que par les gauches … contre le peuple si c’est nécessaire », (le Figaro, 1958) donc, à défaut par les « gauches », seules, ou en collaboration avec les « droites ».

Au Portugal, ce 8 mai, le peuple descend dans la rue.

Salazar a instauré depuis 1928 une féroce dictature. Sa devise ; « Dieu, la patrie, l’autorité, la famille, le travail » résume tout. L’armée, le Vatican (1), le patronat – l’éternelle alliance du sabre, du goupillon et du coffre-fort – le soutiennent. Droit de grève et syndicats ouvriers sont interdits. A l’annonce de la mort d’Hitler, Salazar décrète une journée de deuil national. Pour des millions de portugais, le 8 mai est jour d’espoirs … vite déçus.

Mario Soares, dirigeant du parti socialiste raconte :

 

( Mario Soares (7-12-1924 – 7-01-2017).

Premier ministre de 1976 à 1978.

Président de la république de 1986 à 1996.

« Nous descendîmes à grands bruits dans le centre de Lisbonne en agitant les drapeaux des puissances alliées … La place du Rossio était noire de monde et, manifestement, les gens attendaient quelque chose. On nous applaudissait, des jeunes ne cessaient de se joindre à nous. Les gardiens de la paix et les agents en civil, nombreux, occupaient les points stratégiques et s’efforçaient d’éviter des rassemblements. Cette fois, ils étaient corrects, presque polis. Soudain, au milieu de la foule, nous brandîmes un énorme drapeau portugais (2). Le résultat fut surprenant. En quelques secondes, nous eûmes autour de nous une foule impatiente de manifester sa joie devant les ambassades alliées. C’était une marée humaine … des milliers et des milliers de gens scandaient : victoire ! victoire, liberté dé-mo-cra-tie !

Le lendemain matin, nous fîmes suspendre tous les cours des écoles supérieurs et des lycées. Dans la rue, des manifestants de toutes les couches sociales se joignirent à notre cortège et se laissèrent guider. Nous retournâmes devant les ambassades des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et de France … La manifestation prenait une véritable tournure politique. On criait maintenant : mort au fascisme ! Liberté pour les détenus politiques ! Fermez le camp de Tarrafal !

J’avais l’impression que tout Lisbonne était dans la rue. Nous remîmes des messages très explicites aux ambassadeurs des pays alliés. Gênés, ils y répondirent par des remerciements de pure forme et accueillirent froidement nos hourras. Peut-être savaient-ils qu’ils allaient nous trahir. Ils devaient composer avec l’ennemi de la veille et sauver Salazar ».

Le 8 mai 1945 aurait pu être le 1er jour de la révolution portugaise. Pendant deux jours, les tortionnaires de la PIDE, la police politique de Salazar, (formée par la Gestapo, l’OVRA de Mussolini à partir de 1936 et la CIA dans les années cinquante) se terrent. Les curés, prudents, se cachent au fond de leurs sacristies.

« L’Europe nouvelle », la « Communauté européenne », telles est la perspective du journal collaborationniste, l’œuvre dont le néo-socialiste-fasciste Marcel Déat, futur ministre du travail de Vichy en 1944.

L’ordre mondial nouveau instauré par les trois « grands », EU, Grande-Bretagne et URSS, suppose le maintien de la dictature qui durera encore 29 ans. Certes, « Salazar, c’est un allié dont le voisinage fait un peu honte et dont on serre la main seulement après s’être assuré que personne ne regarde » mais c’est un allié. (Cité par J. Georgel,  « le salazarisme » … page 206).

En France, le journal officieux de la Vème République, le Monde, peut, discrètement, se réjouir. Son directeur, monsieur Beuve-Méry a des idées précises sur le Portugal de Salazar :

« Une causerie de Beuve-Méry, retour du Portugal présente l’organisation de la jeunesse dans ce pays en en soulignant les aspects positifs ( … ) l’embrigadement demeure modéré, car l’objectif est plutôt éducatif plutôt que politique. Le régime, renonçant aux ambitions totalitaires qui avaient marqué ses débuts formule des directives sans prétendre imposer un absolu, ni une religion ». Ces propos édifiants (rapportés par l’historien mouniériste Bernard Comte, « une utopie combattante, l’école des cadres d’Uriage », page 247) datent de septembre 1941.

Pas étonnant que ces démocrates très chrétiens ne trouvent rien à objecter aux lois rénovant le « dialogue social » à la portugaise. Un décret-loi du 15 octobre 1945 accroît les sanctions contre la grève : de 2 à 98 ans de prisons !

La révolution d’avril 1974 met un terme à l’ « expérience » corporatiste portugaise. Immédiatement, les travailleurs portugais reconstituent leurs organisations indépendantes, syndicats et partis. Les obstacles sont nombreux. Le relai stalinien du Kremlin, le PCP, particulièrement discipliné, consacre toute son énergie et son savoir-faire au service de ceux qui à « droite » ou à « gauche » combattent contre la reconstruction des organisations syndicales indépendantes.

Le 1er mai 1974, ils sont 300 000 manifestants dans les rues de Lisbonne.

« Au matin du 25 avril, un communiqué passé à la radio informe : Les forces armées vont apporter la démocratie : appel à la population à ne pas sortir. Appel à la police à ne pas intervenir. Mais la « population » n’obéit plus à personne et les rues de Lisbonne sont envahies par les manifestants ; (aux chantiers de la Lisnave, la grève s’organise. Des délégués sont élus pour porter les revendications … »

(Source : corporatismes d’hier et d’aujourd’hui. Portugal pages 63 à 79).

C’est une nouvelle page de l’histoire du Portugal qui s’ouvre.

  1. Le très pieux Robert Schuman, « père de l’Europe » vaticane  ne cache pas son admiration pour le « guide » portugais. Salazar ? un modèle : celui qui en Europe applique à la perfection la doctrine sociale de l’Eglise. Dans son très intéressant ouvrage « le salazarisme, histoire et bilan, 1926-1974 », l’universitaire Jacques Georgel s’en étonne … curieusement. L’Eglise apprécie tout particulièrement l’une des toutes premières décisions du chef suprême : l’abolition de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat adoptée par la République en avril 1911.

« C’est par la grâce de Dieu que nous avons ces trois précieuses choses : la liberté de parole, la liberté de pensée et la prudence de n’exercer ni l’une, ni l’autre ». (Salazar).

J. M 7 mai 2018.

chaud ! chaud ! chaud !

leurs revendications concernent la réforme des retraites: Appel à la grève dès le 5 décembre

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